M ise au point ● O.Thaunat* Lymphangiogenèse et néogenèse lymphoïde : deux nouveaux mécanismes impliqués dans la physiopathologie du rejet chronique en transplantation d’organe L a récente célébration du cinquantième anniversaire de la première transplantation rénale a été l’occasion de rappeler que, si des progrès considérables ont été accomplis en ce qui concerne la survie des patients et le pourcentage de greffons fonctionnels au-delà de la première année, la demi-vie des greffons est restée globalement stable, traduisant ainsi notre impuissance devant le processus de rejet chronique (1). À cette constatation vient s’ajouter le problème de la pénurie des greffons. Ce préambule souligne la nécessité d’améliorer notre connaissance de la physiopathologie du rejet chronique afin de proposer des solutions thérapeutiques innovantes et efficaces qui permettront de prolonger la survie des greffons. D. Kerjaschki et al. ont examiné l’implication de ce phénomène au cours du rejet chronique. Ils ont, dans un premier travail (5), analysé la localisation et la densité des vaisseaux lymphatiques au sein de pièces de néphrectomies (pour cancer) et montré que les vaisseaux lymphatiques n’étaient détectables que dans l’adventice des artères de moyen calibre de ces reins ”normaux”. Ils ont ensuite procédé à la même étude sur des biopsies de greffons. Ils ont alors constaté que certains greffons (35/350 [10 %]) présentaient une très nette augmentation de la densité des vaisseaux lymphatiques. Ils ont pu établir une corrélation positive entre l’augmentation de la densité des vaisseaux lymphatiques au sein des greffons d’une part, et, d’autre part, l’indice de chronicité de l’échelle de Banff ainsi que le risque de perte de greffon. Dans un second travail récemment publié dans Nature Medicine, la même équipe s’est cette fois intéressée aux mécanismes responsables de la lymphangiogenèse dans les greffons rénaux en rejet chronique (6). Les auteurs ont étudié les pièces de détransplantations de 6 patients masculins ayant reçu des greffons de femmes. Grâce à l’hybridation in situ avec une sonde reconnaissant le chromosome Y, ils ont pu estimer que 4,5 % environ (2,2 à 7 %) des cellules endothéliales des lymphatiques néoformés dans le greffon dérivaient de progéniteurs lymphatiques provenant du receveur. Ce mécanisme semble assez spécifique de la lymphangiogenèse accompagnant le rejet chronique, puisqu’il ne participe pas au turnover physiologique des cellules endothéliales lymphatiques de la peau ou du côlon ni à la lymphangiogenèse associée au développement des tumeurs cancéreuses. Dans ces dernières situations (comme pour les 95,5 % de cellules endothéliales lymphatiques non marquées par la sonde anti-Y au cours de la lymphangiogenèse du rejet chronique !), les cellules endothéliales des lymphatiques néoformés proviennent de divisions cellulaires à partir des cellules déjà présentes (comme en témoigne le marquage KI67+). Les auteurs font l’hypothèse que les macrophages jouent un rôle important dans la lymphangiogenèse au cours du rejet chronique : pour certains d’entres eux (VEGF-R3+) en étant les précurseurs des cellules endothéliales lymphatiques, et pour tous en étant la source principale de facteurs lymphangiogéniques tels que le VEGF-C. Drainage lymphatique et rejet chronique Le réseau lymphatique est une voie majeure de communication pour le système immunitaire. En assurant le drainage des tissus, il permet de concentrer dans l’organe lymphoïde secondaire spécialisé (le ganglion lymphatique) les différents acteurs de la réponse immune : cellules dendritiques matures présentant les antigènes, lymphocytes T et lymphocytes B. Des travaux pionniers ont montré que quelques jours étaient suffisants pour que le processus de cicatrisation assure le rétablissement de la continuité entre les réseaux lymphatiques du greffon et ceux du receveur (2), mais très peu d’équipes se sont interrogées sur le rôle du réseau lymphatique dans la physiopathologie du rejet chronique. A.J. Demetris et al. (3) ont publié en 1997 ce qui est longtemps resté la seule contribution dans ce domaine. Dans un modèle expérimental complexe de transplantation cardiaque chez le rat, ils ont observé que le développement des lésions de rejet chronique était corrélé à la destruction des lymphatiques du donneur par la réponse allo-immune. À partir de ces résultats, ils ont formulé l’hypothèse que le défaut de drainage lymphatique intervenait dans la physiopathologie du rejet chronique en induisant l’accumulation de cytokines responsables de la prolifération des cellules musculaires lisses et de l’augmentation de synthèse de la matrice extracellulaire. Récemment, des avancées considérables ont été faites dans la compréhension des mécanismes conduisant au développement des vaisseaux lymphatiques : il s’agit de la lymphangiogenèse (4). Néogenèse lymphoïde et rejet chronique La mise en place d’une réponse immune dépend de la capacité du système immunitaire à réunir en un seul site l’antigène, les cellules assurant sa présentation et les effecteurs lymphocytaires (clones T et B spécifiques de cet anti- * Service d’immunologie clinique et de transplantation rénale, hôpital ÉdouardHerriot, Lyon. 156 Le Courrier de la Transplantation - Volume VII - n o 3 - juillet-août-septembre 2007 M ise au point gène). Afin d’optimiser les chances de rencontre entre ces protagonistes, le système immunitaire utilise les organes lymphoïdes secondaires : rate, ganglions lymphatiques et tissu lymphoïde associé aux muqueuses (MALT). Dans ces organes hautement spécialisés, les clones lymphocytaires T et B n’ayant pas encore rencontré leur antigène sont stockés. Ils attendent au repos que les cellules présentatrices de l’antigène (en particulier les cellules dendritiques) leur présentent les peptides rencontrés dans les tissus qu’elles viennent de traverser. En réponse à une aide appropriée fournie par les clones lymphocytaires T, les clones B spécifiques du même antigène entrent dans le centre germinatif où ils réalisent la commutation isotypique et les hypermutations somatiques qui vont permettre la production d’Ig plus affines et plus efficaces pour déclencher les mécanismes effecteurs. Cette mécanique complexe a longtemps été considérée comme spécifique des organes lymphoïdes secondaires. On sait cependant, depuis les travaux de A.E. Schröder (7) et de A. Kratz (8), que les infiltrats inflammatoires qui caractérisent les réponses immunitaires chroniques de certaines maladies auto-immunes ont tendance à s’organiser et finissent par reproduire au sein de l’organe cible des structures lymphoïdes se comportant comme des centres germinatifs ectopiques. Ce processus, connu sous le nom de néogenèse lymphoïde, n’est pas restreint aux réponses auto-immunes, et notre équipe a récemment montré qu’il participait également au rejet chronique en transplantation (9). Ainsi, au cours du rejet chronique, l’organe rejeté est non seulement la cible mais aussi le site où la réponse allo-immune s’élabore. Cette vision de la relation entre néogenèse lymphoïde et rejet chronique doit aussi tenir compte des travaux de D. ­Kerjaschki et al. sur la lymphangiogenèse, qui suggèrent que le développement du rejet chronique est associé à une densité augmentée de vaisseaux lymphatiques dans le tissu rejeté. Nous formulons à ce stade trois hypothèses de travail : ✓ Le réseau lymphatique qui se développe dans les tissus rejetés est non fonctionnel. Il est incapable de drainer efficacement le tissu, et sa croissance exubérante pourrait alors correspondre à un cercle vicieux dont le moteur serait justement le défaut de drainage. ✓ Le réseau lymphatique néoformé est fonctionnel mais il est drainé vers les organes lymphoïdes ectopiques (et non vers le ganglion drainant). ✓ Le réseau lymphatique néoformé est fonctionnel et drainé vers le ganglion drainant. Dans ce cas, les raisons du développement de la néogenèse lymphoïde sont encore incomprises. Conclusion D’importants progrès ont été faits récemment dans la description de deux nouveaux mécanismes impliqués dans la physiopathologie du rejet chronique : la néogenèse lymphoïde et la lymphangiogenèse. Les relations qui existent entre ces deux phénomènes font l’objet de travaux qui devront permettre d’identifier quelle est la meilleure cible pour prévenir leur développement. De nouvelles stratégies thérapeutiques ciblant ces mécanismes nous permettront peut-être de prolonger la survie des greffons en retardant l’apparition des lésions de rejet chronique. ■ Néogenèse lymphoïde et lymphangiogenèse au cours du rejet chronique R Le développement d’une réponse immune efficace au sein du ganglion lymphatique dépend d’une part de l’efficacité du drainage du tissu dont le ganglion assure la défense – c’est par le réseau lymphatique afférent qu’arrivent les cellules dendritiques chargées d’antigènes –, et d’autre part du réseau lymphatique efférent, qui va permettre aux effecteurs lymphocytaires activés de quitter le ganglion pour rejoindre les compartiments de l’organisme où ils assurent leurs fonctions. Les raisons pour lesquelles, au cours du rejet chronique, le système immunitaire délègue au greffon les fonctions immunes spécialisées d’un organe lymphoïde secondaire restent pour l’instant imparfaitement comprises. Une des explications plausibles pourrait être que la néogenèse lymphoïde permet au système immunitaire de suppléer au défaut de drainage lymphatique de l’organe rejeté (3). Le prix à payer pour le système immunitaire serait une réponse moins bien contrôlée, puisque se déroulant dans un tissu non lymphoïde (non professionnel) et dans un environnement de “danger” immunologique (tissu avoisinant détruit). é f é r e n c e s b i b l i o g r a p h i q u e s 1. Sayegh MH, Carpenter CB. Transplantation 50 years later-progress, challenges, and promises. N Engl J Med 2004;351:2761-6. 2. Malek P, Vrubel J, Kolc J. Lymphatic aspects of experimental and clinical renal transplantation. Bull Soc Int Chir 1969;28:110-4. 3. Demetris AJ, Murase N, Ye Q et al. Analysis of chronic rejection and obliterative arteriopathy. Possible contributions of donor antigen-presenting cells and lymphatic disruption. Am J Pathol 1997;150:563-78. 4. Jain RK, Padera TP. Development. Lymphatics make the break. Science 2003;299:209-10. 5. Kerjaschki D, Regele HM, Moosberger I et al. Lymphatic neoangiogenesis in human kidney transplants is associated with immunologically active lymphocytic infiltrates. J Am Soc Nephrol 2004;15:603-12. 6. Kerjaschki D, Huttary N, Raab I et al. Lymphatic endothelial progenitor cells contribute to de novo lymphangiogenesis in human renal transplants. Nat Med 2006;12:230-4. 7. Schröder AE, Greiner A, Seyfert C, Berek C. Differentiation of B cells in the nonlymphoid tissue of the synovial membrane of patients with rheumatoid arthritis. Proc Natl Acad Sci USA 1996;93:221-5. 8. Kratz A, Campos-Neto A, Hanson MS, Ruddle NH. Chronic inflammation caused by lymphotoxin is lymphoid neogenesis. J Exp Med 1996;183: 1461-72. 9. Thaunat O, Field AC, Dai J et al. Lymphoid neogenesis in chronic rejection: evidence for a local humoral alloimmune response. Proc Natl Acad Sci USA 2005;102:14723-8. 157 Le Courrier de la Transplantation - Volume VII - n o 3 - juillet-août-septembre 2007