Ann. Kinésithér., 1995, t. 22, © • Masson, nO 2, pp. 79-89 CONDUITE À TENIR DEV ANT. .. Paris, 1995 Évaluation fonctionnelle de la paroi abdominale antérieure après reconstruction mammaire par lambeau abdominal myocutané transverse inférieur suite à mastectomie pour cancer A propos de 48 patientes R. GAUTIER MCMK, kinésithérapeute praticien, centre René Gauducheau, CRLCC Nantes-Atlantique, bd. J.-Monod, F-44805 Saint-Herblain Cedex. Enseignant, école de Massage, kinésithérapie rééducation de Nantes, 54, rue de la Baugerie, F-44230 Saint-Sébastien-sur-Loire. Ce travail consiste en l'évaluation fonctionnelle des muscles grands droits et obliques de l'abdomen chez 48 patientes ayant bénéficié d'une reconstruction mammaire par TRAM Cette reconstruction a été faite à partir d'un muscle grand droit (lambeau unipédiculé chez 20 patientes) ou à partir des deux muscles grands droits (lambeau bipédiculé chez 28 patientes). L'analyse porte sur les résultats d'un questionnaire adressé à ces femmes à distance de leur intervention et surtout sur la réalisation de tests pré et postopératoires d'évaluation de la force musculaire. Enfin, les résultats sont comparés aux études antérieures réalisées par les équipes belges et américaines afin d'en apprécier la fiabilité. • Introduction La reconstruction mammaire par lambeau abdominal transverse inférieur (T.R.A.M. = Transverse Rectus Abdominis Myocutanéous Flap) a été mise au point en 1982 par Hartrampf, Black et Scheflan (1). L'idée des auteurs est d'utiliser l'ensemble de la palette cutanée abdoTirés à part: R. 1 GAUTIER, à J'adresse ci-dessus. minale transverse inférieure, taillée à la manière d'une dermolipectomie pour la reconstruction d'un sein. Cette idée originale repose sur l'hypothèse que ce vaste lambeau musculo-cutané peut être entièrement vascularisé par un seul axe artériel épigastrique supérieur (2, 3). L'artère épigastrique supérieure présente un trajet axial dans la profondeur du muscle grand droit de l'abdomen correspondant (fig. 1 et 2), (3, 4). Ce muscle, jouant le rôle de porte-vaisseau, est donc prélevé au cours de l'intervention (reconstruction par lambeau unipédiculé). La reconstruction mammaire par lambeau bipédiculé (transfert des deux muscles grands droits) est née des complications vasculaires des lambeaux uni pédiculés (5, 6). La double vascularisation de la palette abdominale lui assure une excellente fiabilité vasculaire. Le risque d'ischémie ou de nécrose partielle du lambeau est réduit à néant. Cette technique de reconstruction est reconnue comme étant la méthode donnant les meilleurs résultats et se rapprochant le plus de l'aspect naturel. Le sein reconstruit est souple, chaud, sans prothèse. Selon Nehamia (7) «... le sein reconstruit possède une forme et une consistance naturelle, voisine du sein controlatéraI... ». Le degré de satisfaction des patientes ayant bénéficié de cette technique utilisant du tissu autogène est extrêmement important, comparativement aux autres techniques de reconstruction [Guillard (8)]. 80 Ann. Kinésithér., 1995, t. 22, n° 2 épigëlslrique superiè'He (5) altère artères intercostales (i) artère circon'f'exe artère épig3sh;qtle ']llère honteuse iliaq'Je supe" mlérieure <111ère fémofale FIG. 2. - Aspect radiographique de la vascularisation de la paroi abdominale antérieure (3) artère intercostale s - artère épigastrique supérieure c - artère circonflexe iliaque superficielle e - artère épigastrique inférieure p - artère honteuse artère fémorale artérielle i- FIG. 1. - Vue antérieure de la paroi abdominale antérieure selon Bouchet et Cuilleret (4) 1 - 5e côte 2 - insertion du muscle grand droit 3 - feuillet aponévrotique antérieur de la gaine des droits 4 - muscle petit oblique 5 - épine iliaque antéro-supérieure 6 - muscle pyramidal 7 - orifice inguinal superficiel 8 - ombilic 9 - muscle oblique externe 10 - ligne blanche feuillet aponévrotique antérieur de la gaine des droits Il - L'abdominoplastie entraîne également une satisfaction esthétique chez un grand nombre de patientes et la cicatrice abdominale est camouflable. Hartrampf (9) fait état de 78 % à 82 % de satisfaction. Toutefois, après le transfert du lambeau au niveau de l'ablation mammaire, la reconstitution d'un mur abdominal antérieur solide et efficace est capital. Il serait inconcevable de remplacer le handicap d'une mammectomie par une mutilation entraînant un déficit fonctionnel important. Le risque de hernie, de lachage de suture ou de bombement excessif du mur abdominal est supprimé par la mise en place pendant le temps opératoire d'une plaque de Mersilène suturée aux différents plans aponévrotiques superficiels (3, 7, 10, Il). Reste le problème de la détérioration de la fonction musculaire abdominale antérieure liée au prélèvement d'un ou des deux muscles grands droits. En 1989, Lejour et Dome (12) avaient fait une première évaluation des déficits musculaires et fonctionnels du mur abdominal après T.R.A.M. sur une population de 57 patientes. Au Centre René Gauducheau, entre janvier 1989 et décembre 1993, 67 patientes ont bénéficié d'une reconstruction par T.R.A.M. uni ou bipédiculé. Il nous a semblé d'emblée important de quantifier les déficits et la gêne fonctionnelle de nos patientes à partir d'enquêtes, de tests musculaires pré et postopératoires. Il convenait également de comparer nos résultats à ceux obtenus par Lejour et Dome (12) d'une part, et aux évaluations de Wagner et Hartrampf (6) d'autre part. Enfin, l'évaluation clinique de l'abdomen : aspect morphologique, aspect des cicatrices, solidité du mur antérieur, palpation abdominale ... est réalisée systématiquement par le chirurgien lors des différentes consultations postopératoires et ceci pour chaque patiente. Ces résultats ne figurent pas dans cet exposé. Ann. Kinésithér., Technique chirurgicale RECONSTRUCTION UNIPÉDICULÉ PAR LAMBEAU du lambeau abdominal La patiente est installée en position semi-assise. L'intervention se déroule sous anesthésie générale. Les dessins préopératoires sont tracés sur le corps de la patiente le jour même de l'intervention (fig. 3). La palette abdominale correspond à une ellipse à grand axe horizontal, tendue d'une épine iliaque antérosupérieure à l'autre en passant à un travers de doigt au-dessus du pubis et sous l'ombilic. Au niveau thoracique, la zone cutanée d'exérèse emporte la cicatrice de mastectomie (3). C'est en général le muscle grand droit controlatéral à la mastectomie qui est choisi (fig. 4). L'utilisation du muscle homolatérallui imposerait une rotation de 180°, préjudiciable à sa vascularisation. Le muscle grand droit choisi est sectionné à un travers de doigt au-dessus du pubis. Son artère épigastrique inférieure est ligaturée de façon élective. Le muscle est élevé \ nO 2 81 en totalité avec son feuillet aponévrotique antérieur, sur toute sa longueur jusqu'à ses insertions costales qui sont respectées (10). Il existera donc un défect abdominal correspondant au muscle grand droit et au feuillet antérieur de son aponévrose. L'ombilic est respecté. Cette technique de reconstruction mammaire associe une dermolipectomie abdominale, correspondant au prélèvement du lambeau, un décollement cutané de la paroi abdominale antérieure pour le transfert de ce lambeau vers le thorax, et enfin le modelage du nouveau sein. Le prélèvement 1995, t. 22, L'élévation du lambeau (fig. 5) Un tunnel est réalisé pour permettre l'élévation du lambeau vers sa position thoracique. Ce vaste décollement de la paroi cutanée abdominale antérieure est suffisamment large pour ne pas comprimer la vascularisation du lambeau. Le modelage du sein et la réparation pariétale Le modelage du sein et la réparation de la paroi abdominale sont effectués dans le même temps opératoire, en deux équipes. Le modelage du sein est effectué par désépidermisation des zones supérieure et latérale qui sont enfouies sous la peau thoracique pour reconstruire le défect sous claviculaire et le bord antérieur du creux axillaire. Les berges du lambeau sont suturées aux berges du prélèvement thoracique de la cicatrice de mastectomie en respectant les dessins préalablement tracés. La majeure partie du lambeau donne le relief extérieur du sein reconstruit, c'est-à-dire le galbe et l'effet de ptose (fig. 6). )( FIG. 3 FIG.4 FIG.5 FIG. 6 FIG. 3. - Dessins opératoires, vue de trois quart FIG. 5. - Schématisation FIG. 4. - Dessins préopératoires de la palette abdominale et autour de la cicatrice de mastectomie : noter que le lambeau est pédiculisé sur le muscle grand droit controlatéral. FIG. 6. - 11;fodelage du sein, laissant une cicatrice autour de la reconstruction. de l'ascension du lambeau. 82 Ann. Kinésithér., 1995, t. 22, nO 2 La réparation pariétale est systématiquement effectuée à l'aide d'une plaque non résorbable de Mersilène. Le sens élastique du treillis est disposé verticalement. Ce matériel prothétique est fixé aux berges de J'aponévrose antérieure des muscles larges de l'abdomen, par des points séparés de fil non résorbable (fig. 7). La réparation pariétale est drainée par deux redons aspiratifs. L'ombilic est replacé sur la paroi abdominale. La dermolipectomie est refermée par un surjet de fils résorbables (fig. 8). - dans 68 % des cas à J 5. Le premier levé est programmé au Se jour. La sortie est envisagée quand il n'y a plus de redons. La patiente doit se mobiliser de façon autonome. Les problèmes de transit digestif sont réglés. La sonde urinaire est retirée. Les suites opératoires sont simples au niveau du lambeau. L'hospitalisation dure en moyenne entre 7 et 14 jours (9, 10, 13). La tonification de la sangle abdominale peut être débutée au 30e jour. Les suites opératoires Le deuxième L'intervention dure en moyenne 2 heures et 7 minutes (10). La patiente sort du bloc opératoire en position semi-assise et gardera cette position pendant les cinq premiers jours pour limiter les risques de compression du pédicule vasculaire du lambeau. Les soins infirmiers du lambeau (surveillance de la coloration, chaleur, reconnaissances des signes d'engorgement ou d'ischémie vasculaire ...) supposent une formation spécifique du personnel à ce type de prise en charge. L'équipe de kinésithérapeutes prend en charge l'assistance respiratoire postopératoire, la prévention des pathologies de décubitus, la reprise de la mobilisation. Les douleurs spécifiques au maintien prolongé de la position assise, hanches et genoux fléchis sont fréquents - dorso-lombalgies (dans 60 % des cas) ; - sciatalgies (23 %) ; - hyperpression fémoro-patellaire et gonalgies (37 %). La mobilité complète de l'épaule homologue à la reconstruction est récupérée progressivement - dans 37 % des cas à J 3, - dans 55 % des cas à J 4, Le deuxième temps correspond essentiellement à la réalisation de la plaque aréolomamelonnaire, 4 à 6 mois après la première intervention. La technique consiste en un prélèvement cutané au niveau de la face interne de cuisse. L'emplacement de la future plaque est repéré et désépithélialisé. La peau prélevée est appliquée en greffe de peau totale sur le sein reconstruit. Le relief mamelonnaire est obtenu par décapitation du mamelon controlatéral. Au cours de cette intervention sont réalisées également les retouches à visée esthétique (reprise du sein reconstruit, symétrisation du sein controlatéral...). temps opératoire (3) RECONSTRUCTION PAR LAMBEAU BIPÉDICULÉ (fig. 9) La technique diffère peu de celle du lambeau uni pédiculé. Le défect pariétal est double; les deux muscles grands droits de l'abdomen sont prélevés avec le feuillet aponévrotique antérieur. La double vascularisation de la D /\ )( FIG.7 FIG.8 FIG. 7. - Fermeture pariétale sur un treillis non résorbable. FIG. 8. - Résultat jinal. 1 '" FIG.9 FIG. 9. - Le lambeau abdominal transverse inférieur bipédiculé pour une reconstruction unilatérale. Ann. Kinésithér., palette abdominale assure une parfaite fiabilité vasculaire du lambeau. Les indications d'un lambeau bipédiculé reposent sur les facteurs de risque de nécrose et sur la nécessité de réaliser un sein volumineux (1, 13). Population De janvier 1989 à décembre 1993, Y. Gui1lard, Chirurgien du Centre René Gauducheau, a effectué 67 reconstructions mammaires par T.R.A.M. Seulement 48 d'entre elles ont pu être évaluées d'une façon rigoureuse, avec tests de force musculaire pré et post-opératoires et questionnaire individuel adressé aux patientes, à distance de l'intervention. des Le tableau 1 montre la répartition patientes. La figure 10 reproduit la pyramide des âges. L'âge de la population testée s'échelonne de 35 à 62 ans avec une moyenne à 50 ans. Le poids moyen est de 63,7 kg (47 - 97 kg). Toutes les patientes ont été opérées par le même chirurgien et testées par le même kinésithérapeute. 1995, t. 22, nO 2 83 • le muscle grand oblique droit de l'abdomen (l'évaluation du grand oblique gauche étant identique mais inversée) Chaque muscle est côté de 0 à 5. Seules les cotations 3, 4 et 5 ont été analysées dans ce travail. Exemple : portion sus-ombilicale des grands droits ; • Cotation 3 = bras croisés sur la poitrine, décoller les épaules et les scapula du plan de référence. • Cotation 4 = bras croisés sur le thorax, demander une flexion progressive du tronc. La région dorsale et lombaire décolle du plan de la table. La lordose lombaire doit s'effacer. Maintenir les pieds en fin de mouvement pour stabiliser la patiente. • Cotation 5 = idem, mains croisées derrière la nuque. Demander le même mouvement, sans propulsion. ÉVALUATION PRÉOPÉRATOIRE L'ensemble des tests musculaires précédemment décrits a été soumis aux 48 patientes lors de la consultation chirurgicale préopératoire, ou le plus souvent lors de l'hospitalisation la veille de l'intervention. ÉVALUATION POSTOPÉRATOIRE Les tests d'évaluation ont été effectués tardivement entre 6 mois et 2 ans après la reconstruction. Ils étaient soumis aux patientes lors d'une consultation médicale de surveillance. Méthode ÉVALUATION FONCTIONNELLE ABDOMINALE ANTÉRIEURE DE LA PAROI (fig. 11) Nous avons utilisé pour les différents muscles, la méthode et les cotations de Lacote dans « Évaluation clinique de la fonction musculaire » (14). montre les tests utilisés pour ; La figure • les portions sus-ombilicales et· sous-ombilicales des grands droits, Il T ABLEA U 1. - Répartition des patientes 28 reconstructions unilatérales parpatientes lambeau bipédiculé 19 Patientes rééducation musculaire en48postopératoire ipédiculé • de onification la sangle abdominale ctions d'une unilatérales néficié Age 35 40 45 50 FIG. 10. - Pyramide 55 des âges. 60 65 1 1 1 84 Ann. Kinésithér., 1995, t. 22, n° 2 Cot.5 -t ~. :~ - -r"- c_ Col.3 Cot.3 FIG. 11. - Test d'évaluation fonctionnelle des muscles grands droits et obliques de l'abdomen. a - muscles grands droits: portion sus-ombilicale. b - muscles grands droits: portion sous-ombilicale. c - muscle grand oblique droit. En règle générale, ces femmes avaient terminé leurs séances de rééducation de la paroi abdominale, ces séances étant effectuées entre le 2e et le 12e mois postopératoire. ENQUÊTE RÉALISÉE AUPRÈS DE LA POPULATION TESTÉE Un questionnaire individuel a été adressé à l'ensemble des patientes entre le 12e et le 30e mois postopératoire. Cette enquête portait sur le degré de satisfaction après reconstruction, les douleurs dorso-lombaires postopératoires, la force et la solidité du mur abdominal. Il a été demandé également de quantifier et de situer la gêne fonctionnelle abdominale, notamment dans les transferts à partir du décubitus dorsal. Résultats RÉSULTATS DE L'ENQUÊTE EFFECTUÉE AUPRÈS DES 48 PATIENTES TESTÉES • 85 % des patientes sont satisfaites de leur reconstruction et la recommandent à d'autres mammectomisées, ceci malgré « quelques inconvénients » inhérents à la technique à type de déficit musculaire et de gêne fonctionnelle . • 53 % des patientes ont présenté des douleurs lombo-abdominales en postopératoire (sensation de brûlures, tiraillements abdominaux, douleurs rachidiennes à la station assise ou debout prolongée, sensation de striction abdominale, ou « rétraction sterno-pubienne »...). Ces douleurs s'estompent progressivement (75 % des cas) lors de la première année postopératoire. • 83 % des patientes ressentent une gêne fonctionnelle (tableau II) - lors de la réalisation d'activités quotidiennes (ménage, jardinage, cuisine, port de charges lourdes, activités physiques ...), - mais surtout lors des transferts et lors de la fonction de redressement du tronc à partir de la position allongée. Dans notre enquête, 46 % des patientes estiment très difficile l'élévation antérieure du tronc à partir du décubitus dorsal et 25 % Ann. Kinésithér., TABLEAU II. - Analyse subjective du déficit fonctionnel de la paroi abdominale Résultat de l'enquête réalisée auprès de la population testée 85 TABLEAU III. - Résultats de l'évaluation de la paroi abdominale avant et après le transfert d'un ou de deux musc/es grands droits de l'abdomen (exprimé en % de réussite). 4* 45 50 62 18 85 14 3* 5* 40 69 70 25 60 80 57 64 75 46 30 7 y 1995, t. 22, n° 2 a-t-il un gêne au niveau abdominal? préopératoires (20 patientes) (48 patientes) Oblique • OUILower = 83Rectus % External 3* Lambeau Upper • NON = 17 % Tests 92 90 Lambeau unipédiculé (28 bipédiculé patientes) postopératoires Tests Quantifier cette gêne • Nulle = 17 % • Minime = 36 % • Moyenne = 20 % = 27 % • Importante Lors du passage de la position allongée sur le dos à la position assise Quantifier la difficulté: • Nulle = 10 % • Minime = 27 % • Moyenne 17 % • Importante = 46 % = Lors de la torsion du tronc en position Quantifier la difficulté: • Minime = 32 % • Moyenne = 30 % • Importante 25 % • Nulle = allongée 13 % = estiment également très difficile la flexionrotation du tronc. • Déjà, avant l'intervention, 30 patientes sur 48 interrogées (62 %) se levaient le matin « en s'aidant des deux membres supérieurs et en se tournant sur le côté» et 19 patientes (40 %) estimaient avoir une sangle abdominale insuffisante, pratiquaient peu la gymnastique et avaient une activité physique limitée. RÉSULTATS PRÉOPÉRATOIRE DE L'ÉVALUATION - RÉSULTATS OBJECTIFS (tableau III) Chez les candidates à la reconstruction mammaire par T.R.A.M., la fonction du mur abdominal est loin d'être parfaite, seulement : • 46 % d'entre elles (22 patientes) réussissent l'antéflexion du tronc à partir du décubitus dorsal (cotation 5 = grands droits, partie sus-ombilicale). • 69 % (33 patientes) contrôlent complètement l'abaissement des deux membres inférieurs (cotation 5 = grands droits, partie sous-ombilicale). • 45 % (22 patientes) réussissent la rotation du tronc, rachis décollé du plan de référence (cotation 5 = muscle grand oblique). Upper Rectus ombilicale : grands droits de l'abdomen Lower Rectus : grands droits de l'abdomen ombilicale External Oblique : grands obliques * Cotations correspondant aux mouvements figure 11. - portion - portion décrits sussous- dans la Il faut également noter que 10 % des patientes (soit 5 femmes pour chaque test) ne parviennent pas en préopératoire et en décubitus dorsal à : • décoller tête et scapula du plan de référence, • amorcer une rotation du tronc, • tenir leurs membres inférieurs à la verticale. Les causes de cette grosse insuffisance musculaire sont liées à : • des activités physiques et sportives réduites (25 %), • un goût peu prononcé pour la gymnastique (20 %), • une obésité ou surcharge pondérale - 4 patientes) 90 kg, patientes > 75 kg, • l'âge : dans le groupe des femmes ) 50 ans (23 patientes), 35 % seulement atteignent la cotation 5 des grands droits (portion sus-ombilicale). - Il RÉSULTATS POST -OPÉRA DE L'ÉVALUATION TOIRE - RÉSUL TA TS OBJECTIFS (tableau III) Évaluation globale post-opératoire Parmi les 48 patientes testées, seulement 24 d'entre elles ont bénéficié de séances de kinésithérapie de renforcement de la sangle abdominale (50 %) (tableau 1). 1 86 Ann. Kinésithér., 1995, t. 22, nO 2 Chez les femmes rééduquées, le nombre moyen de séances est de 29 (avec un chiffre maxima à 80 séances et minima à 10 séances). L'analyse globale du tableau III montre que (m) pour tous les 5tests et toutes les cotations, les PatientePatiente E A déficits sontCotation plus importants chez les femmes ayant bénéficié de lambeaux bipédiculés par rapport à celles qui ont bénéficié de lambeaux uni pédiculés. Évaluation des 20 patientes ayant bénéficié de lambeaux unipédiculés • 6 patientes (30 %) atteignent la cotation 5 des grands droits supérieurs et parviennent à décoller la colonne lombaire du plan de référence, mains derrière la nuque. Seulement 2 de ces patientes ont rééduqué leur sangle abdominale avec un kinésithérapeute en postopératoire. A noter que 10 patientes réussissaient le test en préopéra toire. • 8 patientes (40 %) contrôlent l'abaissement des 2 membres inférieurs (cotation 5 portion sous-ombilicale). Treize femmes l'effectuaient en préopératoire. (m) TABLEAU IV. - Tableau récapitulatif des patientes réussissant les cotations 4 et 5 lors du redressement du tronc après lambeaux bipédiculés. TaillePatiente A 53 40 50 3546 Patiente 52 54 50 35 46 C 35 Poids 56 de Nbr rééducation de séances 1,63 1,65 l,50 l,54 (kg) Patiente B 4 Age TABLEAU V - Tableau récapitulatif des patientes réussissant la cotation 5 de rotation-flexion du tronc après lambeaux bipédiculés. TaillePatiente Patiente D B •de 54 46 35 53 58 20 Nbr Poids de40 séances 56 35 50 58 rééducation 50 1,65 l,50 l,58 (kg) l,54 Age - 4 patientes (14 %) atteignent la cotation 4 (redressement bras croisés sur la poitrine), - 2 patientes (7 %) réussissent la cotation 5 (redressement mains jointes derrière la nuque). A noter que respectivement 16 et 12 patientes réussissaient ces tests en préopératoire. • Pour le contrôle de l'abaissement des 2 membres inférieurs, 5 patientes (18 %) réussisent la cotation 5 et parviennent à verrouiller leurs deux membres inférieurs à 10°, bien souvent avec excès d'antéversion du bassin. (20 de ces patientes réussissaient ce test en préopératoire). • Pour l'évaluation de la force musculaire des grands obliques (tableau V), 4 patientes (14 %) parviennent à effectuer une rotation-flexion du tronc, rachis lombaire décollé du plan de référence (cotation 5) (14 de ces patientes réussissaient ce test en préopératoire). Discussion Les avantages d'une reconstruction mammaire par TRAM ont été démontrés et prouvés très tôt par Hartrampf (1). TESTS FONCTIONNELS UNI PÉDICULÉS • 5 patientes (25 %) obtiennent la cotation 5 des obliques : flexion-rotation du tronc. Sept patientes l'obtenaient en préopératoire. Évaluation des 28 patientes ayant bénéficié de lambeaux bipédiculés Lors de la réalisation du test de redressement du tronc en position assise (tableau IV), il faut noter que : ET LAMBEAUX Tous les auteurs s'accordent à dire que le principal problème des lambeaux unipédiculés réside dans le risque de nécrose partielle de la reconstruction (3, 5, 15, 16). La réparation pariétale à l'aide d'une plaque non résorbable et la conservation d'un muscle grand droit au niveau abdominal assurent aux patientes solidité du mur antérieur. Le déficit musculaire de la Ann. Kinésith ér., 1995, t. 22, n° 2 paroi existe en postopératoire et à distance de l'intervention, comme l'a montré notre étude, mais parvient à être compensé par la majorité des patientes. Ces patientes récupèrent une efficacité musculaire comparable à ce qu'elles avaient auparavant, et pour quelques-unes d'entre elles, après séances de rééducation, un meilleur état musculaire par rapport à leur situation préopératoire. TESTS FONCTIONNELS ET LAMBEAUX BIPÉmCULÉS La reconstruction par lambeaux bipédiculés, plus fiable sur le plan vasculaire, permet de réduire quasi à néant les complications au niveau du sein reconstruit. Elle assure une cicatrisation et une réussite esthétique parfaite. Toutefois, le problème réside en l'existence de déficits musculaires et de limitations fonctionnelles importantes dans les transferts et surtout dans le redressement du tronc à partir du décubitus dorsal (tableau III). Il est toutefois surprenant de constater que dans notre population (tableaux IV et V) 5 patientes réussissent parfaitement ces tests alors qu'elles ne possèdent plus de muscles grands droits. Qu'en penser? 87 Peterson Kendall et Kendal Mc Creary (17) ont également démontré l'action concomitante des abdominaux et des fléchisseurs de hanche (psoas, iliaques, grands droits de la cuisse, sartorius ...) au cours du redressement en station assise après enroulement du tronc. «...les abdominaux ne peuvent qu'enrouler le tronc au départ du mouvement mais ne peuvent exécuter la phase de flexion de hanche qui est la phase principale du mouvement d'élévation du tronc ... » (jig. 13). Enfin, toujours selon Kendall: « ... en cas de déficit important des abdominaux, ce sont les fléchisseurs de hanche qui débutent et réalisent le mouvement avec une colonne lombaire en hyperlordose ... » Basmajian (19) a également démontré l'action du muscle iliaque lors de la réalisation du test fonctionnel. Lacote (14) préconise lors de la réalisation du test « ... le maintien des pieds en fin de Étude biomécanique du mouvement L'étude biomécanique du mouvement permet en partie d'expliquer les réussites aux cotations 4 et 5. Peterson Kendall et Kendall Mc Creary (17) ont largement démontré l'action primordiale de l'ensemble des muscles abdominaux dans l'enroulement du tronc (phase initiale du redressement en position assise). Crowe et coll. (18), dans un rapport concernant l'étude électromyographique des passages en position assise écrivent : « L'activité apparaît d'abord à la partie supérieure du grand droit suivie au bout de 0,2 à 0,3 seconde d'une activité de la partie inférieure de ce muscle et du petit oblique ... » (jig. 12). De plus, «... chez les sujets examinés qui décollaient les omoplates du plan de référence, et maintenaient cette position 2 à 3 secondes, les électromyogrammes montraient une intense activité au niveau de tous les muscles abdominaux ... » FIG. 12. - Action des muscles grands droits et petits obliques de l'abdomen dans l'enroulement du tronc. FIG. 13. - Action des muscles fléchisseurs de hanche et abdominaux dans le redressement du tronc en position assise. 88 Ann. Kinésithér., 1995, t. 22, n° 2 mouvement pour stabiliser le sujet. » Ce maintien des pieds par l'examinateur est essentiel. Selon Kendall (17) : « ... pieds maintenus, les fléchisseurs de hanche ont alors une fixation et l'élévation du tronc peut immédiatement commencer à s'associer à un mouvement de redressement en station assise grâce à une flexion . de hanche ... » Autres éléments intervenant dans la réussite des tests Lors de contrôles scanner de la paroi abdominale, Lejour (12) a réalisé des coupes transversales de l'abdomen passant par l'ombilic (niveau de référence). Lors des évaluations tardives des reconstructions bilatérales (3 mois à 2 ans), Lejour a mis en évidence et démontré par différentes mesures, la médialisation progressive des muscles latéraux, «... le muscle oblique externe glissant sur le muscle oblique interne et chevauchant la plaque non résorbable de réparation pariétale ... ». Il s'agit en fait de la mise en place progressive par l'organisme d'une fonction de suppléance aux muscles grands droits. Analyse des tableaux IV et V L'analyse des tableaux IV et V (étude des 5 patientes A, B, C, D, E ayant réussi les cotations 4 et 5 des tests fonctionnels), fait ressortir une population bien particulière : • un morphotype favorable (une taille moyenne de l,58 m pour un poids moyen de 54 kg); • une population peu âgée (4 patientes <; 50 ans) ; • et surtout l'importance indéniable de la rééducation musculaire de la sangle abdominale en postopératoire (avec une moyenne de 36 séances pour ces 5 femmes). Analyse des difficultés à la réalisation de certains mouvements L'insuffisance de force des muscles fléchisseurs de hanche peut aussi expliquer la difficulté à la réalisation du redressement du tronc et la difficulté au contrôle de l'abaissement des deux membres inférieurs dans notre population testée. COMPARAISON DES RÉSULTATS AVEC CEUX D'AUTRES ÉQUIPES Enfin, il s'avérait nécessaire de comparer nos résultats avec des études antérieures réalisées par les équipes belges et américaines, afin d'en apprécier la fiabilité. Les pourcentages de réussite aux tests fonctionnels que nous obtenons sont supérieurs à ceux enregistrés par Dome et Lejour à Bruxelles en 1989 (12). Dans leur population, en postopératoire et après lambeaux uni et bipédiculés, aucune femme ne réussit la cotation 5 lors de l'exécution des mêmes tests. Par contre, les résultats obtenus par Wagner et Hartrampf à Atlanta en 1991 (6) sont beaucoup plus optimistes : « ... parmi la population réussissant le test de redressement du tronc en préopératoire, le test est positif à 36 % après lambeaux bipédiculés et à 48 % après lambeaux unipédiculés » ; « ... parmi la population ne réussissant pas le test de redressement du tronc en préopératoire, le test devient positif à 18 % après lambeaux bipédiculés et à 40 % après lambeaux unipédiculés ... ». Nous n'avons pu, dans notre étude, même dans les circonstances les plus favorables, retrouver des chiffres aussi satisfaisants. Conclusion La mastectomie après cancer du sein est responsable d'un désarroi psychologique important et profond qui dépasse la simple considération esthétique. La reconstruction mammaire efface cette cicatrice. Elle permet aux patientes de se projeter à nouveau dans l'avenir. Pour ce fait, les techniques de reconstruction font partie intégrante de l'éventail thérapeutique du cancer du sein. La technique utilisant le lambeau abdominal transverse inférieur est celle qui permet, actuellement, d'obtenir le résultat le plus satisfaisant. Selon notre étude, l'auto-évaluation des patientes et les résultats de l'enquête subjective montrent une très grande satisfaction parmi les 48 femmes Ann. Kin ésithér. , 1995, t. 22, n° 2 testées. Les douleurs lombo-abdominales postopératoires disparaissent progressivement, le déficit musculaire est accepté et le résultat esthétique grandement apprécié. Ceci correspond aux résultats présentés par Hartrampf (16) et Hartrampf-Bennett (9) sur de larges séries. Par contre, l'évaluation par tests musculaires pré- et postopératoires est beaucoup plus réaliste et montre une fonction incomplète des muscles droits et obliques dans tous les cas. Cette fonction musculaire déficitaire parvient à être récupérée grâce à une rééducation musculaire bien conduite et à un développement des suppléances. Cette rééducation permet de rendre plus efficace l'action des abdominaux et des fléchisseurs de hanche dans la fonction de redressement du tronc. Références 1. HARTRAMPF CR, SCHEFLAN M, BLAcK PW. Breast reconstruction with a transverse abdominal flap. PIast Reconstruct Surg 1982; 69 : 216-25. 2. BRICOUT N, BANZET P. Utilisation d'un lambeau de grand droit abdominal inférieur en reconstruction mammaire. Ann Chir PIast 1985; 30 : 111-9. 3. CLASSE JM. La reconstruction mammaire par lambeau abdominal transverse inférieur après mastectomie pour cancer. A partir de 25 reconstructions au Centre René Gauducheau. Thèse Méd Nantes; octobre 1991. 4. BOUCHET A, CUILLERET J. Anatomie topographique, descriptive et fonctionnelle. L'abdomen, la région rétropéritonéale, le petit bassin, le périnée. Villeurbanne: Simep, 1983 : 1805-32. 5. LEJOUR M. 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