La Lettre du Psychiatre • Supplément 2 au n° 2 - Vol.VIII - mars-avril 2012 | 5
L’ENCÉPHALE 2012
vraiment un épisode d’euphorie ou d’agitation. Il
s’agit ensuite d’apprendre aux patients à repérer
tout ce qui peut entraîner des perturbations du
sommeil susceptibles de provoquer un embrase-
ment émotionnel. Une échelle (Multidimensional
Assessment of Thymic States [MAThyS]) a été mise
au point et permet d’évaluer la réactivité émotion-
nelle, sous forme d’un autoquestionnaire que les
patients peuvent utiliser pour apprécier les varia-
tions de leur réactivité émotionnelle (5, 6). L’action
quasi immédiate des antipsychotiques atypiques
sur une sémiologie “larvée” permet ainsi d’éviter
les récidives.
Risques cognitifs du trouble
bipolaire
D’après les communications orales de J.M. Azorin
et E. Brunet-Gouet
Des revues systématiques de la littérature et des
méta-analyses (7) ont montré qu’il existe, chez
les patients bipolaires, des troubles cognitifs qui
concernent majoritairement 3 grands domaines :
l’attention et la vitesse de traitement, l’apprentis-
sage et la mémoire verbale, et enfin les fonctions
exécutives. Les altérations cognitives sont d’intensité
légère à modérée dans le domaine de l’attention
et la vitesse de traitement, moyenne dans celui de
l’apprentissage verbal et de la mémoire verbale, et
relativement importante en ce qui concerne les fonc-
tions exécutives. Ces altérations ont été décrites dans
les différentes phases de la maladie mais également
au cours des périodes euthymiques (8). De nombreux
patients, par exemple, oublient complètement ce
qui leur est arrivé pendant l’épisode aigu dépressif
ou maniaque : ils souffrent de véritables troubles
de la mémoire et ne récupèrent pas leurs fonctions
cognitives entre les épisodes aigus. J.M. Azorin a
souligné 2 points importants :
➤un certain nombre de ces altérations − notam-
ment celles qui concernent la mémoire verbale, l’ap-
prentissage verbal et certaines fonctions exécutives
− existent déjà chez les apparentés sains de premier
degré (9). Autrement dit, indépendamment même du
développement de la maladie, il existerait un risque
lié à la génétique de présenter des troubles cognitifs.
Cela explique que l’on peut retrouver ces déficits à
tous les stades de la maladie (épisodes maniaques,
dépressifs, phases interépisodes) ;
➤
un certain nombre de ces altérations cogni-
tives augmente en intensité avec la répétition des
épisodes (en particulier maniaques), ainsi qu’avec
la durée de la maladie.
Deux phénomènes agissent donc sur ces troubles
cognitifs : le contexte génétique et la répétition
des épisodes aigus (10). Cela peut aller jusqu’à une
évolution démentielle, comme l’a démontré une
étude danoise réalisée sur la période 1970-1999
(4 248 patients bipolaires admis en milieu hospi-
talier, puis réadmis avec le diagnostic de démence
après 1985) : le taux de réadmission pour démence
augmente de 6 % avec chaque épisode nécessitant
une hospitalisation, et ce après ajustement sur l’âge
et le sexe (11).
Concernant l’évaluation de ces troubles cogni-
tifs, the International Society for Bipolar Disorders
a proposé, en 2010, la Battery for Assessment of
Neurocognition ou ISBD-BANC : il s’agit d’une
batterie spécifique d’évaluation des troubles cogni-
tifs dans le domaine des troubles bipolaires (12).
L’idée est de regrouper spécifiquement les tests
utilisés jusqu’à présent de manière éparse, un peu
à l’instar de ce qui a été fait dans le domaine de
la schizophrénie avec la batterie MATRICS (13).
L’intérêt est ainsi d’homogénéiser les évaluations
en utilisant un éventail de tests unique.
La prise en charge thérapeutique a pour objectif de
parvenir en priorité à une rémission complète des
symptômes au cours de ces épisodes aigus grâce
à un traitement rapide et efficace qui limitera le
plus possible les effets délétères sur la cognition.
La persistance de symptômes résiduels maniaques,
dépressifs ou hypomaniaques entre les crises fait
assurément le lit des troubles cognitifs (14).
Il a été constaté, sur le fonctionnement cognitif
des patients bipolaires, un effet limité mais parfois
bénéfique de la lamotrigine (attention, fluence
verbale), un effet potentiellement délétère des
tricycliques et un effet généralement décrit comme
neutre pour le lithium (15). Pour compléter l’ap-
proche pharmacologique et obtenir un résultat
thérapeutique optimal, les approches psychoé-
ducatives sont un complément essentiel, avec,
entre autres, la remédiation cognitive. Comme
pour la schizophrénie, ces techniques inspirées de
la thérapie cognitivo-comportementale permettent
aux patients de compenser leurs altérations cogni-
tives. Il s’agit, par exemple, d’apprentissages qui
consistent à donner au sujet un certain nombre de
consignes lui permettant d’organiser sa journée,
d’apprendre à ne pas vouloir tout résoudre à la
fois et de cerner les problèmes… Il faut bien sûr
adapter la remédiation cognitive aux altérations
du patient. Très peu d’études ont été néanmoins