Hétérogénéité structurelle des pays membres et conflit d’objectifs entre les autorités économiques dans l’UEM Séverine Menguy(*) L’unification monétaire européenne, dans le cadre de l’UEM, a donné lieu à une importante littérature économique, à la fois théorique et empirique. En effet, elle implique la perte de l’instrument de politique monétaire autonome pour stabiliser les chocs économiques qui touchent les différents pays membres, dans la mesure où la politique monétaire est désormais unique et centralisée ; les politiques budgétaires restent donc désormais le seul instrument de politique économique autonome utilisable de manière décentralisée. Dans ce cadre, de nombreuses études ont mis en évidence le conflit d’objectifs qui est très souvent susceptible d’apparaître entre les autorités économiques européennes, en particulier suite à un choc d’offre négatif récessif et inflationniste. En effet, en cas de choc de demande, de choc sur le taux d’intérêt ou le niveau des prix dans le reste du monde, les politiques économiques sont généralement complémentaires au sein de la zone monétaire et le conflit porte seulement sur la part respective de chacune des autorités dans la stabilisation du choc. En revanche, suite à un choc d’offre négatif récessif et inflationniste interne, la politique monétaire est restrictive, conformément à l’objectif prioritaire de stabilité des prix de la BCE, alors que les politiques budgétaires des gouvernements européens doivent au contraire parallèlement être expansives, afin de soutenir le niveau de l’activité économique. Le conflit d’objectifs entre les autorités porte ainsi non seulement sur l’effort de stabilisation respectif des autorités mais également sur l’orientation même du policy-mix. Néanmoins, ces études sont généralement faites dans le cadre de pays en tous points identiques et elles insistent surtout sur le rôle de l’antagonisme des préférences des autorités économiques. Or si les pays européens ont des préférences différentes et subissent des chocs conjoncturels différenciés, ils se distinguent aussi par des sensibilités structurelles différentes des variables économiques fondamentales aux politiques menées et aux chocs subis. L’objectif de ce papier est donc d’étudier cet aspect plus méconnu de la stabilisation des chocs en union monétaire : le rôle de l’hétérogénéité proprement structurelle entre les pays membres sur le conflit d’objectifs entre les autorités économiques. L’hétérogénéité structurelle modifie-t-elle les fonctions de réaction de la banque centrale et des gouvernements ? Et si oui, est-elle susceptible d’accentuer ou alors d’atténuer le conflit d’objectifs potentiel ci-dessus entre les autorités économiques mentionné ? (*) EconomiX, Université de Paris X- Nanterre. E-mail: [email protected]. Je remercie chaleureusement les deux rapporteurs anonymes d’Économie et Prévision pour leurs rapports complets et leurs remarques très constructives, qui m’ont permis de considérablement améliorer la rédaction de ce papier. Je remercie également les membres du MINI-FORUM pour leurs commentaires lors de la présentation d’une première version de ce papier à l’occasion d’un séminaire interne. Naturellement, les erreurs et omissions éventuelles qui pourraient demeurer restent de ma seule responsabilité. Économie et Prévision n°169-170-171 2005-3/4/5 41 Pour répondre à cette question, nous utilisons un modèle keynésien statique log-linéaire en économie ouverte relativement standard, mais qui a la particularité de différencier les paramètres de sensibilité structurelle des deux pays membres d’une union monétaire. En dehors de cette hypothèse cruciale, notre modèle reste relativement standard et c’est donc dans l’hétérogénéité des canaux de transmission des politiques économiques et des chocs entre les pays que réside l’intérêt essentiel de notre travail par rapport aux études existantes. A partir de cette hypothèse fondamentale, notre démonstration repose ensuite de manière classique sur le calcul des fonctions de réaction de la banque centrale et des gouvernements, puis des équilibres de Nash (simultané) et de Stackelberg (une autorité est leader) pour les politiques économiques mises en oeuvre. Mais naturellement, la lourdeur des calculs nous a conduit à réaliser un calibrage numérique et des simulations pour analyser les principaux résultats de notre étude. Nous montrons alors que l’augmentation de l’hétérogénéité structurelle entre les pays membres de l’union monétaire n’a pas d’effet clair et univoque. En cas de choc d’offre négatif, la politique monétaire reste toujours très restrictive, mais l’effort de stabilisation de la banque centrale dépend néanmoins des canaux de transmission et des paramètres de sensibilité qui apparaissent hétérogènes. De plus, si les fonctions de réaction budgétaires sont toujours globalement expansives, la politique budgétaire peut devenir restrictive dans un pays, en fonction du degré d’asymétrie du choc conjoncturel et des caractéristiques structurelles du pays le plus touché par le choc. Pour des pays qui connaissent des sensibilités différentes de leurs exportations nettes au différentiel d’activité économique avec l’étranger, l’hétérogénéité structurelle entre les pays peut donc finalement en elle-même accentuer le conflit d’objectifs entre la banque centrale et les gouvernements. Elle peut contribuer à aggraver la surenchère de hausse des taux d’intérêt et de déficits publics excessifs et accroître l’inefficacité du policy-mix européen. Les divergences importantes de taille et d’ouverture entre les pays européens pourraient donc continuer de demeurer une source de conflits d’intérêt non négligeable entre les autorités monétaire et budgétaires en Europe. Enfin, dans le cadre de notre modèle, ce conflit pourrait également être accentué si le choc d’offre négatif est asymétrique et touche principalement un pays qui connaît une sensibilité plus élevée que ses partenaires de sa demande à ses dépenses publiques, ou une sensibilité plus faible de son inflation à l’activité économique intérieure ou à l’inflation dans le reste de la zone monétaire. Il existe cependant certaines limites aux résultats obtenus par notre modèle. Elles tiennent tout d’abord au caractère très simplifié de ce modèle et à sa nature statique. Ainsi, les perspectives de recherche envisageables pourraient être d’introduire des délais variables dans les canaux de transmission des politiques monétaires et budgétaires, en utilisant un modèle dynamique. Il pourrait également être intéressant d’introduire le coût de la variation des dépenses publiques par le biais de la dette publique et de tenir compte de la contrainte budgétaire intertemporelle des gouvernements, qui doit rester vérifiée lors du choix des politiques fiscales et de dépenses publiques. 42