M I S E A U P O I N T Les hypothèses infectieuses du lupus J.F. Viallard*, P. Blanco*, I. Pellegrin*, J.L. Pellegrin* RÉSUMÉ. Le lupus érythémateux disséminé (LED) est le prototype de la maladie auto-immune non spécifique d’organe dans laquelle la nature des processus initiaux est incertaine et probablement hétérogène. D’origine inconnue, le LED, maladie systémique, ne peut avoir, par définition, d’origine exclusivement infectieuse. Le rôle des facteurs d’environnement est suggéré par la concordance incomplète de la maladie lupique chez les jumeaux monozygotes. Par ailleurs, plusieurs observations cliniques rapportent la survenue de poussées lupiques ou l’apparition d’un lupus à la suite d’une infection virale documentée. L’hypothèse d’un agent infectieux déclenchant la maladie est séduisante étant donné la fréquence élevée des infections, l’apparente sensibilité des malades lupiques aux infections, et la multitude de facteurs immuns intervenant dans la réponse de l’organisme à l’agent infectieux. Cette hypothèse est corroborée par certains travaux expérimentaux menés chez l’animal et par l’apport d’études sérologiques et moléculaires montrant une plus grande prévalence de l’infection par le virus d’Epstein-Barr chez les lupiques juvéniles ou suggérant un lien entre le cytomégalovirus et le syndrome de Raynaud au cours du lupus. Sur le plan physiopathologique, le mimétisme moléculaire entre divers agents infectieux et certains autoantigènes ainsi que le rôle dérégulateur de l’apoptose de certains virus sont des mécanismes possiblement impliqués dans la pathogénie du lupus. Mots-clés : Lupus - Virus - Virus d’Epstein-Barr - Cytomégalovirus. L e lupus érythémateux disséminé (LED) est le prototype de la maladie auto-immune systémique atteignant, à l’âge adulte, principalement la femme de moins de 40 ans. Il se caractérise par la production d’autoanticorps (Ac) dirigés essentiellement contre des antigènes nucléaires. Certains de ces auto-Ac sont associés au développement de lésions tissulaires. La gravité de la maladie est liée à l’atteinte d’organes vitaux (reins ou système nerveux central par exemple) et à ses complications, en particulier infectieuses, secondaires aux traitements agressifs basés sur une immunodépression non spécifique. La physiopathologie du LED et les mécanismes lésionnels sousjacents restent mal connus. Comme dans tous les cas de maladies non spécifiques d’organe, la nature des processus initiaux est incertaine et probablement multifactorielle. Des facteurs dominants immunologiques et génétiques, mais aussi hormonaux et environnementaux se combinent de façons diverses et s’expriment de manière très polymorphe chez les patients. Le rôle des facteurs d’environnement est cependant suggéré par la concordance incomplète de la maladie lupique chez les jumeaux monozygotes. L’hypothèse d’un agent infectieux déclenchant la maladie est séduisante étant donné la fréquence élevée des infections, l’apparente sensibilité des malades lupiques aux infections, et la multitude de facteurs immuns intervenant dans la réponse de l’organisme à l’agent infectieux * Service de médecine interne, hôpital Haut-Lévêque, 33604 Pessac Cedex. 6 (1). Cette hypothèse est corroborée par certains travaux expérimentaux menés chez l’animal, en particulier sur la souris NZB x NZW (New Zealand black x New Zealand white), qui développe en vieillissant une maladie ressemblant au lupus, caractérisée par une glomérulonéphrite à complexes immuns et l’apparition d’auto-Ac. L’immunisation de ces souris avec de l’ADN bactérien ou viral accélère le début de production des Ac anti-ADN (2), alors que l’élevage de ces souris dans un environnement stérile retarde ou empêche la maladie. De même, chez l’homme, plusieurs observations cliniques, publiées de façon isolée, rapportent la survenue de poussées lupiques ou l’apparition d’un lupus à la suite d’une infection virale documentée. Cette revue a pour but de faire le point, de façon non exhaustive, sur l’état actuel des connaissances concernant les relations entre les agents infectieux (essentiellement viraux) et le lupus. Il y a peu d’arguments pour penser qu’un agent infectieux spécifique est à l’origine du lupus. En revanche, on peut supposer qu’un agent infectieux courant pourrait déclencher une réponse immune aberrante chez un patient génétiquement déterminé, et être ainsi à l’origine de la maladie. ARGUMENTS ÉPIDÉMIOLOGIQUES ET SÉROLOGIQUES Épidémiologie Les études épidémiologiques ont bien souligné l’importance du déterminisme génétique au cours de la maladie lupique, mais certains faits plaident contre le caractère purement génétique de la maladie. Des cas de micro-épidémie de lupus ont été décrits dans une communauté du Nevada (3). La présence La Lettre de l’Infectiologue - Tome XVII - nos 1-2 - janvier-février 2002 M d’auto-Ac est décrite chez les familiers consanguins de patients lupiques vivant au contact quotidien du malade, mais aussi chez les familiers non consanguins vivant sous le même toit, ce qui suggère l’existence d’un facteur environnemental. La prévalence des anomalies sérologiques de type lupique est augmentée chez les personnels de laboratoire manipulant des sérums de lupiques (4). Ces perturbations pourraient être secondaires à l’exposition à un agent infectieux (il faut toutefois signaler que les techniciens employés en virologie n’ont pas d’Ac antinucléaires). On rapprochera de ces observations la transmission selon un mode horizontal (frère-sœur) et pseudovertical (mère-enfant) de la maladie lupique spontanée du chien. Les animaux nés de mère lupique par césarienne, élevés stérilement, tenus à l’écart des chiens malades, n’ont jamais d’anomalies immunologiques, à l’inverse des chiots normaux, mais élevés au contact de leur mère malade. Dans le modèle de la maladie lupique spontanée du chien, l’injection de filtrats acellulaires de cellules spléniques de chiens lupiques à des souris normales induit l’apparition d’Ac antinucléaires et anti-ADN (5). Apport des sérologies virales et des techniques PCR Plusieurs travaux ont évalué le taux des Ac dirigés contre différents virus chez des patients lupiques. Ainsi, le virus de la rougeole a été initialement incriminé dans la physiopathologie du LED, mais l’élévation du taux des Ac anti-rougeole s’intègre dans l’augmentation générale des Ac anti-virus, conséquence de l’emballement de la production d’Ac dans la maladie lupique. Les herpèsvirus sont particulièrement suspectés en raison : de leur contact étroit avec les cellules du système immunitaire ; de leur persistance à long terme dans l’organisme ; des réactivations qui pourraient expliquer le caractère cyclique des manifestations cliniques observées au cours du lupus. Ainsi, l’étude de James et al., qui étudie la prévalence des Ac anti-Epstein-Barr virus (EBV) chez les lupus juvéniles américains, semble impliquer ce virus dans la pathogénie du lupus (6). Elle démontre que 99 % des patients lupiques âgés de moins de 20 ans ont une sérologie EBV positive (IgG antiviral capsid antigen [VCA]), contre seulement 70 % d’une population contrôle (appariée pour l’âge, le sexe et le niveau de vie). Les mêmes résultats sont obtenus quand l’ADN de l’EBV est recherché par PCR dans les leucocytes circulants. Aucun argument épidémiologique ne signale une fréquence plus élevée de MNI chez les patients lupiques, ni ne démontre une prédisposition des patients lupiques à l’EBV. Les auteurs concluent que ce virus serait nécessaire, bien qu’insuffisant, à l’étiopathogénie du lupus. Ils ont confirmé leurs résultats en 1999 sur un nouveau groupe de 26 patients de moins de 20 ans séropositifs pour l’EBV, appariés pour l’âge, le sexe et la race à un groupe de 26 témoins (7). Tous les lupiques ont des Ac IgG anti-VCA, contre seulement 14 témoins sur 26 (odds-ratio > 25, p = 0,00024). Enfin, les mêmes auteurs arrivent aux mêmes conclusions chez 196 patients lupiques âgés de plus de 20 ans : tous, sauf un malade lupique, ont été exposés à l’EBV, alors que 22 des 392 témoins appariés pour l’âge, la race et le sexe sont séronégatifs pour l’EBV (odds-ratio = 9,35 ; p = 0,014) (8). Cependant, les auteurs ne tiennent pas compte des facteurs La Lettre de l’Infectiologue - Tome XVII - nos 1-2 - janvier-février 2002 I S E A U P O I N T géographiques (la même étude faite en Europe ou en Asie pourrait très bien impliquer un autre virus), ni de l’étude Tsai et al., qui retrouve de l’ADN de l’EBV dans les leucocytes circulants de façon équivalente chez les enfants lupiques et les témoins (9). Les techniques utilisées par Tsai et al. n’étaient toutefois pas les mêmes que celles employées par James et al. Dans les études de James et al., aucune association n’est retrouvée avec les autres herpèsvirus. Pourtant, plusieurs auteurs suggèrent un rôle pour le cytomégalovirus (CMV) dans le lupus. Ainsi, Rider et al. montrent que 91 % des 97 patients lupiques étudiés ont des IgG anti-CMV dans le sang circulant contre seulement 43 % des 97 témoins et 64 % des 50 malades atteints de polyarthrite rhumatoïde [risque relatif de 14,53 en analyse multivariée] (10). Cette étude est elle aussi en contradiction avec celle de Tsai et al., qui ne retrouve aucune association entre l’infection à CMV et le lupus juvénile (7). Les différences tiennent probablement à la définition de la maladie lupique, à la taille de l’échantillon étudié (plus petit dans l’étude de Tsai et al.), à la précision des techniques virologiques de détection des virus (sérologie, biologie moléculaire) et au profil de la population étudiée (ethnie ou conditions socio-économiques par exemple). Enfin, une étude récente met en évidence un lien fort entre le CMV et le phénomène de Raynaud lorsqu’il est présent chez les lupiques [risque relatif de 13,51 en analyse multivariée] (11). Cette étude s’adresse exclusivement à une population lupique ayant une atteinte rénale ; les résultats restent à confirmer sur une plus large cohorte de patients présentant toutes les formes cliniques de lupus. Les résultats qui découlent de données sérologiques doivent être interprétés avec précaution. En effet, les différences observées pourraient être dues à l’hypergammaglobulinémie polyclonale qui est classiquement observée dans le lupus. Les études citées ci-dessus se sont attachées à éliminer ce biais. Ainsi, dans l’étude de Rider et al., aucune différence du titre d’IgG contre l’herpèsvirus 1 (HSV-1) n’est observée entre les patients lupiques et les témoins, et il n’existe aucune corrélation entre le taux total des IgG et les titres des Ac anti-CMV ou anti-HSV-1 (10). De même, les résultats des études sérologiques ne permettent pas de savoir si les patients lupiques ont été infectés avant (ce qui ferait jouer un rôle étiopathogénique aux herpèsvirus) ou après le déclenchement de leur maladie auto-immune (ce qui suggérerait une plus grande susceptibilité des lupiques aux maladies virales). L’étude de Rider et al. répond partiellement à cette question, puisque, dans leur population, la prévalence du CMV est de 47 % plus élevée chez les lupiques que chez les témoins et de 20 % pour le HSV-1, qui est un virus plus prévalent que le CMV (10). Le parvovirus B19 (PVB19) a également été incriminé dans le lupus. Il est clairement établi qu’une infection à PVB19 peut mimer les symptômes d’un lupus et donner lieu à un véritable syndrome lupus-like, avec détection d’auto-Ac dans le sang circulant (11). Dans ce cas, les anomalies immunologiques disparaissent lorsque l’infection est contrôlée et aucune maladie lupique n’apparaît. Inversement, d’authentiques cas de lupus sont 7 M I S E A U P O I N T apparus à la suite d’une infection par le PVB19, faisant jouer à ce virus un rôle de gâchette dans cette maladie auto-immune (12). Enfin, plusieurs travaux font jouer un rôle aux rétrovirus. Plus largement, les infections rétrovirales et les maladies autoimmunes partagent certaines caractéristiques. Arthrites, polymyosites ou sialadénites peuvent survenir chez des patients infectés par le virus HTLV-1. De même, l’infection par le VIH est parfois associée à des manifestations auto-immunes. Talal et al. ont rapporté la présence d’Ac dirigés contre la protéine gag (p24) du VIH-1 chez un tiers de patients lupiques (séronégatifs pour le VIH) d’origine nord-américaine (14). Ranki et al., dans une population identique, ont démontré que les Ac dirigés contre les protéines rétrovirales étaient associés à des atteintes cutanées sévères et à de fréquentes infections (15). En revanche, Herrmann et al. ne retrouvent aucune association entre lupus et Ac anti-gag dans une population européenne (16). La survenue d’événements auto-immuns chez une personne infectée par le VIH reste d’incidence faible, suggérant que des facteurs autres que virologiques interviennent dans la pathogénie lupique. Rôle de l’interféron-alpha dans le lupus La première anomalie cytokinique découverte chez des patients affectés de lupus concerne l’interféron-alpha ou interféron type I (IFNα) (17). Ainsi, les taux sériques d’IFNα sont très augmentés au cours du lupus, et semblent être corrélés à l’activité de la maladie (18-20). Un rôle direct de cette cytokine dans la pathogénie de la maladie est suggéré par le fait que l’immunothérapie par l’IFNα (hépatite virale, cancérologie) est souvent responsable de l’apparition d’Ac antinucléaires et/ou anti-ADN, et parfois d’authentiques lupus (21). De plus, expérimentalement, l’injection répétée accélère le déroulement de la maladie chez la souris lupique NZB (22). Des études récentes ont démontré que le sérum de patients lupiques contenait un inducteur d’IFNα agissant de manière permanente sur les principales cellules sécrétrices d’IFNα ou cellules dendritiques de type lymphoïde (23). Cette équipe a ainsi montré que cet inducteur d’IFNα était constitué soit de complexes immuns circulants, soit de corps apoptotiques liés à des anticorps anti-ADN (24, 25). Par ailleurs, l’IFNα, en augmentant les antigènes d’histocompatibilité de classe II, favoriserait le développement des lymphocytes T-helpers, l’expansion de lymphocytes B autoréactifs, puis la sécrétion des auto-Ac. Cette cytokine constituerait ainsi une cible thérapeutique intéressante. Enfin, l’IFNα constitue l’une des premières lignes de défense face à une agression virale, et l’élévation des taux sériques d’IFNα chez des patients lupiques pourrait être le témoin d’une infection virale déclenchant une poussée de la maladie, voire la maladie elle-même chez des patients génétiquement prédisposés. MÉCANISMES PHYSIOPATHOLOGIQUES Arguments basés sur le mimétisme moléculaire Un mimétisme moléculaire entre divers agents infectieux et des autoantigènes a été suggéré dans de nombreux systèmes. Il peut s’agir de simples homologies de séquence primaire ou de réac8 tions croisées vis-à-vis d’un antisérum polyclonal ou, mieux, d’un Ac monoclonal. On peut parfois reproduire en partie la maladie en immunisant des animaux contre le micro-organisme ou un fragment peptidique présentant la séquence homologue. L’exemple le plus convaincant est celui du rhumatisme articulaire aigu post-streptococcique, mais le mimétisme moléculaire est aussi évoqué dans certaines spondyloarthropathies (réactions croisées entre l’antigène HLA B27 et les antigènes de Klebsiella pneumoniae), la polyarthrite rhumatoïde (réaction croisée entre la protéine de choc thermique hsp65 des mycobactéries et certains antigènes de cartilage) ou le diabète insulinodépendant (réaction croisée entre la glutamate decarboxylase et certains antigènes du virus Coxsackie). Il faut néanmoins considérer cette hypothèse avec prudence, car, dans la majorité des cas, les arguments demeurent indirects. Les réactions croisées peuvent n’avoir aucune traduction physiopathologique, et les homologies de séquence concernent habituellement de courts fragments peptidiques. Dans le lupus, la théorie du mimétisme moléculaire concerne essentiellement les rétrovirus et l’EBV. Une des protéines de l’EBV (EBNA-1) contient une séquence peptidique PPPGRRP, qui est également présente dans l’antigène Sm, contre lequel les patients lupiques développent fréquemment des Ac. L’injection d’EBNA-1 chez le lapin entraîne l’apparition d’un syndrome lupique chez cet animal (26). Cette identité moléculaire à l’origine d’une réaction croisée pourrait induire le déclenchement de la maladie. En ce qui concerne les rétrovirus, il existe une homologie de séquence riche en proline entre l’antigène Sm et la protéine gag (p24) (27). Plusieurs auteurs ont rapporté la présence de structures rétrovirales endogènes présentes dans le génome humain (28). L’activation de ces séquences endogènes, suivies par l’expression des protéines qui en sont issues, pourrait jouer un rôle dans la maladie. Ainsi, le clone 4-1, membre de ces séquences rétrovirales endogènes, est présent dans le génome de presque tous les Japonais. Des Ac dirigés contre les protéines gag et env du clone 4-1 sont détectés chez respectivement 48 % et 11 % des malades japonais lupiques, alors qu’on ne les trouve pas chez les témoins (29). Cette protéine gag aurait une homologie de séquence très proche des tissus artériels, notamment de l’aorte humaine. Par quel mécanisme ces séquences rétrovirales endogènes persistent-elles au sein de cellules humaines infectées ? Il existe une forte homologie entre la protéine gag du clone 4-1 et l’antigène E de la classe I des antigènes HLA. Les cellules infectées par un virus sont généralement éliminées par les lymphocytes T CD8+ cytotoxiques et les cellules NK (natural killer). Néanmoins, la liaison entre l’antigène E, s’il est présent à la surface des cellules infectées, et les récepteurs KIR (cell inhibitory receptor), présents à la surface des cellules CD8+, inhibe la lyse des cellules infectées (30). L’homologie entre la protéine gag du clone 4-1 et l’antigène E pourrait contribuer à l’échappement des cellules contaminées vis-à-vis des cellules cytotoxiques. La Lettre de l’Infectiologue - Tome XVII - nos 1-2 - janvier-février 2002 M Arguments basés sur la révélation d’épitopes cryptiques Le développement d’une réponse humorale contre un antigène nécessite la coopération entre un lymphocyte T et un lymphocyte B. Le lymphocyte T est d’abord activé, puis il reconnaît un peptide associé à une molécule du complexe majeur d’histocompatibilité (CMH) sur une cellule présentatrice de l’antigène (CPA) après que celle-ci ait internalisé et apprêté l’antigène en le coupant en petits peptides. Les lymphocytes T, capables de reconnaître les épitopes du soi les plus représentés ou les plus fréquemment présentés par les molécules du CMH, sont détruits ou inactivés dans le thymus. Inversement, les lymphocytes T qui reconnaissent les épitopes du soi les moins fréquemment représentés ou des épitopes cryptiques difficilement présentés par les molécules du CMH sont généralement maintenus. L’activation anormale des lymphocytes T reconnaissant des autoépitopes cryptiques peut être responsable du développement d’auto-Ac. Au moins trois mécanismes ont été proposés pour expliquer la révélation d’autoépitopes cryptiques et leur présentation aux lymphocytes T. Il peut s’agir : d’une augmentation de l’expression des molécules du CMH à la surface des CPA ; d’une augmentation de la quantité d’antigènes libérés dans le compartiment extracellulaire et/ou d’une augmentation de la capacité des CPA à internaliser l’antigène, ce qui favoriserait la présentation des peptides résultants ; d’une anomalie du processus d’apprêtement qui pourrait être modifié (par exemple, lors de l’intervention de protéases qui couperaient l’antigène dans des sites de clivage non naturels), ce qui induirait la révélation d’épitopes cryptiques. Comment les virus peuvent-ils être impliqués dans ces mécanismes ? Les anomalies de l’apoptose pourraient être responsables des deux derniers types de mécanismes. L’apoptose est un mécanisme physiologique destiné notamment à éliminer les lymphocytes activés en périphérie et les lymphocytes T autoréactifs dans le thymus. Cette mort cellulaire physiologique se caractérise par une cascade d’événements faisant intervenir différentes protéases (telles que les caspases) et des endonucléases, aboutissant à la fragmentation de la chromatine en nucléosomes, au bourgeonnement du cytoplasme, et parfois à une fragmentation de la cellule en éléments entourés d’une membrane définissant les corps apoptotiques. Ces derniers sont normalement phagocytés, détruits par les macrophages et donc non immunogènes. Le signal émanant de l’activation de la voie FAS-FASL (ligand) est déterminant dans le déclenchement de l’apoptose et joue un rôle essentiel dans l’homéostasie des lymphocytes. Les souris présentant des mutations pour le récepteur FAS (souris lpr) ou pour le FASL (souris MLR) développent une maladie autoimmune proche du lupus. Cette anomalie a été décrite chez l’homme de façon exceptionnelle et correspond à des lymphoproliférations. Les travaux publiés dans la littérature concernant l’apoptose dans le lupus sont nombreux mais discordants. Le signal émanant de la voie FAS-FASL est intact dans le lupus. Néanmoins, l’apoptose semble accélérée chez le lupique (31), et il existe une diminution de l’élimination des corps apoptotiques La Lettre de l’Infectiologue - Tome XVII - nos 1-2 - janvier-février 2002 I S E A U P O I N T chez les patients lupiques (32), c’est-à-dire une anomalie de la clairance physiologique des corps apoptotiques. Ces perturbations seraient responsables de l’accumulation de corps apoptotiques, c’est-à-dire d’antigènes nucléaires circulants, dont les nucléosomes (33). Au cours de l’apoptose, de nombreux autoantigènes sont clivés par les caspases, révélant des épitopes cryptiques pouvant induire une réponse immunitaire. Il a été clairement démontré que les antigènes nucléaires contre lesquels les principaux Ac pathogènes du lupus sont dirigés s’accumulent au niveau de “blebs” à la surface des cellules apoptotiques (34). Les infections pourraient avoir un rôle dérégulateur de l’apoptose dans le lupus via des facteurs inhibiteurs et activateurs. Dans les premières phases de l’infection, des facteurs viraux inhibiteurs de l’apoptose permettraient une production accrue de virions en permettant à la cellule d’échapper à l’action des cellules cytotoxiques. Par exemple, plusieurs virus (le HPV par l’intermédiaire de sa protéine E6, le virus de l’hépatite B par sa protéine pX, ou le virus SV40) sont capables de bloquer l’apoptose en interférant avec la protéine p53. Dans des phases plus tardives de l’infection, l’accélération de l’apoptose par des facteurs viraux inducteurs faciliterait la diffusion des virus à des cellules non infectées. Rien n’est encore démontré dans le lupus, et tous ces mécanismes restent spéculatifs. Arguments basés sur le rôle des protéines virales dans l’immunogénicité de l’ADN Dans les conditions normales, il existe un état de tolérance vis-àvis de l’ADN qui n’est donc pas immunogène. Or, chez les patients atteints de lupus, les Ac anti-ADN présentent les caractéristiques d’une réponse immune déclenchée par un antigène. L’association fréquente entre les auto-Ac anti-ADN et anti-histone dans le sérum des patients a permis de suspecter que ces deux auto-Ac sont produits en réponse au nucléosome (35). Les travaux de l’équipe norvégienne de O.P. Rekvig soutiennent l’hypothèse selon laquelle l’expression continue de complexes formés de protéines virales liées au nucléosome pourrait représenter une source de stimulation permanente des lymphocytes B spécifiques de l’ADN ayant pour conséquence l’apparition d’Ac anti-ADN. La plupart des travaux de O.P. Rekvig intéressent le virus BK, polyomavirus proche du virus JC, agent de la leucoencéphalite multifocale progressive. Les polyomavirus sont responsables d’infections latentes chez la quasi-totalité de la population générale. L’injection de complexes artificiels composés d’ADN et de protéines du virus BK à des souris normales provoque l’apparition transitoire d’Ac anti-ADN, mais sans lupus ; si l’injection se fait à des souris NZB x NZW connues pour développer un lupus spontanément, les mêmes Ac apparaissent mais persistent, et les signes cliniques de lupus surviennent plus précocement (36). Ces Ac anti-ADN sont structurellement similaires à ceux présents chez des patients lupiques (commutation de classe, expansion clonale et mutations somatiques), suggérant qu’ils sont sélectionnés et maintenus par l’ADN lui-même (37). Ces travaux expérimentaux soutiennent l’hypothèse selon laquelle l’expression de protéines virales se liant à l’ADN serait nécessaire à l’induction d’Ac anti-ADN et anti-histones. Les 9 M I S E A U P O I N T protéines virales se liant à la chromatine des cellules infectées rendraient ainsi l’ADN et les histones de l’hôte immunogènes. Le facteur transcriptionnel T-ag (large tumor antigen) du virus BK est un candidat à ce rôle. Il s’agit d’une protéine produite in vivo durant les phases précoces de la réplication virale, indispensable à la réplication virale et qui se lie à l’ADN double brin viral et humain. Ainsi, l’injection d’un plasmide exprimant T-ag à des souris BALB/c entraîne l’expression d’Ac anti-ADN double brin et anti-histones (38). Ces résultats menés chez l’animal ont débouché récemment sur des travaux menés chez le patient lupique. Ainsi, 20 patients et 32 témoins ont été suivis pendant un an par la recherche mensuelle de BK dans les urines et d’Ac anti-T-ag dans le sang (39). La réactivation du virus BK est rare, sauf chez l’immunodéprimé, et affirmée par une réaction PCR positive dans les urines associée à la présence d’Ac anti-T-ag dans le sang. Dans cette étude, aucune réactivation n’est signalée chez les contrôles, alors que 16 patients lupiques ont une réactivation virale associée à l’apparition d’Ac anti-Tag et anti-ADN. Il n’y a pas d’anticorps anti-T-ag sans qu’il y ait d’Ac anti-ADN. CONCLUSION 3. Chantler S, Hansen J, Jacobson J, Fudenberg HH. Incidence of nuclear antibodies in patients and in related and unrelated groups from a community with a “microepidemic” of systemic lupus erythematosus. Clin Immunol Immunopathol 1973 ; 2 : 9-15. 4. Zarmbinski MA, Messner RP, Mandel JS. Anti-dsDNA antibodies in laboratory workers handling blood from patients with systemic lupus erythematosus. 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Des poussées de lupus ont lieu lors de sepsis, peut-être en raison de la libération de LPS (lipopolysaccharide d’origine bactérienne) qui entraîne une puissante activation polyclonale du système lymphocytaire B (40). De même, la diminution de l’incidence des maladies auto-immunes dans les populations impaludées a conduit certains auteurs à faire un lien entre les deux pathologies par l’intermédiaire de l’activité macrophagique (41). La recherche de facteurs infectieux est un large sujet d’études dans le LED. Il y a pour l’instant plus d’hypothèses que de preuves ou de confirmations. Jusqu’ici, les retombées thérapeutiques ont été des plus réduites, mais les années à venir permettront vraisemblablement de faire la part des facteurs infectieux dans la pathogénie du lupus, et de leur opposer des O traitements appropriés à chaque situation. galovirus infection and systemic lupus erythematosus. Clin Exp Rheumatol 1997 ; 15 : 405-9. 11. Nesher G, Osborn TG, Moore TL. 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De quelle(s) façon(s) les virus interviendraient-ils dans la physiopathologie de la maladie lupique ? a. b. c. d. e. f. le virus d’Epstein-Barr le cytomégalovirus l’herpèsvirus 1 l’herpèsvirus 8 le virus varicelle-zona le virus de la rougeole a. b. c. d. e. le vespertilio l’atteinte articulaire le phénomène de Raynaud l’atteinte rénale la péricardite a. b. c. d. par mimétisme moléculaire par le réseau idiotypique par la révélation d’épitopes cryptiques par leur cytotoxicité La Lettre de l’Infectiologue - Tome XVII - nos 1-2 - janvier-février 2002 Voir réponses page 21 11