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e lupus érythémateux disséminé (LED) est le
prototype de la maladie auto-immune systémique
atteignant, à l’âge adulte, principalement la femme
de moins de 40 ans. Il se caractérise par la production
d’autoanticorps (Ac) dirigés essentiellement contre des anti-
gènes nucléaires. Certains de ces auto-Ac sont associés au déve-
loppement de lésions tissulaires. La gravité de la maladie est
liée à l’atteinte d’organes vitaux (reins ou système nerveux cen-
tral par exemple) et à ses complications, en particulier infec-
tieuses, secondaires aux traitements agressifs basés sur une
immunodépression non spécifique.
La physiopathologie du LED et les mécanismes lésionnels sous-
jacents restent mal connus. Comme dans tous les cas de mala-
dies non spécifiques d’organe, la nature des processus initiaux
est incertaine et probablement multifactorielle. Des facteurs
dominants immunologiques et génétiques, mais aussi hormo-
naux et environnementaux se combinent de façons diverses et
s’expriment de manière très polymorphe chez les patients.
Le rôle des facteurs d’environnement est cependant suggéré par
la concordance incomplète de la maladie lupique chez les
jumeaux monozygotes. L’hypothèse d’un agent infectieux
déclenchant la maladie est séduisante étant donné la fréquence
élevée des infections, l’apparente sensibilité des malades
lupiques aux infections, et la multitude de facteurs immuns
intervenant dans la réponse de l’organisme à l’agent infectieux
(1). Cette hypothèse est corroborée par certains travaux
expérimentaux menés chez l’animal, en particulier sur la sou-
ris NZB x NZW (New Zealand black x New Zealand white),
qui développe en vieillissant une maladie ressemblant au lupus,
caractérisée par une glomérulonéphrite à complexes immuns
et l’apparition d’auto-Ac. L’immunisation de ces souris avec
de l’ADN bactérien ou viral accélère le début de production
des Ac anti-ADN (2), alors que l’élevage de ces souris dans un
environnement stérile retarde ou empêche la maladie. De même,
chez l’homme, plusieurs observations cliniques, publiées
de façon isolée, rapportent la survenue de poussées lupiques
ou l’apparition d’un lupus à la suite d’une infection virale
documentée.
Cette revue a pour but de faire le point, de façon non exhaus-
tive, sur l’état actuel des connaissances concernant les relations
entre les agents infectieux (essentiellement viraux) et le lupus.
Il y a peu d’arguments pour penser qu’un agent infectieux spé-
cifique est à l’origine du lupus. En revanche, on peut supposer
qu’un agent infectieux courant pourrait déclencher une réponse
immune aberrante chez un patient génétiquement déterminé, et
être ainsi à l’origine de la maladie.
ARGUMENTS ÉPIDÉMIOLOGIQUES ET SÉROLOGIQUES
Épidémiologie
Les études épidémiologiques ont bien souligné l’importance
du déterminisme génétique au cours de la maladie lupique, mais
certains faits plaident contre le caractère purement génétique
de la maladie. Des cas de micro-épidémie de lupus ont été
décrits dans une communauté du Nevada (3). La présence
Les hypothèses infectieuses du lupus
J.F. V iallard*, P. Blanco*, I. Pellegrin*, J.L. Pellegrin*
* Service de médecine interne, hôpital Haut-Lévêque, 33604 Pessac Cedex.
RÉSUMÉ.
Le lupus érythémateux disséminé (LED) est le prototype de la maladie auto-immune non spécifique d’organe dans laquelle la nature
des processus initiaux est incertaine et probablement hétérogène. D’origine inconnue, le LED, maladie systémique, ne peut avoir, par défini-
tion, d’origine exclusivement infectieuse. Le rôle des facteurs d’environnement est suggéré par la concordance incomplète de la maladie
lupique chez les jumeaux monozygotes. Par ailleurs, plusieurs observations cliniques rapportent la survenue de poussées lupiques ou l’appa-
rition d’un lupus à la suite d’une infection virale documentée. L’hypothèse d’un agent infectieux déclenchant la maladie est séduisante étant
donné la fréquence élevée des infections, l’apparente sensibilité des malades lupiques aux infections, et la multitude de facteurs immuns inter-
venant dans la réponse de l’organisme à l’agent infectieux. Cette hypothèse est corroborée par certains travaux expérimentaux menés chez
l’animal et par l’apport d’études sérologiques et moléculaires montrant une plus grande prévalence de l’infection par le virus d’Epstein-Barr
chez les lupiques juvéniles ou suggérant un lien entre le cytomégalovirus et le syndrome de Raynaud au cours du lupus. Sur le plan physio-
pathologique, le mimétisme moléculaire entre divers agents infectieux et certains autoantigènes ainsi que le rôle dérégulateur de l’apoptose
de certains virus sont des mécanismes possiblement impliqués dans la pathogénie du lupus.
Mots-clés :
Lupus - Virus - Virus d’Epstein-Barr - Cytomégalovirus.
L
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d’auto-Ac est décrite chez les familiers consanguins de patients
lupiques vivant au contact quotidien du malade, mais aussi chez
les familiers non consanguins vivant sous le même toit, ce qui
suggère l’existence d’un facteur environnemental. La préva-
lence des anomalies sérologiques de type lupique est augmen-
tée chez les personnels de laboratoire manipulant des sérums
de lupiques (4). Ces perturbations pourraient être secondaires à
l’exposition à un agent infectieux (il faut toutefois signaler
que les techniciens employés en virologie n’ont pas d’Ac
antinucléaires). On rapprochera de ces observations la trans-
mission selon un mode horizontal (frère-sœur) et pseudoverti-
cal (mère-enfant) de la maladie lupique spontanée du chien. Les
animaux nés de mère lupique par césarienne, élevés stérilement,
tenus à l’écart des chiens malades, n’ont jamais d’anomalies
immunologiques, à l’inverse des chiots normaux, mais élevés
au contact de leur mère malade. Dans le modèle de la maladie
lupique spontanée du chien, l’injection de filtrats acellulaires de
cellules spléniques de chiens lupiques à des souris normales
induit l’apparition d’Ac antinucléaires et anti-ADN (5).
Apport des sérologies virales et des techniques PCR
Plusieurs travaux ont évalué le taux des Ac dirigés contre diffé-
rents virus chez des patients lupiques. Ainsi, le virus de la rou-
geole a été initialement incriminé dans la physiopathologie du
LED, mais l’élévation du taux des Ac anti-rougeole s’intègre
dans l’augmentation générale des Ac anti-virus, conséquence
de l’emballement de la production d’Ac dans la maladie lupique.
Les herpèsvirus sont particulièrement suspectés en raison :
de leur contact étroit avec les cellules du système immunitaire ;
de leur persistance à long terme dans l’organisme ;
des réactivations qui pourraient expliquer le caractère cyclique
des manifestations cliniques observées au cours du lupus.
Ainsi, l’étude de James et al., qui étudie la prévalence des Ac
anti-Epstein-Barr virus (EBV) chez les lupus juvéniles améri-
cains, semble impliquer ce virus dans la pathogénie du lupus
(6). Elle démontre que 99 % des patients lupiques âgés de moins
de 20 ans ont une sérologie EBV positive (IgG antiviral capsid
antigen [VCA]), contre seulement 70 % d’une population
contrôle (appariée pour l’âge, le sexe et le niveau de vie). Les
mêmes résultats sont obtenus quand l’ADN de l’EBV est
recherché par PCR dans les leucocytes circulants. Aucun argu-
ment épidémiologique ne signale une fréquence plus élevée de
MNI chez les patients lupiques, ni ne démontre une prédispo-
sition des patients lupiques à l’EBV. Les auteurs concluent que
ce virus serait nécessaire, bien qu’insuffisant, à l’étiopathogé-
nie du lupus. Ils ont confirmé leurs résultats en 1999 sur un
nouveau groupe de 26 patients de moins de 20 ans séropositifs
pour l’EBV, appariés pour l’âge, le sexe et la race à un groupe
de 26 témoins (7). Tous les lupiques ont des Ac IgG anti-VCA,
contre seulement 14 témoins sur 26 (odds-ratio > 25,
p=0,00024). Enfin, les mêmes auteurs arrivent aux mêmes
conclusions chez 196 patients lupiques âgés de plus de 20 ans :
tous, sauf un malade lupique, ont été exposés à l’EBV, alors
que 22 des 392 témoins appariés pour l’âge, la race et le sexe
sont séronégatifs pour l’EBV (odds-ratio = 9,35 ; p = 0,014)
(8). Cependant, les auteurs ne tiennent pas compte des facteurs
géographiques (la même étude faite en Europe ou en Asie pour-
rait très bien impliquer un autre virus), ni de l’étude Tsai et al.,
qui retrouve de l’ADN de l’EBV dans les leucocytes circulants
de façon équivalente chez les enfants lupiques et les témoins
(9). Les techniques utilisées par Tsai et al. n’étaient toutefois
pas les mêmes que celles employées par James et al.
Dans les études de James et al., aucune association n’est retrou-
vée avec les autres herpèsvirus. Pourtant, plusieurs auteurs sug-
gèrent un rôle pour le cytomégalovirus (CMV) dans le lupus.
Ainsi, Rider et al. montrent que 91 % des 97 patients lupiques
étudiés ont des IgG anti-CMV dans le sang circulant contre seu-
lement 43 % des 97 témoins et 64 % des 50 malades atteints
de polyarthrite rhumatoïde [risque relatif de 14,53 en analyse
multivariée] (10). Cette étude est elle aussi en contradiction
avec celle de Tsai et al., qui ne retrouve aucune association entre
l’infection à CMV et le lupus juvénile (7). Les différences tien-
nent probablement à la définition de la maladie lupique, à la
taille de l’échantillon étudié (plus petit dans l’étude de Tsai et
al.), à la précision des techniques virologiques de détection des
virus (sérologie, biologie moléculaire) et au profil de la popu-
lation étudiée (ethnie ou conditions socio-économiques par
exemple). Enfin, une étude récente met en évidence un lien fort
entre le CMV et le phénomène de Raynaud lorsqu’il est pré-
sent chez les lupiques [risque relatif de 13,51 en analyse mul-
tivariée] (11). Cette étude s’adresse exclusivement à une popu-
lation lupique ayant une atteinte rénale ; les résultats restent à
confirmer sur une plus large cohorte de patients présentant
toutes les formes cliniques de lupus.
Les résultats qui découlent de données sérologiques doivent
être interprétés avec précaution. En effet, les différences obser-
vées pourraient être dues à l’hypergammaglobulinémie poly-
clonale qui est classiquement observée dans le lupus. Les études
citées ci-dessus se sont attachées à éliminer ce biais. Ainsi, dans
l’étude de Rider et al., aucune différence du titre d’IgG contre
l’herpèsvirus 1 (HSV-1) n’est observée entre les patients
lupiques et les témoins, et il n’existe aucune corrélation entre
le taux total des IgG et les titres des Ac anti-CMV ou anti-HSV-1
(10). De même, les résultats des études sérologiques ne per-
mettent pas de savoir si les patients lupiques ont été infectés
avant (ce qui ferait jouer un rôle étiopathogénique aux herpès-
virus) ou après le déclenchement de leur maladie auto-immune
(ce qui suggérerait une plus grande susceptibilité des lupiques
aux maladies virales). L’étude de Rider et al. répond partielle-
ment à cette question, puisque, dans leur population, la préva-
lence du CMV est de 47 % plus élevée chez les lupiques que
chez les témoins et de 20 % pour le HSV-1, qui est un virus
plus prévalent que le CMV (10).
Le parvovirus B19 (PVB19) a également été incriminé dans le
lupus. Il est clairement établi qu’une infection à PVB19 peut
mimer les symptômes d’un lupus et donner lieu à un véritable
syndrome lupus-like, avec détection d’auto-Ac dans le sang cir-
culant (11). Dans ce cas, les anomalies immunologiques dispa-
raissent lorsque l’infection est contrôlée et aucune maladie
lupique n’apparaît. Inversement, d’authentiques cas de lupus sont
apparus à la suite d’une infection par le PVB19, faisant jouer à
ce virus un rôle de gâchette dans cette maladie auto-immune (12).
Enfin, plusieurs travaux font jouer un rôle aux rétrovirus. Plus
largement, les infections rétrovirales et les maladies auto-
immunes partagent certaines caractéristiques. Arthrites, poly-
myosites ou sialadénites peuvent survenir chez des patients
infectés par le virus HTLV-1. De même, l’infection par le VIH
est parfois associée à des manifestations auto-immunes. Talal et
al. ont rapporté la présence d’Ac dirigés contre la protéine gag
(p24) du VIH-1 chez un tiers de patients lupiques (séronégatifs
pour le VIH) d’origine nord-américaine (14). Ranki et al., dans
une population identique, ont démontré que les Ac dirigés contre
les protéines rétrovirales étaient associés à des atteintes cuta-
nées sévères et à de fréquentes infections (15). En revanche,
Herrmann et al. ne retrouvent aucune association entre lupus et
Ac anti-gag dans une population européenne (16). La survenue
d’événements auto-immuns chez une personne infectée par le
VIH reste d’incidence faible, suggérant que des facteurs autres
que virologiques interviennent dans la pathogénie lupique.
Rôle de l’interféron-alpha dans le lupus
La première anomalie cytokinique découverte chez des patients
affectés de lupus concerne l’interféron-alpha ou interféron
type I (IFNα) (17). Ainsi, les taux sériques d’IFNαsont très
augmentés au cours du lupus, et semblent être corrélés à
l’activité de la maladie (18-20). Un rôle direct de cette cyto-
kine dans la pathogénie de la maladie est suggéré par le fait que
l’immunothérapie par l’IFNα(hépatite virale, cancérologie) est
souvent responsable de l’apparition d’Ac antinucléaires et/ou
anti-ADN, et parfois d’authentiques lupus (21). De plus, expé-
rimentalement, l’injection répétée accélère le déroulement de
la maladie chez la souris lupique NZB (22). Des études récentes
ont démontré que le sérum de patients lupiques contenait un
inducteur d’IFNαagissant de manière permanente sur les prin-
cipales cellules sécrétrices d’IFNαou cellules dendritiques de
type lymphoïde (23). Cette équipe a ainsi montré que cet induc-
teur d’IFNαétait constitué soit de complexes immuns circu-
lants, soit de corps apoptotiques liés à des anticorps anti-ADN
(24,25). Par ailleurs, l’IFNα,en augmentant les antigènes d’his-
tocompatibilité de classe II, favoriserait le développement des
lymphocytes T-helpers, l’expansion de lymphocytes B auto-
réactifs, puis la sécrétion des auto-Ac. Cette cytokine consti-
tuerait ainsi une cible thérapeutique intéressante.
Enfin,l’IFNαconstitue l’une des premières lignes de défense face
à une agression virale, et l’élévation des taux sériques d’IFNα
chez des patients lupiques pourrait être le témoin d’une infection
virale déclenchant une poussée de la maladie, voire la maladie
elle-même chez des patients génétiquement prédisposés.
MÉCANISMES PHYSIOPATHOLOGIQUES
Arguments basés sur le mimétisme moléculaire
Un mimétisme moléculaire entre divers agents infectieux et des
autoantigènes a été suggéré dans de nombreux systèmes. Il peut
s’agir de simples homologies de séquence primaire ou de réac-
tions croisées vis-à-vis d’un antisérum polyclonal ou, mieux,
d’un Ac monoclonal. On peut parfois reproduire en partie la
maladie en immunisant des animaux contre le micro-organisme
ou un fragment peptidique présentant la séquence homologue.
L’exemple le plus convaincant est celui du rhumatisme articu-
laire aigu post-streptococcique, mais le mimétisme moléculaire
est aussi évoqué dans certaines spondyloarthropathies (réac-
tions croisées entre l’antigène HLA B27 et les antigènes de
Klebsiella pneumoniae), la polyarthrite rhumatoïde (réaction
croisée entre la protéine de choc thermique hsp65 des
mycobactéries et certains antigènes de cartilage) ou le diabète
insulinodépendant (réaction croisée entre la glutamate decar-
boxylaseet certains antigènes du virus Coxsackie). Il faut néan-
moins considérer cette hypothèse avec prudence, car, dans la
majorité des cas, les arguments demeurent indirects. Les réac-
tions croisées peuvent n’avoir aucune traduction physiopatho-
logique, et les homologies de séquence concernent habituelle-
ment de courts fragments peptidiques. Dans le lupus, la théorie
du mimétisme moléculaire concerne essentiellement les rétro-
virus et l’EBV.
Une des protéines de l’EBV (EBNA-1) contient une séquence
peptidique PPPGRRP, qui est également présente dans l’anti-
gène Sm, contre lequel les patients lupiques développent fré-
quemment des Ac. L’injection d’EBNA-1 chez le lapin entraîne
l’apparition d’un syndrome lupique chez cet animal (26). Cette
identité moléculaire à l’origine d’une réaction croisée pourrait
induire le déclenchement de la maladie.
En ce qui concerne les rétrovirus, il existe une homologie de
séquence riche en proline entre l’antigène Sm et la protéine gag
(p24) (27). Plusieurs auteurs ont rapporté la présence de struc-
tures rétrovirales endogènes présentes dans le génome humain
(28). L’activation de ces séquences endogènes, suivies par l’ex-
pression des protéines qui en sont issues, pourrait jouer un rôle
dans la maladie. Ainsi, le clone 4-1, membre de ces séquences
rétrovirales endogènes, est présent dans le génome de presque
tous les Japonais. Des Ac dirigés contre les protéines gaget env
du clone 4-1 sont détectés chez respectivement 48 % et 11 %
des malades japonais lupiques, alors qu’on ne les trouve
pas chez les témoins (29). Cette protéine gag aurait une homo-
logie de séquence très proche des tissus artériels, notamment
de l’aorte humaine.
Par quel mécanisme ces séquences rétrovirales endogènes per-
sistent-elles au sein de cellules humaines infectées ? Il existe
une forte homologie entre la protéine gag du clone 4-1 et l’an-
tigène E de la classe I des antigènes HLA. Les cellules infec-
tées par un virus sont généralement éliminées par les lympho-
cytes T CD8+ cytotoxiques et les cellules NK (natural killer).
Néanmoins, la liaison entre l’antigène E, s’il est présent à la
surface des cellules infectées, et les récepteurs KIR (cell inhi-
bitory receptor), présents à la surface des cellules CD8+, inhibe
la lyse des cellules infectées (30). L’homologie entre la pro-
téine gag du clone 4-1 et l’antigène E pourrait contribuer à
l’échappement des cellules contaminées vis-à-vis des cellules
cytotoxiques.
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Arguments basés sur la révélation d’épitopes cryptiques
Le développement d’une réponse humorale contre un antigène
nécessite la coopération entre un lymphocyte T et un lympho-
cyte B. Le lymphocyte T est d’abord activé, puis il reconnaît un
peptide associé à une molécule du complexe majeur d’histo-
compatibilité (CMH) sur une cellule présentatrice de l’antigène
(CPA) après que celle-ci ait internalisé et apprêté l’antigène en
le coupant en petits peptides. Les lymphocytes T, capables de
reconnaître les épitopes du soi les plus représentés ou les plus
fréquemment présentés par les molécules du CMH, sont détruits
ou inactivés dans le thymus. Inversement, les lymphocytes T qui
reconnaissent les épitopes du soi les moins fréquemment repré-
sentés ou des épitopes cryptiques difficilement présentés par les
molécules du CMH sont généralement maintenus.
L’activation anormale des lymphocytes T reconnaissant des
autoépitopes cryptiques peut être responsable du développe-
ment d’auto-Ac. Au moins trois mécanismes ont été proposés
pour expliquer la révélation d’autoépitopes cryptiques et leur
présentation aux lymphocytes T. Il peut s’agir :
d’une augmentation de l’expression des molécules du CMH
à la surface des CPA ;
d’une augmentation de la quantité d’antigènes libérés dans
le compartiment extracellulaire et/ou d’une augmentation de la
capacité des CPA à internaliser l’antigène, ce qui favoriserait
la présentation des peptides résultants ;
d’une anomalie du processus d’apprêtement qui pourrait être
modifié (par exemple, lors de l’intervention de protéases qui
couperaient l’antigène dans des sites de clivage non naturels),
ce qui induirait la révélation d’épitopes cryptiques.
Comment les virus peuvent-ils être impliqués dans ces méca-
nismes ? Les anomalies de l’apoptose pourraient être respon-
sables des deux derniers types de mécanismes. L’apoptose est un
mécanisme physiologique destiné notamment à éliminer les lym-
phocytes activés en périphérie et les lymphocytes T autoréactifs
dans le thymus. Cette mort cellulaire physiologique se caracté-
rise par une cascade d’événements faisant intervenir différentes
protéases (telles que les caspases) et des endonucléases, abou-
tissant à la fragmentation de la chromatine en nucléosomes, au
bourgeonnement du cytoplasme, et parfois à une fragmentation
de la cellule en éléments entourés d’une membrane définissant
les corps apoptotiques. Ces derniers sont normalement phago-
cytés, détruits par les macrophages et donc non immunogènes.
Le signal émanant de l’activation de la voie FAS-FASL (ligand)
est déterminant dans le déclenchement de l’apoptose et joue un
rôle essentiel dans l’homéostasie des lymphocytes. Les souris
présentant des mutations pour le récepteur FAS (souris lpr) ou
pour le FASL (souris MLR) développent une maladie auto-
immune proche du lupus. Cette anomalie a été décrite chez
l’homme de façon exceptionnelle et correspond à des lympho-
proliférations. Les travaux publiés dans la littérature concernant
l’apoptose dans le lupus sont nombreux mais discordants. Le
signal émanant de la voie FAS-FASL est intact dans le lupus.
Néanmoins, l’apoptose semble accélérée chez le lupique (31), et
il existe une diminution de l’élimination des corps apoptotiques
chez les patients lupiques (32), c’est-à-dire une anomalie de la
clairance physiologique des corps apoptotiques. Ces perturba-
tions seraient responsables de l’accumulation de corps apopto-
tiques, c’est-à-dire d’antigènes nucléaires circulants, dont les
nucléosomes (33). Au cours de l’apoptose, de nombreux auto-
antigènes sont clivés par les caspases, révélant des épitopes
cryptiques pouvant induire une réponse immunitaire. Il a été clai-
rement démontré que les antigènes nucléaires contre lesquels les
principaux Ac pathogènes du lupus sont dirigés s’accumulent au
niveau de “blebs” à la surface des cellules apoptotiques (34).
Les infections pourraient avoir un rôle dérégulateur de l’apop-
tose dans le lupus via des facteurs inhibiteurs et activateurs.
Dans les premières phases de l’infection, des facteurs viraux
inhibiteurs de l’apoptose permettraient une production accrue
de virions en permettant à la cellule d’échapper à l’action des
cellules cytotoxiques. Par exemple, plusieurs virus (le HPV par
l’intermédiaire de sa protéine E6, le virus de l’hépatite B par
sa protéine pX, ou le virus SV40) sont capables de bloquer
l’apoptose en interférant avec la protéine p53. Dans des phases
plus tardives de l’infection, l’accélération de l’apoptose par des
facteurs viraux inducteurs faciliterait la diffusion des virus à
des cellules non infectées. Rien n’est encore démontré dans le
lupus, et tous ces mécanismes restent spéculatifs.
Arguments basés sur le rôle des protéines virales
dans l’immunogénicité de l’ADN
Dans les conditions normales, il existe un état de tolérance vis-à-
vis de l’ADN qui n’est donc pas immunogène. Or, chez les patients
atteints de lupus, les Ac anti-ADN présentent les caractéristiques
d’une réponse immune déclenchée par un antigène. L’association
fréquente entre les auto-Ac anti-ADN et anti-histone dans le sérum
des patients a permis de suspecter que ces deux auto-Ac sont pro-
duits en réponse au nucléosome (35). Les travaux de l’équipe nor-
végienne de O.P. Rekvig soutiennent l’hypothèse selon laquelle
l’expression continue de complexes formés de protéines virales
liées au nucléosome pourrait représenter une source de stimula-
tion permanente des lymphocytes B spécifiques de l’ADN ayant
pour conséquence l’apparition d’Ac anti-ADN.
La plupart des travaux de O.P. Rekvig intéressent le virus BK,
polyomavirus proche du virus JC, agent de la leucoencéphalite
multifocale progressive. Les polyomavirus sont responsables
d’infections latentes chez la quasi-totalité de la population géné-
rale. L’injection de complexes artificiels composés d’ADN et
de protéines du virus BK à des souris normales provoque
l’apparition transitoire d’Ac anti-ADN, mais sans lupus ; si
l’injection se fait à des souris NZB x NZW connues pour déve-
lopper un lupus spontanément, les mêmes Ac apparaissent mais
persistent, et les signes cliniques de lupus surviennent plus pré-
cocement (36). Ces Ac anti-ADN sont structurellement simi-
laires à ceux présents chez des patients lupiques (commutation
de classe, expansion clonale et mutations somatiques), suggé-
rant qu’ils sont sélectionnés et maintenus par l’ADN lui-même
(37). Ces travaux expérimentaux soutiennent l’hypothèse selon
laquelle l’expression de protéines virales se liant à l’ADN serait
nécessaire à l’induction d’Ac anti-ADN et anti-histones. Les
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protéines virales se liant à la chromatine des cellules infectées
rendraient ainsi l’ADN et les histones de l’hôte immunogènes.
Le facteur transcriptionnel T-ag (large tumor antigen) du virus
BK est un candidat à ce rôle. Il s’agit d’une protéine produite
in vivo durant les phases précoces de la réplication virale, indis-
pensable à la réplication virale et qui se lie à l’ADN double brin
viral et humain. Ainsi, l’injection d’un plasmide exprimant
T-ag à des souris BALB/c entraîne l’expression d’Ac anti-ADN
double brin et anti-histones (38). Ces résultats menés chez l’ani-
mal ont débouché récemment sur des travaux menés chez le
patient lupique. Ainsi, 20 patients et 32 témoins ont été suivis
pendant un an par la recherche mensuelle de BK dans les urines
et d’Ac anti-T-ag dans le sang (39). La réactivation du virus BK
est rare, sauf chez l’immunodéprimé, et affirmée par une réac-
tion PCR positive dans les urines associée à la présence d’Ac
anti-T-ag dans le sang. Dans cette étude, aucune réactivation
n’est signalée chez les contrôles, alors que 16 patients lupiques
ont une réactivation virale associée à l’apparition d’Ac anti-T-
ag et anti-ADN. Il n’y a pas d’anticorps anti-T-ag sans qu’il y
ait d’Ac anti-ADN.
CONCLUSION
Toutes ces données semblent aller dans le sens d’une relation
entre la maladie lupique et les virus, en particulier les herpès-
virus. Elles doivent être confirmées sur des groupes plus impor-
tants de malades d’origines géographiques différentes. D’autres
virus, tels que le HHV-6 ou le HHV-7, sont autant de candidats
possibles qui méritent d’être étudiés.
D’autres agents infectieux, non évoqués dans cette revue,
sont aussi des candidats possibles pour déclencher un lupus.
L’exposition à des superantigènes bactériens pourrait interve-
nir par l’activation polyclonale qu’elle induit. Des poussées de
lupus ont lieu lors de sepsis, peut-être en raison de la libération
de LPS (lipopolysaccharide d’origine bactérienne) qui entraîne
une puissante activation polyclonale du système lymphocy-
taire B (40). De même, la diminution de l’incidence des mala-
dies auto-immunes dans les populations impaludées a conduit
certains auteurs à faire un lien entre les deux pathologies par
l’intermédiaire de l’activité macrophagique (41).
La recherche de facteurs infectieux est un large sujet d’études
dans le LED. Il y a pour l’instant plus d’hypothèses que de
preuves ou de confirmations. Jusqu’ici, les retombées théra-
peutiques ont été des plus réduites, mais les années à venir per-
mettront vraisemblablement de faire la part des facteurs infec-
tieux dans la pathogénie du lupus, et de leur opposer des
traitements appropriés à chaque situation. O
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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La Lettre de l’Infectiologue - Tome XVII - n
os
1-2 - janvier-février 2002
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