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Mots-clés : Maladie alcoolique
du foie, hépatite alcoolique aiguë,
transplantation hépatique,
règle des 6 mois, rechute
Keywords: Alcoholic liver disease, acute
alcoolic hepatitis, liver transplantation,
the “6 months rule”, relapse
Transplantation hépatique
pour maladie alcoolique : question
scientifique ou question “morale” ?
Ces chiffres révèlent l’évolution des mentalités,
puisque la cirrhose alcoolique représentait seulement 4,6 % des indications en 1983. Cette évolution a été possible grâce aux résultats probants
de la TH dans cette indication. Pourtant, les
patients porteurs d’une cirrhose alcoolique sont
encore sous-référencés auprès des centres de
greffe et la durée d’abstinence nécessaire avant
la greffe reste débattue.
S. Faure*, G.P. Pageaux*
La cirrhose alcoolique, responsable d’environ 10 000 décès/an en France, est la première cause de transplantation hépatique (TH), avec 27 % des indications de greffe. La
maladie alcoolique est “systémique”, avec des atteintes extrahépatiques qu’il convient
de rechercher lors de l’évaluation avant la greffe. Moins de 10 % des patients présentant
une cirrhose alcoolique décompensée sont adressés à un centre de transplantation et
seuls 3 % bénéficieront d’une TH. Selon des critères objectifs, tels que le rejet, le taux
d’infection et la survie après la greffe, la cirrhose alcoolique décompensée est une excellente indication de TH, avec une survie à 1 et 5 ans de 84 % et 73 %, respectivement. La
reprise d’une consommation d’alcool après TH, qui survient dans moins de 25 % des cas,
doit être dépistée et prise en charge par une équipe spécialisée en addictologie. La “règle
des 6 mois” ne doit plus être une condition intangible à la TH, et même l’hépatite alcoolique aiguë grave corticorésistante peut s’avérer être une indication pertinente de TH.
Quels sont les candidats
à une transplantation
hépatique pour cirrhose
alcoolique ?
Liver transplantation in alcoholic liver disease:
ethical or scientific issue?
Alcoholic liver disease, responsible for 10,000 deaths/year in France, is the first indication for liver
transplantation and represents 27% of all indications. Alcoholic disease is a systemic disease causing extra hepatic damages, which require exploration before liver transplantation (LT). Less than
10% of the patients with an alcoholic cirrhosis are referred to a transplant center and only 3% of
them will benefit from a LT. Considering objective parameters such as rejection, infection and survival after LT, decompensated alcoholic cirrhosis is an excellent indication for LT with survival rates
at 1 and 5 years representing respectively 84% and 73%. Relapse after LT, which occurs in less than
25% of cases, should be screened and referred to a substance abuse specialist. The “6-monthsrule” must no longer be, and even acute alcoholic hepatitis could be a valuable indication for LT.
E
n France, 2 millions de personnes sont
dépendantes de l’alcool et 6 millions ont une consommation à
risque. La Haute Autorité de santé (HAS)
estime à 15 % le nombre de buveurs excessifs d’alcool. L’alcool est la troisième cause
de décès prématurés et évitables après le
tabac et l’hypertension artérielle (HTA).
La cirrhose alcoolique est responsable de 9 000 à
10 000 décès par an en France et représente la
première cause de mortalité imputable à l’alcool.
Elle est la première indication de transplantation hépatique (TH) en France et la deuxième
en Europe et aux États-Unis. Selon l’Agence
française de biomédecine, on dénombre, en
2011, 1 164 greffes hépatiques dont 27 % pour
maladie alcoolique du foie. Selon le Registre
européen de transplantation hépatique (European Liver Transplant Registry [ELTR]), sur la
période allant de 1988 à 2010, 33 % des greffes
pour cirrhose et 21 % des greffes toutes causes
confondues avaient pour indication principale
la cirrhose alcoolique (figure 1).
Cirrhoses
De causes
inconnues
3 793 – 8 %
Biliaire
primitive
4 702 – 9 %
Autres
970 – 2 %
Biliaire
secondaire
590 – 1 %
Auto-immune
2 019 – 4 %
Virale +
alcoolique
2 205 – 4 %
Alcoolique
16 284 – 33 %
Virale
19 646 – 39 %
Figure 1. Répartition des scores DASH du module
général selon le statut professionnel de janvier
1998 à décembre 2012 en Europe.
21
Lors de la conférence, en 1983, des NIH
(National Institutes of Health), la cirrhose
alcoolique a été reconnue pour la première fois
comme une indication acceptable de TH chez
des patients abstinents et présentant des critères
cliniques péjoratifs. La survie à 5 ans chez les
patients atteints de cirrhose alcoolique décompensée est inférieure à 20 % en l’absence de TH
et supérieure à 70 % s’ils sont transplantés.
En 1999, l’étude de T. Poynard et al. a montré
que la cirrhose alcoolique décompensée (ChildPugh C allant de 11 à 15) était une indication
justifiée de TH, avec un bénéfice en termes de
survie, alors qu’elle n’apportait aucun gain de
survie pour les patients Child-Pugh A (1). Une
étude prospective multicentrique française
pilotée par le centre de Besançon a suggéré que
la TH était délétère en cas de cirrhose du foie
compensée Child-Pugh B, avec une surmortalité
liée à l’augmentation du risque carcinologique
de novo (2).
Le score de MELD (Model for End-stage Liver
Disease) a remplacé depuis le score de ChildPugh, trop imprécis du fait de 2 variables cliniques et subjectives. Le score de MELD a initialement été élaboré pour prédire la mortalité
à 3 mois après pose de TIPS (Transjugular
Intrahepatic Portosystemic Shunt) chez des
patients cirrhotiques. Il se calcule à partir de
3 variables biologiques : la bilirubine, la créatinine et l’International Normalised Ratio (INR)
selon la formule qui suit :
MELD = 3,78 × ln bilirubine (mg/dl) + 11,2 ×
ln INR + 9,57 × ln créatinine (mg/dl) + 6,43.
Il a ensuite été démontré que la mortalité sur
liste d’attente de TH était directement corrélée
au MELD (par exemple, pour les patients avec
MELD = 40, la mortalité sur liste est 300 fois
supérieure à celle des patients de MELD
compris entre 6 et 11) [3]. Le bénéfice de la
TH en termes de survie est évident au-delà
de 18, mais chez les patients avec un score en
deçà de 18, la mortalité est plus élevée en cas
de greffe (4). Cependant, une récente étude
rétrospective de la base de données UNOS
* Service d’hépato-gastroentérologie et de transplantation
hépatique, hôpital Saint-Éloi, CHU de Montpellier.
Le Courrier des addictions (15) ­– n ° 2 – Avril-mai-juin-2013
Un bilan exhaustif
avant la greffe
Chez les patients ayant une cirrhose alcoolique, l’intoxication alcoolique chronique peut
entraîner des atteintes organiques extrahépatiques qui doivent être recherchées au cours
du bilan avant la greffe. L’inscription de ces
malades en liste d’attente nécessite, comme
spécifié par la conférence de consensus de 2005,
“un bilan prégreffe parti­culièrement attentif
à la recherche des lésions liées à une toxicité
alcoolique, voire alcoolotabagique, extrahépatique, tels les cancers et états précancéreux
ORL, bronchiques, œsophagiens, une pathologie cardiovasculaire et respiratoire”.
Outre sa toxicité hépatique, l’alcool est reconnu
comme un facteur de risque pour diverses
pathologies, telles que les maladies cardiovasculaires et les cancers.
La consommation d’alcool peut être responsable de 3 maladies cardiovasculaires : l’HTA,
les troubles du rythme cardiaque et les myocardiopathies avec survenue d’une insuffisance
cardiaque pouvant, en fonction de la fraction
d’éjection résiduelle, contre-indiquer la greffe
hépatique.
Par ailleurs, le tabagisme est plus fréquent chez
les patients atteints d’une cirrhose alcoolique (6).
Au vu de l’effet synergique du tabac et de l’alcool
en termes de carcinogenèse, il est impératif de
réaliser chez ces patients un dépistage approfondi, avant la greffe, des tumeurs pulmonaires
et des voies aérodigestives supérieures (VADS),
Résultats probants
de la transplantation
hépatique
qui sont une contre-indication absolue à la TH.
L’effet délétère de l’alcool sur le rein a été maintes
fois décrit. Le retentissement tubulaire rénal
de l’alcool est réversible en cas d’abstinence. À
l’inverse, une néphropathie à immunoglobulines A (IgA) est responsable de lésions glomérulaires irréversibles. Une double greffe foie-rein
est alors nécessaire.
La consommation d’alcool entraîne, outre la
dénutrition liée à la cirrhose, une malnutrition
avec carence protéique et vitaminique. Un état
de dénutrition est corrélé à des complications
infectieuses plus fréquentes et à un séjour en
réanimation prolongé.
Le risque d’accident vasculaire cérébral (AVC)
hémorragique apparait au-delà de 60 g/jour
d’éthanol et augmente de manière dose-dépendante. L’encéphalopathie hépatique est souvent
responsable d’un état confusionnel. Cela peut
parfois masquer certaines atteintes neurologiques telles que le syndrome de Korsakoff ou
l’encéphalopathie de Gayet-Wernicke, en général
irréversibles.
Les dommages psychiques de l’alcool, tels que
l’anxiété ou la dépression, peuvent également
se décompenser après la greffe. Des symptômes
dépressifs sont présents chez plus de la moitié
des malades avec cirrhose alcoolique et l’anxiété
généralisée en concerne plus d’un tiers. Après la
greffe, les patients présentant un état dépressif
persistant ont un risque de mortalité multiplié
par 2 (7).
Enfin, l’évaluation addictologique est un élément
clé avant transplantation pour maladie alcoolique du foie. Il semble indispensable que la prise
en charge addictologique avant et après la greffe
soit réalisée de façon indépendante du médecin
transplanteur.
Au total, la maladie alcoolique du foie est
véritablement une “maladie systémique”, dans
laquelle une prise en charge multidisciplinaire
est nécessaire quant à la faisabilité d’une greffe
hépatique.
Si l’on considère les critères usuels de succès
pour la TH que sont la survie, l’absence de rejet
et le taux d’infection, la cirrhose alcoolique est
une bonne indication de TH.
Dès 1988, T.E. Starzl et al. ont montré que les
survies à 1 et 3 ans des patients greffés pour cirrhose alcoolique du foie étaient comparables à
celles des greffés pour cirrhose non alcoolique (8). Cela a été confirmé à maintes reprises
et étendu à la survie à 5 ans. La survie chez les
patients transplantés pour cirrhose alcoolique est
respectivement de 84 % à 1 an, de 73 % à 5 ans,
et de 58 % à 10 ans, soit significativement meilleure que dans la cirrhose virale ou cryptogénique (figure 2) [9]. La conférence de consensus
de Lyon, en 2005, a d’ailleurs validé “la cirrhose
alcoolique comme une indication de la TH au
même titre que les autres cirrhoses”. Malgré ces
données, il existe encore des réticences à proposer une TH pour cirrhose alcoolique.
Réticences à adresser
les patients ayant une
cirrhose alcoolique
Aux centres de greffe
Peu d’entre tous les patients porteurs d’une cirrhose alcoolique décompensée accèdent effectivement à la TH.
Plusieurs études menées auprès de l’opinion
publique, des patients et des professionnels de
santé montrent que les patients porteurs d’une
cirrhose alcoolique sont considérés comme les
moins prioritaires pour bénéficier d’une TH,
et ce quelle que soit la pertinence de l’indication de transplantation (10). La TH n’est pas
envisagée pour de nombreux malades. Tout
100
86
80
83
82
Survie (%)
(United Network for Organ Sharing) a retrouvé
un bénéfice en termes de mortalité sur liste et
de survie post-transplantation chez des patients
avec cirrhose alcoolique “pure” ayant un score
de MELD plus bas (5).
Ainsi, le MELD est utilisé aux États-Unis depuis
2002 pour déterminer l’ordre d’attribution des
greffons selon la politique du “sickest first”. En
France, la règle d’attribution des greffons hépatiques a changé en mars 2007, elle est désormais
fondée sur le score Foie, dont la principale composante est le score MELD.
En donnant la priorité aux patients les plus
graves, l’égalité des chances pour l’obtention d’un
greffon a été optimisée, avec une réduction du
délai et, surtout, de la mortalité sur liste d’attente.
La TH est la meilleure option thérapeutique
chez les patients atteints de cirrhose alcoolique
décompensée.
Il existe cependant des contre-indications
générales à la TH : une atteinte viscérale
grave, un antécédent de cancer (datant de
moins de 5 ans) et, a fortiori, un cancer évolutif (hormis un carcinome hépatocellulaire
[CHC]), et un âge physiologique avancé. Pour
cela, un bilan approfondi, prenant en compte le
terrain spécifique de ces patients, est nécessaire
avant la greffe.
80
79
75
73
74
p log-rank :
69
Cause virale versus alcoolique : 0,01
Cause virale versus cirrhose biliaire primitive : 0,0001
Cause alcoolique versus cirrhose biliaire primitive : 0,0001
60
0
0
1
2
Cirrhose virale : 19 574
3
4
5
Années
6
7
Cirrhose alcoolique : 16 260
Figure 2. Survie des patients ayant pour première indication une cirrhose.
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22
71
64
59
63
8
58
9
10
Cirrhose biliaire primitive : 4 697
d’abord, certains présentent une complication
inaugurale de la cirrhose, entraînant si rapidement le décès que le patient ne peut être évalué.
D’autres présentent une complication de la cirrhose mais sont ensuite perdus de vue. Enfin,
parfois, la TH n’est pas proposée aux patients
dont l’alcoolodépendance majeure laisse prévoir
une faible compliance.
Du fait de leur mauvaise image dans la société, les
patients ayant une cirrhose alcoolique sont moins
souvent adressés aux centres de transplantation.
Dans le cadre d’une étude portant sur 199 candidats potentiels à une TH pour cirrhose alcoolique
décompensée, seuls 41 (21 %) ont été adressés à
un centre référent et seuls 15 (8 %) ont eu une
évaluation complète avec un bilan avant la greffe
finalisé (11). De plus, suivant l’association de critères médicaux, chirurgicaux et psychiatriques,
certains programmes récusent plus de 50 % des
cirrhotiques alcooliques adressés pour TH (12).
Au final, seule une petite proportion, estimée à
6 %, des malades susceptibles de décéder d’une
cirrhose alcoolique sont transplantés (13).
Une étude française (14) qui a analysé le devenir
des patients 3 ans après une première hospitalisation pour cirrhose alcoolique rapporte
que 7 % étaient décédés et que seuls 3 % avaient
été transplantés. Il y a beaucoup de candidats
potentiels à une TH pour maladie alcoolique du
foie mais il y a finalement peu d’élus : 9 000 décès
par an, et seulement 300 TH !
L’enjeu de la rechute
Selon l’HAS, le seul objectif dans l’alcoolo­
dépendance est l’abstinence.
La singularité de la transplantation pour maladie
alcoolique du foie repose sur le risque de reprise
d’une consommation d’alcool après la greffe,
considérée, à tort ou à raison, comme inacceptable.
Les données de la littérature retrouvent des taux
de reprise de la consommation d’alcool très différents après TH, allant de 7 % à 95 % à 3 ans chez
les greffés pour maladie alcoolique du foie. Il est
cependant très difficile de comparer ces études
entre elles. En effet, la définition de la rechute varie
selon les études : la plupart utilisent une définition
absolutiste qui considère toute consommation
après la greffe comme une rechute, quelle que
soit la fréquence ou la quantité (15).
D’autres utilisent une définition différenciée qui
consiste à séparer ce qui relève de l’alcoolodépendance telle qu’elle est définie dans le DSM-IV
de la reprise d’une consommation d’alcool caractérisée par sa fréquence et sa quantité. Cette
définition distingue ainsi 3 situations cliniques
concernant la consommation d’alcool après la
greffe : l’abstinence, la rechute modérée, et la
rechute sévère (16).
La rechute sévère concerne les patients présentant des critères d’alcoolodépendance, et/
ou une consommation d’alcool supérieure
à 210 g par semaine pour les hommes et 140 g
par semaine pour les femmes (critères OMS),
et/ou une consommation d’alcool supérieure
à 50 g les jours de consommation. Certaines
études ne considèrent que la rechute excessive,
c’est-à-dire supérieure à 30 g par jour, ou 40 g
par jour, selon les études (17-19).
Enfin, le “slip”, qui est une prise d’alcool isolée ou
lors d’un événement avec poursuite de l’abstinence, est un concept récent qui n’est pas considéré comme une rechute dans la définition différenciée. Il n’y a d’ailleurs aucune différence de
survie significative dans la littérature entre les
patients présentant un épisode de “slip” après
la greffe et les abstinents (17).
Le diagnostic précoce de la rechute est difficile,
car toutes les méthodes de détection, analysées
de façon individuelle, sont imparfaites (20). Certaines études utilisent l’interrogatoire du patient
et de son entourage, d’autres, le questionnaire
anonyme, d’autres encore, l’interrogatoire
téléphonique, avec parfois mise en corrélation
avec les résultats des tests biochimiques (21). Le
diagnostic de rechute est aussi difficile avant la
greffe, les patients pouvant cacher leur consommation alcoolique afin de ne pas être exclus de
la liste d’attente (22).
Enfin, toutes les études citées n’ont pas le même
suivi moyen et plusieurs d’entre elles montrent que
le taux de rechute augmente avec la durée du suivi.
Au final, en tenant compte de toutes ces études,
la rechute alcoolique à 5 ans après la TH est
estimée entre 11 et 54 %, avec 7 à 26 % de récidive de consommation excessive (23).
En dehors du champ de la transplantation, il
existe peu de facteurs prédictifs de rechute
chez les patients alcooliques. La greffe peut être
ressentie comme une expérience traumatique
par certains patients et prévenir la rechute. La
culpabilité ressentie par certains patients vis-àvis du donneur peut exercer le même effet. Le
facteur prédictif de rechute après TH le plus
souvent rapporté est la durée d’abstinence avant
l’inscription sur liste. Les autres variables identifiées comme facteurs prédictifs de rechute
sont le jeune âge, les antécédents familiaux
d’alcoolisme, les antécédents personnels de
toxicomanie, un contexte dépressif avec idées
suicidaires et des conditions sociales précaires.
D’autres éléments tels que l’environnement
familial et social et l’absence de pathologie ou
de troubles psychiatriques sont des facteurs
prédictifs d’abstinence, selon une méta-analyse
récente (24).
Au-delà du questionnement moral posé par la
rechute d’un patient transplanté pour maladie
alcoolique du foie, se pose la question des conséquences en termes de survie du greffon et du
greffé.
La reprise d’une consommation d’alcool ne
semble pas affecter la survie du greffon ni celle
du patient à 5 ans, lorsqu’on la compare à celle
des patients abstinents (20, 21). En revanche, la
reprise d’une consommation alcoolique exces-
23
sive a des conséquences sur la survie du patient
à long terme. Initialement, une première étude
a suggéré une diminution significative de la
survie à 10 ans chez les patients qui rechutent,
comparativement aux patients abstinents (19).
La surmortalité des patients ayant repris une
consommation excessive d’alcool était imputable
à l’apparition de cancers de novo et aux complications cardiovasculaires. Cette différence de
survie à long terme, entre patients ayant repris
une consommation excessive et abstinents ou
consommateurs occasionnels était retrouvée
plus tard (17). En 2007, l’impact sur la survie des
tumeurs des VADS de novo était mis en évidence,
avec une supériorité de la survie à 10 ans chez les
non-rechuteurs (18). Dernièrement, une étude
française, portant sur 206 transplantés pour
maladie alcoolique du foie, a montré une diminution nette de la survie à 10 ans chez les patients
ayant repris une consommation excessive d’alcool.
Les taux de survie à 5 et 10 ans étaient respectivement de 82 % et 49 % chez les patients ayant repris
une consommation excessive contre 86 % et 75 %,
chez les autres patients (p < 0,05) [25].
Intérêt et limites
de la “règle des six mois”
En 1993, la conférence de consensus de Paris
prônait une durée d’abstinence de 3 à 6 mois,
voire supérieure à 6 mois, avant l’inscription sur
une liste de greffe.
Le rationnel de la “règle des 6 mois” est de permettre une récupération de la fonction hépatocellulaire avec le sevrage, afin d’éviter une transplantation inutile, de mettre en place une prise
en charge addictologique avec renforcement du
sevrage et d’instaurer une uniformité entre les
différents centres de greffe (10). En 2005, aux
États-Unis, 85 % des centres de TH continuaient
de suivre cette règle (26).
Cependant, aucune étude n’a prouvé l’intérêt
d’une abstinence de 6 mois sur les complications
précoces avant, pendant ou après la TH (27).
En 2005, la conférence de consensus de Lyon
stipulait que “la durée de 6 mois d’abstinence
avant la TH ne devait plus être une règle intangible et ne devait pas être considérée comme une
condition à elle seule d’accès à la TH”.
En effet, la règle des 6 mois est imparfaite,
puisqu’elle inclut des patients qui reprendront
une consommation d’alcool après la greffe et, à
l’inverse, elle exclut des patients qui ne reprendront pas de consommation après la greffe. Dans
une étude prospective (14), parmi les patients
ayant une abstinence avant la greffe de 36 mois,
seuls 60 % demeuraient abstinents après la greffe.
Une durée d’abstinence de 36 mois avant la greffe
prédisait l’abstinence après greffe avec une sensibilité de 80 % mais une spécificité de 40 %. Certes,
chaque mois supplémentaire d’abstinence avant
la greffe diminuait le risque de rechute après la
greffe de 33 %, mais il n’était cependant pas pos-
Le Courrier des addictions (15) ­– n ° 2 – Avril-mai-juin-2013
sible d’identifier une durée d’abstinence avant
la greffe assurant une abstinence définitive. En
outre, il n’y a pas ou que peu d’amélioration de
la fonction hépatocellulaire après 3 mois d’abstinence (13). Enfin, il est difficile d’estimer véritablement la durée d’abstinence prégreffe. Elle
repose en effet sur l’interrogatoire du patient
et de son entourage, qui souhaite en général
l’intégration du patient dans le projet de greffe
et aura tendance à le protéger.
Situation “extrême” :
l’hépatite alcoolique
aiguë
Les formes graves d’hépatite alcoolique aiguë
sont définies par un score de Maddrey supérieur à 32. En l’absence de traitement, plus
de 50 % des patients atteints d’hépatite alcoolique aiguë grave décèdent dans les 6 mois qui
suivent le diagnostic. Seules les formes graves
nécessitent un traitement par corticostéroïdes
et/ou pentoxiphylline. L’équipe de Lille a mis
en évidence les facteurs de non-réponse à ce
traitement et a modélisé, à partir de 5 variables
indépendantes, le pronostic de ces patients (28).
Ce modèle permet de prédire près de 80 % des
décès à 6 mois. Les patients non répondeurs à la
corticothérapie ont un risque de décès de 85 %
à 6 mois. Il est éthiquement difficile de ne pas
proposer une greffe à ces patients, atteints d’une
hépatite alcoolique aiguë grave et non répondeurs au traitement médical, dont la mortalité
est prévisible dès le septième jour. La présence
d’une hépatite alcoolique de découverte fortuite,
lors de l’analyse histologique du foie explanté,
n’a pas, qui plus est, de conséquence en termes
de survie du greffon et du patient ni de rechute
alcoolique après la TH (16). Cependant, l’association fréquente de comorbidités et de défaillance multiviscérale chez ces malades, ainsi que
la crainte de la récidive alcoolique par l’équipe
de transplantation et son retentissement sur
l’opinion publique sont autant de freins à la
proposition de TH dans ces cas-là.
Pourtant, une étude française récente multicentrique a montré que certains patients hautement sélectionnés présentant une hépatite aiguë
alcoolique corticorésistante, inaugurale, pouvaient bénéficier d’une TH avec de bons résultats
en termes de survie à moyen terme et un faible
taux de rechute après la greffe (29). Cependant,
du fait de la gravité du score de MELD de ces
patients, par définition supérieur à 30, et de la
pénurie de greffons, il est évident qu’un tel traitement ne peut être réalisé que chez un nombre
restreint de malades.
La pénurie de greffons
Il y toujours actuellement en France 30 % d’opposition au don d’organes parmi les familles.
De plus, grâce à la prévention routière, on
observe une diminution des états de mort
cérébrale après accidents de la voie publique.
Il y a au final 1 donneur pour 2,3 receveurs
théoriques. Le fait qu’une rechute de la
consommation d’alcool soit possible après TH
pour maladie alcoolique du foie peut avoir un
effet désastreux sur la population générale,
influencée alors par des arguments d’ordre
moral. Cela peut avoir des conséquences
néfastes sur le don d’organes, et aggraver la
situation de pénurie de greffons.
Conclusion
La TH est le traitement validé de la cirrhose
alcoolique décompensée.
Elle est, en 2012, une excellente indication de
transplantation, au même titre que pour les
autres cirrhoses. Cependant, les cancers de novo
et la rechute de la maladie alcoolique affectent
les résultats à long terme. Le bilan avant la greffe,
à la recherche d’une contre-indication, doit être
exhaustif et tenir compte du terrain sous-jacent,
la maladie alcoolique étant une véritable maladie
systémique. Il n’y a plus de durée d’abstinence
minimale requise avant une TH pour maladie
alcoolique du foie. Après la greffe, la prise en
charge addictologique avec le maintien de l’abstinence doit rester une priorité.
v
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