é d i t o r i a l L Éditorial

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Éditorial
Cancer du rectum :
comment choisir
le chirurgien ?
C. Penna*
* Service de chirurgie générale, digestive
et oncologique, hôpital Ambroise-Paré,
Boulogne.
Act. Méd. Int. - Gastroentérologie (15) - n° 2 - février 2001
L
a chirurgie des cancers du rectum doit être parfaite sur le
plan carcinologique de façon à réduire au minimum les
risques de récidive locorégionale et augmenter les chances
de guérison. Elle doit également préserver l’appareil
sphinctérien et l’innervation génito-urinaire chaque fois
que possible, avoir une faible morbidité et, par le choix d’une intervention
appropriée, s’efforcer de procurer la fonction intestinale la plus correcte.
Dans toutes ces étapes concernant le choix et la réalisation de l’intervention, il
est bien évident que le chirurgien joue un rôle primordial. De nombreuses
études montrent qu’en raison de ce facteur humain, il existe des différences
notables entre les centres et les chirurgiens pour ce qui concerne : la survie à
5 ans variant de 20 à 63 % (1), les taux de récidive locale variant de 5 à 20 %
(2), les risques de fistule postopératoire variant de 0 à 30 % (3), et les risques
de complication génito-urinaire ou la qualité des résultats fonctionnels. Les
études recherchant les facteurs pronostiques de cancer du rectum avec des
analyses multivariées montrent que le chirurgien est un facteur pronostique
indépendant, parfois aussi puissant que le stade TNM de la tumeur.
Les facteurs techniques à l’origine des différences observées dans les résultats sont bien connus. La qualité de l’exérèse du mésorectum conditionne le
risque de récidive locale qui varie de 10 à 70 %, suivant que la marge circonférencielle est supérieure ou inférieure à 1 cm, ainsi que le taux de survie à 5 ans. Le repérage et la préservation de l’innervation sympathique et
parasympathique limitent les séquelles génito-urinaires de la proctectomie.
L’exérèse complète du mésorectum, voire des techniques de dissection intersphinctériennes permettent d’augmenter les chances de succès des interventions préservant le sphincter anal. Enfin, la confection de réservoirs
coliques améliore les résultats fonctionnels des anastomoses très basses.
Toutefois, expliquer la variabilité des résultats entre chirurgiens est plus difficile. Elle pourrait être liée à des différences de recrutement, de formation, ou
à un relatif manque de pratique. Partant du principe que l’on fait bien ce que
l’on fait souvent, et parce que les centres “experts” publient de meilleurs
résultats que ceux observés dans les études multicentriques, l’idée que le
facteur influençant de façon prépondérante la qualité du résultat est le
nombre de cas opérés par le chirurgien a rapidement prévalu. Cela était
d’ailleurs démontré pour le traitement d’autres tumeurs, comme celles du
sein, du testicule ou du pancréas. Cependant, les résultats des études qui se
sont intéressées spécifiquement à cette question ne sont pas si clairs. Si, dans
l’étude canadienne de Porter et al. (4), le risque de récidive locorégionale
était presque deux fois supérieur pour les chirurgiens ayant opéré moins de
21 cas dans la période de l’étude que pour ceux en ayant opéré plus, d’autres
travaux (5, 6) n’ont pas mis en évidence de relation significative entre le
nombre de patients opérés par chirurgien pendant la période d’étude et la survie,
le taux de récidive locale ou le pourcentage de conservation sphinctérienne.
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Les études sont plus concordantes pour montrer qu’il existe un effet centre.
Dans celle d’Hermanek évaluant le devenir de 1 121 patients opérés d’un
cancer du rectum dans sept départements de chirurgie colorectale, les taux de
récidive locorégionale variaient de 10 à 37 % et les taux de survie à 5 ans de
45 à 69 % selon le centre, qui était, en analyse multivariée, un facteur pronostique indépendant (6). Quelques études enregistrent de meilleurs résultats
en termes de récidive locorégionale et de survie à 5 ans, lorsque le cancer du
rectum est opéré dans un centre universitaire ou à haut volume par rapport
aux centres ne traitant des cancers du rectum que de façon épisodique (5, 7).
Le degré de spécialisation du chirurgien et notamment sa qualification en
chirurgie colorectale est également un facteur retrouvé de façon concordante
dans plusieurs séries de la littérature. Dans celle de Porter et al. (4), le risque
de récidive locorégionale était multiplié par 2,5 lorsque l’intervention était
réalisée par un chirurgien généraliste par rapport à un chirurgien colorectal.
De toutes ces études, on peut donc retenir que la qualité de l’acte chirurgical, évaluée de façon très simple et très adéquate par le taux de récidive
locale, est plurifactorielle. Sa formation et sa spécialisation vont permettre
au chirurgien de faire le meilleur choix thérapeutique, et la pratique d’un
nombre important d’interventions de mieux appréhender et gérer les
problèmes techniques pré- et postopératoires, améliorant ainsi la qualité de
l’exérèse et diminuant les risques de complication. Le débit et la
spécialisation du centre dans lequel il travaille vont influencer le résultat
par la qualité de la prise en charge pré- et postopératoire.
Cependant, cette conclusion est encore imparfaite pour expliquer les
différences. Une étude importante a montré que, même si, d’une façon
générale, de meilleurs résultats sont obtenus par les chirurgiens spécialisés
dans les centres à haut débit, d’une façon individuelle, des chirurgiens opérant moins de 20 cas par an ou exerçant en dehors de centres
spécialisés avaient des résultats très nettement supérieurs à la moyenne
(5). De la même façon, une étude anglaise, qui évaluait les résultats de
20 praticiens “seniors” ayant une formation spécialisée en chirurgie colorectale, travaillant dans des centres à haut débit et ayant tous opéré plus de
30 patients pendant la période de l’étude, montrait que les taux de récidive
locorégionale à 3 ans variaient de moins de 5 % à plus de 20 % (2).
Actuellement, pour des raisons médicales ou économiques, la tentation est grande de limiter la pratique de certains types de chirurgie à des centres “experts”.
Il nous semble que d’éventuels critères pour l’accréditation à la chirurgie des
cancers du rectum ne devraient pas être limités à des considérations sur la spécialisation ou le “débit” du chirurgien ou du centre dans lequel il exerce, mais
devraient également prendre en compte les résultats individuels obtenus en
termes de survie, de récidive locorégionale ou de conservation sphinctérienne,
qui évaluent au mieux les compétences du chirurgien. Le recueil et la diffusion
de ces données sont donc essentiels car ils devraient permettre une meilleure
prise en charge thérapeutique des cancers du rectum en France.
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Références
1. McArdle CS, Hole D. Impact of variability among surgeons on post-operative morbidity and mortality and ultimate survival. Br Med J 1991 ; 302 : 1501-5.
2. Phillips RKS, Hittinger R, Blesovsky L et al. Local recurrence following “curative”
surgery foe large bowel cancer : I. The overall picture. Br J Surg 1984 ; 71 : 12-6.
3. Fielding LP, Stewart-Brown S, Dudley HAF. Surgeon-related variables and the
clinical trial. Lancet 1978 ; 2 : 778-9.
4. Porter GA, Soskolne CL, Yakimets WW, Newman SC. Surgeon-related factors and
outcome in rectal cancer. Ann Surg 1998 ; 227 : 157-67.
5. Parry JM, Collins S, Mathers J et al. Influence of volume of work on the outcome of
treatment for patients with colorectal cancer. Br J Surg 1999 ; 86 : 475-81.
6. Hermanek P. Impact of surgeon’s technique on outcome after treatment of rectal
carcinoma. Dis Colon Rectum 1999 ; 42 : 559-62.
7. Holm T, Johansson H, Cedermark B et al. Influence of hospital and surgeon-related
factors on outcome after treatment of rectal cancer with or without radiotherapy. Br J
Surg 1997 ; 84 : 657-63.
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Claudie Damour-Terrasson,
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