D O S S I E R Intérêt du suivi thérapeutique du mycophénolate mofétil Therapeutic Drug Monitoring of mycophenolate mofetil (MMF) A. Cilia*, N. Costa* A. Durand*, P. Pisano* RÉSUMÉ. Le mycophénolate mofétil est un immunosuppresseur indiqué en association avec la ciclosporine ou le tacrolimus dans la prévention du rejet aigu des allogreffes rénales, cardiaques et hépatiques. Le mycophénolate mofétil est rapidement absorbé et transformé en acide mycophénolique, son métabolite actif, qui inhibe l’IMPDH (inosine monophosphate déshydrogénase), et donc la prolifération des lymphocytes T et B. Plusieurs facteurs semblent actuellement justifier le suivi thérapeutique pharmacologique de l’acide mycophénolique, notamment la variabilité inter- et intra-individuelle de la pharmacocinétique de l’acide mycophénolique, ainsi que la corrélation entre la surface sous la courbe des concentrations plasmatiques de l’acide mycophénolique et la fréquence des rejets aigus ou la survenue d’effets indésirables. La détermination des concentrations plasmatiques de l’acide mycophénolique peut être réalisée par la technique immunoenzymatique EMIT ou par chromatographie liquide haute performance, et le calcul de la surface sous la courbe peut être effectué sur 12 heures (surface sous la courbe complète) ou à partir d’un nombre restreint de prélèvements (surface sous la courbe abrégée). Actuellement, un consensus se dégage, ciblant une surface sous la courbe d’environ 30 à 60 µg.h/ml pour éviter les rejets aigus en greffe rénale ; cependant, le dosage systématique de l’acide mycophénolique ne semble pas justifié, contrairement aux anti-calcineurines, mais peut s’avérer utile lors de circonstances cliniques particulières. Mots-clés : Mycophénolate - Pharmacocinétique -Suivi thérapeutique pharmacologique. ABSTRACT. Mycophenolate mofetil (MMF) is an immunosuppressive agent used in association with cyclosporin or tacrolimus for the prevention of acute rejection following kidney, heart and hepatic allograft transplantation. MMF is rapidly absorbed and converted to mycophenolic acid (MPA), the active metabolite, an inhibitor of de novo purine biosynthesis in T and B cells. Therapeutic drug monitoring of MPA is an important goal for several reasons, especially the inter and intra-individual MPA pharmacokinetic variability and the existing correlation between MPA area under the concentration-time curve (AUC) and the incidence of acute rejection or adverse events. Enzyme-Multiplied Immunoassay Technique (EMIT) or High-Performance Liquid Chromatographic (HPLC) methods can be used for the determination of plasma MPA concentrations and full or abbreviated AUC could be estimated. A review of the published data concluded that an AUC of approximately 30-60 µg.h/ml seems to be a reasonable target, as least in early renal post-transplantation period. The determination of MPA plasma concentrations is not, at a time, standard of practice but may be useful in special populations of patients. Key words : Mycophenolic acid - Therapeutic drug monitoring - Pharmacokinetics. L e mycophénolate mofétil (MMF, CellCept®) est un immunosuppresseur, inhibiteur sélectif et non compétitif de l’inosine monophosphate déshydrogénase (IMPDH) lymphocytaire (1). Sa principale indication est la prévention du rejet aigu chez les patients ayant bénéficié d’une allogreffe rénale, cardiaque ou hépatique. Dans cette indication, le CellCept® doit être utilisé en association avec la ciclosporine ou le tacrolimus et les corticoïdes, la posologie standard du MMF étant de 2 à 3 g/j en deux prises. Plus récemment, il a également été utilisé en prévention de la néphrotoxicité des anti-calcineurines (ciclosporine et tacrolimus) à distance des greffes (2) rénales, cardiaques et hépatiques. Les principaux * Fédération de pharmacologie médicale et clinique et de pharmacocinétique, CHU Timone, 13005 Marseille Cedex. La Lettre du Pharmacologue - Volume 16 - n° 1 - janvier-février 2002 effets indésirables du MMF sont d’ordre digestif (douleurs abdominales, vomissements, diarrhées), hématologique (leucopénie) et infectieux avec, notamment, une augmentation des infections à cytomégalovirus. Le suivi thérapeutique du MMF est une notion encore controversée ; en effet, si, lors de la commercialisation du CellCept®, la mesure des concentrations circulantes de la forme active du MMF, l’acide mycophénolique (MPA), n’était pas recommandée, des études de type pharmacocinétique/pharmacodynamique réalisées peu après ont montré l’existence d’une corrélation entre les concentrations plasmatiques de MPA et la survenue d’un rejet aigu en greffe rénale (3-5). De ce fait, l’utilité du dosage plasmatique de l’acide mycophénolique (MPA) est en cours d’évaluation, et nous proposons dans cet article, après une brève présentation pharmacocinétique du MMF, d’examiner l’ensemble des études qui ont justifié et développé ce suivi thérapeutique pharmacologique. 5 D O S S I E R MÉTABOLISME ET PHARMACOCINÉTIQUE DU MMF 35 Les études pharmacocinétiques du MMF ont été réalisées chez des patients transplantés rénaux recevant 2 g/j de MMF, et la plupart d’entre elles mettent en évidence une évolution de certains paramètres pharmacocinétiques du MPA en fonction du temps post-transplantation. En particulier, Bullingham (1), 30 Cmax MPA (µg/ml) Le métabolisme du MMF est détaillé dans la revue de Bullingham (1). Après administration orale, le MMF est rapidement (2 heures) et en grande partie absorbé, puis transformé par une désestérification présystémique complète en MPA, son métabolite actif. Le taux de liaison du MPA aux protéines plasmatiques (principalement l’albumine) est de 97 %. La très faible fraction du produit (0,1 %) non retrouvée sous forme liée ou libre dans le compartiment plasmatique se distribue dans les éléments figurés du sang. Le MPA est métabolisé, principalement par l’UDP-glucuronosyl transférase, en glycuroconjugué phénolique du MPA (MPAG) pharmacologiquement inactif. Il a récemment été suggéré (6) que l’UDP-glucuronosyl transférase intestinale pouvait être responsable d’un effet de premier passage diminuant la biodisponibilité du MPA et pouvant participer à la variabilité pharmacocinétique du MPA. À côté du MPAG, l’équipe de Shipkova (7) a mis en évidence d’autres métabolites quantitativement moins importants. Le 7-O glucoside de l’acide mycophénolique (M-1) est inactif et l’acyl glucuronide de l’acide mycophénolique (M-2) inhiberait l’inosine monophosphate déshydrogénase (IMPDH) de façon aussi importante que le MPA. De plus, Wieland et al. (8) ont mis en évidence in vitro que ce métabolite M2 induisait une libération d’interleukine 6 (IL-6) et de TNFα, en particulier au niveau intestinal, et pouvait donc induire une réaction pro-inflammatoire locale impliquée dans la toxicité digestive du MMF. Le métabolite M-3 est retrouvé en quantité très faible dans le plasma et serait CYP450-dépendant. Environ 93 % de la dose de MMF sont éliminés par les reins, en grande partie sous forme de MPAG, tandis que 6 % environ le sont avec les fèces. Cette élimination à partir de la bile donne lieu à un cycle entérohépatique : le MPAG va être déglucuroconjugué par des bactéries intestinales et le MPA ainsi libéré pourra être réabsorbé, entraînant un deuxième pic de concentration entre la 6e et la 12e heure après administration orale de MMF. 25 20 15 10 5 0 24 patients < 30 jours après transplantation (2 g/j) 24 patients > 3 mois après transplantation (2 g/j) Figure 1. Évolution des concentrations maximales (Cmax ) de MPA en fonction du temps post-transplantation chez des greffés rénaux (9). Wollenberg et al. (9) et Sollinger et al. (10) ont montré un raccourcissement du Tmax et une augmentation de la Cmax (figure 1) et de l’aire sous la courbe (ASC) (figure 2) du MPA, à distance de la greffe par rapport aux valeurs obtenues juste après la transplantation. En cas d’insuffisance rénale, on observe une accumulation de MPAG avec augmentation de la concentration et de l’ASC du MPA libre par déplacement de sa liaison aux protéines plasmatiques entraînant un risque de sur-immunosuppression et d’infection à cytomégalovirus, ainsi qu’une majoration des effets indésirables (leucopénie, diarrhée, douleurs abdominales). Les ASC du MPA total restent cependant identiques aux valeurs obtenues en cas de fonction rénale stable. Ces observations ont été réalisées chez l’insuffisant rénal non greffé (11) et chez des greffés rénaux présentant soit un retard à la reprise du greffon (1), soit une insuffisance rénale (12). Ces modifications de la pharmacocinétique du MMF lors d’insuffisance rénale suggèrent que, dans certaines conditions, la détermination des concentrations de MPA libre serait un meilleur indicateur de l’effet immunosuppresseur et de la toxicité du MPA que la mesure des concentrations de MPA total. ASC MPA (µg.h/ml) 200 Jour 20 150 100 Jour 1 50 0 0 1 000 2 000 3 000 4 000 MMF (mg/j) 6 Figure 2. Évolution de l’aire sous la courbe (ASC) du MPA au jour 1 et 20 post-transplantation, chez différents groupes de patients recevant des doses de 100 à 3 500 mg/j de MMF (10). La Lettre du Pharmacologue - Volume 16 - n° 1 - janvier-février 2002 D Les études effectuées chez des patients présentant une insuffisance hépatique (1) n’ont montré aucune différence significative des paramètres pharmacocinétiques du MPA et du MPAG, hormis une augmentation de 50 % de la clairance rénale du MPAG en cas d’insuffisance hépatique sévère, ce phénomène pouvant être dû à l’induction d’un processus de glucuronidation rénale compensatrice. L’effet repas a été étudié chez des patients atteints de polyarthrite rhumatoïde et recevant 2 g/j de MMF par Bullingham (1), qui a montré un allongement du Tmax et une diminution de la Cmax du MPA sans modification de l’ASC lors de la prise concomitante d’aliments. Enfin, les interactions médicamenteuses du MMF ne sont pas décrites en détail, mais résumées dans le tableau I. SUIVI THÉRAPEUTIQUE PHARMACOLOGIQUE DU MMF Pourquoi doser le MPA ? La première raison est d’ordre pharmacocinétique. En effet, les concentrations de MPA présentent une importante variabilité intra- et interindividuelle. Bullingham (1) avait rapporté un facteur de variation de l’ordre de dix pour les ASC du MPA chez des patients transplantés rénaux ou cardiaques. De plus, la concentration de la fraction libre, seule efficace, peut être fortement influencée par la quantité de MPAG inactif présente dans le sang, ainsi que par la concentration d’urée, les concentrations d’albumine et la présence d’autres médicaments. Enfin, les interactions pharmacocinétiques, présentées plus haut, peuvent provoquer des modifications des concentrations de MPA susceptibles de justifier leur détermination. La deuxième raison pouvant justifier le suivi thérapeutique pharmacologique du MMF réside dans la mise en évidence d’une relation entre les concentrations plasmatiques du MPA et la survenue de rejet aigu de greffe et/ou d’effets indésirables du MMF. L’étude pilote montrant la relation entre l’ASC du MPA et la prévention du rejet aigu a été menée par Takahashi et al. en 1995 (5). Elle incluait 32 patients japonais greffés O S S I E R rénaux et montrait l’existence d’une valeur seuil de l’ASC égale à 40 µg.h/ml au-dessus de laquelle les patients ne présentaient pas de signes de rejet. Cette étude pilote a ensuite été reprise en 1998 par Nicholls (4), sur 41 greffés rénaux de type caucasien. Bien qu’il soit clair d’après la figure 3 que les valeurs basses de l’ASC étaient associées à une plus grande probabilité de rejet, il n’y avait pas de valeur cible de l’ASC du MPA pouvant être recommandée comme seuil thérapeutique ; il a néanmoins été possible de préciser que, chez 7 des 14 patients ayant présenté un rejet, la valeur de l’ASC du MPA était inférieure à 21 µg.h/ml. En outre, les concentrations résiduelles de MPA n’avaient qu’une faible valeur prédictive de la survenue de rejet. Afin de confirmer la relation pharmacocinétique-pharmacodynamique ainsi observée, un essai randomisé a été initié par Hale et al. (3) chez 156 patients greffés rénaux traités par MMF, ciclosporine et corticoïdes. Ces patients ont été répartis au hasard en trois groupes selon la valeur cible de l’ASC du MPA : basse (16,1 µg.h/ml), moyenne (31,2 µg.h/ml), ou élevée (60,6 µg.h/ml) pour des doses moyennes de MMF respectives de 0,90, 2,30 et 4,10 g/j. L’analyse des données a confirmé l’existence d’une corrélation hautement significative entre l’ASC du MPA et la survenue des rejets (figure 4). En effet, les valeurs hautes de l’ASC sont associées à une très faible probabilité de rejet ; une ASC de 15 µg.h/ml a garanti l’absence de rejet chez uniquement 50 % des patients. La Cmax du MPA et la dose de MMF n’ont eu qu’une faible valeur prédictive de la survenue de rejet aigu ; cependant, il existe une relation significative entre la survenue de rejet aigu et la concentration plasmatique résiduelle (T0), mais la variabilité interindividuelle de ces T0 était trop importante pour que cette relation soit prise en compte. Depuis, les travaux de Shaw et al. (6) chez des greffés rénaux traités par MMF, ciclosporine et corticoïdes ont montré qu’une zone thérapeutique de l’ASC du MPA de 30-60 µg.h/ml ramenait le risque de rejet aigu à moins de 10 %. D’autres auteurs ont mis en évidence des relations entre les concentrations résiduelles de MPA et la survenue de rejet aigu de greffe rénale ou cardiaque. En effet, Krumme et al. (13) ont mesuré pendant les deux premiers mois post-greffe, chez 48 greffés rénaux traités par ciclosporine, méthylprednisolone et MMF (2 g/j), la moyenne des T0 de MPA qui était de …/… Tableau I. Interactions médicamenteuses du MMF. Médicament ou classe thérapeutique Effet sur l’ASC du MPA Mécanisme d’action Augmentation de l’ASC et de la Cmax du MPA Inhibition de la glucuronidation Ciclosporine[748] Diminution de l’ASC du MPA Inhibition du passage du MPAG du foie vers la bile Antiacides[26] Diminution de l’ASC du MPA Diminution de l’absorption du MPA Métronidazole Diminution de l’ASC du MPA et du MPAG Suppression du cycle entérohépatique par inhibition des bactéries anaérobies intestinales Ganciclovir i.v.[647] Pas d’effet sur l’ASC du MPA Fer[759] Diminution de la Cmax et de l’ASC du MPA Formation de complexes chélatés diminuant l’absorption gastro-intestinale du MPA Anti-inflammatoires non stéroïdiens[756] Augmentation de la Cmax du MPA Faible inhibition de la glucuronidation du MPA (sauf pour l’acide niflumique) Tacrolimus [13] [193] [760] La Lettre du Pharmacologue - Volume 16 - n° 1 - janvier-février 2002 7 D O S S I E R B 20 20 15 15 Nombre de patients Nombre de patients A Pas de rejet 10 Pas de rejet 10 Rejet Rejet 5 5 0 0 1 2 3 4 6 5 7 < -1,5 < -0,9 < -0,3 < 0,3 < 0,9 < 1,5 < 2,1 Ln ASC Ln T0 Figure 3. Distribution de l’aire sous la courbe (ASC) du MPA (A) et des concentrations résiduelles (T0) (B) en fonction de la survenue de rejets chez des patients greffés rénaux. Chaque symbole représente les données d’un seul sujet (4). 5 5 2 7 5 4 4 2 2 0 Pas de rejet Rejet Rejet 2 1 -2 Pas de rejet 3 5 -1 1 1 0 6 MMF dose 3 Ln CsA Cpré-dose 3 Ln MPA Cpré-dose 1 Ln MPA Cmax Ln MPA ASC 4 4 Pas de rejet Rejet 0 Pas de rejet Rejet Pas de rejet Rejet Figure 4. Distribution des Ln SSC du MPA, Ln Cmax du MPA, Ln T0 du MPA, Ln T0 de la ciclosporine, et dose de MMF en fonction de la survenue (symbole plein) ou de l’absence (symbole vide) de rejet chez des patients greffés rénaux (3). 8 La Lettre du Pharmacologue - Volume 16 - n° 1 - janvier-février 2002 D O S S I E R …/… Tableau II. Corrélation entre le nombre d’épisodes de rejet et la concentration résiduelle moyenne de MPA chez 15 patients transplantés cardiaques traités par tacrolimus, prednisone et MMF (2 g/j) (14). Nombre moyen d’épisodes de rejet par patient Nombre de patients Moyenne des concentrations sanguines de tacrolimus (ng/ml) Moyenne des concentrations plasmatiques de MPA (µg/ml) 0 1-2 3 5 7 3 13,8 ± 1,1 14,0 ± 1,3 15,0 ± 0,8 3,6 ± 0,4 2,2 ± 0,4 1,4 ± 0,2 1,55 ± 0,48 µg/ml chez 18 patients sur 48 qui avaient rejeté et de 2,1 ± 0,62 µg/ml chez les 30 autres patients exempts de rejet. Les T0 de ciclosporine n’étaient pas significativement différents entre ces deux groupes de patients. L’étude de Meiser et al. (14) a montré, chez 15 patients transplantés cardiaques traités par tacrolimus, prednisone et MMF (2 g/j), que les patients ayant eu une concentration résiduelle moyenne de MPA supérieure à 3 µg/ml n’ont pas eu d’épisode de rejet (tableau II). De plus, l’analyse des T0 de tacrolimus n’a pas montré de différence significative entre les patients avec ou sans rejet. L’étude de Yamani et al. (15) a été réalisée chez 215 patients greffés cardiaques répartis en trois groupes selon leur date de greffe (tableau III). Tableau III. Corrélation entre le nombre d’épisodes de rejet et la concentration résiduelle moyenne de MPA chez des patients greffés cardiaques traités par MMF, prednisone, ciclosporine ou tacrolimus (15). T0 MPA (µg/ml) <2 2 En ce qui concerne les relations entre les concentrations plasmatiques de MPA et les effets indésirables, les résultats divergent selon les auteurs. Van Gelder et al. (16) ont constaté, en transplantation rénale, l’absence de corrélation entre les concentrations plasmatiques de MPA (T0, Cmax ou ASC) et la survenue d’effets indésirables. Wallemacq et al. (observations non publiées) ont pourtant montré l’apparition d’effets indésirables pour des T0 de MPA > 3,9 µg/ml. Dubrey et al. (17) ont décrit un cas d’anémie sévère dû à un T0 élevé de MPA chez un transplanté cardiaque recevant 3 g/j de MMF associé à du tacrolimus et à de la prednisolone. Une étude réalisée par Smak Gregoor et al. (18) sur 15 patients greffés cardiaques a montré que les T0 du MPA étaient significativement plus élevés chez les patients ayant présenté des effets indésirables (4,43 ± 0,38 µg/ml) par rapport au T0 du MPA mesuré chez ceux sans effets indésirables (2,62 ± 0,32 µg/ml) (figure 5). p < 6 mois 228 14,9 % 227 8,8 % 0,05 10 Groupe II n % rejets 6-12 mois 80 11,3 % 122 4,2 % 0,05 8 Groupe III n % rejets < 12 mois 111 11,7 % 124 11,3 % 0,92 Dans le groupe I, 104 patients greffés depuis moins de 6 mois, dans le groupe II, 90 patients greffés depuis 6 à 12 mois, et dans le groupe III, 71 patients greffés depuis plus d’un an. Ces patients ont reçu comme traitement immunosuppresseur du MMF de la prednisone et de la ciclosporine ou du tacrolimus. Pour chaque temps post-greffe, les patients ont été répartis en trois sous-groupes en fonction de la valeur du T0 du MPA : < 2 µg/ml, de 2 à 4 µg/ml et > 4 µg/ml. Il n’y a pas eu de différence significative de la fréquence de rejet entre les trois sousgroupes des trois groupes de patients. Toutefois, si l’on compare les fréquences de rejet des patients répartis non plus en trois, mais en deux sous-groupes (< 2 µg/ml et 2 µg/ml), le risque de rejet quand T0 est 2 µg/ml est alors significativement plus faible dans les groupes I et II, mais pas dans le groupe III. On peut donc dire, en fonction des résultats de ces études de corrélation concentration/effet menées en transplantation rénale et cardiaque, que le suivi thérapeutique du MMF peut être utile pendant la première année post-greffe où le risque de rejet aigu est le plus important, ou lorsqu’une modification du traitement immunosuppresseur (par exemple l’arrêt des corticoïdes) est envisagée. La Lettre du Pharmacologue - Volume 16 - n° 1 - janvier-février 2002 MPA (µg/ml) Groupe I n % rejets 6 4 2 0 Effets indésirables p = 0,0006 Pas d'effets indésirables Figure 5. Corrélation entre les concentrations résiduelles de MPA et la survenue d’effets indésirables. Les (T0) de MPA (n = 55 échantillons) chez 15 greffés rénaux traités par MMF et prednisone sont plus élevés chez les patients ayant eu des effets indésirables que chez ceux n’en ayant pas eu (18). Enfin, plus récemment, Mourad et al. (19) ont montré, chez des transplantés rénaux recevant 2 g/j de MMF, que la concentration plasmatique de MPA mesurée 30 minutes après l’administration de MMF (C30 min) était corrélée avec la survenue d’effets indésirables. Bien que moins convaincante que la relation concentration/effet anti-rejet, la relation concentration/effets indésirables pourrait également justifier le suivi thérapeutique du MPA. En fait, comme l’ont montré certains auteurs (20), il existerait une relation entre les concentrations de MPA libre et l’apparition d’effets indésirables. 9 D O S S I E R Comment doser le MPA ? Le MPA est dosé sur du plasma ; les prélèvements de sang s’effectuent sur un tube EDTA, le plasma est ensuite séparé et stocké à - 20° C jusqu’au moment de l’analyse. Les prélèvements sont stables 8 heures à température ambiante, 96 heures à 4° C et 11 mois à - 20° C. Dans le cas du dosage du MPA libre, une étape supplémentaire d’isolement de la forme libre par ultracentrifugation peut être réalisée selon la technique de Weber et al. (21). Différentes options sont possibles en ce qui concerne le moment du prélèvement et la technique analytique à utiliser. Le calcul de l’ASC complète du MPA est actuellement la méthode de choix pour le suivi thérapeutique du MMF : il se fait sur 12 heures et nécessite la réalisation de prélèvements immédiatement avant T0 puis 20, 40, 75 minutes et 2, 6, 8 et 12 heures après la prise de MMF. Cette méthode étant lourde, coûteuse et contraignante, certains auteurs, initialement en pédiatrie (22), ont proposé d’estimer l’ASC totale du MPA à l’aide des ASC abrégées réalisées sur un nombre restreint de prélèvements. Depuis, de nombreux modèles d’ASC abrégées ont été développés, donnant des corrélations plus ou moins satisfaisantes avec l’ASC complète. La revue de Willis et al. (23) présente un bilan des différentes méthodologies d’estimation de l’ASC totale du MPA à partir de l’ASC abrégées chez les transplantés rénaux, et aboutit à la conclusion que la meilleure prédiction est obtenue avec un modèle basé sur quatre prélèvements réalisés sur 6 heures (0, 1, 3 et 6 heures). Dans certains cas, notamment pour les patients ambulatoires, où il est difficile d’obtenir un prélèvement à 6 heures, un modèle sur 2 heures (0, 0,75 et 2 heures) ou même le seul T2h peuvent également donner une corrélation satisfaisante. La question reste cependant posée de savoir si ce modèle, établi chez des patients transplantés rénaux à fonction rénale stable, peut être transposé à d’autres populations de patients greffés. Enfin, même si la plupart des études n’ont pas retenu la mesure du T0 du MPA pour le suivi thérapeutique du MMF, sa détermination quotidienne pourrait s’avérer utile pendant les périodes d’ajustement de posologie du MMF. Plusieurs techniques analytiques sont proposées pour le suivi thérapeutique pharmacologique du MMF : immunoenzymatique de type EMIT, et chromatographie liquide à haute performance (CLHP) avec détection UV ou couplée à la spectrométrie de masse. La technique CLHP a une meilleure sensibilité (limite de sensibilité = 0,18 µg/ml) que la méthode EMIT (limite de sensibilité = 0,50 µg/ml). La spécificité vis-à-vis des médicaments coadministrés en transplantation et des composés endogènes est satisfaisante pour les deux techniques. Cependant, la méthode EMIT n’est pas spécifique du MPA inchangé ; en effet, le métabolite M2 est reconnu par l’anticorps utilisé par la méthodologie EMIT et engendre de ce fait une surestimation des concentrations de MPA d’environ 30 % par rapport à la CLHP (24, 25). Cette interférence du métabolite M2 pourrait s’avérer intéressante pour déterminer un “pool” pharmacologiquement actif de MPA et M2. 10 Il convient enfin de mentionner la possibilité d’une détermination, sur sang total ou sur lymphocytes isolés du patient, du degré d’inhibition de l’IMPDH in vivo par le MPA après administration du MMF (26), qui reste cependant difficile à appliquer en routine. Paradoxalement, Sanquer et al. (27) ont mis en évidence une diminution de l’effet inhibiteur du MPA sur l’IMPDH lors de traitements au long cours par le MMF. Cette étude remet en question l’utilisation prolongée du MMF ; toutefois, ce rebond de l’activité de l’IMPDH après deux ans de traitement par le MMF n’a pas été confirmé par d’autres études. Suivi thérapeutique du MMF en pédiatrie Une étude multicentrique actuellement en cours (28) visant à déterminer les paramètres pharmacocinétiques du MPA chez des patients pédiatriques transplantés rénaux recevant 600 mg/m2 de MMF montre que les valeurs de l’ASC du MPA total (libre et lié à l’albumine) sont comparables à celles obtenues chez l’adulte ; en outre, l’augmentation de cette ASC en fonction du temps post-transplantation est également retrouvée chez l’enfant transplanté rénal mais porte uniquement sur le MPA total ; l’ASC du MPA libre, bien que présentant une importante variabilité intra- et interindividuelle, n’augmente pas. Les autres paramètres pharmacocinétiques du MPA sont comparables à ceux de l’adulte, sauf le Tmax, qui est légèrement inférieur chez l’enfant. La corrélation entre l’ASC du MPA et la survenue de rejet aigu est également retrouvée chez l’enfant : une ASC comprise entre 30 et 60 µg.h/ml peut être considérée comme une zone thérapeutique durant les premiers mois post-transplantation. De plus, une fréquence accrue de rejet aigu est observée pour des valeurs du T0 du MPA < 1 µg/ml. Enfin, des valeurs élevées de l’ASC du MPA libre (> 600 ng.h/ml) semblent corrélées avec la survenue d’infections et d’effets indésirables imputables au MMF. CONCLUSION : QUAND DOSER LE MPA ? Le dosage du MPA ne semble pas devenir une mesure de routine comme dans le cas des anticalcineurines. Il peut cependant s’avérer utile lors de circonstances cliniques particulières : en post-transplantation immédiate, pour vérifier que les concentrations plasmatiques de MPA sont suffisantes ; pour identifier les échecs thérapeutiques liés à une mauvaise compliance du patient ; lors d’interactions médicamenteuses ou lors de l’apparition d’effets indésirables qui pourraient être imputés au MMF ; lors de modification du traitement immunosuppresseur. Enfin, la place du dosage de la forme libre du MPA reste à préciser, notamment chez les transplantés insuffisants rénaux, chez l’enfant greffé, et chez le transplanté adulte à distance de la greffe lorsque le MMF est utilisé pour permettre une réduction de posologie des anticalcineurines. O R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Bullingham RE, Nicholls AJ, Kamm BR. Clinical pharmacokinetics of mycophenolate mofetil. Clin Pharmacokinet 1998 ; 34 : 429-55. La Lettre du Pharmacologue - Volume 16 - n° 1 - janvier-février 2002 D 2. 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