MISE AU POINT Organisation de la surveillance des femmes traitées pour un cancer du sein en France : mise en commun d’expériences Follow-up of breast cancer patients: organization and experiences S. Houzard*, I. Dagousset*, P. Dupin*, S. Fridmann*, D. Hassoun* Où en sommes-nous ? * Réseau Gynécomed Île-de-France. L’augmentation de l’incidence des cancers du sein (doublement en 25 ans) associée à la diminution de la mortalité (décroissance annuelle de 1,3 %) ont abouti à une explosion de la file active des patientes devant être surveillées après leur traitement (1-3). Par exemple, 30 % des consultations d’un centre anticancéreux parisien correspondaient à des consultations de surveillance (4). Ces femmes doivent bénéficier d’une surveillance prolongée, puisqu’elles restent exposées toute leur vie à un risque de récidive et que la précocité du diagnostic des récidives conditionne leur survie (5, 6). Il faut donc penser une organisation du suivi, avec une répartition des tâches plus efficace entre la ville et l’hôpital, afin d’assurer aux patientes un suivi régulier de qualité. À ce jour, en France, la surveillance n’est ni systématiquement organisée, ni rationnelle en termes de coût et de sécurité. Les protocoles de suivi sont souvent hétérogènes d’un centre à l’autre, voire d’un médecin à l’autre dans un même centre. Des équipes confrontées à cette problématique ont mis sur pied des modes de fonctionnement originaux afin d’assurer à l’ensemble des patientes un suivi de qualité, un dépistage précoce des rechutes et la prise en charge des complications liées au cancer. Dès 1998, le réseau Gynécomed a anticipé l’im- portance de ces difficultés organisationnelles et, avec l’institut Curie, a offert aux patientes traitées pour un cancer de pronostic favorable la possibilité d’un suivi entièrement délégué aux gynécologues de ville, en transférant les tâches, les compétences et les responsabilités jusque-là hospitalières à des médecins membres du réseau (7). À partir de 2003, le réseau s’est élargi à d’autres établissements franciliens. En mars 2010, il réunissait 227 gynécologues de ville, 6 médecins généralistes et 9 établissements franciliens (institut Curie, centre René-Huguenin, institut Gustave-Roussy, institut du Sein, groupe hospitalier [GH] des DiaconnessesCroix-Saint-Simon, GH Bichat-Beaujon, hôpital européen Georges-Pompidou, centre hospitalier [CH]Lariboisière, CH de Lagny). À cette date, les médecins de ville membres assuraient le suivi en ville de 1 574 patientes, traitées pour cancer du sein de pronostic favorable. Un protocole de suivi a été rédigé avec les équipes hospitalières, en accord avec les recommandations nationales et internationales (8-10), et des formations médicales continues ont été régulièrement organisées. En mai 2010, le réseau Gynécomed a souhaité rassembler des acteurs impliqués dans cette problématique afin d’échanger et de mettre en commun les expériences, d’autant qu’aucune rencontre au niveau national n’avait été organisée sur le thème de l’organisation de la surveillance. 26 | La Lettre du Sénologue • n° 56 - avril-mai-juin 2012 Séno 56juin.indd 26 26/06/12 09:11 Points forts Mots-clés Surveillance Cancer du sein Suivi en ville Délégations »» La délégation de la surveillance en ville des patientes atteintes de cancer du sein se développe dans plusieurs régions françaises depuis plus de 10 ans. Une rencontre a été organisée pour échanger et mettre en commun ces expériences. La délégation du suivi, quelle soit entière ou alternée, repose sur un protocole conforme aux recommandations nationales et internationales, et sur un retour de l’information vers l’hôpital. Ces nouveaux modes organisationnels sont de bonnes alternatives au suivi en centre qui peuvent, en déléguant la surveillance, se centrer sur leurs activités de soins et de recherche. Organisation d'une journée de rencontre entre les réseaux Il s’agissait dans un premier temps d’identifier des équipes susceptibles d’être intéressées. Le réseau Gynécomed a contacté les coordinateurs des réseaux régionaux de cancérologie et les présidents de collèges régionaux de gynécologie médicale. Ils ont pu diffuser l’invitation à une journée de rencontre sur le thème de l’organisation de la surveillance du cancer du sein aux personnes impliquées dans leur région. Un questionnaire a été envoyé aux équipes souhaitant assister à cette journée de travail. Il portait sur le niveau d’organisation de la surveillance hospitalière, la mise en place d’un suivi alterné, ou entièrement délégué avec les médecins de ville, l’existence d’un protocole et d’outils (fiche de suivi), l’existence ou non d’une charte d’adhésion et d’un consentement écrit pour les patientes. La synthèse des réponses au questionnaire est présentée dans le tableau. La rencontre a eu lieu le 27 mai 2010 à Paris. Onze régions étaient inscrites et 9 représentées : Pays de la Loire, Aquitaine, Champagne-Ardenne, Île-de- France (4 réseaux : Oncorif, Osmose, Surveillance alternée de l’institut Curie, réseau Gynécomed), Midi-Pyrénées, Guyane, Auvergne, PACA, PoitouCharentes. Ne pouvant être représentée, la région Lorraine a fait parvenir un document de synthèse. L’Institut national du cancer (INCa) était représenté par le Dr Mazeau-Woynar, responsable du département des recommandations pour les professionnels de santé. Compte rendu de cette journée Après une présentation des objectifs généraux de la surveillance par le Dr A. Fourquet (institut Curie), chaque région a présenté l’organisation de la surveillance mise en place sur son territoire. Le tableau résume les points principaux des différents fonctionnements. Parmi les 9 régions représentées, 7 ont mis ou mettent en place une organisation de la surveillance. Deux régions n’ont pas encore organisé cette surveillance et ont participé à la réunion pour s’informer des projets et réalisations existants. Highlights »The delegation of post-treatment breast cancer monitoring to primary-care physicians has been developed in several French regions. A meeting was organized to share these experiences. The follow-up, whether it is entirely delegated or shared in alternance with hospitals, relies on a protocol that adheres to national and international recommendations, with systematic feedback to the hospital. Delegating post-therapeutic monitoring provides a good alternative to follow-up in specialized centers, enabling them to focus their activities on care and research. Keywords Follow-up Early breast cancer Primary-care physicians Professional delegation Tableau. Organisation et mise en place dans chaque région pour la surveillance des cancers du sein. Surveillance alternée ChampagneArdenne PoitouCharentes Auvergne Pays de la Loire MidiPyrénées Île-deFrance Gynécomed Île-deFrance Curie Île-deFrance Osmose Aquitaine Partielle Oui En cours Oui Oui Non Oui Non Oui Autre Partielle Oui (après 5 ans) Oui Oui Oui Surveillance entièrement déléguée Lorraine Oui Non Organisation selon le niveau de risque Oui Oui Oui Non Oui Oui Oui Oui Non Protocole Oui Oui En cours Oui Oui Oui Oui Oui Oui Oui Fiche/carnet de suivi Oui Oui Oui Oui Oui Oui Oui Oui Oui Charte de bonne pratique/ d'adhésion Non Non Non Oui Oui Non Oui Oui Non 2002 2010 1998 1998 et 2004 2010 2007 2007 Non Oui Oui Non Oui Début de l’activité Consentement Oui 2003 Oui Oui Non Oui La Lettre du Sénologue • n° 56 - avril-mai-juin 2012 | Séno 56juin.indd 27 27 26/06/12 09:11 MISE AU POINT Protocoles de suivi L’examen des différentes situations locorégionales a permis de constater des attitudes convergentes en ce qui concerne les protocoles de suivi. Les recommandations nationales et internationales (5-9) sont appliquées par toutes les régions représentées. À partir de la fin des traitements, les femmes ont une consultation tous les 6 mois et une mammographie tous les ans durant les 5 premières années (éventuellement 3 consultations par an les 2 premières années) puis une consultation et une mammographie 1 fois par an. La durée de la surveillance n’est pas toujours précisée. Quand elle l’est, elle est prévue à vie. Partage des tâches entre ville et hôpital Selon les équipes, 2 types distincts de fonctionnement ont été développés : la surveillance alternée entre la ville et l’hôpital et la surveillance entièrement déléguée aux médecins de ville. La grande majorité des régions a privilégié la surveillance alternée où se succèdent de façon régulière une consultation hospitalière puis une consultation en ville. La surveillance alternée commence dès la fin des traitements et concerne l’ensemble des patientes en situation non métastatique. Dans le département de la Loire-Atlantique, elle se poursuit par une surveillance entièrement déléguée aux médecins de ville après 5 ans en l’absence de complication. Le réseau Gynécomed Île-de-France a pour sa part organisé une surveillance entièrement déléguée à la ville. Celle-ci concerne l’ensemble des patientes dès la fin du traitement s’il s’agit de femmes traitées pour un cancer de pronostic favorable. Les critères d’inclusion ont été définis de façon précise avec les équipes hospitalières (6). Cette surveillance déléguée est également possible pour les femmes ayant eu un cancer traité par chimiothérapie et traitements néoadjuvants, mais seulement après un recul de 5 ans sans récidive. L’ensemble des participants a considéré que le critère “pronostic du cancer” ne justifiait pas a priori tel mode de suivi plutôt que tel autre chez des patientes non métastatiques. Seul le choix de la patiente et celui du médecin de ville devraient entrer en ligne de compte dans l’orientation des patientes vers un suivi alterné ou vers un suivi entièrement délégué. Dans l’ensemble de ces organisations, une patiente peut intégrer de nouveau un dispositif de surveillance alternée ou entièrement déléguée après une récidive. Les 2 modalités de suivi coexistent sur certains territoires, voire sur une même institution (exemple des Pays de la Loire ou de l’institut Curie). Leur association apparaît même intéressante dans la mesure où le cumul des 2 systèmes déplace un maximum de consultations vers la ville, tout en respectant le choix du médecin de ville ainsi que celui de la patiente. Si le médecin de ville souhaite faire de la surveillance entièrement déléguée, l’hôpital délègue à chaque inclusion l’ensemble des consultations de surveillance ; s’il ne le souhaite pas, la surveillance se trouve répartie également entre ville et hôpital. L’évaluation et la mesure de la qualité de cette surveillance ont été abordées, et plus particulièrement le problème des patientes ne venant pas aux consultations de suivi. Le réseau Gynécomed a présenté son dispositif informatisé de relance des patientes pour lesquelles le réseau n’a pas reçu de nouvelles dans les délais prévus par le protocole. Carnet ou fiche de suivi Toutes les régions ayant mis en place une surveillance en réseau se sont dotées d’un carnet ou d’une fiche de suivi. Les fiches sont des supports d’informations médicales qui transitent de la ville vers l’établissement soignant, à chaque consultation de suivi. Certains centres ont développé un outil sophistiqué et performant (carnet des Pays de la Loire). L’évaluation de cet outil a montré que les médecins l’utilisent de façon adéquate et en sont satisfaits, tout comme les patientes. D’autres régions l’ont repris, avec le soutien d’un laboratoire pharmaceutique. Ce carnet apparaît à tous comme un outil essentiel pour informer le centre de l’évolution de l’état de santé des patientes. Il est, par ailleurs, indispensable pour mettre à jour les bases de données dont l’exhaustivité et la qualité sont nécessaires pour mener des études épidémiologiques et cliniques. Le réseau Oncomip a présenté le rôle que peuvent tenir les équipes mobiles de recherche clinique dans des projets de recherche rendus possibles par la qualité des bases de données alimentées par les fiches de suivi. Adhésion des médecins de ville et charte Cinq réseaux (Poitou-Charentes, Midi-Pyrénées, Îlede-France [réseau Gynécomed et réseau Osmose], Aquitaine) demandent l’adhésion des médecins de ville à une charte, 5 autres ne la demandent pas. Les chartes visent à s’assurer de la bonne qualité du suivi. Le médecin s’engage à respecter le protocole, notamment à prescrire les examens cliniques et complé- 28 | La Lettre du Sénologue • n° 56 - avril-mai-juin 2012 Séno 56juin.indd 28 26/06/12 09:11 MISE AU POINT mentaires prévus et à retourner les fiches de suivi. La ligne de partage entre dispositifs avec et sans charte n’est pas liée au type de suivi choisi puisqu’un réseau délègue entièrement après 5 ans de suivi alterné, sans charte (Pays de la Loire), et que, à l’inverse, beaucoup de réseaux de suivi alterné demandent une charte. L’adhésion à une charte des médecins de ville implique une plus grande complexité d’organisation, donc un surcroît de travail et un développement plus lent. Formation des médecins La formation des médecins de ville paraît essentielle à tous. Elle a été réalisée à des degrés variables et sous des formes diverses dans 5 régions (Pays de la Loire, Aquitaine, Île-de-France réseau Gynécomed, Poitou-Charentes, Lorraine). Le réseau Gynécomed a exposé les objectifs de la journée de formation qu’elle organise annuellement pour les médecins généralistes et les outils pédagogiques qui sont utilisés au cours de cette journée. Il existe une forte demande de mise en commun de ces outils pédagogiques. Difficultés rencontrées Il apparaît au cours des discussions qu’entreprendre ce type d’organisation d’emblée au niveau régional est plus difficile que de le créer au niveau local autour d’un centre. En effet, le développement et la pérennisation de tels dispositifs tiennent pour beaucoup à la rencontre entre des équipes hospitalières et des correspondants de ville, désireux d’aller plus loin dans une collaboration déjà existante. À l’échelle d’une région, il semble donc plus difficile de créer des conditions favorables à une bonne articulation entre ville et hôpital. La question du financement représente une difficulté majeure puisque les financements sont variables d’une région à une autre (budget des hôpitaux ou financement de réseaux). Ces financements sont non pérennes. Le travail, indispensable au maintien de la qualité d’un réseau de ce type, repose souvent sur des personnes ressources, dynamiques, motivées mais bénévoles et il est nécessaire, si on veut maintenant pérenniser le système, de le professionnaliser en créant des postes dédiés. Pour ces équipes, la question de financer le travail des médecins de ville impliqués dans ce réseau se pose aussi. La diminution de la démographie médicale en ville et le défaut d’informatisation de certains médecins ont été également évoqués comme des difficultés. Conclusion Dans le cadre d’un dépistage secondaire organisé, qui contribue à l’amélioration du pronostic à long terme de la maladie, la surveillance des femmes atteintes d’un cancer du sein vise à assurer un diagnostic précoce des rechutes. Les contraintes liées à la forte prévalence de la maladie et à la démographie médicale posent avec acuité la question de la répartition des tâches entre la ville et l’hôpital. Beaucoup d’équipes présentes lors de cette journée sont conscientes de ces enjeux et ont d’ores et déjà mis en œuvre des systèmes de surveillance originaux qui ont montré leur faisabilité, y compris à l’échelle régionale. Elles se heurtent à des difficultés de financement et cherchent des solutions permettant de pérenniser ces expériences. Les échanges entre équipes impliquées ont été particulièrement fructueux, et ont permis d’exposer les différences mais aussi les similitudes des pratiques existantes. S’il existe des différences de niveau de répartition des tâches (suivi alterné ou délégué) ou la signature d’une charte d’adhésion, il existe un accord de tous sur les protocoles de suivi et l’utilisation d’un carnet de suivi. Ces échanges mériteraient d’être poursuivis, notamment sur les principes de fonctionnement plus débattus comme le principe de charte, de consentement ou encore les indicateurs de qualité à suivre. Les savoirs et expériences des uns et des autres devraient pouvoir être mis en commun et utilisés plus largement, notamment concernant le carnet de suivi et le contenu des formations. Il est apparu au cours de cette journée que les acteurs sur le terrain mesurent l’intérêt qu’il y a pour tous, cancérologues et médecins de ville, à travailler plus étroitement. ■ Remerciements Nous remercions vivement l’ensemble des participants à cette rencontre : Dr Dravet (Pays de la Loire), Drs Kern, Wimard et Mauriac (Aquitaine), Dr Curet (Champagne-Ardenne), Île-de-France : S. Burnel (Oncorif), Dr Estocq (réseau Osmose), les Drs Campana et Fourquet (institut Curie), Drs De Lafontan et Bauvin (Midi-Pyrénées), Dr Clayette (Guyane), Dr Van Praagh (Auvergne), Drs Gibert et Odier (PACA), Pr Daban (Poitou-Charentes), Dr Mazeau-Woynar (INCa). Références bibliographiques 1. Institut national du cancer. La situation du cancer en France en 2010. Novembre 2010. Disponible sur le site Internet de l’INCa http://www.e-cancer.fr 2. Estève J. Qui ? Combien ? Tentative de description démographique de la population concernée. Lettre du Sénologue 2005;Suppl. au n° 29. 3. Institut national du cancer. Survie attendue des patients atteints de cancer en France : état des lieux. Avril 2010. Disponible sur le site Internet de l’INCa http://www.e-cancer.fr 4. Collins RF, Bekker HL, Dodwell DJ. Follow-up care of patients treated for breast cancer: a structured review. Cancer Treat Rev 2004;30:19-35. 5. Montgomery DA, Krupa K, Jack WJ et al. Changing pattern of the detection of locoregional relapse in breast cancer: the Edinburgh experience. Br J Cancer 2007;96:1802-7. 6. Chargari C, Kirova Y, Bollet M et al. Shared responsibility for follow-up of breast cancer patients. Experience of the Institut Curie. Bull Cancer 2008;95:1047-51. 7. Dagousset I. Réseau Gynécomed Île-de-France. Expérience d’un réseau ville-hôpital de suivi des cancers du sein. Lettre du Sénologue 2007;36:26-8. 8. Groupe de travail coordonné par B. Cutuli. Recommandations pour la prise en charge des carcinomes canalaires in situ du sein. Institut national contre le cancer. Octobre 2009. Disponible sur www.e-cancer.fr 9. Guide ALD 30. Guide médecin sur le cancer du sein. Institut national contre le cancer et Haute Autorité de santé. Janvier 2010. Disponible sur www.ecancer.fr 10. Khatcheressian JL, Wolff AC, Smith TJ et al. American Society of Clinical Oncology 2006 update of the breast cancer follow-up and management guidelines in the adjuvant setting. J Clin Oncol 2006;24:5091-7. La Lettre du Sénologue • n° 56 - avril-mai-juin 2012 | Séno 56juin.indd 29 29 26/06/12 09:11