examen de la cavité buccale et d’adresser le patient
à un dentiste ou à un stomatologue pour une remise
en état si nécessaire : traitement des foyers infec-
tieux, suppression des facteurs traumatisants, etc.
(encadré 1) [5]. Des outils simples ont été élaborés
pour aider à juger de l’état de la bouche, comme la
grille OAG (Oral Assessment Guide) [15]. L’état nutri-
tionnel du patient doit être évalué et il faut donner
des conseils hygiéno- diététiques : éviter les produits
épicés et alcoolisés, les dentifrices mentholés, les
aliments potentiellement traumatisants, utiliser une
brosse à dents souples, assurer une hygiène opti-
male de la bouche et des prothèses (5). L’hydratation
doit être importante (au moins 2 litres par jour). La
prévention par des bains de bouche antiseptiques
ou au bicarbonate semble peu effi cace dans le cas
des mucites induites par les inhibiteurs de mTOR (7).
Le traitement curatif des stomatites sous thérapie
ciblée consiste en des soins de support et en une
réduction des doses si nécessaire, voire l’interruption
momentanée du traitement, décisions prises en fonc-
tion de la sévérité (7, 16). Les bains de bouche pluri-
quotidiens à base de bicarbonate de sodium à 1,4 %
avant et après les repas restent recommandés, même
s’ils n’ont jamais fait la preuve de leur effi cacité, sans
antifongiques s’il n’y a pas de surinfection fongique
documentée. Il est possible d’y associer des anesthé-
siques locaux et/ou des corticoïdes (méthylpredniso-
lone hémisuccinate) si la composante infl ammatoire
est très importante (16). On peut également y ajouter
des comprimés de misoprostol (cytoprotecteur). On
peut appliquer localement, sur les lésions, du gel de
lidocaïne chlorhydrate mono hydrate (anesthésiant)
ou du sucralfate (ce dernier peut également être admi-
nistré oralement sous forme de solution buvable).
Les antalgiques doivent être adaptés au niveau de
douleur ; les morphiniques sont souvent indispen-
sables à partir du grade 3. Les patchs peuvent être
intéressants en cas de diffi cultés à avaler. L’application
locale de corticoïdes semble apporter aux patients un
soulagement rapide (17). Ce traitement par corticoïdes
locaux est d’ailleurs utilisé par les transplanteurs,
qui sont également confrontés au problème de la
mucite chez leurs patients recevant un traitement
immunosuppresseur par inhibiteurs de mTOR (18, 19).
Il n’existe pas de forme galénique spécifi que, et on
applique donc directement un dermocorticoïde sur
les lésions aphtoïdes. Des essais sont en cours pour
valider cette stratégie thérapeutique et mieux défi nir
ses modalités (encadré 2). L’utilisation de facteurs de
croissance des kératinocytes (palifermine) n’a pas été
étudiée dans les stomatites liées aux thérapies ciblées
et ils ne peuvent donc pas être recommandés dans
128 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XXIII - n° 3 - mars 2014
SOINS ONCOLOGIQUES
DE SUPPORT
Quel est votre rôle en tant qu’odontologiste travaillant dans un centre de
lutte contre le cancer ?
Avant l’instauration de certains traitements anticancéreux, les patients me sont adressés
pour un bilan buccodentaire. Idéalement, cela devrait être fait dès la consultation d’annonce.
Un orthopantomogramme est prescrit, puis je procède à un examen clinique : les dents
délabrées sont avulsées avant le début du traitement et les soins nécessaires, comportant un
détartrage très minutieux, sont effectués par le chirurgien-dentiste. Une éducation à l’hygiène
buccodentaire est mise en place (3 brossages par jour avec une brosse à dents souple, voire
chirurgicale, plus 8à10bains de bouche au bicarbonate à 1,4 %).
Si, malgré la prévention, une mucite survient, quelle est, selon vous, la conduite
à tenir ?
Selon le grade de la mucite, la prise en charge est différente, mais dès le grade 1, je préconise
la poursuite des bains de bouche pluriquotidiens au bicarbonate à 1,4 %. J’insiste sur le fait
qu’aucun autre produit ne doit être ajouté à cette solution. Il existe aussi maintenant des bains
de bouche contenant du bicarbonate et de la glycérine, qui sont plus simples d’utilisation pour
le patient car ils ont une meilleure stabilité et donc se conservent plus longtemps. Mais ces
produits ne sont pas remboursés. Les solutions alcooliques sont proscrites. À partir du grade3,
le patient ne peut plus se brosser les dents à cause de la douleur, l’hygiène de la bouche est
assurée en utilisant des bâtonnets de mousse pédiatriques que l’on trempe dans une solution
bicarbonatée ou dans de l’eau oxygénée à 3 %. Pour le traitement des lésions, dès le grade2, je
pratique des séances de laser, basse énergie, hélium-néon. Je réalise en général 2ou3séances.
Le patient constate une amélioration dès la première. Ce traitement est indolore, très effi cace,
très simple d’utilisation, mais demande du temps s’il y a beaucoup de lésions. Ensuite, j’applique
sur la muqueuse buccale de la paraffi ne, qui forme un écran protecteur (sauf si le patient est
sous oxygène). Des antalgiques sont prescrits dès le grade2, et l’alimentation est adaptée
selon le grade. En cas de surinfection, un traitement antibiotique peut être indiqué.
La prise en charge est-elle différente selon que la stomatite est provoquée
par une radiothérapie, une chimiothérapie cytotoxique ou une thérapie ciblée ?
La stratégie, prophylactique ou curative, est identique dans tous les cas. Le plus important est
une prise en charge la plus précoce possible et l’éducation du patient.
Encadré 1. Point de vue du Dr D. Collangettes (odontologiste, centre Jean-Perrin,
Clermont-Ferrand).
Dans votre pratique, comment traitez-vous les mucites induites par les
traitements anticancéreux?
Dans le cas des mucites provoquées par les chimiothérapies, je prescris des bains de bouche
de corticoïdes pour l’effet anti-infl ammatoire et, parfois, des bains de bouche à la povidone
iodée pour l’effet antiseptique. Les mucites induites par les thérapies ciblées sont différentes
dans leur présentation clinique et plus localisées puisqu’elles provoquent des ulcérations
aphtoïdes; j’utilise donc un traitement local à base de dermocorticoïdes (clobétasol). Comme
il n’existe pas de forme galénique adaptée à la cavité buccale, il faut commencer par assécher
la muqueuse au moyen d’une compresse puis appliquer le dermocorticoïde au doigt. On peut
aussi prescrire des préparations magistrales à base de corticoïdes et de lidocaïne. Quand les
lésions sont très douloureuses, les patients sont en général bien soulagés par une séance de
laser à basse énergie, suivie d’un relais par corticoïdes locaux. En fait, il faut bien reconnaître
qu’il n’existe aucun traitement préventif ni curatif qui ait fait la preuve de son effi cacité, en
dehors de la palifermine, dont l’usage est très limité, et du laser. Même les traditionnels bains
de bouche au bicarbonate font partie des habitudes de prescription, des idées reçues que l’on
ne cherche pas à remettre en question, mais ils n’ont jamais démontré leur effet; d’autre
part, réaliser 10 bains de bouche par jour comme le préconisent les recommandations est
impossible pour la plupart des patients. Finalement, chaque centre utilise ses propres recettes
(
magic mouthwash
, pour reprendre l’expression des Anglo-Saxons). On manque vraiment de
traitements spécifi ques et d’études de bon niveau de preuve pour améliorer la prise en charge
des mucites induites par les traitements anticancéreux.
Encadré 2. Point de vue du Pr J.C. Fricain (consultation de pathologies de la muqueuse
buccale, unité de médecine buccodentaire, hôpital Pellegrin, Bordeaux).