SOINS ONCOLOGIQUES DE SUPPORT Prise en charge de la toxicité des thérapies ciblées sur les muqueuses buccales et gastro-intestinales dans le traitement du cancer du sein Le cas particulier des stomatites sous inhibiteur de mTOR Management of biotherapy-induced toxicity on oral and gastrointestinal mucosa in the treatment of breast cancer The specific case of stomatitis provoked by TOR inhibitors R.J. Bensadoun*, D. Collangettes**, J.C. Fricain*** P R.J. Bensadoun déclare ne pas avoir de liens d’intérêts. Les autres auteurs n’ont pas précisé leurs éventuels liens d’intérêts. * Centre de Haute-Énergie, Nice. ** Centre Jean-Perrin, ClermontFerrand. *** Hôpital Pellegrin et université de Bordeaux. armi les effets indésirables des traitements anticancéreux, les lésions des muqueuses buccales et gastro-intestinales font partie des plus constants et des plus limitants. Même s’ils ne savent pas totalement les contrôler, les oncologues sont donc familiarisés avec ces toxicités lorsqu’elles sont provoquées par la radiothérapie et/ou la chimiothérapie. Les biothérapies ou thérapies ciblées, qui font maintenant partie des standards de traitement, ont initialement été considérées comme beaucoup mieux tolérées que les cytotoxiques. Depuis, on a appris à reconnaître leurs effets indésirables et constaté que certaines thérapies ciblées s’accompagnent d’une atteinte très fréquente des muqueuses. Cependant, celle-ci diffère de l’atteinte radio- et/ou chimio-induite et le clinicien s’interroge souvent devant ces lésions : de quoi s’agit-il exactement ? Comment en apprécier la sévérité ? Comment les prévenir et les traiter ? Dans cet article, nous allons tenter de faire le point sur ces questions, en illustrant notre propos avec le 124 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XXIII - n° 3 - mars 2014 cas du cancer du sein, et plus spécifiquement celui des mucites provoquées par les inhibiteurs de mTOR dans cette indication. La mucite ou les mucites ? Définition de la mucite La mucite est une altération de l’épithélium et du tissu conjonctif sous-jacent se traduisant par des ulcérations (1). Ces lésions s’étendent de la bouche à l’anus mais, en pratique, le terme de mucite est souvent synonyme de lésions de la muqueuse buccale et oropharyngée. De fait, les atteintes digestives hautes, gastriques et œsophagiennes sont rarement rapportées et la mucite du tube digestif bas n’est généralement identifiée que par l’existence d’une diarrhée, effet indésirable par ailleurs quasi constant des traitements pharmacologiques et manquant donc totalement de spécificité. SOINS ONCOLOGIQUES DE SUPPORT Or, l’altération de la muqueuse intestinale provoque également d’autres symptômes (ballonnements, douleurs abdominales) et une malabsorption qui contribue à la dénutrition. Il ne faut donc pas négliger ces effets sur la muqueuse digestive, eux aussi responsables d’une altération de la qualité de vie et de limitations dans le traitement. Conséquences de la mucite selon la sévérité des lésions Les conséquences de la mucite peuvent aller de la simple gêne à la mise en jeu du pronostic vital. Lorsqu’elle est sévère, elle engendre un inconfort et une douleur qui peuvent provoquer désocialisation et altération de la qualité de vie. La limitation de l’alimentation peut dégrader l’état nutritionnel du patient et nécessiter la mise en œuvre d’une nutrition entérale ou parentérale. La sévérité des lésions peut également nécessiter la réduction des doses, voire l’interruption plus ou moins prolongée du traitement anticancéreux, et donc entraîner une perte de chance pour le patient. Si la décision de réduction des doses n’est pas prise par le médecin, on peut penser que, dans un certain nombre de cas, le patient qui souffre à cause de son traitement en prend lui-même l‘initiative. La sévérité des mucites est déterminée par le grade, NCI-CTC ou OMS, qui combine les signes cliniques à l’examen et les signes fonctionnels (tableaux I et II). Différents types de mucite ◆ Mucites radio- ou chimio-induites Les lésions provoquées par les différents types de traitement varient en termes d’incidence, de sévérité et de présentation clinique : il n’y a pas “une” mais “des” mucites. La radiothérapie possède une action toxique locale, directe, sur la muqueuse. Dans les cancers de la tête Tableau I. Sévérité de la mucite orale, grades NCI-CTC version 3.0 et OMS. NCI-CTC Grade OMS Signes cliniques Signes fonctionnels 0 Absence de mucite 1 Érythème de la muqueuse Symptômes minimes, alimentation normale Érythème, sensation désagréable (douleur) 2 Ulcérations isolées ou pseudomembranes Symptomatique mais possibilité de s’alimenter avec une diététique adaptée Érythème, ulcères, alimentation solide possible 3 Ulcérations confluentes, pseudomembranes, hémorragie au contact Symptomatique et incapacité à s’alimenter et à s’hydrater de manière correcte Ulcères, alimentation uniquement liquide possible 4 Nécrose, hémorragie spontanée Symptomatique avec menace du pronostic vital Alimentation per os impossible, alimentation entérale (par sonde) ou parentérale obligatoire 5 Absence de mucite Décès Décès Tableau II. Sévérité de la diarrhée (grade NCI-CTC). NCI-CTC Grade 1 • Diarrhées (quelle qu’en soit l’origine : intestin grêle, côlon ou stomie) • Augmentation de moins de 4 selles de plus que le nombre habituel de selles par jour Grade 2 • Augmentation de 4 à 6 selles de plus que le nombre habituel de selles par jour • Hydratation intraveineuse nécessaire pendant moins de 24 heures • Pas d’impact sur la vie quotidienne Grade 3 • Augmentation supérieure à 7 selles de plus que le nombre habituel de selles par jour • Hydratation intraveineuse nécessaire pendant 24 heures ou plus • Hospitalisation requise Impact sur la vie quotidienne Grade 4 • Risque vital (signe de choc, etc.) La Lettre du Cancérologue • Vol. XXIII - n° 3 - mars 2014 | 125 SOINS ONCOLOGIQUES DE SUPPORT et du cou, elle provoque une mucite de façon très fréquente, voire constante lorsqu’elle est associée à une chimiothérapie, une forte proportion de cas se révélant sévères (1, 2). De la même façon, les patients qui reçoivent un conditionnement myéloablatif avant greffe de cellules souches hématopoïétiques développent presque systématiquement des lésions de mucite, qui sont habituellement sévères (2). La chimiothérapie seule provoque aussi des mucites, avec une fréquence variable selon les protocoles utilisés (3). Une étude prospective récente a montré une prévalence globale de 64 % tous cancers et protocoles confondus, avec une plus grande fréquence observée dans les cancers du sein (4). Cliniquement, ces mucites se présentent comme une inflammation douloureuse de la cavité buccale avec un érythème, puis des ulcérations irrégulières, plus ou moins superficielles et confluentes et souvent recouvertes de pseudomembranes, apparaissent dans la bouche sur les muqueuses non kératinisées, avec extension œsophagienne possible (5, 6). Une surinfection fongique est fréquemment associée (5). dans la survenue des effets indésirables. Enfin, elles provoquent également d’autres effets (agueusie, sécheresse de la bouche) qui, même en l’absence de lésions apparentes, peuvent accentuer les conséquences néfastes sur l’alimentation (6). La physiopathologie de la mucite sous thérapie ciblée est mal connue. Pour les inhibiteurs de mTOR, il pourrait s’agir d’un effet direct de l’inhibition des voies impliquées dans la croissance cellulaire et la réparation tissulaire. ◆ Mucites sous thérapies ciblées Les mucites induites par les thérapies ciblées ne répondent pas à la même physiopathologie et se manifestent par des lésions différentes. Mais cette distinction ne suffit pas : les thérapies ciblées varient aussi entre elles quant à leur pouvoir “mucitogène”, très variable selon que l’on considère les anti-EGFR, les anti-VEGF, les inhibiteurs de mTOR ou les inhibiteurs de tyrosine kinase (ITK) multicibles (tableau III). L’incidence des mucites a été initialement sous-estimée car elles étaient peu rapportées dans les études cliniques. Par ailleurs, les thérapies ciblées sont fréquemment associées aux chimiothérapies cytotoxiques. Il est alors difficile de distinguer la part des unes ou des autres Description des mucites sous inhibiteurs de mTOR Toxicité muqueuse des inhibiteurs de mTOR dans le cancer du sein Le traitement du cancer du sein s’est radicalement modifié au cours des dernières années avec l’introduction des thérapies ciblées. Récemment, l’évérolimus a obtenu une autorisation de mise sur le marché (AMM) en association avec l’exémestane dans les cancers hormonosensibles. La stomatite fait partie des toxicités les plus fréquentes et les plus limitantes des inhibiteurs de mTOR. Une revue de 44 études ayant inclus plus de 2 800 patients (dont 345 atteints d’un cancer du sein) a montré que la mucite était l’événement indésirable le plus fréquent tous grades confondus (73,4 %), et le troisième plus fréquent des événements indésirables de grade 3 ou 4 (20,7 % des patients et 10 % de l’ensemble des mucites), responsable de 27 % des réductions de dose et de 13 % des arrêts de traitement pour toxicité (7). On utilise plus volontiers le terme de Tableau III. Incidence des mucites sous thérapie ciblée dans le cancer du rein (5). Sunitinib Grades 1-4 (3-4) Sorafénib Grades 1-4 (3-4) Bévacizumab Grades 1-4 (3-4) Temsirolimus Grades 1-4 (3-4) Évérolimus Grades 1-4 (3-4) Pazopanib Grades 1-4 (3-4) 45 (3) 21 (6) 30 (0) 41 (3) 40 (9) < 10 (< 1) Épistaxis (%) 7-12 (1) <5 Près de 50 Dysgueusie (%) 44 (< 1) Ostéonécrose de la mâchoire Quelques cas rapportés Non rapporté Non rapporté Mucite (%) 126 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XXIII - n° 3 - mars 2014 15 Quelques cas rapportés Quelques cas rapportés Non rapporté SOINS ONCOLOGIQUES DE SUPPORT stomatite que celui de mucite pour les lésions orales. Il s’agit généralement d’ulcérations aux contours réguliers “à l’emporte-pièce”, de petite taille mais parfois profondes, très douloureuses et d’évolution prolongée, entourées parfois d’un halo érythémateux, évoquant une stomatite aphteuse ou herpétique. Ces ulcérations touchent la muqueuse jugale, les lèvres, la langue et le plancher de la bouche (muqueuses non kératinisées) et entraînent une gêne fonctionnelle souvent très importante par rapport à l’aspect macroscopique et à la taille de la lésion, généralement inférieure à 0,5 cm de diamètre (5, 6, 8). Elles apparaissent rapidement après le début du traitement, avec un pic de fréquence vers le cinquième jour (8), mais certaines études rapportent plutôt une durée médiane de 15 jours entre le début du traitement et l’apparition des lésions (étude BOLERO-2) [9]. Elles semblent associées à une plus grande fréquence des événements indésirables dermatologiques, tels que les rashs (8), ce qui suggère un mécanisme physiopathologique très différent de celui des lésions radio- et/ou chimio-induites. Des effets digestifs sont associés dans un tiers des cas environ (5). Les stomatites sous inhibiteur de mTOR disparaissent souvent en 2 à 3 semaines sans laisser de cicatrices et elles récidivent dans environ 25 % des cas (5). les ulcérations peuvent ne pas être rapportées en raison de leur petite taille. La version 4.0 est certainement plus performante. Prise en charge prophylactique et curative des mucites sous thérapie ciblée Les recommandations publiées jusqu’à maintenant par l’Association francophone pour les soins oncologiques de support (AFSOS), l’European Society for Medical Oncology (ESMO) ou la Multinational Association of Supportive Care in Cancer (MASCC) [2, 13, 14] concernent les mucites radio- et/ou chimioinduites ; il n’est fait aucune mention de celles provoquées par les thérapies ciblées. D’autre part, elles reposent le plus souvent sur des avis d’experts car il y a très peu d’essais cliniques de haut niveau de preuve. On peut penser qu’en matière de prévention, les mesures générales s’appliquent à tous les types de traitement (mesures d’hygiène et de soins buccodentaires). Avant de débuter un traitement par thérapie ciblée, il convient donc de réaliser un Tableau IV. Incidence des mucites sous inhibiteurs de mTOR dans le cancer du sein (principales études comparatives). Méthodologie Tous grades confondus (%) Grade 3-4 (%) Évérolimus + tamoxifène (n = 54) versus tamoxifène (n = 57) 56 versus 7 11 versus 0 Évérolimus 10 mg/j (n = 33) versus évérolimus 70 mg/sem. (n = 16) 13 versus 4 0 versus 0 Évérolimus + létrozole (n = 139) versus létrozole + placebo (n = 132) 36,5 versus 6,1 2,2 versus 0 Évérolimus + exémestane (n = 485) versus exémestane (n = 239) 56 versus 11 8 versus 1 Évérolimus + paclitaxel (n = 202) versus paclitaxel (n = 201) 66,8 versus 54,1 7,1 versus 2,6 Chan 2005 Temsirolimus 75 mg/sem. (n = 55) versus temsirolimus 250 mg/sem. (n = 54) 75 versus 65 6 versus 14 HORIZON Wolff 2013 Temsirolimus 30 mg/j + létrozole (n = 556) versus létrozole (n = 556) 26 versus 2 12 versus < 1 Incidence Dans le cas particulier du cancer du sein, c’est surtout l’évérolimus qui a été étudié puisque la molécule a reçu récemment une AMM. L’incidence des mucites sous évérolimus est proche de 55 % tous grades confondus (tableau IV). Il faut noter que l’incidence et la sévérité des mucites sous inhibiteur de mTOR dans le cancer du sein semblent légèrement supérieures à celles observées dans d’autres types de cancer ; dans les cancers du rein, il y a 44 % de stomatites tous grades confondus et 4 % de grade 3 ou 4 (10). Cependant, elles sont comparables à celles publiées, par exemple, dans le traitement des tumeurs neuroendocrines digestives : dans les études RADIANT-2 et RADIANT-3, il y a eu respectivement 62 et 64 % de stomatites tous grades confondus et respectivement 7 et 7 % de grade 3 ou 4 (11, 12). Les formes de grade 3-4 sont assez rares. La plupart sont de grade 2, ce qui entraîne déjà une gêne significative pour le patient. Il faut noter que la version 3.0 du NCI-CTC n’est pas réellement appropriée à la cotation de la sévérité des stomatites associées aux inhibiteurs de mTOR car Évérolimus Études de phase II TAMRAD Ellard 2009 Baselga 2009 Études de phase III BOLERO-2 GBG-44 Temsirolimus La Lettre du Cancérologue • Vol. XXIII - n° 3 - mars 2014 | 127 SOINS ONCOLOGIQUES DE SUPPORT Quel est votre rôle en tant qu’odontologiste travaillant dans un centre de lutte contre le cancer ? Avant l’instauration de certains traitements anticancéreux, les patients me sont adressés pour un bilan buccodentaire. Idéalement, cela devrait être fait dès la consultation d’annonce. Un orthopantomogramme est prescrit, puis je procède à un examen clinique : les dents délabrées sont avulsées avant le début du traitement et les soins nécessaires, comportant un détartrage très minutieux, sont effectués par le chirurgien-dentiste. Une éducation à l’hygiène buccodentaire est mise en place (3 brossages par jour avec une brosse à dents souple, voire chirurgicale, plus 8 à 10 bains de bouche au bicarbonate à 1,4 %). Si, malgré la prévention, une mucite survient, quelle est, selon vous, la conduite à tenir ? Selon le grade de la mucite, la prise en charge est différente, mais dès le grade 1, je préconise la poursuite des bains de bouche pluriquotidiens au bicarbonate à 1,4 %. J’insiste sur le fait qu’aucun autre produit ne doit être ajouté à cette solution. Il existe aussi maintenant des bains de bouche contenant du bicarbonate et de la glycérine, qui sont plus simples d’utilisation pour le patient car ils ont une meilleure stabilité et donc se conservent plus longtemps. Mais ces produits ne sont pas remboursés. Les solutions alcooliques sont proscrites. À partir du grade 3, le patient ne peut plus se brosser les dents à cause de la douleur, l’hygiène de la bouche est assurée en utilisant des bâtonnets de mousse pédiatriques que l’on trempe dans une solution bicarbonatée ou dans de l’eau oxygénée à 3 %. Pour le traitement des lésions, dès le grade 2, je pratique des séances de laser, basse énergie, hélium-néon. Je réalise en général 2 ou 3 séances. Le patient constate une amélioration dès la première. Ce traitement est indolore, très efficace, très simple d’utilisation, mais demande du temps s’il y a beaucoup de lésions. Ensuite, j’applique sur la muqueuse buccale de la paraffine, qui forme un écran protecteur (sauf si le patient est sous oxygène). Des antalgiques sont prescrits dès le grade 2, et l’alimentation est adaptée selon le grade. En cas de surinfection, un traitement antibiotique peut être indiqué. La prise en charge est-elle différente selon que la stomatite est provoquée par une radiothérapie, une chimiothérapie cytotoxique ou une thérapie ciblée ? La stratégie, prophylactique ou curative, est identique dans tous les cas. Le plus important est une prise en charge la plus précoce possible et l’éducation du patient. Encadré 1. Point de vue du Dr D. Collangettes (odontologiste, centre Jean-Perrin, Clermont-Ferrand). Dans votre pratique, comment traitez-vous les mucites induites par les traitements anticancéreux ? Dans le cas des mucites provoquées par les chimiothérapies, je prescris des bains de bouche de corticoïdes pour l’effet anti-inflammatoire et, parfois, des bains de bouche à la povidone iodée pour l’effet antiseptique. Les mucites induites par les thérapies ciblées sont différentes dans leur présentation clinique et plus localisées puisqu’elles provoquent des ulcérations aphtoïdes ; j’utilise donc un traitement local à base de dermocorticoïdes (clobétasol). Comme il n’existe pas de forme galénique adaptée à la cavité buccale, il faut commencer par assécher la muqueuse au moyen d’une compresse puis appliquer le dermocorticoïde au doigt. On peut aussi prescrire des préparations magistrales à base de corticoïdes et de lidocaïne. Quand les lésions sont très douloureuses, les patients sont en général bien soulagés par une séance de laser à basse énergie, suivie d’un relais par corticoïdes locaux. En fait, il faut bien reconnaître qu’il n’existe aucun traitement préventif ni curatif qui ait fait la preuve de son efficacité, en dehors de la palifermine, dont l’usage est très limité, et du laser. Même les traditionnels bains de bouche au bicarbonate font partie des habitudes de prescription, des idées reçues que l’on ne cherche pas à remettre en question, mais ils n’ont jamais démontré leur effet ; d’autre part, réaliser 10 bains de bouche par jour comme le préconisent les recommandations est impossible pour la plupart des patients. Finalement, chaque centre utilise ses propres recettes (magic mouthwash, pour reprendre l’expression des Anglo-Saxons). On manque vraiment de traitements spécifiques et d’études de bon niveau de preuve pour améliorer la prise en charge des mucites induites par les traitements anticancéreux. Encadré 2. Point de vue du Pr J.C. Fricain (consultation de pathologies de la muqueuse buccale, unité de médecine buccodentaire, hôpital Pellegrin, Bordeaux). 128 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XXIII - n° 3 - mars 2014 examen de la cavité buccale et d’adresser le patient à un dentiste ou à un stomatologue pour une remise en état si nécessaire : traitement des foyers infectieux, suppression des facteurs traumatisants, etc. (encadré 1) [5]. Des outils simples ont été élaborés pour aider à juger de l’état de la bouche, comme la grille OAG (Oral Assessment Guide) [15]. L’état nutritionnel du patient doit être évalué et il faut donner des conseils hygiéno-diététiques : éviter les produits épicés et alcoolisés, les dentifrices mentholés, les aliments potentiellement traumatisants, utiliser une brosse à dents souples, assurer une hygiène optimale de la bouche et des prothèses (5). L’hydratation doit être importante (au moins 2 litres par jour). La prévention par des bains de bouche antiseptiques ou au bicarbonate semble peu efficace dans le cas des mucites induites par les inhibiteurs de mTOR (7). Le traitement curatif des stomatites sous thérapie ciblée consiste en des soins de support et en une réduction des doses si nécessaire, voire l’interruption momentanée du traitement, décisions prises en fonction de la sévérité (7, 16). Les bains de bouche pluriquotidiens à base de bicarbonate de sodium à 1,4 % avant et après les repas restent recommandés, même s’ils n’ont jamais fait la preuve de leur efficacité, sans antifongiques s’il n’y a pas de surinfection fongique documentée. Il est possible d’y associer des anesthésiques locaux et/ou des corticoïdes (méthylprednisolone hémisuccinate) si la composante inflammatoire est très importante (16). On peut également y ajouter des comprimés de misoprostol (cytoprotecteur). On peut appliquer localement, sur les lésions, du gel de lidocaïne chlorhydrate monohydrate (anesthésiant) ou du sucralfate (ce dernier peut également être administré oralement sous forme de solution buvable). Les antalgiques doivent être adaptés au niveau de douleur ; les morphiniques sont souvent indispensables à partir du grade 3. Les patchs peuvent être intéressants en cas de difficultés à avaler. L’application locale de corticoïdes semble apporter aux patients un soulagement rapide (17). Ce traitement par corticoïdes locaux est d’ailleurs utilisé par les transplanteurs, qui sont également confrontés au problème de la mucite chez leurs patients recevant un traitement immunosuppresseur par inhibiteurs de mTOR (18, 19). Il n’existe pas de forme galénique spécifique, et on applique donc directement un dermocorticoïde sur les lésions aphtoïdes. Des essais sont en cours pour valider cette stratégie thérapeutique et mieux définir ses modalités (encadré 2). L’utilisation de facteurs de croissance des kératinocytes (palifermine) n’a pas été étudiée dans les stomatites liées aux thérapies ciblées et ils ne peuvent donc pas être recommandés dans SOINS ONCOLOGIQUES DE SUPPORT cette indication. Le laser de basse énergie a démontré son efficacité pour réduire l’incidence et la sévérité des mucites induites par de hautes doses de chimiothérapie ou une association radiochimiothérapie (20). Cependant, on manque de données sur l’utilisation de cette technique dans la prise en charge des mucites sous thérapies ciblées et l’on espère que les études en cours nous apporteront les réponses à ces questions. En cas de dysphagie importante avec carences nutritionnelles, une suppléance nutritionnelle doit être discutée (alimentation entérale par sonde nasogastrique ou alimentation parentérale). En dehors de ces traitements, les “petits moyens” sont importants et requièrent obligatoirement une éducation du patient pour lui apprendre les règles d’hygiène et d’alimentation (encadré 3). Conclusion La prévention et la prise en charge de la mucite font partie des soins de support fondamentaux, ou plutôt des soins “d’optimisation thérapeutique” à apporter aux patients. Avec l’arrivée des thérapies ciblées dans ▸ Éviter les aliments qui nécessitent une mastication et préférer les liquides et aliments mixés. ▸ Favoriser une alimentation froide, à température ambiante ou glacée : crèmes glacées, compotes de fruits, desserts lactés, légumes cuits écrasés ou en purée, viandes ou poissons écrasés ou mixés. ▸ Supprimer les aliments : – épicés (poivre, piment, curry) ; – acides (vinaigre, moutarde, jus de fruits [citron, orange, raisin], certains légumes et fruits crus [tomates, fraises, etc.]) ; – frits et/ou salés (biscuits apéritifs, pommes de terre chips, cacahuètes, etc.) ; – irritants (gruyère, noix, alcool, etc.). ▸ Mesures associées pour favoriser la prise alimentaire : utiliser un antalgique systémique 30 minutes avant le repas, réaliser un bain de bouche comprenant de la lidocaïne 20 minutes avant le repas, sans avaler, pour éviter les fausses routes. Encadré 3. Éducation du patient pour la prise en charge des mucites (5). le traitement du cancer du sein, nous redécouvrons sous un jour un peu différent cet effet indésirable très gênant pour les patients. La prise en charge est bien sûr multidisciplinaire, mais c’est d’abord à l’oncologue médical d’y penser, d’en parler, de prévenir et de dépister par un examen systématique de la cavité buccale et un interrogatoire adapté. ■ Objectif oncologie ZY^bVg` LES EXPERTS ET LA LETTRE VOUS LIVRENT LEUR REGARD SUR VOS SPÉCIALITÉS Oncologie ORL Dr Sébastien ALBERT, Pr Béatrix BARRY, Pr Bertrand BAUJAT, Pr René-Jean BENSADOUN, Dr Philippe CÉRUSE, Dr Catherine CIAIS, Dr Sylvie CLAUDIN, Pr Sandrine FAIVRE, Pr Joël GUIGAY, Dr Frédéric KOLB, Pr Jean-Louis LEFEBVRE, Dr Frédéric PEYRADE, Dr Patrick SOUSSAN, Dr Stéphane TEMAM, Dr Alain TOLEDANO, Dr Gérald VALETTE Sénologie Nouvelle séquence Pr Véronique DIÉRAS, Dr Florence LEREBOURS, Dr Anne LESUR, Pr Jean-François MORÈRE, Dr Rémy SALMON, Pr Laurent ZELEK Oncologie digestive Pr René ADAM, Pr Thomas APARICIO, Dr Pascal ARTRU, Dr Frédéric DI FIORE, Pr Michel DUCREUX, Dr Éric FRANÇOIS, Dr Astrid LIÈVRE, Dr Jean-Philippe METGES, Pr Jean-Marc PHELIP, Pr Jean-Christophe SABOURIN, Dr Denis SMITH, Pr Jean-Philippe SPANO, Pr Julien TAÏEB, Dr Christophe TOURNIGAND, Pr Marc YCHOU Dr Ca Oncologie thoracique theri ne CI AIS Dr Martine ANTOINE, Dr Benjamin BESSE, Dr Fabienne ESCANDE, Pr Dominique GRUNENWALD, Pr Jean-François MORÈRE, Pr Françoise MORNEX, Pr Denis MORO-SIBILOT, Dr Maurice PÉROL, Dr Gilles ROBINET, Pr Jean TRÉDANIEL Psycho-oncologie Dr Sarah DAUCHY * Inscription immédiate et gratuite réservée aux professionnels de santé. Sous l’égide de Directeur de la publication : Claudie Damour-Terrasson Rédacteur en chef : Pr Jean-François Morère Avec le soutien institutionnel de SOINS ONCOLOGIQUES DE SUPPORT Références bibliographiques (suite de la p. 129) 1. Bensadoun RJ, Le Page F, Darcourt V et al. [Radiationinduced mucositis of the aerodigestive tract: prevention and treatment. MASCC/ISOO mucositis group’s recommendations]. Bull Cancer 2006;93(2):201-11. 2. Rubenstein EB, Peterson DE, Schubert M et al. Clinical practice guidelines for the prevention and treatment of cancer therapy-induced oral and gastrointestinal mucositis. Cancer 2004;100(9 Suppl):2026-46. 3. Sonis ST, Elting LS, Keefe D et al.; Mucositis Study Section of the Multinational Association for Supportive Care in Cancer; International Society for Oral Oncology. Perspectives on cancer therapy-induced mucosal injury: pathogenesis, measurement, epidemiology, and consequences for patients. Cancer 2004;100(9 Suppl.):1995-2025. 4. 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