Le Courrier de la Transplantation - Vol. XIV - n° 2 - avril-mai-juin 2014 77
Trafi c d’organes et tourisme de transplantation : le point de vue du chirurgien
pour le suivi. Les patients qui, greff és dans ces condi-
tions, s’adressent aux services hospitaliers en France
pour le suivi après greff e sont bien entendu pris en
charge. Il faut rappeler l’obligation légale du secret
professionnel, qui interdit au médecin de dénoncer le
malade qu’il a en charge. Il est probable qu’un ou plu-
sieurs de ces patients ont dû bénéfi cier d’une retrans-
plantation, dans des conditions immunologiques dès
lors plus compliquées ou dans une certaine urgence,
et au risque de pénaliser les patients inscrits sur la liste
d’attente offi cielle.
La position philosophique face
à la transplantation d’organe provenant
d’un condamné exécuté
Les premières greff es de rein en France, dans les années
1950, furent faites à partir de reins de condamnés à
mort. Désormais, la pratique est unanimement proscrite
au niveau international (22). La séquence immanqua-
blement “utilitariste” d’une mort voulue par la société,
suivie du prélèvement d’un organe dont elle a besoin
heurte nos principes moraux.
L’aménagement de la législation
contre les aspects généraux du trafi c
Le principe selon lequel le corps humain ne peut faire
l’objet de bénéfi ces relève des “acquis” juridiques du
Conseil de l’Europe. Ce principe, qui fi gurait déjà dans
la résolution 29 du Comité des ministres et qui a, en
particulier, été confi rmé par la déclaration fi nale de la
troisième conférence des ministres européens de la
Santé, qui s’est tenue à Paris en 1987, a été consacré par
l’article 21 de la Convention sur les droits de l’homme
et la biomédecine (discussion par l’Assemblée le 25 juin
2003, lors de sa vingt et unième séance1). Ce principe
a été réaffi rmé dans son Protocole additionnel relatif
à la transplantation d’organes et de tissus d’origine
humaine. Mais, alors que l’interdiction du trafi c d’or-
ganes est légalement établie dans les États membres du
Conseil de l’Europe, il existe encore, dans la plupart des
pays, des lacunes juridiques en la matière. Rares sont les
codes pénaux nationaux dans lesquels la responsabilité
pénale pour le trafi c d’organes est clairement spécifi ée.
La responsabilité pénale doit concerner les fournisseurs,
les intermédiaires, le personnel hospitalier/infi rmier et
les techniciens de laboratoire impliqués dans la pro-
cédure de transplantation illégale (22). L’information
en matière de “tourisme de transplantation” doit-elle
aussi être passible de poursuites ?
1 Voir document 9822, rapport de la commission des questions sociales, de la santé
et de la famille (rapporteur : Mme Vermot-Mangold) ; et document 9845, avis de la
commission des questions juridiques et des droits de l’homme (rapporteur : M. Dees).
Contre-propositions d’organisation
ou de rémunération du donneur
face au développement du trafi c
L’objectif serait, comme en matière de drogue ou de
prostitution (23), de diminuer, voire de supprimer le
tourisme-trafi c en offi cialisant une transaction qui,
dès lors, cesserait d’être dépendante d’entreprises
criminelles.
Les principes sont de respecter l’autonomie des “ven-
deurs” et d’opposer une régulation aux lois du “marché
des greff es” orientées par le profi t. La transparence aurait
pour eff et d’assurer la sécurité des procédures et des
donneurs et l’absence de coercition. Des expériences
de défraiement des donneurs vivants apparentés et
des “Bons Samaritains” sont en cours en Ontario (24) et
des estimations chiff rées d’indemnités ont été faites par
A.J. Matas et al. en 2012. Une forme de rémunération
“offi cielle”, sociétale, ne pourrait-elle pas, en outre, alléger,
voire faire disparaître, la dette du receveur vis-à-vis du
donneur ? En 2010, au congrès de l’ILTS (International
Liver Transplantation Society), Gary Levy, canadien, a pré-
senté les mesures d’incitation de la province de l’Ontario
qui versait 6 500 dollars aux donneurs anonymes pour
remboursement des dépenses de soins liés au prélève-
ment, mais souhaitait en étendre le champ.
Comme dans La Servante écarlate, roman de fi ction sur
une société totalitaire où les femmes, en voie d’extinc-
tion, sont utilisées autoritairement pour la reproduc-
tion (25), l’Iran a généralisé le système du donneur
volontaire altruiste mais rémunéré (7) où chaque citoyen
peut devenir un donneur pris en charge par l’État. Il n’y
a plus de pénurie. Mais 2 questions se posent. D’abord,
rien n’atteste que le volontariat est la règle. N’y a-t-il pas
un parallélisme à établir avec le concept du consente-
ment présumé de nos morts ? Par ailleurs, aucun autre
type de greff e n’est possible, la liste d’attente n’existe
pas. Mais n’est-ce pas au prix du renoncement à cer-
taines indications autocensurées (7) ?
Le versant moral de cette vision philosophique reste
débattu (26-28). Au principe de la greffe à partir d’un
donneur vivant, apparenté ou payé, est intrinsèque-
ment attachée une violence “anthropologique” dans
le premier cas, “socioéconomique” dans le second. Il
est tentant de transformer la dette incompressible du
receveur envers le donneur en une transaction finan-
cière dans laquelle les 2 parties seraient “gagnantes”
et libérées une fois pour toute du poids du don. Mais
chacun sait qu’il est impossible d’assurer le caractère
“positif” de la transaction chez le donneur et que, par
ailleurs, le prix de la transaction constitue une voie
d’inégalité contraire à nos conceptions (en tous cas
européennes) d’équité dans le soin.
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