déchets pour surveiller mieux les délégataires. Le problème, c’est que cela suppose des moyens du côté des collectivités
locales qu’elles n’ont pas toujours. Elles devraient quand même faire du benchmark au moment de l’appel d’offre pour se
faire une idée des pratiques et des tarifs acceptables.
Du point de vue d’une collectivité locale, qu’est-ce qui fera la différence entre un Veolia ou un Suez ?
Tour d’abord, c’est le simple prix de l’exploitation à l’ouverture des plis. Ensuite, c’est l’accointance managériale qui
rentre en ligne de compte. Le choix de l’entreprise sur le mode de l’intuitu personae est très courant.Telle autorité
organisatrice ne s’entend pas avec tel directeur d’entreprise, alors on change de directeur et le tour est joué. Enfin, les
petits cadeaux offerts en début de contrat, c’est-à-dire les investissements consentis au départ par l’opérateur. Il est
certain que l’on n’est plus sur de la vraie différenciation !
On dit souvent que la recherche du profit par ces grands groupes est incompatible avec la mission d’intérêt
général qui leur est confiée. Face à quels arbitrages se situent la collectivité et l’opérateur pour s’entendre sur
leur mission de service public ?
Pour la collectivité, il ne s’agit pas uniquement de protéger le service public mais d’éviter des rendements de
l’investissement qui soient hors de proportions ! Dans l’eau, les rendements attendus étaient beaucoup trop élevés
pendant des années, ça l’est beaucoup moins en ce moment car la rentabilité a beaucoup baissé. Dans le BTP ou les
autoroutes par contre, les rentabilités sont encore bien trop élevées ! Donc je comprends la collectivité qui se méfie. Mais
le risque qui en découle est de trop encadrer le privé et de briser le dynamisme que l’on recherche en lui, c’est-à-dire sa
capacité à changer ses méthodes de travail, à tester de nouvelles idées, à investir dans la R&D. Le risque est de
cantonner l’opérateur dans un ronron si l’on baisse trop les prix. Dans le médicament par exemple, les industriels
disaient « si vous nous imposez des prix trop bas, nous n’aurons plus les moyens de mener des projets d’innovation ».
Mais ils peuvent aussi exagérer car, sous réserve de dire qu’ils investissent dans la R&D, en fait ils rémunèrent leurs
actionnaires. On a peu de moyen de le vérifier finement. L’exemple de TEO est symptomatique de cet enchevêtrement
public-privé où l’intérêt général côtoie l’exigence de rentabilité de la part des actionnaires. Du côté de l’exploitant,
l’arbitrage est le suivant : Est-ce que je fais des travaux de remise en état ou de sécurité ou est-ce que je reporte ces
investissements à plus tard pour payer l’actionnaire ?
Les comptes de ces entreprises ne sont-ils pas trop opaques pour permettre un contrôle par la collectivité
locale ?
En effet, l’organisation de ces groupes est telle que le contrôle des comptes doit remonter jusqu’à la holding. En clair, les
filiales sont pauvres et la holding est très riche car tous les bénéfices sont rapatriés vers la holding. Pour la collectivité,
c’est un peu dérangeant localement de voir que la filiale d’un grand groupe à qui elle a confié une délégation de service
public est très prospère, car cela veut dire qu’elle s’est fait de l’argent sur le dos des citoyens. Donc il faut plutôt montrer
localement une filiale qui est pauvre et qui a du mal à fonctionner alors que le bénéfice est tout simplement transféré à la
holding. C’est de la consolidation de comptes très classique ! Même la trésorerie, le compte du quotidien, peut être gérée
au niveau de la holding. On observe du coup une perte de l’autonomie locale, même si cela dépend des groupes. Les
filiales sont régulièrement en train de demander de l’argent à leur holding pour investir.
Le contrôle peut quand même être amélioré et il ne faut pas mettre tout sur le dos de l’entreprise. Il y aussi des
dispositifs qui permettent aux collectivités de suivre de manière parfaitement claire les comptes de son délégataire. Je
pense en particulier au secteur de la restauration collective où ils ont instauré un « livre ouvert » grâce auquel le client
connaît exactement les investissements, les salaires et la marge de l’opérateur. Il faudrait peut-être imposer ce système
à d’autres activités ! Parce qu’on veut préserver cette autonomie du privé et son dynamisme, on se refuse quelques fois
à être exigeants en matière de transparence.
Il semblerait que le marché de la délégation soit arrivé à maturité en France. Qu’en est-il de la stratégie
d’expansion qui a depuis longtemps caractérisé ces grands groupes ?
Pour conquérir de nouveaux marchés, ces groupes n’hésitaient pas à dire à la collectivité qu’ils avaient la capacité de
financer des investissements qu’elle était incapable de faire. Les collectivités, et les élus en particulier, sont friands de
ces arguments, car cela permet par exemple de faire une ligne de métro dans le mandat alors que dans d’autres
conditions, deux mandats eurent été nécessaires. Par contre, cela a un coût ! Or aujourd’hui, l’argent coûte plus cher et
surtout les actionnaires veulent maximiser leurs investissements, ce qui interdit l’immobilisation de l’argent dans des
investissements lourds. Par conséquent, la plupart des groupes réduisent leur capacité d’investissement qui n’est plus un
levier pour conquérir de nouvelles collectivités. Du coup, les filiales régionales qui étaient habituées à avoir beaucoup
d’argent facilement pour rapporter rapidement du chiffre d’affaires perdent leur autonomie, et on en arrive à un marché
mature qui fonctionne doucement. Aujourd’hui, on observe plutôt un renouvellement des appels d’offre mais pas de
récupération de nouvelles régies. Par ailleurs, on essaie de rentabiliser au maximum les investissements déjà opérés :