Cancers de la thyroïde : aspects innovants dossier thématique Classification moléculaire des tumeurs thyroïdiennes : intérêts et limites de l’approche transcriptomique Molecular classification of thyroid tumors: advantages and limitations of the transcriptomic approach Frédérique Savagner* »»Le transcriptome permet d’avoir une vision globale des fonctions dérégulées dans une classe tumorale. P o i nt s f o rt s »»L’analyse du transcriptome permet d’identifier les processus tumoraux initiaux, mais aussi les réactions du tissu environnant (infiltrats lymphocytaires). »»Il existe une meilleure corrélation entre le statut mutationnel et le transcriptome d’une tumeur qu’entre le statut mutationnel et l’histologie de cette tumeur. »»L’identification de biomarqueurs spécifiques de classe n’est pertinente que si le transcriptome de l’ensemble des classes pathologiques de l’organe est exploré. Lorsque l’on examine la classification histologique des tumeurs thyroïdiennes (OMS, 2004), il apparaît pourtant que des marqueurs biologiques ayant éventuellement une valeur pronostique pour les classes intermédiaires sont encore manquants (1). Ainsi, la nouvelle classe des tumeurs de potentiel de malignité incertain (TPMI) entretient le flou quant à l’évolution clinique. De même, la distinction de certains variants histologiques ne semble pas avoir de valeur pronostique. Mais la principale difficulté de la classification histologique des tumeurs thyroïdiennes différenciées provient des tumeurs folliculaires bénignes (FTA) et malignes (FTC) et de la grande variabilité interobservateur pour affirmer l’invasion capsulaire et vasculaire (2). »»Le profil d’expression de biomarqueurs ciblés présente un réel potentiel diagnostique pour les classes intermédiaires de pathologies. Mots-clés : Transcriptome – Tumeurs thyroïdiennes – Classification – Biomarqueurs. Keywords: Transcriptome – Thyroid tumors – Classification – Biomarkers. L’ * Inserm UMR694, CHU d’Angers. 216 analyse moléculaire de la physiopathologie d’un organe ou d’un tissu a été longtemps limitée à l’étude de quelques gènes candidats. Depuis le milieu des années 1990, les outils moléculaires développés permettent de mesurer l’expression de plusieurs milliers de gènes en même temps, et ce de façon maintenant tout à fait fiable et standardisée. Appliquée à l’étude des tumeurs, cette technologie a pour ambition de préciser les mécanismes physiopathologiques et d’identifier des marqueurs diagnostiques ou pronostiques ainsi que de potentielles cibles thérapeutiques. Elle est très peu utilisée dans un but de reclassification moléculaire en complément de la classification histologique. L’approche transcriptomique Les microarrays, ou puces à ADN, servent à détecter et à quantifier plusieurs milliers d’acides nucléiques (ARNm) extraits d’un échantillon biologique et qui constituent le transcriptome de l’échantillon. L’analyse bio-informatique des données du transcriptome de plusieurs échantillons va permettre leur regroupement selon la similarité des profils d’expression. Selon les méthodes, les regroupements peuvent être indépendants (classification non supervisée), ou au contraire contraints par les classes histologiques (classification supervisée). Ces 2 méthodes sont complémentaires dans leur approche : d’une part, confirmer la pertinence d’une classe par sa présence en classification non supervisée ; d’autre part, apprécier la proximité de différentes classes par une approche supervisée. Ces approches permettent également d’identifier de nouvelles classes ou d’apporter des éléments de reclassification pour des classes considérées comme atypiques. Elles vont permettre d’identifier des gènes corégulés (cluster de gènes) associés à une fonction et/ou à une classe histologique donnée. Au travers de ces fonctions et de ces gènes corégulés, les Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XIV - n° 7 - septembre 2010 Classification moléculaire des tumeurs thyroïdiennes biomarqueurs de chaque classe sont recherchés. Pour autant, une même fonction peut être dérégulée dans plusieurs classes de pathologies. Transcriptome et anomalies moléculaires des tumeurs thyroïdiennes Les cancers papillaires sont fortement associés aux réarrangements Ret/PTC et aux mutations du gène B-Raf, alors que les tumeurs folliculaires présentent, pour partie, des anomalies dans les gènes Ras ou PPARγ/Pax8. Les études du transcriptome de différentes tumeurs thyroïdiennes dont le statut mutationnel est connu montrent que ce statut est mieux corrélé au profil d’expression qu’à la morphologie des tumeurs. Les voies précoces de tumorigenèse peuvent donc être mieux cernées par une approche transcriptomique. Les 2 études de Giordano et al. sont sur ce point instructives (3, 4). La première étude portant sur la classification des cancers papillaires (PTC) avec réarrangements Ret/PTC1 ou 3, mutations B-Raf ou N-, K- ou H-Ras montre que, si la plupart des profils transcriptionnels des cancers papillaires présentent des caractéristiques moléculaires communes associées à la voie Ret/Ras/ Raf/MAPK, chaque type de mutation est lié à un profil transcriptionnel spécifique. Le réarrangement Ret/PTC3 est quant à lui associé à un profil d’activation de la voie PI3Kinase et non à celle des MAPK. La deuxième étude portant sur le transcriptome des cancers folliculaires avec réarrangement PPARγ/Pax8 montre que la voie PPARα est activée en parallèle de la voie PPARγ. Cette voie PPARγ est alors corrélée à la surexpression de gènes associés à la voie EGFR. Ces 2 approches soulignent l’intérêt thérapeutique d’une meilleure connaissance des voies de tumorigenèse thyroïdienne, puisque les thérapeutiques ciblées seront alors différentes selon la mutation dominante retrouvée (figure 1). autant, la comparaison de 2 classes, quelle que soit la question posée, n’est pas suffisante pour affirmer la spécificité de biomarqueurs. Classes intermédiaires Si l’on considère la notion de continuum dans les tumeurs thyroïdiennes folliculaires, l’apport de la technologie des puces à ADN semble pourtant à même, de par sa sensibilité, d’identifier les modifications précoces de l’expression de gènes impliqués dans un état de prémalignité. Deux études se sont pour le moment penchées sur la reclassification moléculaire des TPMI (5, 6). Leur classification par profil d’expression n’est cependant pertinente que si les classes différentielles de ces tumeurs sont explorées en parallèle, comme les FTA, les FTC peu invasifs, mais aussi les variants folliculaires des cancers papillaires. Dans ces 2 études basées sur des échantillons représentatifs des 4 classes nodulaires d’intérêt mais aussi de classes non nodulaires témoins, les auteurs montrent que le profil d’expression permet d’améliorer la classification des TPMI. Les profils d’expression sont corrélés à l’analyse immunohistologique (score), celle-ci restant malheureusement toujours dépendante du pathologiste référent (figure 2, p. 218). Nombre d’échantillons et taille des classes Comme toute approche de classification, la recherche de biomarqueurs pertinents par l’analyse du transcriptome nécessite que la spécificité de ces biomarqueurs soit vérifiée au travers de l’ensemble des classes pathologiques d’un organe donné. Si la classification Cible thérapeutique des FTC PPARγ/Pax8 positifs (interactome des gènes surexprimés) Classification moléculaire des tumeurs différenciées BRAF S’agit-il d’identifier le caractère bénin ou malin d’une tumeur ou de prouver la pertinence de la classe histologique ? La plupart des études explorent 2 classes de tumeurs (malignes/bénignes) ou une classe tumorale par rapport au tissu sain environnant. L’objectif de ces études est soit l’identification d’un ou de plusieurs biomarqueurs de la classe pathologique (comparaison au tissu sain) soit l’identification de marqueurs de malignité (comparaison de classes bénignes et malignes). Pour NRG1 EPHA2 Ret Ret/PTC3 RAS PI3Kinase Inhibiteurs de la BRAF tyrosine kinases/EGFR EGFR PTK2 Cibles thérapeutiques des PTC Ret/PTC, BRAF et Ras positifs SOS1 Inhibiteurs de la tyrosine kinases/EGFR Inhibiteurs de la sérine-thréonine kinases MAPK Figure 1. Cibles thérapeutiques identifiées par analyse du transcriptome et de l’interactome des cancers folliculaires (FTC) et papillaires (PTC). Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XIV - n° 7 - septembre 2010 217 Cancers de la thyroïde : aspects innovants dossier 0,16 Profil 14 Score 12 10 0,1 8 0,08 6 0,06 4 0,04 2 0,02 Score du pathologiste Profil d’expression moyen 0,14 0,12 thématique 0 0 1 – 0,02 – 0,04 2 3 4 5 6 7 8 9 10 –2 –4 Numéro des TPMI Figure 2. Corrélation entre le profil d’expression moyen des 10 tumeurs de potentiel de malignité incertain (TPMI) et le score du pathologiste établi par combinaison de marqueurs immunohistologiques (HBME-1, galectine 3, CK-19 et TPO) et de caractéristiques histologiques (nucléaires, cytoplasmiques, invasions capsulaires et vasculaires). Coefficient de corrélation Spearman = 0,71. – 0,2 TPMI FTA microfolliculaires Corrélation 0 0,2 0,4 0,6 0,8 1 Groupe de pathologies Bénignes FTA, thyroïdite, Basedow… Malignes Riches FTC, PTC, en mitochondries TPMI Tumeurs oncocytaires Figure 3. Classification supervisée des échantillons issus de 12 classes de pathologies thyroïdiennes et de tissus sains selon leur profil d’expression moyen (transcriptome de plusieurs milliers de gènes). L’arbre, ou dendrogramme, illustre la distance entre les classes de pathologies thyroïdiennes. La robustesse de la classification est illustrée par les 3 cercles noirs sur les arbres. Deux groupes de tumeurs se distinguent du groupe bénin : les tumeurs de potentiel de malignité incertain (TPMI) et les adénomes d’architecture microfolliculaire (FTA microfolliculaires). moléculaire met en évidence des événements précoces de tumorigenèse, elle n’en demeure pas moins une technique qui permet aussi de visualiser des événements annexes de type réaction du tissu environnemental (infiltrats), qu’il faudra alors identifier pour extraire la signature spécifique du processus tumoral engagé dans la classe histologiquement définie. Peu 218 d’études ont comparé plus de 4 classes de pathologies thyroïdiennes au cours d’une même analyse (4, 7-10). À ce jour, une seule étude a dépassé les 10 classes ou sous-classes histologiques explorées conjointement (8). Cette unité technique et temporelle a permis d’être pertinent dans la sélection de biomarqueurs réellement spécifiques de chaque classe. Une méta-analyse impliquant 5 autres jeux de données de transcriptome disponibles dans les bases de données publiques et permettant de “cross-valider” les marqueurs les plus pertinents pour les classes communes à ces différentes études a permis de montrer que plus de 52 % des marqueurs sélectionnés par cross-validation étaient communs à au moins 2 des classes ou sous-classes définies dans la première étude (12 classes). Elle montre aussi que l’identification du profil d’expression des variants oncocytaires des tumeurs folliculaires permet une meilleure classification des tumeurs (figure 3). En effet, la signature mitochondriale de ces variants est parfois présente dans d’autres classes de tumeurs et peut masquer la signature pertinente de ces classes au même titre qu’une signature “non spécifique” de type lymphocytaire. Les méta-analyses regroupant les données de transcriptome issues de plusieurs études montrent malheureusement encore un intérêt limité en pathologie thyroïdienne car, en dehors de la classe PTC, très peu de variants de tumeurs folliculaires sont explorés et leurs caractéristiques histologiques restent souvent imprécises (11, 12). Validation des biomarqueurs de classe Si l’identification d’un seul biomarqueur d’une classe donnée est utopique, plusieurs études proposent un nombre restreint de marqueurs (3 à 10) qui permettent non pas de réaliser la bonne classification des tumeurs étudiées mais d’en définir le potentiel malin (9, 13-15). Ces marqueurs de malignité sont cependant toujours définis en utilisant un nombre restreint de classes. Une étude plus récente montre la nécessité de 20 biomarqueurs pour la seule classification des cancers papillaires (11). Les cancers papillaires représentent pourtant la classe la mieux caractérisée d’un point de vue moléculaire. Il est important de constater que, en dehors des marqueurs identifiés pour la classe des cancers papillaires, les différentes études d’expression ne permettent actuellement pas d’identifier des marqueurs communs pour la classification des tumeurs folliculaires. Dans tous les cas, le nombre de marqueurs à sélectionner ne pourra être défini que si un nombre suffisant de classes pathologiques est exploré. L’intérêt des clusters Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XIV - n° 7 - septembre 2010 Classification moléculaire des tumeurs thyroïdiennes de gènes repose sur le fait que la dérégulation de leur expression est rapportée à une fonction. Il faut alors plutôt s’orienter vers la recherche des meilleurs marqueurs de cette fonction spécifiquement dérégulée dans la classe tumorale d’intérêt. Faut-il à tout prix valider ces biomarqueurs au niveau protéique ? Tous les biomarqueurs de la fonction dérégulée ne seront pas aussi pertinents comme marqueurs protéiques utilisables en immunohistochimie. Quel que soit le tissu exploré, les variations du transcriptome et du profil protéique sont discordantes dans 30 % des cas. En dehors du problème de la disponibilité en anticorps commerciaux, il faut donc aussi tenir compte des modifications traductionnelles de ces ARNm dérégulés. En regard du nombre restreint de cas nécessitant une classification moléculaire complémentaire à la classification histologique, il est peut-être plus judicieux de réaliser une analyse d’expression ciblée plutôt que de proposer un panel très vite contraignant de marqueurs en immunohistochimie. L’intérêt du transcriptome réside vraiment dans sa capacité à identifier puis à explorer un panel de biomarqueurs, sans véritables contraintes liées à la quantité de matériel biologique ou au nombre de marqueurs à tester. Conclusion Si la sensibilité de l’outil d’analyse du transcriptome a maintenant fait ses preuves et peut être appliquée à l’exploration de quelques cellules (microdissection, cytoponction), la pertinence des biomarqueurs identifiés dépend entièrement de l’échantillonnage des tumeurs explorées. L’utilisation de nouvelles approches, telles que l’étude des profils de microARN, sera confrontée au même problème d’échantillonnage. En dehors de la classe des cancers papillaires, pour laquelle il y a suffisamment d’études d’expression permettant de converger vers une vingtaine de biomarqueurs réellement spécifiques, peu de marqueurs de classes folliculaires peuvent encore être proposés avec certitude. Pour autant, l’information est sûrement pour partie déjà présente, sous les dénominations “nodules chauds/ froids”, “tumeurs bénignes” sans autre précision, qui sont très généralement les tissus “témoins” des études portant sur les cancers papillaires. L’intérêt de poursuivre ces études réside dans la pertinence de l’identification de biomarqueurs de groupes plus marginaux (TPMI, adénomes microfolliculaires, tumeurs oncocytaires) et de la révélation de leur valeur pronostique. ■ Références 1. Chan JKC, Hirokawa M, Evans H et al. Tumours of the thyroid and parathyroid: follicular adenoma. In: DeLellis RA, Lloyd RV, Heitz PU, Eng C, eds. WHO classification of tumours: pathology, genetics of tumours of endocrine organs. Lyon, France: IARC Press 2004:98-103. 2. Franc B, de la Salmoniere P, Lange F et al. Interobserver and intraobserver reproducibility in the histopathology of follicular thyroid carcinoma. Hum Pathol 2003;34:1092-100. 3. Giordano TJ, Kuick R, Thomas DG et al. Molecular classification of papillary thyroid carcinoma: distinct BRAF, RAS, and RET/PTC mutation-specific gene expression profiles discovered by DNA microarray analysis. Oncogene 2005;24:6646-56. 4. Giordano TJ, Au AY, Kuick R, Thomas DG et al. 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