Le temps en rééducation orthophonique dans le cadre des troubles

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Les représentations du temps dans la rééducation des troubles de la
communication chez l’enfant.
S Franc* – P Thomas**
Les sujets présentant un trouble de la communication ont souvent une
représentation très floue du temps et même simplement de la
succession des activités. Ils sont déstabilisés car ils anticipent mal ce
qu’on leur propose, ceci étant fréquemment source d’anxiété, voire de
troubles du comportement parfois difficiles à accepter socialement. Ils
présentent généralement des troubles de la compréhension verbale (qui
participent à leur trouble de la communication), et ont aussi un accès
limité au symbolisme ainsi que des difficultés mnésiques, surtout sur un
matériel auditivo-verbal.
Ces troubles de la communication chez l’enfant se rencontrent dans le
cadre des troubles expressifs sévères. Ceux-ci concernent des enfants
n’ayant pas de langage propositionnel à 5 ans. Ces troubles ne se
rattachent pas seulement à un déficit du code linguistique, mais aussi à
une difficulté, pour ces sujets, à accéder à la symbolisation nécessaire
pour une utilisation précise, finalisée et conventionnelle d’un outil de
communication. Cette terminologie ne présage pas d’une cause
univoque, mais ces difficultés se retrouvent fréquemment dans le cadre
des déficiences intellectuelles graves ou sévères, parfois également
moyennes, avec ou sans traits autistiques mais également dans les
syndromes autistiques typiques (associé alors à un trouble de la
communication non verbale),
Nous allons d’abord présenter le support théorique à partir duquel nous
avons tenté de proposer quelques pistes rééducatives.
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* Praticien hospitalier, ** orthophoniste : Centre de référence des troubles du langage. Hôpital R Debré 48 bd Serurier 75019 Paris.
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La communication concrète : présentation théorique
Le niveau sensitif :
C'est le niveau le plus élémentaire avec lequel on appréhende son
environnement : L’environnement n’a pas de sens pour la personne,
mais il est ressenti sur le mode de la sensation perçue.
On observe chez les sujets fonctionnant à ce stade beaucoup de
stimulations sensorielles déclenchées par des activités ritualisées :
porter des objets à la bouche, les renifler, taper un objet sur la table,
faire couler l’eau du robinet… Un objet, une image, une photo ne sont
perçus que pour la sensation qu’ils procurent. Il n’est pas possible à ce
stade d’apparier des images avec des objets, ou même 2 objets de
fonctions identiques dès lors qu’ils ne procurent pas une sensation
identique. Le « mot » même sera perçu comme une stimulation auditive,
mais ne pourra être rattaché à sa signification.
Le niveau présentatif :
Le sujet devient capable de mettre ensemble des choses identiques,
mais il n’en saisit cependant pas encore la signification. On peut avoir
atteint ce niveau pour certains supports et pas pour d’autres : le sujet
peut être au niveau présentatif pour des objets mais pas pour les images
ou les photos, par exemple, qui resteront sans signification pour lui.
Il apparaît d’abord nécessaire de prendre en compte un certain nombre
de paramètres concernant d’une part le niveau de compréhension du
sujet et d’autre part la forme de communication qui lui sera la plus
accessible (donc le support).
Le niveau représentatif :
Le sujet commence à avoir accès à la représentation des choses, c'està-dire au sens. Il devient possible de faire des associations entre les
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différentes représentations d’une même chose (photos différentes d’un
même objet, association image/photo concernant un même objet,
possibilité de catégorisation : mettre ensemble les choses qui se
mangent…).
Le niveau méta-représentatif :
Il concerne la capacité à émettre un jugement sur les choses qui nous
entourent. On peut dire si on aime tel ou tel tableau, s’il est ressemblant
ou non au modèle par exemple.
A chacun de ces quatre niveaux de compréhension correspond un ou
plusieurs supports de communication possibles (tableau 1).
sensitif
Présentatif Représentatif Méta-représentatif
Objet
Photo
Image
Pictogramme
Langage oral
Langage écrit
Tableau 1
Différents niveaux de compréhension et supports de la communication visuelle.
Difficultés d’accès dans le cadre des troubles expressifs sévères
Stades permettant un travail sur la notion de « temps »
Le stade « méta-représentatif » ainsi que le support du langage écrit ne
seront certainement pas accessibles (en tout cas en début de prise en
charge) au sein de la population présentant des « troubles expressifs
sévères » (cases hachurées horizontalement).
Un travail réel sur le « temps » ne peut se faire que lorsque le sujet se
situe au minimum à un stade représentatif sur un support à déterminer :
objet réel, photo, image, pictogramme (cf cases hachurées verticalement
sur le tableau 1).
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Apport du support visuel :
Il permet, si le support est suffisamment explicite, de fournir une
référence concrète à ce qu’il est supposé représenter. Il renforce une
information donnée verbalement tout en laissant une trace plus durable
(permanence du message) : il active la mémoire visuelle, il donne la
possibilité (sur certains types de supports en particulier pictographiques
ou écrits) de « manipuler » le langage.
Le support visuel s'avère d'autant plus efficace que les sujets concernés
ont une compréhension auditive déficitaire, en permettant de s'appuyer
sur le canal visuel jugé plus performant.
Ce
support
améliore
considérablement
la
compréhension
de
l'environnement chez des sujets qui ont de réelles difficultés de
représentation mentale.
Quel support visuel ?
De nombreux supports peuvent être envisagés : objet, envisagé comme
simple objet de référence (gant de toilette associé à l’action de « faire sa
toilette », assiette pour « annoncer » le repas, ballon pour annoncer une
partie de football…), photos (utiles dans les représentations d’actions et
qui peuvent mettre en scène l’enfant dont on assure la prise en charge,
matériel
que
l’on
peut
obtenir facilement
grâce aux
supports
informatiques et aux appareils numériques), images, (les banques de
données informatiques sont bien fournies) pictogrammes (il existe de
nombreux codes pictographiques dont la transparence, c'est-à-dire la
possibilité d’être compris par les non-initiés est cependant inégale),
langage écrit. Il convient donc de déterminer pour un sujet donné à quel
support il peut accéder. En plus de son niveau de communication, il est
nécessaire d'être vigilant au matériel le plus prégnant pour l'enfant : dans
le cadre de l'autisme le pictogramme pourra être mieux investi (bien que
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plus « symbolique ») car plus neutre et permettra ainsi la généralisation
(les sujets autistiques ont tendance à se focaliser sur des détails).
Progression dans les acquisitions de notions temporelles :
Simultanéité :
Le premier travail à effectuer, en situation, est d’associer l’activité en
cours au support que l’on aura choisi : photo, image, pictogramme, en
fonction bien sûr des possibilités d’accès à l’un ou l’autre de ces
supports par les sujets : dès que l’activité débute, on dépose le support
visuel correspondant que l’on retire quand l’activité est terminée.
Chronologie :
Cette phase ne peut être amorcée que lorsque le sujet est au moins
capable d’associer 2 activités différentes à leur support visuel respectif.
Alors que la première activité est presque terminée, on dépose le
support visuel correspondant à l’activité suivante. Progressivement, on
allongera le temps entre la présentation de cette future activité et le
début de son déroulement.
On procède ainsi sur la succession de 2 activités, puis de 3…
Anticipation :
Cette étape par la mise en place du schéma journalier auquel on
parviendra de proche en proche et que le sujet ne peut concevoir que
lorsqu’il
a
acquis
un
certain
nombre
de
« représentations »
correspondant aux actions à réaliser. A une phase intermédiaire, on peut
représenter le support correspondant à une demi-journée.
Si l’on se place dans la situation de l’enfant pris en charge en institution,
il pourra alors aller consulter, dès l’arrivée, le déroulement de sa journée
(voir tableau 2), qu’on commentera. A la fin de chacune des activités, il
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reviendra consulter le support pour voir quelle est (quels sont) l’(les)
activité(s) suivante(s), et ce qui va se passer avant le retour à la maison.
On peut également en cours de journée, venir se référer au support si le
sujet manifeste par exemple le désir de manger et que ce n’est pas
encore le moment. Il visualisera ainsi quelles activités doivent encore
être réalisées avant le repas.
Lorsqu’une activité va être réalisée, le sujet emporte avec lui le support
correspondant. Il ne reste plus que les activités qui doivent encore avoir
lieu. Lorsque l’activité est terminée, le sujet dépose la carte
correspondante (photo, image, pictogramme) dans une boîte réservée à
cet effet et prend le support suivant.
Exemple de déroulement de
la journée
Progression
(étiquettes maintenues par
des velcros)
Les activités auront progressivement été
associées lors de leur réalisation au support
visuel correspondant (ici pictogramme).
Lecture
Peinture
cuisine
Déjeuner
natation
Goûter
retour à la maison
Alors que la première activité n’est pas encore
totalement achevée, on met sous les yeux de
l’enfant le support correspondant à la suivante,
et ainsi de suite.
Lors de la réalisation de chaque activité, il
emportera avec lui le support correspondant à
l’activité qu’il va réaliser.
On pourra ensuite présenter d’emblée 2 activités
successives (matérialisées par leur support
visuel) alors que la première activité va juste
commencer. Lorsque la deuxième débute, on
présente le support de la troisième…
De proche en proche, on allonge la séquence
exposée jusqu’à parvenir à la présentation de
toutes les activités sur une journée.
La fin des activités étant matérialisée par la
maison (retour à la maison).
(Tableau 2 : Exemple de schéma journalier)
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Il est souhaitable que parallèlement le travail soit repris en milieu familial
sur des activités d’abord routinières et ritualisées : période de jeu au
retour de l’institution, puis repas, toilette, lecture et coucher. Il faudra
trouver aussi un support représentatif du « centre » ou de l’institution où
est l’enfant dans la journée.
On peut ensuite travailler sur les notions de « maintenant » et « après »,
là encore l’utilisation du support visuel sera nécessaire mais on se
heurte à une représentation forcément plus abstraite.
: maintenant
Toutes
les
: après
représentations
précédentes
(dans
notre
exemple,
pictogrammes) auraient pu l’être en utilisant un support de photos, ou
d’images alors que la représentation de ces 2 notions (maintenant et
après) n’a pas d’équivalent sur un support photographique ou imagé. On
poursuit un travail en situation : alors qu’une activité est en train de se
faire,
(dessiner
par
exemple),
on
l’associe
(outre
au
support
correspondant à l’activité) à « maintenant » (oralisé et présenté sous
forme de représentation pictographique) et ainsi pour chacune des
activités en cours de réalisation. La difficulté réside dans le fait que le
support change en fonction de l’activité alors que le pictogramme
correspondant à « maintenant » ou « après » reste identique chaque
fois.
Ce travail ne pourra être abordé que si le sujet est à un niveau
représentatif pour les pictogrammes (et non pas uniquement pour les
photos ou les images).
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Introduction de « après » : Alors qu’une activité est entrain de se
dérouler, on présente la suivante en l’associant au pictogramme
« après ».
Si l’on reprend la succession précédente (cf tableau 2 plus haut) :
Au moment ou l’activité
« dessin » se déroule.
On « prépare » l’activité
suivante : « faire la cuisine »
Quelque temps plus tard, alors
qu’on est passé à l’activité
« faire la cuisine ».
On présente l’activité
« manger »
Un peu plus tard
On remarquera que la succession est présentée de haut en bas, même
simplement pour 2 actions successives (comme sur le schéma journalier
présenté plus haut), ceci sur le principe de l’emploi du temps
« classique » : déroulement sur une journée de haut en bas, sur les
journées successives : de gauche à droite.
Du jour au lendemain :
Lorsque la succession des activités est bien comprise, on tentera
d’introduire la notion de « demain ». Pour cela, il faut que le sujet ait
d’abord compris que les activités qu’on lui commente le matin et dont il
suit la succession au cours de la journée sont celles d’ « aujourd’hui ».
On peut visualiser cette notion en mettant en haut de l’emploi du temps
journalier (présenté plus haut), le pictogramme correspondant à cette
notion. Chaque jour, avant de commenter le programme, on dira :
« aujourd’hui » en pointant le pictogramme correspondant :
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: aujourd’hui
On pourra alors introduire la notion de « demain » (ce qui implique une
présentation des activités du lendemain), on peut avoir également
recours au pictogramme de « dormir » introduit entre celui de
« aujourd’hui » et celui de « demain » (présentation de gauche vers la
droite cette fois-ci).
Figure ici le programme de la
journée en cours
Dormir
Programme du lendemain
On remarquera la cohérence qui existe dans le graphisme des
pictogrammes représentant les notions de temps (les pictogrammes
représentés sont ceux utilisés dans le programme MAKATON,
programme de communication multimodal d’origine britannique).
aujourd’hui,
demain,
après
La ligne verticale matérialise la notion de temps (présent), « après » est
représenté par un point situé à droite de cette ligne verticale comme « le
jour qui vient après » (donc « demain ») est représenté par un soleil à
droite également de la ligne verticale, pour « aujourd’hui », le trait
vertical coupe le soleil en son milieu, On peut donc facilement imaginer
commet seront représentés « hier » ou « avant ».
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hier
avant.
Il est à noter que dans de nombreux codes pictographiques, la ligne
verticale est associée à une notion de temps.
« Avant » et « hier » :
Ces notions présentent une difficulté supplémentaire car elles font appel
à des compétences mnésiques.
Alors qu’une activité est en cours, on laisse le support correspondant à
l’activité précédente : l’activité en cours est associée à « maintenant »,
(déjà acquis), et l’activité précédente à « avant ». On travaille au départ,
uniquement sur 2 activités successives identiques et se reproduisant
régulièrement.
1 : Succession déjà connue,
anticipation de l’activité « à venir »
2 : un peu plus tard, alors que l’activité
« faire la cuisine » a commencé
3 :L’activité « faire la cuisine » n’est pas
terminée, on prépare la suite.
Hier, aujourd’hui et demain :
Emploi du temps de « hier »
qu’on aura laissé en place
Aujourd’hui
Le matin,
Le soir, on
on rappelle
présente les
les activités
activités du
de la veille
lendemain
Demain
Avec le schéma journalier
Nouvelle étape intermédiaire vers la constitution d’un emploi du temps
hebdomadaire.
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Tous ces supports vont permettre à l’enfant de « voir » le temps, de la
même manière que nous avons nos repères sous formes de calendriers,
agendas ou montres.
Ces supports ne doivent pas seulement être considérés comme une
« liste » d’activités mais doivent permettre à l’enfant de se préparer
physiquement et mentalement à l’activité à venir. A partir de là, ce
tableau doit être mis en relation avec ce qu’il y a à mettre en œuvre pour
que l’activité ait lieu : (préparer son sac pour aller à la piscine par
exemple). L’objectif est de développer une relative autonomie du sujet et
de lui permettre à terme de faire des demandes, voire d’intervenir sur ce
programme, qui peut parfois paraître un peu rigide et qui laisse peu de
place aux imprévus.
A un stade « représentatif » pour les objets :
On peut aussi faire le même travail sur un
support d’objets « réels » et donner de la
même
façon
une
représentation
« visuelle » de l’écoulement du temps avec
un autre type de support si le sujet n’est
pas encore apte à comprendre le support
pictographique.
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Quel type d’intervention lorsque le sujet est à un niveau « présentatif » ?
A ce stade, le sujet est capable d’associer deux supports identiques par
exemple celui de l’action qu’il va réaliser avec le support identique fixé
sur la porte de la salle dans laquelle se déroulera l’activité. Cela peut
permettre au sujet de retrouver lui–même le lieu où se déroule une
activité et de développer ainsi une relative autonomie dans ses
déplacements. On travaille donc sur les notions de « ici » et
« maintenant » et il n’est pas possible de travailler sur l’ « évènement »
suivant. L’activité doit commencer dès lors qu’on est dans le lieu où elle
se déroule. Ensuite, on pourra allonger le temps entre la présentation du
support et la réalisation de l’action. On tente donc, sur le support
employé,
de
passer
d’un
niveau
« présentatif »
à
un
niveau
« représentatif ». Anticiper une action n’est donc à ce stade, pas
possible. Cependant, on peut travailler sur la notion de durée.
Durée :
Lors de la réalisation d’une activité, l’enfant manifeste parfois son
impatience, se lève, touche à tout, est attiré par son objet favori repéré
dans la pièce, et la notion de « après » pour lui signifier qu’on fera ce
qu’il voudra « après » qu’il ait réalisé ce qu’on lui a proposé, n’est pas
signifiante pour lui.
On peut alors tenter de lui donner une « représentation » de notre
attente et lui permettre de « visualiser » la durée pendant laquelle nous
souhaitons son attention en disposant devant lui, sur la table 2 boites
contenant le matériel avec lequel on va successivement travailler. Quand
on a terminé la première activité (contenue dans la première boîte), on la
fait disparaître. On s’intéresse au matériel contenu dans la deuxième
que l’on fait à nouveau disparaître quand on a terminé cette nouvelle
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activité. On le laisse ensuite accéder à son souhait. On peut
progressivement allonger la durée de chaque activité et le nombre de
celles-ci en augmentant le nombre de boîtes posées sur la table en
début de séance.
Certains conseillent de déposer les boites d’activité sur la gauche de la
table en début de séquence, et au fur et à mesure que l’activité est
terminée, on fait passer les boîtes sur la droite de la table.
Sur le même principe, l’utilisation d’un « schéma journalier » peut avoir
un sens dans la mesure où le sujet pourra « visualiser » les moments
durant lesquels il est dans la structure (il y aura encore des cartes sur
son emploi du temps) et le moment où il va quitter les lieux (il n’y aura
plus rien sur son planning), à la limite, peu importe à ce stade, ce qui est
représenté sur chaque carte,
Un même type de support peut donc être utilisé (schéma journalier) mais
avec des objectifs différents suivant le niveau atteint par l’enfant.
A un stade sensitif, le support sera un objet de référence, mais
« annoncer » une activité est impossible. La sensation ressentie pourra
rendre la situation reconnaissable dès lors qu’elle a lieu très rapidement
après avoir été éprouvée : cela peut être de mettre dans ses mains un
gobelet (objet de référence) avant de lui apporter à boire, ou lui mettre
dans les mains un vêtement de poupée de texture agréable avant de
l’habiller…
Il n’existe pas de schéma de progression type, il faudra tenir compte
pour chacun des possibilités et des modalités de communication
privilégiées, il apparaît donc difficile de vouloir envisager un même type
de support pour tous les patients d’une même structure institutionnelle.
L’utilisation d’un support visuel tel qu’il a été proposé ici peut aider à
acquérir une représentation du temps. Mais elle doit se faire dans le
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cadre plus vaste de la mise en place d’un système augmentatif ou
alternatif de communication, souvent nécessaire de manière durable
pour quelques-uns de ces enfants. En effet parmi eux, certains n’auront
à terme que peu de production orale mais la construction de leur image
du monde sera grandement améliorée par l’utilisation de ces supports.
Cette notion de temps visualisée (représentée) sous forme de
pictogrammes (dans notre exemple) ne pourra fonctionner que si le sujet
utilise ce type de support comme modalité ce communication.
Dans le cadre des sujets dysphasiques, le trouble de la perception du
temps est directement lié à la difficulté à séquentialiser. Par conséquent
la mise en place d'un ordre chronologique est problématique et souvent
long à acquérir. Pour cela la routine permettra l'ancrage des notions de
temps comme aujourd'hui, hier, demain. Les représentations visuelles
vont permettre de fixer ces concepts associés à l'acquisition du lexique
adéquat.
Il sera important de mettre en place, le plus rapidement possible toutes
les représentations symboliques du temps existants comme la montre, le
réveil, le sablier, la bougie qui brûle pendant une activité avec son dessin
avant et après.
En parallèle d'autres représentations du temps vont pouvoir s'amorcer
grâce à la mise en place des indices temporels (qui doivent être compris
puis
utilisés)
les
sujets
dysphasiques
pourront
s'approprier
la
simultanéité, l'anticipation et la chronologie.
Ces indices peuvent, de façon non exhaustive, être marqués par :
- des flexions verbales
- des mots outils : "les connecteurs de temps"
- l'ordre des propositions dans des micro-récits.
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On admet actuellement une capacité de traitement insuffisante ou
inadéquate
de
l'information
auditive
et/ou
verbale
dont
les
conséquences, selon la gravité du trouble, apparaîtront soit seulement
sur le versant expressif, soit sur les deux versants réceptif et expressif.
La compréhension des différents modes de la langue française va se
mettre en place progressivement même si c'est avec un décalage dans
le temps. En revanche l'expression sera marquée par une réduction
syntaxique, une dyssyntaxie voire un agrammatisme.
L'objectif premier pour ces sujets est bien sûr la communication. Celle-ci
va se retrouver très altérée si l'enfant ne peut se faire comprendre parce
que ses productions sont peu informatives et agrammatiques. Il convient
donc dès l'âge de 5 ans de mettre l'accent sur :
- la successivité des actions par la mise en place des connecteurs
de temps et du respect des temps primaires.
- la successivité des éléments syntaxiques et leur importance en
fonction de leur positionnement dans la phrase par l'utilisation d'outils
proches du langage écrit.
Pour cette représentation, on utilisera, en rééducation, des histoires en
images à sérier avec comme aide visuelle les gestes ou les
pictogrammes et une méthode à base de jetons qui symbolisent les mots
de la phrase correspondant à une image précise.
Les catégories grammaticales pourront être représentées par des jetons
de couleurs différentes. Ainsi, chaque mot de la phrase est visualisé et
caractérisé.
Au départ de cet abord rééducatif, un jeton jaune correspond à un mot,
puis progressivement chaque catégorie grammaticale va adopter une
couleur spécifique.
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Exemple :
LE
MATIN
IL
MANGE
DU
PAIN
Dans cette phrase les déterminants sont des triangles jaunes, les noms
des ronds bleus, et le verbe un rond rouge.
La même phrase avec un inducteur : hier (qui n’est pas représenté)
HIER
IL
MANGEAIT
DU
PAIN
Dans ce cas l’action passée est représentée par une flèche rose.
Pour une action future, on utilisera une flèche verte avec une orientation
vers la droite.
DEMAIN
IL
MANGERA
DU
PAIN
A ce moment-là le présent sera également marqué pour bien le
différencier des autres temps.
EN CE MOMENT
IL
MANGE
DU
PAIN
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Le but est progressivement de réduire les inducteurs et que l'enfant reste
capable de marquer les bons modes.
En parallèle un travail de transcription va s'organiser de façon précoce.
Ceci est nécessaire pour que le support visuel du langage écrit aide
également à la mise en place des structures syntaxiques.
Il faut cependant garder en mémoire que la rééducation ne peut se baser
que sur une approche fonctionnelle du langage (à partir des productions
verbales de l'enfant car cela sera vite limité) mais l'utilisation très
formelle d'outils peut se révéler très, voire trop, rigide pour l'enfant et
limiter la généralisation des productions.
Nous avons présentés ici deux situations totalement différentes dans la
mesure où nous ne nous adressons pas à la même population.
Cependant, dans l’une comme dans l’autre, le support visuel est d’une
aide indéniable.
Il apporte, dans le cadre des troubles expressifs sévères, une
prévisibilité des évènements dans le temps, participe au développement
de la communication, favorise l’autonomie et les aptitudes sociales et
doit donc être considéré comme un support de communication à part
entière.
Chez les sujets dysphasiques, il a pour objectif de rendre fonctionnel les
mots-outils propres au temps et d’enrichir l’architecture des phrases.
Cette aide visuelle va permettre de créer des liens entre les évènements,
en les ordonnant, pour les amener au schéma narratif. Le support visuel
apparaît plutôt ici comme un « support » rééducatif.
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Rappelons cependant que ces supports sont des outils au service d’un
(ou plusieurs) objectif(s) qu’il conviendra de définir avant leur mise en
place.
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