Quel accompagnement psychologique pour le jeune patient et son entourage ? doSSIER ThÉmATIQuE

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dossier thématique
Cancers de l’adolescent
Quel accompagnement
psychologique pour le jeune
patient et son entourage ?
What kind of psychological support for the young patient
and his relatives?
É. Seigneur*, C. Flahault**
Une population particulière
et des besoins spécifiques
Chaque année en France, environ mille jeunes âgés
de 12 à 25 ans apprennent qu’ils sont atteints d’un
cancer. En dépit des récents progrès thérapeutiques
et de l’augmentation des taux de guérison, il n’en
reste pas moins que l’annonce et le traitement de
ces pathologies constituent toujours un bouleversement profond et durable pour le jeune patient
ainsi que pour son entourage. Les particularités des
soins aux adolescents et jeunes adultes atteints de
cancer sont intimement liées aux spécificités de
cette période de la vie, marquée par une transition
souvent difficile entre l’enfance et le début de la vie
adulte, entre dépendance et autonomie. Il apparaît
donc nécessaire de bien connaître les enjeux – aussi
bien somatiques que psychiques – propres à l’adolescence, et de prendre également en compte les
effets de la survenue du cancer sur ces processus
dynamiques, ainsi que les besoins spécifiques qui
en découlent.
L’adolescence :
une période de transition
Initiée par les transformations du corps qui surviennent sous l’effet de la puberté, l’adolescence est
une période de la vie caractérisée par de profondes
modifications, aussi bien physiques que psychiques. C’est une période de transition, rarement
exempte de difficultés, vers l’autonomie affective,
matérielle mais aussi sexuelle. En effet, la puberté
conduit notamment à l’acquisition de la capacité
à se reproduire et à mener une vie sexuelle génitale active. De nombreuses acquisitions découlent
de cette période de transition : constitution d’une
identité, choix d’un(e) partenaire, engagement dans
une vie de couple, choix d’une orientation scolaire
puis professionnelle et enfin, plus largement, choix
d’idéaux et de valeurs.
Durant cette période, les changements physiologiques et les changements psychiques s’influencent
réciproquement et en permanence. L’adolescence
oblige le jeune à remanier son rapport à lui-même
et aux autres, et le contraint également à renoncer
progressivement aux modalités relationnelles
propres à l’enfance. Ce processus expose l’adolescent à des mouvements psychiques intenses, du fait
de l’ambivalence fondamentale qui est au cœur de
ces changements et de l’insécurité induite par cette
transition. Il n’est donc pas rare d’observer de brusques variations d’humeur, sachant que la question de
la dépendance, à l’autre en général, aux parents en
particulier, se pose elle aussi de façon douloureuse
et parfois bruyante.
Du fait de tous ces changements, internes et
externes, somatiques et psychiques, l’adolescence
est une période de grande fragilité. La vulnérabilité
psychique des adolescents est également à mettre
en rapport avec la réactivation, à cette période de la
vie, des problématiques développementales dynamiques qui jalonnent la vie d’un individu. On peut
* Pédopsychiatre, unité de psychooncologie, Institut Curie, Paris.
** Maître de conférences, université
Paris-Descartes, Paris.
La Lettre du Cancérologue • Vol. XVIII - n° 3 - mars 2009 | 167
Résumé
Mots-clés
Adolescents
Jeunes adultes
Cancer
Soutien psychologique
Proches
Highlights
Adolescence is a complex
period characterised by physical
and psychological changes. A
diagnosis of cancer at this time
may disturb the personal deve­
lopment and distress the young
patient and his relatives.
Oncological teams who motivated these adolescents and
young adults should be motivated, well trained and familiar
with the specific needs of these
young patients. They must also
know how to work in a multidisciplinary way. Psychologists
and psychiatrists working in
these teams can support and
help young patients and relatives to cope with cancer but
also medical and nurses staff.
The aim is to allow, in complement of the treatment of
cancer, to support the adolescent or young adult in an active
position, taking into account
his abilities, his autonomy, his
information needs but also his
vulnerability due to his age.
Keywords
Adolescents
Young adults
Cancer
Psychological support
Relatives
L’adolescence est une période complexe, marquée par des changements physiques et psychiques. Le diagnostic
de cancer à ce moment peut perturber le développement en cours et bouleverser durablement le jeune et ses
proches.
Les équipes oncologiques qui prennent en charge ces adolescents et adultes jeunes doivent être motivées,
formées et bien connaître les besoins spécifiques des jeunes. Elles doivent aussi savoir travailler de manière
pluridisciplinaire. Les psychologues et psychiatres intégrés à ces équipes peuvent soutenir et aider les jeunes et
leurs familles, mais aussi les équipes soignantes.
L’objectif est de maintenir l’adolescent ou le jeune adulte dans une position active, en tenant compte de ses
capacités, de son autonomie et de ses besoins d’information, mais aussi de la vulnérabilité inhérente à son âge.
par exemple évoquer la réactivation de problématiques infantiles, telles que le bien connu complexe
d’Œdipe, qui doit à ce moment-là trouver son issue
et sa résolution dans la réalité. Il faut donc rappeler
que le déroulement et l’issue de l’adolescence dépendent aussi de l’histoire infantile du sujet, avec ses
éventuelles fragilités (séparations, traumatismes,
etc.), mais aussi ses forces. Enfin, la présence et la
qualité de l’entou­rage de l’adolescent déterminent,
pour une part non négligeable, la gestion et l’issue
de ce que l’on a coutume de nommer la crise de
l’adolescence.
Enjeux de la maladie
cancéreuse à l’adolescence
La survenue du cancer à l’adolescence va venir
compliquer une situation déjà difficile, compte tenu
de tous les enjeux évoqués précédemment. En effet,
la maladie cancéreuse, ses traitements et l’angoisse
qu’elle génère vont perturber profondément et durablement les dynamiques propres à l’adolescence.
Toutes les grandes questions auxquelles les adolescents et les jeunes adultes sont confrontés, à savoir
l’engagement dans des études et/ou une orientation professionnelle, l’accès à la maturité sexuelle
et le choix d’un ou d’une partenaire, l’adoption de
valeurs idéologiques propres, etc., vont se poser
différemment en raison de la présence du cancer,
du risque vital, ou en tout cas des menaces pesant
sur l’avenir.
La maladie cancéreuse et son traitement entraînent une sensation de perte de contrôle du corps,
qui n’est alors plus infaillible et peut faire souffrir.
Parfois, il existe également une sensation de perte
de contrôle d’une partie des décisions concernant la
vie de l’adolescent, qui reviennent alors aux médecins. L’intervention des soignants et la nécessaire
implication des parents dans le projet thérapeutique
contribuent également à générer une sensation de
dépendance qui vient s’opposer au désir et au besoin
d’autonomie de l’adolescent ou du jeune adulte.
La perte de contrôle, la situation de passivité et la
dépendance induite par la maladie s’opposent donc
en tous points aux aspirations habituelles et légitimes des adolescents et des jeunes adultes.
168 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XVIII - n° 3 - mars 2009
Par ailleurs, ces jeunes patients sont également
confrontés à diverses modifications physiques
telles que l’alopécie, les modifications du poids,
les cicatrices ou éventuelles amputations chirurgicales, etc. Bien souvent, ces transformations
viennent renforcer le sentiment d’étrangeté d’un
corps déjà bouleversé par la puberté, et il se peut
aussi parfois que les caractères sexuels secondaires
s’effacent sous l’effet des traitements du cancer.
Ces modifications physiques surviennent dans
une période où l’apparence extérieure revêt une
extrême importance, en particulier dans la dimension de reconnaissance qu’elle procure, et comme
signe d’appartenance à un groupe de pairs. Or, à
une période où le sentiment de sa propre identité
est fragile car en construction, l’appartenance à un
groupe devrait venir normalement soutenir l’adolescent. Mais cela est souvent beaucoup plus difficile
chez l’adolescent cancéreux, notamment lorsque
l’isolement est une prescription vitale : le sentiment
de différence n’en est que plus fort.
Relations avec les proches,
les soignants
et les autres jeunes
Il est nécessaire, pour la plupart des adolescents,
d’avoir des contacts avec leurs pairs durant la
maladie, d’une part en favorisant le maintien du
réseau amical habituel et en encourageant les visites
des amis à l’hôpital, et d’autre part en rendant
possible la rencontre avec d’autres jeunes traversant les mêmes épreuves.
De même, il est important pour eux de pouvoir
poursuivre leurs activités habituelles, qu’elles
soient scolaires ou de loisir, durant le traitement.
La présence d’un animateur qui organise différentes
activités, de professeurs pouvant dispenser des cours
à l’hôpital ou à l’extérieur et l’aménagement d’un
espace consacré aux adolescents dans le service, avec
par exemple des ordinateurs munis de connexions
Internet, facilitent et encouragent cette continuité
durant le traitement. Diverses associations peuvent
également contribuer à l’amélioration du quotidien
du jeune malade.
dossier thématique
Toutefois, un certain nombre d’adolescents cherchent à s’isoler pendant les traitements, semblant
mettre leur vie entre parenthèses et ne souhaitant
pas être confrontés au regard des autres. Par ailleurs,
la rencontre avec d’autres jeunes patients est parfois
difficile, à cause de l’image en reflet de la maladie que
ceux-ci leur renvoient. Toutes ces raisons peuvent
pousser les adolescents à ne pas investir les lieux
et activités qui leur sont ouverts dans le service, à
refuser les visites et les contacts et à rester seuls
dans leur chambre durant les hospitalisations.
La qualité des interactions entre l’adolescent ou le
jeune adulte, ses parents et les soignants est fondamentale pour le bon déroulement des soins et pour
que chacun se sente pris en considération à sa juste
place. Il est capital que le jeune patient reste l’interlocuteur principal des soignants et que, idéalement,
les informations et décisions concernant son traitement soient discutées en sa présence. Néanmoins,
l’implication des parents est également nécessaire,
et les soignants doivent les aider à trouver une juste
distance avec leurs enfants, afin d’éviter une surprotection étouffante et infantilisante, ou, à l’inverse,
une responsabilisation excessive, pouvant être vécue
comme un abandon.
Le désir réitéré d’être le moins souvent possible à
l’hôpital amène souvent le jeune à rediscuter son
traitement et ses modalités d’administration, voire
à demander la réduction de celui-ci. Ce type de
demande exprime aussi le besoin d’échanger avec
les médecins et de sentir que les adultes, parents et
soignants, tiennent bon dans la réaffirmation de la
légitimité et de l’intérêt du traitement, parfois très
difficile à supporter.
Spécificités du soutien
psychologique
L’aide et le soutien que les psychologues et psychiatres peuvent proposer aux adolescents ou aux jeunes
adultes atteints de cancer ainsi qu’à leurs proches
obéissent aux règles habituelles d’intervention
auprès des personnes atteintes de cancer, mais
doivent également prendre en compte les spécificités propres à cette période de la vie.
Souvent, le jeune n’exprime pas la demande d’un
soutien psychologique, qui le renverrait selon lui à
une faiblesse, sinon à la folie, et créerait un lien dont
il pourrait se sentir dépendant à un moment. Il paraît
donc judicieux de proposer une première rencontre
avec un psychologue ou un psychiatre, de façon systématique, au début du traitement oncologique.
Le refus de voir ou de revoir un psychologue ou un
psychiatre est souvent en lien avec la crainte pour
le jeune de se confronter à ses émotions et à ses
angoisses, qu’il ou elle cherche justement à mettre
à distance. Les mécanismes de défense rencontrés à
cette période (évitement, mise à distance, déni, etc.)
sont souvent peu compatibles avec une verbalisation
directe des émotions en lien avec la maladie et le
traitement. Pour toutes ces raisons, le soutien psychologique d’un adolescent ou d’un jeune adulte peut
bien sûr s’organiser de façon individuelle ou groupale,
mais également au travers d’un soutien de sa famille
ou encore des soignants qui le prennent en charge.
L’expression de la souffrance psychique chez ces
adolescents ou jeunes adultes malades passe
fréquemment par des plaintes d’ordre somatique :
troubles du sommeil, difficultés alimentaires, fatigue,
céphalées, douleurs abdominales, etc.
Enfin, même si certains symptômes ou comportements dérangent, ils ne sont pas toujours d’ordre
pathologique. Repli, régression, retrait, mutisme,
évitement, révolte, prise de risque, refus d’hospitalisation et/ou de traitement et agressivité traduisent
le plus souvent une tentative maladroite de reprise
de contrôle, d’affirmation de soi, et enfin de lutte
contre la passivité insupportable et l’angoisse. Ces
situations méritent cependant une évaluation par
un professionnel du soin psychique. Celle-ci doit
être systématique avant toute prescription de
psychotrope.
Conclusion
L’adolescence est une étape complexe, caractérisée
par des modifications corporelles et psychiques dont
l’issue permet l’autonomie affective et matérielle.
La survenue du cancer à l’adolescence ou au début
de la vie adulte confronte le jeune à sa vulnérabilité
et le place dans une situation de passivité et de
dépendance qui va à l’encontre des dynamiques
habituelles de cette période de la vie.
Les équipes oncologiques qui prennent en charge ces
adolescents et adultes jeunes doivent être formées
aux enjeux de la survenue de la maladie grave à
l’adolescence. Ils doivent également bien connaître
les besoins spécifiques des jeunes et savoir travailler
de manière pluridisciplinaire. Les psychologues et
psychiatres intégrés à ces équipes peuvent soutenir
et aider les jeunes ainsi que leurs familles, mais aussi
les équipes soignantes, notamment en analysant
avec elles le sens de certains comportements, parfois
dérangeants ou inquiétants.
La Lettre du Cancérologue • Vol. XVIII - n° 3 - mars 2009 | 169
doSSIER ThÉmATIQuE
Cancers de l’adolescent
Quel accompagnement psychologique
pour le jeune patient et son entourage ?
Fermeté et solidité, mais également flexibilité et
adaptabilité sont nécessaires chez les soignants qui
ont choisi de travailler au contact de ces adolescents et jeunes adultes atteints de cancer. Il est
donc souhaitable qu’ils soient volontaires, motivés
et correctement formés pour cette activité spécifique.
La création d’unités spécialement destinées aux
adolescents et jeunes adultes atteints de cancer
peut contribuer à la reconnaissance et à la prise
en compte des besoins spécifiques de ces jeunes
et leur permettre, dans la mesure du possible, de
rester acteurs de leur vie. Ainsi, le cancer et les traitements ne viendront pas figer complètement les
processus développementaux en cours, et le jeune
pourra traverser au mieux cette épreuve et l’intégrer
à son histoire, ce qui facilitera également son devenir
après la maladie.
■
Pour en savoir plus
▸ Abrams AN, Hazen EP, Penson RT. Psychological issues
in adolescents with cancer. Cancer Treat Rev 2007;33:
622-30.
▸ Clerici CA, Massimino M, Casanova M et al. Psychological
referral and consultation for adolescents and young adults
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Cancer 2008;51:105-9.
▸ Lewis IJ. Cancer in adolescence. Br Med Bull 1996;52(4):
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▸ Pentheroudakis G, Pavlidis N. Juvenile cancer: improving
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medical oncology. Ann Oncol 2005;16(2):181-8.
▸ Seigneur É. L’adolescent et le jeune adulte confrontés
au cancer. In: John Libbey Eurotext, eds. La psychologie.
Paris, 2007.
▸ Smith S. Adolescent units-an evidence-based approach to
quality nursing in adolescent care. Eur J Oncol Nurs 2004;
8(1):20-9.
▸ Steliarova-Foucher E, Stiller C, Kaatsch P et al. Geogra-
phical patterns and time trends of cancer incidence and
survival among children and adolescents in Europe since
the 1970s (the ACCIS project): an epidemiological study.
Lancet 2004;364(9451):2097-105.
▸ Vue sur la Loire… des ados racontent. Nantes : Association
Leucémie Espoir Atlantique Famille (LEAF), 2004.
▸ Association Jeunes Solidarité Cancer (JSC), www.jscforum.
net.
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