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VOCABULAIRE
Vocabulaire
Correspondances en Onco-Théranostic - Vol. III - n° 1 - janvier-février-mars 2014
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CHIMÈRES
ET CHIMÉRISME* Par Alain Rey, directeur de la rédaction
du Robert, Paris
* © Le Courrier de la Transplantation 2003;4(3):173.
D
e l’imaginaire à la réalité, tel fut le chemin
de la chimère. Il est d’ailleurs remarquable,
étant donné la valeur péjorative acquise par
l’adjectif chimérique, et par chimeric en anglais, que
les auteurs de manipulations sur des tissus généti-
quement différents aient choisi pour leurs travaux
cette référence au mythe. Cest H. Winckler, en 1907,
qui parla en allemand de chimäre à propos de plantes
génétiquement hétérogènes. On passa assez vite du
domaine végétal à l’animal – ce qui se produisit plus
tard pour le terme clone.
La Chimère (khimaira) est le nom d’un monstre mytho-
logique, assemblage aberrant de parties d’animaux
réels – elle avait tête et poitrail de lion, ventre de
chèvre et d’animaux imaginaires – crachant des
flammes –, elle affichait sa nature de dragon par une
queue reptilienne, mais fictive. Redoutable, elle n’était
pas invincible : Bellérophon parvint à la tuer.
Outre la métaphore évidente des parties hétéro-
clites, habituelle dans les bestiaires anciens, le mythe
de la Chimère évoque tous les monstres gardiens
de secrets ou de trésors, tel Cerbère. Vaincre ces
monstres constitue pour l’humanité un objectif
ou un fantasme majeur. S’agissant de sciences et
de pratiques scientifiques, la Chimère se nomme
“Erreur” ou “Ignorance.
Et de fait, alors que les chimères de la langue
po étique sont des rêves, des utopies, leur image
est volontiers faite d’éléments incompatibles. Dans
un texte peu connu, La Toison d’or, Théophile Gautier,
outre une nature capricieuse” (de chèvre, caper), lui
attribue des ailes, car elle emmène l’esprit hors des
contraintes de la vie terrestre : “la chimère capricieuse
et farouche, écrit-il, “toujours prête à déployer ses
ailes inquiètes….
Avant le
xx
e siècle et les développements de la géné-
tique, obtenir un organisme aussi improbable que
la fabuleuse Chimère, un monstre sur commande,
programmé, était en effet un rêve de savant fou, une
vraie chimère. Et pourtant, à partir d’embryons diffé-
rents, on parvint à créer des êtres vivants hors nature.
Entraînant l’adjectif chimérique – d’abord en anglais,
chimeric –, les chimères devinrent des réalités de
laboratoire, et l’ADN chimérique” nest nullement
imaginaire : simplement, il constitue une molécule
hybride obtenue à partir de deux fragments d’ADN
différents ou d’une protéine qui en est issue. Et
puisqu’il fallait désigner ce domaine de la génétique
appliquée, on créa le chimérisme, sans se préoccuper
des ambiguïtés possibles – car on parlerait volon-
tiers de chimérisme pour qualifier une politique
irréaliste… Cest pour éviter cet effet pervers que
Jean Rostand parlait en 1972 d’organes de structure
chimérale ; il est vrai que c’était sous la coupole de
l’Institut, pour accueillir Étienne Wolff. Cette époque
est scientifiquement dépassée ; quant au langage,
c’est une autre affaire.
Mais, chiméraux ou chimériques, les produits de cette
activité un peu perverse, le chimérisme, font avec de
bonnes raisons référence aux imaginaires féconds de
la mythologie ; espérons que c’est pour faire reculer
les monstres quelle évoque…
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