Tissus composites Dossier thématique Approche psychopathologique des patients allogreffés des mains Psychopathology of double hand transplantated patients Résumé »»L’auteur aborde la question des facteurs psychologiques d’indication de greffes bilatérales des mains puis met en lumière l’importance de l’appropriation subjective des membres greffés et de l’identification à l’équipe soignante. Les risques de dépression réactionnelle et de régression sont évoqués. L’incidence psychologique de la greffe est le plus souvent très positive. Summary C. Seulin* Mots-clés : Maturité - Appropriation subjective - Identification. L es considérations psychopathologiques avancées dans cet article reposent sur l’expérience acquise au cours de l’évaluation de candidats à l’allogreffe bilatérale des mains et d’une cohorte de 5 greffés ­bilatéraux dont le suivi va de 1 à 10 ans. La population des candidats comme des greffés des mains présente 2 particularités, en regard des autres bénéficiaires de transplantations. D’une part, les organes greffés sont externes, visibles, sensibles et obéissent à la motricité volontaire intervenant de façon majeure dans la vie de relation ; d’autre part, les motifs de l’amputation, accidentels, soulèvent parfois la question de la prise de risque, voire celle de la participation inconsciente des sujets à leur accident. Question de l’indication * Psychiatre, psychanalyste, membre titulaire formateur de la Société psychanalytique de Paris, Lyon. 66 La nouveauté de cette méthode de traitement des amputations bilatérales de mains, la particularité des organes greffés mais aussi la lourdeur du traitement médico-chirurgical en cas de transplantation nécessitent de peser soigneusement le pour et le contre l’indication d’une allogreffe des mains du point de vue psychologique. L’attente concernant les bénéfices de la greffe combine 2 aspects : les retrouvailles avec une intégrité corpo- The psychological dimension of the indication of double hand transplantation is treated. The author highlights the question of the subjective appropriation of the hands and of the patient’s identification with the care team. The double risk of depression and of regression is mentioned. Finally, in most of the cases, the psychological benefit of the double hand transplant is clear. Keywords: Maturity - Subjective appropriation - Identification. relle et la récupération fonctionnelle. Loin de s’­opposer, ces 2 aspects rencontrés chez les patients potentialisent les bénéfices de la greffe. Il convient de sélectionner des patients capables de comprendre les enjeux du traitement, motivés, courageux, acceptant les risques, et qui puissent envisager la transgression et le défi que représente cette avancée de la médecine. Il doit en même temps s’agir de patients suffisamment matures, observants dans le cadre d’un suivi et d’un traitement très astreignants. Les patients immatures, incapables d’assumer la responsabilité de leurs soins, mais aussi les patients souffrant de graves troubles de la personnalité (troubles identitaires, psychopathie, pathologies limites), de psychose ou de troubles chroniques de l’humeur (antécédents maniaques ou dépressifs avérés) seront exclus. D’autres dimensions plus subtiles interviennent dans la contre-indication d’une greffe des mains et doivent être prises en compte. L’idéalisation conduit certains patients à attendre “tout” de l’équipe médico-chirurgicale, ce qui ne manquera pas de conduire à une dévalorisation dangereuse de l’équipe par le patient. D’autres patients, face à une méthode novatrice et spectaculaire veulent surtout “faire la une des médias” et passeront parfois du rêve de grandeur à la persécution. Enfin, notons le rôle important et favorable joué par une bonne insertion sociale antérieure et un entourage de qualité soutenant le futur greffé. Le Courrier de la Transplantation - Vol. XI - n° 2 - avril-mai-juin 2011 Approche psychopathologique des patients allogreffés des mains Évolution psychopathologique des greffés des mains Le suivi des allogreffés des mains met en évidence 4 dimensions caractéristiques de leur évolution psycho­ pathologique. L’appropriation subjective des membres greffés Les mains greffées, organes visibles et relationnels, s’intègrent de façon progressive à la représentation du moi corporel, ce qui suppose un déni de leur origine étrangère. Ce déni, salutaire, s’installe à la faveur de la double récupération fonctionnelle, motrice et ­sensible. La motricité volontaire, effectrice de la volonté du moi, confirme, au fur et à mesure qu’elle est récupérée, l’appartenance subjective des membres. On constate un parallélisme temporel entre récupération et appropriation. L’identification aux soignants de l’équipe médico-chirurgicale L’investissement majeur des équipes de soins, l’importance du suivi et des soins justifiés par la technique favorisent d’intenses liens affectifs avec le patient. Ce dernier s’appuiera sur une identification aux soignants pour assumer la responsabilité de son traitement et progresser, malgré les efforts coûteux du traitement. Cette identification peut se teinter d’ambivalence. Les soignants veilleront à éviter d’éventuelles réactions de rejet de la part du patient, préjudiciables au suivi mais surtout une idéalisation trop massive qui favoriserait une fuite de la réalité. La dépression Elle est fréquente, d’intensité variable, survenant dans les mois qui suivent la greffe. Elle est en général bien surmontée grâce à l’aide psychothérapique et, si besoin, Le Courrier de la Transplantation - Vol. XI - n° 2 - avril-mai-juin 2011 à un traitement psychotrope adapté. On peut la comprendre, lorsqu’elle suit la greffe, comme en lien avec le réveil du traumatisme de l’accident responsable de l’amputation, mais aussi comme liée à l’écart entre l’­attente idéale de retrouver des mains esthétiquement et fonctionnellement parfaites et la réalité d’une dure rééducation en vue d’une lente récupération. Elle s’amende, le plus souvent, après la première année. La régression L’allogreffe des mains impose des durées d’hospitalisation très longues, du fait de l’intervention chirurgicale et de la rééducation intensive mais aussi du fait du traitement antirejet et d’éventuelles complications. Cela favorise les risques de régression à une dépendance profonde, entravant le retour à une vie sociale normale. Ce risque s’avère d’autant plus marqué qu’il existe des pathologies associées. Il conviendra donc d’apprécier au plus près les possibilités réelles du patient et de l’aider à mettre en mots ses craintes face aux exigences du quotidien comme ses difficultés dans ses relations aux autres. Conclusion À la lumière de notre expérience, le devenir psycho­ logique des greffés des mains ne pose pas de problème majeur si l’indication, dans sa dimension psychopathologique, a été correctement établie. Les contraintes du suivi et du traitement, l’effet bouleversant de retrouver des mains occasionnent certes des mouvements dépressifs ou régressifs, en général bien contrôlés, mais ne conduisent pas à de sérieuses décompensations psychologiques. L’intégrité corporelle retrouvée et le succès fonctionnel régulier, sources d’une grande satisfaction, y sont sûrement pour beaucoup. ■ 67