Public, social and cooperative economy meeting the general interest 29

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29ème International Congress of CIRIEC
Vienne, 12-14 septembre 2012
Public, social and cooperative economy
meeting the general interest
La gestion du service public de l’eau et de l’assainissement en Algérie
Cadre légal, financement et régulation
Malika CHERTOUK – AHMED ZAID, Professeur
Laboratoire REDYL – Réformes Economiques et Dynamiques locales
Faculté des Sciences Economiques, Commerciales et de Gestion
Université Mouloud Mammeri, Tizi Ouzou
[email protected]
Résumé :
La présente contribution essaie d’aborder les évolutions amorcées dans la gestion des services en réseau
et plus particulièrement ceux de l’eau et de l’assainissement dans un contexte économique en proie aux effets
latents de la crise financière et économique mondiale et un contexte de réformes inaccomplies marquant une
expérience difficile et inachevée de transition de l’économie administrée vers l’économie de marché. Aussi, la
première partie de la contribution consistera à faire le point sur le redéploiement de l’action publique à travers
l’importance accordée aux services publics dans la dynamique de réformes économiques et institutionnelles
entreprises en Algérie durant les deux dernières décennies tout en mettant en relief la faiblesse des résultats et les
retards accumulés en la matière. La seconde partie sera consacrée aux services publics de l’eau et de
l’assainissement connaissant un début de transformations après celles qui ont touché un autre service en
réseau, celui des télécommunications. Ces transformations mettent du temps à se dessiner et le basculement vers la
privatisation ne semble pas s’inscrire dans les préoccupations actuelles. Il sera question à la fois d’évolutions
organisationnelles et institutionnelles qui affectent ces services, d’une expérience de délégation et de régulation en
cours de formalisation et bien entendu d’une analyse des résultats auxquelles elles ont abouti.
Mots clés :
Service public – Eau – Réglementation – Financement – Régulation – Politique tarifaire – Algérie.
Le processus d’insertion dans l’économie mondiale et les nouvelles formes de rapports
entre Etats ont induit d’importantes évolutions dans la gestion des services publics dans de
nombreux pays du monde. Cette situation les a conduits à reconsidérer la conception, le
contenu et la mise en œuvre de leurs politiques publiques. On assiste alors à un mouvement de
reconfiguration de l’action publique dans bon nombre de ces pays et à un renouveau assez
spécifique en Algérie, loin de faire table rase des pratiques anciennes qui continuent à influer
négativement sur son efficacité. Dès lors, la question du renouveau dans l’action publique se
pose différemment en Algérie relativement aux pays occidentaux et ceux qui ont choisi la
même voie pour s’engager dans l’économie de marché, mais elle y demeure liée, la stratégie
de transformation retenue étant foncièrement identique à travers notamment les mesures
jugées souhaitables et indispensables par ses concepteurs tandis que la contrainte
sociopolitique et le processus d’adaptation sociale diffèrent.
Le contexte de réformes entreprises par l’Etat, conjugué avec l’embellie financière due
à une montée prodigieuse des prix du pétrole, devait en principe augurer d’un succès de la
stratégie et aboutir à une meilleure reconfiguration de l’action publique et une maîtrise
soutenue des politiques publiques, l’Etat disposant de plus d’aisance et d’assurance à conduire
le processus. En effet, des réserves de change importantes ont été engrangées durant la
1
dernière décennie et des sommes considérables sont injectées annuellement dans les différents
secteurs sans pour autant que des améliorations sensibles ne soient obtenues particulièrement
dans la fourniture des services publics. Mais voilà que la nouvelle tendance comportementale
de l’Etat a été perturbée par les effets inattendus de l’onde de choc de la crise financière et
économique mondiale d’autant plus que la conduite du processus de réformes s’avéra très
lente et des résistances se manifestèrent y compris au sein même des institutions. Loin d’être
protégée, l’économie algérienne subit les à-coups indirects et les turbulences de l’onde de
choc de la crise financière mondiale malgré un système financier peu évolué en totale
déconnexion des marchés financiers internationaux. L’accumulation des réserves de change
connaît une brusque régression suite à la récession qui frappe bon nombre de pays
industrialisés et à la baisse conséquente de la demande en hydrocarbures notamment ; les
ressources de l’Etat s’amenuisent, la croissance accuse une baisse relativement aux années
précédentes tandis que les prévisions pour 2010 et les années suivantes ne semblent pas verser
dans l’optimisme. Cette tendance régressive a conduit le gouvernement à être prudent quant à
sa politique budgétaire tout en observant une série de restrictions visant à épargner au mieux
les réserves accumulées et à dépenser utile. Même si, dans une première phase, le rythme et le
volume des investissements pour l’amélioration des services publics est maintenu pour la
période quinquennale 2010-2014, il n’est pas exclu que des effets de la crise mondiale se
manifestent ultérieurement et remettent en cause la politique gouvernementale non seulement
en termes de volume des investissements mais aussi en termes de nature et d’envergure des
projets.
Dans le cadre du programme d’investissement public pour cette période, le
gouvernement accorde une place privilégiée au développement et à l’amélioration de la
fourniture des services publics de l’eau et de l’assainissement. En effet, une enveloppe de 15
milliards de dollars est prévue pour ce secteur malgré un contexte fait d’hésitations,
d’incertitudes et de prudence. Au total, les autorités algériennes veulent poursuivre deux
objectifs : régler définitivement le problème de l’eau et de l’assainissement au moins dans les
zones des grandes concentrations urbaines et le réaliser au moindre coût. Le choix d’une
stratégie porteuse est donc au centre de leurs préoccupations et s’inscrit dans la continuité des
réformes institutionnelles et organisationnelles entamées déjà dans le secteur après maintes
hésitations et presque quatre décennies d’expériences infructueuses d’une gestion tournée vers
le « tout public ».
L’option pour l’économie de marché et la carence manifeste, observée à la fois dans
les processus de production et de distribution de l’eau, amènent le gouvernement à remettre en
cause ce mode de gestion pour amorcer timidement une expérience de délégation au profit
d’entreprises étrangères réputées être des leaders mondiaux du secteur de l’eau. Pratiqué
depuis fort longtemps dans d’autres pays et prévu dans le cadre de la loi relative à l’eau, ce
mode de gestion ne constitue pas en soi un fait nouveau, mais l’expérience algérienne en
cours est quelque part singulière et mérite d’être analysée pour au moins deux raisons : la
première est qu’elle se déroule dans un contexte de réformes économiques et administratives
inaccomplies, caractérisé par une aisance financière sérieusement perturbée par des effets
inattendus de la crise financière et économique mondiale ; la seconde est que le gouvernement
oscille entre la volonté d’aller vers la privatisation de la gestion motivée par un souci
d’efficacité et la préservation de la gestion publique confortée par la disponibilité de
ressources financières importantes permettant d’investir dans la réalisation d’importants
projets de mobilisation et de distribution de l’eau. Cette ambivalence a conduit le
gouvernement à adopter une position médiane : investir dans le domaine du management de
l’eau par la formation, le transfert du savoir faire tout en gardant l’essentiel de la gestion pour
deux établissements publics préexistants, eux-mêmes suppléés dans le cadre de la délégation
par des filiales régionales créées dans le cadre de la délégation et managées par des équipes de
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techniciens délégués par les entreprises délégataires étrangères. En fait, c’est une délégation
d’assistance dans le diagnostic des problèmes des réseaux notamment, leurs résolutions et
d’une manière générale dans le management de l’eau et de l’assainissement.
Cela étant, le processus entrepris continue à susciter des interrogations telles que :
l’utilité de l’autorité de régulation mise en place, jusqu’où compte aller le gouvernement dans
le processus de délégation : ira-t-il à la concession, à l’affermage ou vers d’autres modes
pratiqués par ailleurs, ira-t-il vers un mode de gestion décentralisé où les collectivités
territoriales pourront assumer certaines de leurs missions telles que définies dans les codes de
la commune et de la wilaya avec tout ce que cela peut entraîner comme conséquences en
termes de délégation ou gardera-t-on ce système de gestion fortement centralisé avec des
évolutions futures ? Autant de questions qui, pour le moment, ne peuvent avoir de réponses
devant l’attitude prudente et hésitante des gouvernants.
La présente contribution essaie d’aborder les évolutions amorcées dans la gestion des
services en réseau et plus particulièrement ceux de l’eau et de l’assainissement dans un
contexte économique en proie aux effets latents de la crise financière et économique mondiale
et un contexte de réformes inaccomplies marquant une expérience difficile et inachevée de
transition de l’économie administrée vers l’économie de marché. Aussi, dans la première
partie de la contribution, je m’efforce de faire le point sur le redéploiement de l’action
publique à travers l’importance accordée aux services publics dans la dynamique de réformes
économiques et institutionnelles entreprises en Algérie durant les deux dernières décennies
tout en mettant en relief la faiblesse des résultats et les retards accumulés en la matière. La
seconde partie sera consacrée aux services publics de l’eau et de l’assainissement qui
connaissent un début de transformations après celles qui ont touché un autre service en
réseau, celui des télécommunications. Ces transformations mettent du temps à se dessiner et le
basculement vers la privatisation ne semble pas s’inscrire dans les préoccupations actuelles du
gouvernement. Il sera question à la fois d’évolutions organisationnelles et institutionnelles qui
affectent ces services, d’une expérience de délégation et de régulation en cours de
formalisation et bien entendu d’une analyse des résultats auxquelles elles ont abouti.
1. Des services publics dans un contexte de réformes inaccomplies?
Trois principaux aspects distinguent le secteur des services publics du reste de
l’économie, ce sont : le caractère spécifique des investissements, les économies d’échelle et la
large consommation domestique de ces services. Ces trois aspects sont au cœur de la
problématique qui a traditionnellement motivé la nécessité d’aller vers leur régulation
gouvernementale et ont conduit au principe d’une tarification naturellement politique de ces
services [WILLIAMSON, 1988 ; SPILLER, 1990 ; LEVY & SPILLER, 1994]. De ce fait, les
transformations des services publics correspondent à des adaptations à l’environnement
économique et social et sont indissociables des mutations qui touchent aux missions et aux
structures de l’Etat. Ceci étant admis, cette partie se veut une approche du mouvement de
redéploiement de l’action publique en Algérie tout en accordant une place importante à la
gestion des services publics dans la dynamique de réformes entreprises par l’Etat dans sa
tentative de transition vers l’économie de marché dans le cadre d’un mouvement d’ensemble
imposé par la mondialisation.
A l’instar de nombreux pays engagés dans le processus de transformation systémique
sur la base du modèle standard d’économie de marché né du « consensus de Washington »,
l’Algérie se devait de faire face à un double défi : réussir son insertion dans le concert de
l’économie mondiale et garantir la compétitivité de son économie fortement tributaire des
exportations des hydrocarbures et caractérisée par un système productif peu efficace doublé
d’un déficit en management de qualité. Dès lors, la question était de savoir comment limiter
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les effets pervers de cette transformation et réaliser une transition susceptible de réduire les
risques de dégradation des conditions sociales des populations les plus vulnérables.
Partant de ce constat et durant au moins deux décennies, les autorités algériennes ne cessent
d’afficher dans leurs discours une volonté de transformation du système économique sans
pour autant l’accompagner d’une vision claire, tandis que dans les institutions se développent
des stratégies de stagnation. Par ailleurs, les différents programmes gouvernementaux ont
accordé une place relativement importante aux mécanismes nécessaires à une transition
maîtrisée vers l’économie de marché et aux dispositifs de rationalisation de l’action publique,
si l’on se réfère au nombre d’institutions spécialisées créées, à la teneur de la législation
adoptée et aux ressources allouées. Mais dans les faits, les objectifs visés ne sont que
partiellement atteints : les efforts réellement consentis n’ont pas abouti aux succès escomptés
en termes d’amélioration des services publics, du climat d’investissement et encore moins en
matière d’attractivité des investissements directs étrangers appelés à consolider davantage la
dynamique de développement tant attendue. Cette situation s’explique tant par l’écart entre le
cadre institutionnel formellement défini et sa mise en œuvre au profit du développement
économique et social, que par les discordances existant entre les différents segments des
réformes engagées simultanément dans les domaines économique, administratif, judiciaire,
éducatif et bien d’autres.
A partir de 1989, l’Etat algérien a entrepris une série de réformes économiques et
politiques dans le souci d’engager un processus de transformation de l’administration
publique visant à le doter de missions et structures adaptées au nouveau contexte de
l’économie de marché et de pluralisme politique. Malheureusement, cet élan réformateur n’a
pas apporté les améliorations attendues tant les évolutions futures de l’administration publique
et du mode de gouvernance demeurent marquées par les stigmates du passé, l’héritage n’étant
pas seulement dans les formes et les normes institutionnelles mais il reste gravé dans les
comportements et la culture managériale. Cette conception antinomique de l’administration
publique conforte le monopole de l’Etat sur l’ensemble des ressources nationales qui se
présente comme gestionnaire unique et direct des activités économiques et des affaires
publiques. De la sorte, le service public reste organisé en monopole public soit sous la forme
d’une gestion directe par l’administration, soit sous la forme d’établissement public exploitant
un monopole réglementé. La nature de cette conception de l’Etat va également affecter le
support administratif mis en place pour prendre en charge l’ensemble de ces missions. En
effet, la configuration de l’administration s’adaptera à cette conception et produira une
centralisation et un formalisme excessifs en nette contradiction avec le contenu des discours
officiels prônant la décentralisation institutionnelle souvent formelle et plus annoncée
qu’effective.
Toutefois, l’Etat en tant que manifestation formelle d’un ordre interne et d’un ordre
externe se voit confronté aux contraintes des évolutions qui s’opèrent continuellement à ces
deux niveaux. Il se trouve condamné à s’adapter à l’ensemble des mutations au risque de se
voir figé et perdre sa substance devant son incapacité à répondre aux besoins vitaux de la
société. A l’évidence, ces mutations appellent à innover en matière de mécanismes à mettre en
œuvre au niveau de l’administration publique et de rapports à développer avec les différents
acteurs.
Au niveau externe, les mutations intervenues ont profondément bouleversé les relations entre
les Etats et blocs d’Etats. Celles-ci sont passées d’une logique de bipolarisation à une logique
de domination déterminée beaucoup plus par les aspects économiques dont l’un des faits les
plus saillants est le mouvement généralisé de recours aux partenariats-public-privé qui a été
plutôt le résultat d’une initiative internationale lancée depuis au moins deux décennies par les
institutions internationales à commencer par la Banque mondiale, des firmes transnationales
et des gouvernements nationaux [DE MIRAS, 2006].
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Au niveau interne, la société algérienne a connu une brusque et profonde évolution
caractérisée essentiellement par l’émergence d’une société civile à visage nouveau,
l’ouverture institutionnelle sur de nouveaux acteurs à la suite d’une libéralisation du champ
politique, l’évolution significative des rapports contractuels dans les domaines du travail, des
relations sociales et des transactions commerciales, la transformation des rapports des
citoyens à l’égard de l’Etat et de l’administration, et l’apparition de nouveaux besoins
sociopolitiques.
En réalité, ces manifestations ne sont que la signature d’une crise profonde de l’Etatprovidence qui mettent au clair les limites d’un Etat « à tout faire » qui se veut à la fois
propriétaire, entrepreneur et régulateur. En même temps, elles dévoilent la face cachée de la
crise de représentation institutionnelle du rapport Etat /Société. D’une manière globale, nous
sommes en présence de tous les indices de l’expression directe d’une crise aigüe de l’Etat et
de ses institutions qui a conduit à son affaiblissement aussi bien dans les domaines
institutionnels de l’exercice de la souveraineté que dans les fonctions de fourniture de services
publics, de régulation et de contrôle. C’est à ce champ de contraintes internes et externes que
remonte la genèse de l’impérieuse nécessité de réformer les missions et les structures de l’Etat
en vue d’assurer sa pérennité et celle du service public, et d’aller en même temps vers sa
nécessaire modernisation.
Les pouvoirs publics ont alors engagé une réflexion autour d’un mouvement de
réformes tous azimuts dont l’essentiel des débats et des préoccupations majeures étaient
focalisés sur les problématiques de la décentralisation, de la libéralisation et de mise en
concurrence de la fourniture des services publics. Cette tendance réformatrice est d’ailleurs
étayée par l’analyse des évolutions dans les pays de l’OCDE, quand bien même les priorités et
les rythmes diffèrent d’un pays à l’autre. Dans ce contexte, la dévolution de missions de
service public à des pouvoirs régionaux ou le transfert de missions de régulation à des
autorités administratives indépendantes constitue aujourd’hui une tendance quasi-universelle
[BELMIHOUB, 2005].
L’Algérie a opté pour cette voie même si le rythme de mise en œuvre des réformes
demeure manifestement lent et laborieux en raison de résistances se développant au sein
même de l’administration publique qui conserve son caractère autoritaire au détriment d’une
politique de contractualisation. Celle-ci prend naissance et se développe à une cadence
relativement lente en se matérialisant notamment sur le terrain par la création d’autorités de
régulation autonomes dans divers secteurs tels les télécommunications, les mines, les
hydrocarbures, l’électricité, les transports, la monnaie et le crédit, et, plus récemment encore,
dans celui des services publics de l’eau et de l’assainissement.
A ce niveau, il est intéressant de relever un aspect novateur de la politique
contractuelle de l’administration en la passation de contrats entre personnes publiques, alors
que jusque là le contrat était plutôt le fait de relations avec les personnes privées. A ses
débuts, ce type de changement était mal perçu en raison de la centralisation excessive du
système administratif. Or, il se trouve que la généralisation de l’utilisation du contrat dans les
relations entre personnes publiques ne peut se faire que dans le cadre de la décentralisation
qui demeure une question sujette à beaucoup de réticences, de résistances et d’absence de
cadre institutionnel de concertation. D’ailleurs, cette question se trouve masquée par la
pratique de la déconcentration qui constitue la voie privilégiée des pouvoirs publics pour
garder à la fois l’autorité, le monopole et le contrôle total sur les services publics.
Cela étant, le problème consiste à déterminer si la satisfaction des citoyens est mieux
assurée par les approches du nouveau management public comme la contractualisation, la
décentralisation, le partenariat-public-privé sur la base de mécanismes de type marchand que
par les instruments traditionnellement mis en œuvre par une administration de type autoritaire.
Autrement dit, si la mise en œuvre de cette nouvelle démarche permet d’améliorer la
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fourniture des prestations de service public aux usagers selon des règles d’efficacité,
d’efficience et de transparence. Mais pour des raisons pratiques, il est intéressant de
circonscrire l’analyse du renouveau de l’action publique dans un mouvement d’ensemble
incluant le contexte de la dynamique des réformes économiques afin de pouvoir mieux en
apprécier les apports et les contraintes mais aussi la vitesse du processus de mise en œuvre.
Depuis pratiquement plus de deux décennies, l’Algérie s’est engagée dans une dynamique de
réformes économiques et institutionnelles, souvent sous des contraintes et avec le soutien
d’institutions internationales (Programme d’Ajustement Structurel avec le FMI et la Banque
Mondiale) ou encore bilatérales (programmes d’assistance et de coopération). Globalement,
ces réformes visent un objectif majeur : assurer la transition de l’économie algérienne d’un
système centralisé et bureaucratique vers un système décentralisé et d’économie de marché
tout en améliorant sa compétitivité et celle de ses institutions.
Les réformes entreprises dans la décennie 90 avaient pour objet les transformations
structurelles et institutionnelles du système économique sur la base d’une stratégie de
transition conçue de façon générale pour tous les pays et qui a fait l’objet d’un consensus chez
les économistes jusqu’en 1991-92. Celles-ci s’articulent autour d’un certain nombre de
mesures jugées souhaitables et indispensables qui se résument dans : (1) une politique de
stabilisation visant à réduire le déficit budgétaire et la dette publique et à lutter contre
l’inflation par une politique monétaire et financière stricte et un contrôle de l’évolution des
salaires, (2) la libération des prix et la suppression des subventions, (3) la libéralisation des
transactions par l’élimination de la planification centrale et la création du cadre institutionnel
d’une économie concurrentielle, (4) la privatisation et la restructuration des entreprises d’Etat,
(4) l’ouverture de l’économie sur l’extérieur avec la suppression du monopole d’Etat sur le
commerce extérieur, la libération des échanges avec l’extérieur et l’introduction de la
convertibilité de la monnaie [LAVIGNE, 1995 & CRETIENEAU, 2002].
Les réformes engagées en début de la décennie suivante visaient plutôt l’insertion de
l’économie algérienne dans l’économie mondiale à travers les accords d’associations, les
zones de libre échange et l’accord cadre avec l’OMC qui reste en éternelles négociations. Ces
réformes économiques imposent de nouveaux défis à l’administration publique en général et à
l’administration économique en particulier. L’administration publique confinée dans ses
logiques formelles de gestion des ressources et de contrôle bureaucratique sans rapport direct
avec les attentes des usagers du service public et sans référence à des résultats, ne répond plus
aux exigences d’une économie de marché devant répondre aux normes de la décentralisation
et s’adapter constamment à toute forme d’évolution.
Ces réformes ont produit, à des degrés variables, des transformations dans les
structures économiques, la nature de la propriété, les comportements des acteurs tout en
favorisant l’émergence d’un secteur privé de plus en plus consistant, l’implantation
progressive mais timide des investissements directs étrangers et le rôle de plus en plus accru
des associations professionnelles et de consommateurs. Les réformes économiques ont coûté
cher à L’Etat algérien : certains économistes estiment le coût de l’assainissement des
entreprises à 40 milliards de dollars, qualifiant le processus d’une interminable transition tant
les résultats manquent de lisibilité et de visibilité ! Ils pensent même que l’augmentation du
prix du pétrole constitue un frein aux réformes et à la transition vers l’économie de marché.
En effet, plus les réserves de change deviennent importantes, plus le gouvernement a tendance
à revitaliser les entreprises publiques et à ralentir le rythme des réformes. Ces derniers mois,
le gouvernement ne cesse d’injecter des sommes colossales à l’effet de redynamiser des
entreprises publiques en situation déficitaire tout en effaçant leurs dettes (SNVI, ENIEM,
ETUSA, etc.) tout en prenant une série de mesures en leur faveur à travers la loi de finance
complémentaire pour l’année 2009 et la loi de finances pour l’année 2010. Il est vrai que cette
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attitude peut être aussi interprétée comme le développement d’une forme de protectionnisme
vis-à-vis de l’économie nationale à travers l’encouragement de l’entreprise publique.
Quant aux réformes administratives, elles ont accusé du retard et n’ont pas suivi la
dynamique des réformes économiques, combien même l’administration économique en
constitue le support institutionnel et un des facteurs clé de succès. En effet, s’il y a un
domaine où les réformes ont pratiquement stagné, c’est certainement celui de l’administration
même si, dans les discours officiels, celle-ci demeure l’une des thématiques récurrentes.
D’ailleurs, les pouvoirs publics ont même institué un comité d’experts chargé de mener une
réflexion sur la réforme des structures et des missions de l’Etat.
Dans le rapport de synthèse élaboré par ce comité, on relève, au chapitre de la
modernisation de l’Etat, l’intérêt particulier accordé à l’efficacité de l’action publique et, à la
conception, aux mécanismes de mise en œuvre et à l’évaluation des politiques publiques. Il
est souligné notamment qu’il faut « optimiser l’allocation et la gestion des ressources autour
des principes d’équité et de transparence, renforcer la capacité d’action de l’Etat en
revitalisant ses institutions et ses structures. Introduire de nouvelles donnes et de nouveaux
critères de performance et d’efficience de l’action publique, c’est définir de nouvelles bases à
la refonte des modes et des systèmes d’organisation et de fonctionnement de l’Etat fondées
sur l’efficience et l’efficacité de son action publique. Cela implique la mise en œuvre de
réformes de structures s’articulant notamment autour :
• Du renforcement des capacités d’élaboration et d’évaluation des politiques publiques, et le
développement d’un nouveau style de management des organisations publiques,
• Une redistribution des missions et des responsabilités entre les différentes structures
s’inscrivant dans la mise en œuvre d’une dynamique de décentralisation et de déconcentration
s’appuyant sur le transfert et la délégation de pouvoirs, et des responsabilités, de compétences
et de moyens, et consacrant « l’Etat territorial » comme partenaire de « l’Etat central » ;
• Une administration du territoire, se redéployant autour de sa fonction de proximité, de mise
en œuvre des politiques publiques et de représentation de l’autorité de l’Etat, et reconfigurée
dans son organisation par 1’institutionnalisation de la circonscription administrative régionale
rendue incontournable par l’émergence d’une réalité régionale.
• Des instruments rénovés de la gestion publique où la recherche de gains d’efficacité,
d’optimisation des résultats de la dépense publique, et de démultiplication de ses effets
d’entraînement doivent être les nouveaux paramètres de la prise de décision, et d’évaluation
de son impact. »
Par ailleurs, au chapitre du management public, l’accent est mis sur le développement
de nouveaux instruments privilégiant les principes de contractualisation, de partenariat publicprivé, de régulation, de la concertation et de participation de la société civile.
Dans le texte relatif à la réforme et la modernisation de l’Etat algérien, de nouvelles
missions sont attribuées au service public au vu des mutations intervenues tant dans le
contexte mondial qu’à l’intérieur du pays. Il est à noter particulièrement que « les
changements intervenus dans les sphères politiques, économique et sociales conjugués dans le
rétrécissement de la marge d’intervention financière de l’Etat, exigent, au delà de la
conception rénovée du service public, redimensionné dans son périmètre d’action, revu dans
ses modes et systèmes de gestion, une adaptation continue de son rôle et de ses responsabilités
à l’évolution de la demande sociale et au renforcement du marché et de la société civile
comme partenaires et acteurs dans la production et la gestion du service public. Dans ce cadre
général, il s’agit particulièrement pour l’Etat :
• de lever les équivoques entretenues dans la production publique de services et le service
public, en réorientant le rôle de l’Etat dans le soutien à l’accès au service public, et dans le
contrôle de sa qualité, de sa continuité.
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• d’accélérer la mise en œuvre des nouveaux modes de gestion des services publics axés sur
l’ouverture au marché pour les services publics économiques, et la performance de la gestion
publique. »
C’est à ce titre que dans les six principaux chantiers de la réforme de l’Etat, on y
trouve deux qui concernent directement la modernisation des établissements de services
publics incluant l’ouverture de leur gestion à l’initiative privée ainsi que la mise en place
d’autorités de régulation. On note d’abord que « le troisième chantier : concerne la
modernisation des établissements de services publics ; il s’agira d’œuvrer dans le sens de la
rationalisation du réseau des établissements publics en vue de les insérer dans la sphère
publique. Cette modernisation trouve également son expression dans l’ouverture de la gestion
du service public à l’initiative privée et à la société civile, l’ensemble de cette démarche
pouvant se traduire par un allègement significatif des charges financières de l’Etat. Et plus,
loin, on relève également que « le quatrième chantier consiste à développer le recours aux
instruments de régulation et de contrôle et à élargir les voies de la consultation au sein des
institutions publiques et avec la société civile, permettant ainsi de mieux concevoir et évaluer
les politiques publiques. »
S’agissant du service public proprement dit, comme on vient de le voir, le document
de synthèse élaboré par le comité de réflexion chargé de la réforme des structures et des
missions de l’Etat, lui accorde une place de choix relativement aux aspects institutionnels
comme la décentralisation et la démocratie participative. Il constitue l’enjeu central de la
réforme administrative, devançant jusqu’aux enjeux de l’organisation des pouvoirs publics
alors qu’auparavant, l’Etat s’accaparait tout ce qui lui s’apparentait et débordait même sur la
sphère marchande privée.
Ainsi, en plus des services publics traditionnels fournis gratuitement ou avec une
contribution de l’usager, l’Etat a géré directement des pans entiers des activités économiques
et a procédé à des fournitures d’utilités aux citoyens en subventionnant massivement les prix,
y compris ceux de certains biens de consommation dits de première nécessité. Cette situation,
qui a duré jusqu’au milieu de la décennie 1980, est devenue par la suite insoutenable pour
l’Etat en raison d’une sérieuse baisse de ses ressources budgétaires conséquemment à la chute
du prix du pétrole conjuguée à l’inefficacité d’un système productif devenu pratiquement
obsolète.
Par la suite, l’adhésion de l’Algérie aux principes de l’économie de marché a conduit
les pouvoirs publics à se soumettre à la rigueur de l’orthodoxie budgétaire qui va affecter en
premier lieu le financement des services publics et réduire l’étendue de la fourniture de ces
derniers. Comme seule alternative, il ne restait plus qu’à rationaliser la gestion et la fourniture
des services publics pour en garantir la continuité dans au moins les secteurs dits traditionnels.
En matière de processus de transformation structurelle, l’expérience algérienne ressemble par
beaucoup d’aspects et de caractéristiques à celles de la plupart des pays d’Europe centrale et
orientale. Comme ces pays, l’Algérie a eu des évolutions macroéconomiques (inflation et
récession) défavorables au début des années 1990, mais la reprise timide qui a suivi au début
de la décennie suivante a été plus marquée d’autant plus que l’Etat a commencé a engrangé
des réserves de change importantes avec la remontée du prix du pétrole. La progression dans
les réformes a connu des hauts et des bas et l’Etat algérien n’a pas su comment adapter sa
stratégie de transition en fonction des difficultés rencontrées si bien qu’on réalise à travers
l’expérience algérienne que ni la démocratie politique, ni l’économie de marché ne se
décrètent et qu’il est difficile de créer « une économie de marché fonctionnant bien » qui est
beaucoup plus complexe que ne le supposait la stratégie appliquée au début des années 1990
[CRETIENEAU, 2002]. Les difficultés rencontrées ont trait principalement à l’attitude
hésitante et frileuse de l’Etat quant à son désengagement auprès des entreprises, à la
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contraintes sociopolitiques et à la difficile adaptation sociale et à de véritables résistances au
changement.
S’agissant de la traduction sur le terrain des réformes entreprises par l’Etat, les
résultats diffèrent d’un secteur à l’autre mais demeurent globalement mitigés. Il est difficile
d’en faire un bilan exhaustif mais on peut résumer l’essentiel des mutations déjà opérées dans
les secteurs où la dynamique des réformes a été plus ou moins amorcée. Il est clair que le
processus est en lui-même très lent et son développement dépend de la sensibilité de chaque
secteur, des résistances rencontrées mais aussi de la volonté des pouvoirs publics à mettre en
place les mécanismes institutionnels et réglementaires nécessaires.
Au niveau des structures, les réformes n’ont pas apporté de résultats significatifs, mis
à part quelques aménagements institutionnels qui ont été introduits dans la reconfiguration de
certains établissements de services publics. Ce sont principalement les services publics
économiques qui ont été touchés par ces transformations, entre autres :
1. Electricité et distribution du gaz domestique : transformation de l’établissement public
industriel et commercial sous tutelle en entreprise publique économique avec un statut
commercial ;
2. Télécommunications : transfert de la gestion du service d’une administration publique
vers une entreprise publique économique sans pouvoir de monopole ;
3. Distribution de l’eau et assainissement : deux établissements publics autonomes ont
été créés. Il s’agit de l’Algérienne des eaux (ADE) et de l’Office national de
l’assainissement (ONA) qui sont soumis aux règles commerciales de gestion avec un
maintien de la subvention d’investissement et d’équilibre. Dans ce domaine, les
pouvoirs publics ont initié le principe de la délégation de la gestion de la distribution
de l’eau et de l’assainissement dans certaines grandes villes du pays à des opérateurs
étrangers spécialisés dans le domaine ;
4. La poste : la réforme a permis de faire sortir le service public de l’administration
publique produisant des biens et services marchands gérée sous forme de budget
annexe.
En fait, les grandes innovations introduites sont celles opérées dans les services publics en
réseau où effectivement la démonopolisation a été effectuée et les opérateurs sont en position
concurrentielle notamment pour le service des télécommunications et à un degré nettement
moindre pour les services publics de l’eau et de l’assainissement.
En termes de modes de management, l’introduction de la délégation de service public
connaît une timide apparition à côté de la contractualisation interne et externe et de
l’extension de la concession d’exploitation d’un service public à une personne de droit privé
(aéroports, autoroutes, ports par exemple), mais dans les faits seuls quelques projets sont en
cours de préparation.
2. L’expérience de délégation du service public de l’eau dans un contexte de crise
économique
Malgré des conditions naturelles défavorables et un déficit en management latent, la
prise en compte du problème de l’eau en Algérie connait des avancées certaines. La gestion
de ce service public a vu la promulgation de la loi relative à l’eau qui signe la consécration de
la régulation et de la gestion déléguée. Il a également connu de nombreuses péripéties mais
l’option du monopole étatique ou du « tout public » a prédominé. Les options en matière de
délégation et choix du type de gouvernance ont balancé entre l’efficience et l’efficacité du
service et les résistances à la privatisation dans le secteur de l’eau. Une première expérience
de délégation partielle de la gestion du SPEA à des géants européens spécialisés a été réalisée
9
dans quatre grandes villes algériennes, et, le contexte de crise n’en a pas facilité la mise en
œuvre.
(1) Le problème de l’eau en Algérie : des conditions naturelles défavorables et un déficit en
management latent
Il est largement admis que la disponibilité de l’eau reste l’une des questions cruciales à
la base du développement durable. Elle continue à susciter moults débats et interrogations
d’autant plus que de nombreux pays sont déjà en souffrance du fait de sa rareté. Malgré ses
différentes potentialités économiques, l’Algérie fait partie des nations menacées par la rareté
de l’eau. En effet, ses ressources en eaux superficielles et souterraines sont déjà limitées par
des données naturelles défavorables. Selon l’Agence Nationale des Ressources Hydriques,
elles sont estimées pour une année moyenne à 16,3 milliards de m3 au niveau national, soit
une disponibilité moyenne nationale de 500 m3 par habitant et par an [MATE, 2003]. Cette
situation s’est aggravée au cours des trois dernières décennies par des périodes de sécheresse
qui ont réduit davantage ces disponibilités de près de 20%, soit un ratio de 400 m3 par
habitant et par an selon les dernières estimations, ce qui relègue l’Algérie au rang des pays
pauvres en eau, à la limite même d’une situation de crise, le seuil théorique de rareté fixé par
la Banque Mondiale étant de 1 000 m3 par habitant et par an.
Combinée au paramètre démographique, cette situation continue de susciter des
interrogations chez les pouvoirs publics quand à la meilleure stratégie à adopter pour assurer
la disponibilité de la ressource aux différents usagers. Si des efforts notoires ont été consentis
par l’Etat dans l’objectif d’accroître davantage le volume global de la production, il n’en
demeure pas moins qu’en matière de gestion de la distribution, il reste beaucoup à faire.
En effet, les politiques publiques des deux dernières décennies n’ont pas été à la
hauteur des enjeux, qu’il s’agisse des retards enregistrés dans les programmes de construction
des barrages ou de la minceur des moyens affectés de façon continue à la maintenance des
réseaux d’alimentation en eau potable ou des systèmes d’assainissement. Dans le cadre du
plan de relance économique initié en avril 2001 par le gouvernement, le secteur de l’eau
représente une part importante de la dépense budgétaire avec une enveloppe de 15 milliards
de dollars.
Rompues à une gestion chaotique héritée de l’ancien système administré, les segments
locaux de l’établissement public actuel (ADE) chargé de la production et de la distribution de
l’eau, peinent à répondre aux mécanismes de la gestion intégrée et à assurer des prestations à
la hauteur de la performance et de la qualité attendues d’eux. De plus, depuis que l’Algérie
s’est engagée dans les circuits de l’économie de marché, l’Etat tarde à se désengager de la
gestion de ce bien précieux et sensible qu’est la ressource hydrique et à assumer sa fonction
de régulation combien même tout un arsenal de lois a été progressivement promulgué durant
la dernière décennie, voire même avant. Ces lois tentent tant bien que mal de cadrer la
question de la gestion de l’eau dans un contexte nouveau confronté à une double crise : l’état
latent de crise économique mondiale et l’état de crise lié à la rareté de la ressource hydrique et
à sa gestion tant à l’intérieur du pays qu’à l’échelle planétaire. Si au plan du contenu, les
textes promulgués semblent bien cerner tous les aspects inhérents à la gestion de l’eau dans ce
nouveau contexte, en pratique, les choses se présentent autrement : non seulement les effets
de la rareté de la ressource hydrique se font ressentir, mais même là où la ressource est
disponible, sa distribution demeure souvent compromise par des facteurs subjectifs liés aux
dysfonctionnements des réseaux, aux ruptures et fuites répétées et aux aléas de la bureaucratie
conjugués au prix pratiquement symbolique et dérisoire du mètre cube consommé qui est loin
de refléter la réalité du coût de revient. A défaut de prestations de qualité garantissant la
continuité du service public de l’eau, les entreprises chargées de sa gestion ont pour
préoccupation centrale le recouvrement des créances de leurs usagers. C’est dans le but de
10
pallier au déficit chronique des entreprises locales et dans le souci d’une amélioration des
prestations en matière de gestion de la ressource hydrique et de l’environnement, au niveau
des grandes villes notamment1, que l’ Etat a pris des dispositions pour s’attacher les services
de grandes entreprises étrangères spécialisées dans le domaine tout en gardant une assez large
fonction de contrôle. Dans les faits, l’intervention de ces entreprises n’est pas directe, en ce
sens que des interfaces ont été créées à cet effet, notamment lorsqu’il s’agit de combiner des
interventions de nature différente mais à dénominateur commun, à l’image des opérations
d’assainissement, de la production et de la distribution de l’eau. Il est évident que ces
premiers pas de réforme sont rendus nécessaires par une détérioration du service public de
l’eau et de l’assainissement dans les grandes villes et pratiquement à travers tout le territoire
national.
Cependant, la mutation du secteur d’une situation administrative totalement dominée
par des organismes publics vers une situation de gestion tournée vers le secteur privé est
laborieuse et semble s’inscrire dans la durée. De même que si le mécanisme de marché, dans
le secteur de l’eau et de l’environnement est laissé sans régulation, il risque de ne pas aboutir
à un équilibre acceptable entre les objectifs sociaux et les objectifs commerciaux. Les
pouvoirs publics algériens ont alors compris que de nouveaux mécanismes de régulation
doivent être instaurés pour contrôler et encadrer au mieux les nouveaux opérateurs publics et
privés. C’est dans ce sens qu’a été conçue la création d’une autorité administrative de
régulation comme un instrument pour garantir des prix justes et inciter les services impliqués
conjointement à répondre aux normes exigées dans le secteur.
Toutefois, malgré les efforts consentis, la mise en place d’un bon nombre
d’institutions appropriées et d’un arsenal réglementaire conséquent, l’attitude de l’Etat est
quelque part frileuse et hésitante devant des engagements à objectifs importants et
extrêmement sensibles tels que celui de son désengagement et de la mise en place d’un
partenariat-public-privé qui paraît désormais inévitable. Cette attitude se traduit par une
option (démarche) mi-figue mi-raisin qui vise à faire sortir dans une première étape la gestion
de l’eau du « tout public » sans, pour autant, la faire basculer dans le « tout privé » par le biais
de la pratique du partenariat public-privé, affichant ainsi une forme de politique sociale de
l’eau en ne voulant pas libéraliser les prix dans le climat d’instabilité sociopolitique et de
détérioration du pouvoir d’achat du citoyen algérien.
(2) La gestion du service public de l’eau, une histoire complexe où « l’on a tout essayé »
mais dans l’option du monopole étatique ou du « tout public »,
Pour comprendre la genèse de l’adoption de nouvelles formes de gestion dans les
processus de la production et de la distribution de l’eau en Algérie, il paraît nécessaire d’en
faire une rétrospective des changements qui ont marqué la question tant au plan
organisationnel qu’institutionnel.
Au lendemain de l’indépendance acquise en 1962, l’Algérie a hérité des services
publics de l’eau de la période coloniale. A vrai dire, ces services étaient essentiellement
concentrés dans les grands centres urbains et un intérêt minime était accordé au milieu rural si
ce n’est pour l’irrigation des vastes surfaces agricoles. Dès lors, les missions de l’hydraulique
étaient principalement réparties entre les secteurs des travaux publics et de l’agriculture.
Dans cette configuration bicéphale, le ministère des travaux publics et de la
construction s’accaparait l’essentiel des missions assurées par une direction centrale et deux
services extérieurs : le Service des Etudes Scientifiques (SES) qui a donné naissance à
1
L’Etat algérien a conclu des contrats avec quatre entreprises étrangères spécialisées dans le domaine [Suez
Environnement, La Marseillaise des eaux, Agbar et Gelsenwasser] dans l’objectif d’améliorer la gestion du
service public de l’eau dans les quatre grandes villes : Alger, Oran, Constantine et Annaba.
11
l’Agence Nationale des Ressources Hydriques (ANRH) et le Service des Etudes Générales et
des Grands Travaux Hydrauliques (SEGGTH), ancêtre commun de l’Agence Nationale des
Barrages et Transferts (ANBT) et de l’Agence nationale de l’eau potable et industrielle et de
l’assainissement (AGEP).
De son côté, le ministère de l’agriculture assurait toutes les prérogatives inhérentes à
l’irrigation et au domaine de l’hydraulique rurale. Relevant du service public, le monopole de
la gestion de l’eau potable sur tout le territoire national a été confié à la Société Nationale de
l’Eau (SONADE) dont la création remonte à 1970. Quelques années plus tard, trois
ordonnances ont été promulguées : la première en 1974, pour limiter les attributions de la
SONADE à la gestion des infrastructures de production, la seconde en 1975 pour placer la
direction régionale d’Alger sous la tutelle du wali d’Alger et étendre ses attributions à la
gestion de la distribution, et la troisième en 1977 pour dissoudre la direction régionale de la
SONADE d’Alger. Au cours de la même année, les pouvoirs publics créent la société de la
wilaya d’Alger (SEDAL) chargée de la gestion des installations d’alimentation en eau potable
et de l’assainissement dans la wilaya d’Alger. Cette création spécifique traduit parfaitement la
situation de stress hydrique que vivait la population d’Alger, mais créer une entreprise de plus
ne compensait en rien la rareté du précieux liquide.
En 1983, dix sept (17) entreprises nationales ont été mises en place pour prendre en
charge la gestion et l’exploitation des installations d’alimentation en eau potable et
d’assainissement sur l’ensemble du territoire national. En 1987, les pouvoirs publics instituent
par décret pas moins de neuf (9) entreprises régionales couvrant les territoires de 22 wilayas
tandis que 26 entreprises de wilaya ont été créées par délibération de leurs assemblées
populaires pour assurer les services de distribution de l’eau et de l’assainissement sur leurs
territoires respectifs.
En 1992, toutes les entreprises régionales de l’eau ont été transformées en
établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC). L’année suivante, le
ministère de l’équipement et de l’aménagement du territoire initie la nouvelle politique de
l’eau sur la base de trois principes fondamentaux : (1) l’eau est un bien économique, (2) l’eau
est une denrée rare et vulnérable, (3) l’eau est l’affaire de tous. La démarche de la gestion
intégrée de l’eau a été également introduite par l’identification de l’unité de gestion, à savoir
le bassin hydrographique, et la mise en place des principaux outils réglementaires.
En 1997, le gouvernement décide d’une révision de l’organisation du système de
production et de distribution de l’eau à la lumière des nouvelles dispositions contenues dans le
code des eaux promulgué en 1983 et amendé en 1996 avec un fait novateur : l’introduction de
la possibilité de concession des installations d’eau potable et d’assainissement à des
opérateurs privés. A cette occasion, les systèmes de production et de distribution à partir des
ressources en eau mobilisables localement ont été placés sous la compétence des communes
conformément aux dispositions de la loi relative à la commune. Les systèmes régionaux de
production d’eau, barrages et transferts notamment, devraient être assurés par les
établissements de l’eau.
L’émiettement du système de production et de distribution de l’eau n’ayant pas donné
ses fruits, les pouvoirs publics algériens ont du procéder à une restructuration centralisatrice
du secteur à partir de l’an 2001. C’est ainsi que les directions centrales du ministère des
ressources en eau2 ainsi que quatre agences gouvernementales gèrent un territoire scindé en 5
bassins hydrographiques pour le secteur de l’eau de l’amont à l’aval, il s’agit de :
2
Le ministère des ressources en eau comprend six directions centrales qui traduisent à la fois ses principales
activités et les différents sous-secteurs utilisateurs de l’eau : Direction des études et des aménagements
hydrauliques (DEAH), Direction de la mobilisation des ressources en eau (DMRE), Direction de l’alimentation
en eau potable (DAEP), Direction de l’assainissement et de la protection de l’environnement (DAPE), Direction
de l’hydraulique agricole (DHA) et Direction de la planification et des affaires économiques (DPAE).
12
▪ L’Agence nationale des barrages et transferts (ANBT), en charge de la mobilisation des
ressources à travers la mise en œuvre des programmes de construction de barrages et des
différents réseaux d’interconnexions (conduites, stations de pompages, stations de traitement);
▪ L’Algérienne des eaux (ADE), établissement public à caractère industriel et commercial
(EPIC), est en charge de la distribution et de l’alimentation en eau potable. Elle exerce une
autorité directe sur 26 entreprises publiques de l’eau (EPE) qui constituent de véritables
opérateurs de la distribution pour les grandes agglomérations algériennes. L’ADE dispose de
5 agences régionales qui épousent les bassins hydrographiques. Chaque agence est divisée en
plusieurs zones et chaque zone comporte 2 à 4 unités ;
▪ L’Office national de l’assainissement (ONA), créé en même temps que l’ADE, est l’organe
public compétent en matière de gestion et d’aménagement des réseaux d’assainissement. Ses
prérogatives s’étendent également à la gestion des stations d’épuration et d’assainissement.
▪ L’Agence nationale de réalisation et gestion des infrastructures hydrauliques pour
l’irrigation et le drainage (AGID) gère les projets d’irrigation et les opérations de drainage.
Dans chaque wilaya ou département, un directeur de l’hydraulique (DHW) représente le
ministère des ressources en eau et constitue, en fonction de l’importance des projets, le
principal interlocuteur des entreprises adjudicatrices de marchés publics. Comme dans
beaucoup d’autres secteurs d’activités, la majorité des entreprises opérantes relève du secteur
public. Depuis peu, du fait d’une relative libéralisation du secteur économique algérien, on
assiste à l’émergence de sociétés privées qui font souvent office de fournisseurs extérieurs
pour les grandes entreprises publiques. Toutefois, le savoir faire et l’envergure de ces
nouveaux opérateurs est en net déficit relativement aux besoins importants exprimés sur le
marché local.
Au chapitre de la distribution, c’est évidemment l’Algérienne des eaux (ADE) qui
exerce le monopole et qui constitue la cheville ouvrière de la gestion du service public de
l’eau. Parmi les principales missions qui lui sont assignées, figure la mise en œuvre de la
politique nationale de l’eau potable dans tous les volets de sa gestion à savoir : la production,
le transfert, le traitement, le stockage, l’adduction, la distribution et l’approvisionnement en
eau potable et industrielle.
Par ailleurs, l’ADE est chargée de la maîtrise d’ouvrage et de la maîtrise d’œuvre pour
son propre compte et/ou par délégation pour le compte de l’Etat ou des collectivités
territoriales. Elle se présente ainsi comme l’un des premiers instruments de régulation des
opérations de gestion déléguée à des opérateurs algériens ou étrangers. Les pouvoirs publics
franchissent un nouveau pas dans la délégation de la gestion du service public de l’eau et
ouvrent également une brèche à la mise en œuvre du processus de régulation dans un secteur
sensible au vu de la rareté de la ressource hydrique et de la question des tarifs.
Ainsi, la création de l’ADE matérialise les prémisses du désengagement de l’Etat de la
maîtrise de l’ouvrage et constitue un signe annonciateur de la consécration du partenariatpublic-privé comme nouvel instrument dans la gestion du service public de l’eau en favorisant
les contrats de management, d’affermage, de concession et de BOT [Build Operate Transfert].
Sur le plan strictement organisationnel, l’ADE a pour mission de résorber les pièces du puzzle
de l’ancien système de production et de distribution de l’eau, à savoir : l’Agence nationale de
l’eau potable et industrielle et de l’assainissement (AGEP), la multitude d’établissements
régionaux et des wilayas, et les régies communales chargées du service public de l’eau.
En plus d’un premier axe incarné par le processus de restructuration centralisatrice du
secteur des ressources en eau, les pouvoirs publics articulent leur politique de l’eau autour de
quatre autres axes directeurs : (1) engagement d’une réforme de la tarification, (2) programme
de réduction des déperditions sur le réseau estimées à plus de 40%, (3) important effort en
direction de la mobilisation des ressources par la multiplication de projets de barrages,
d’unités de dessalement et l’exploitation de ressources souterraines dans le sud, (4)
13
consécration du partenariat public-privé comme nouvel instrument dans la gestion des réseaux
d’alimentation en eau et l’assainissement.
Au titre du dernier axe, il est important de relever que, depuis les années 1970, la
réalisation des ouvrages hydrauliques a été confiée tout aussi bien aux entreprises algériennes
qu’aux entreprises étrangères ou mixtes. Quant aux grands projets d’alimentation en eau
potable, ils ont été, dans leur grande majorité, réalisés par des entreprises algériennes, même
si les équipements (stations de pompage, de traitement et d’épuration) sont fabriqués par des
fournisseurs étrangers. Le privé national voit sa participation limitée à la réalisation des
adductions, réservoirs et réseaux d’alimentation en eau potable et d’assainissement.
La gestion du service public de l’eau a connu des mouvements pendulaires avec des
phases de déconcentration qui voient la délégation de sa gestion jusqu’aux communes par le
biais de leurs propres régies et des phases de centralisation par la création de grandes
entreprises nationales à l’image de la SONADE et de l’ADE qui gèrent tant bien que mal à
travers leurs démembrements locaux. C’est par le truchement des missions déléguées à ce
dernier établissement que les pouvoirs publics ont consenti à se désengager partiellement de la
gestion du service public de l’eau pour la déléguer cinq années plus tard à de grandes
entreprises étrangères spécialisées dans le domaine. C’est l’aube de l’ouverture d’un secteur
réputé sensible au partenariat-public-privé, consolidé par l’article 65 de la loi n° 05-12
relative à l’eau, promulguée en date du 04 août 2005 qui préfigure déjà du processus de
régulation dans ce secteur. Trois années après, cette politique de désengagement de l’Etat a
été parachevée par la création, par décret exécutif du 28 septembre 2008, d’une autorité
administrative de régulation sur laquelle nous reviendrons plus loin. De cette manière, la
gestion du secteur de l’eau glisse ostensiblement du monopole étatique à la concession.
(3) Des avancées certaines dans la gestion du service public de l’eau : une loi relative à
l’eau, consécration de la régulation et de la gestion déléguée
Ayant pris conscience de l’importance de la ressource hydrique pour le pays et de la
situation de crise vécue notamment dans les grandes villes, le gouvernement a d’abord
accompli un pas de géant en promulguant en 2005 une loi importante relative à l’eau. Cette loi
consacre des principes devenus maintenant universels tels que l’eau est un bien économique,
tout en renfermant une disposition de taille qui permet la possibilité de délégation ou de
concession d’une partie de la gestion du service public de l’eau. Après la promulgation cette
importante loi, cinq années ont été cependant nécessaires à la mise en place d’une autorité
administrative de régulation dite indépendante. Créée par le décret exécutif n° 08-303 du 27
septembre 2008, cette autorité de régulation est dotée de la personnalité morale et financière,
comme elle est soumise au contrôle de l’Etat dans les conditions prévues par la législation et
la réglementation en vigueur.
La création de l’autorité de régulation des services publics de l’eau s’inscrit
évidemment dans une dynamique plus globale de réformes consacrant l’intégration de
l’Algérie dans l’économie de marché et par ricochet la transition de l’Etat entrepreneur vers
l’Etat régulateur. Dans le souci de matérialiser le processus et de faire montre de transparence
dans la gestion des services publics, le gouvernement a procédé à la création de plus d’une
douzaine d’autorités administratives indépendantes dans le domaine économique et financier.
Initiée dans le cadre des réformes économiques dans le domaine financier par la mise en place
de cinq autorités de régulation3, cette ouverture a connu une extension assez rapide à d’autres
3
Ces autorités sont : la Commission d’Organisation et de Surveillance des Opérations de Bourse, le Conseil de la
Monnaie et du Crédit, la Commission Bancaire, le Conseil de Supervision des Assurances et le Conseil de la
Concurrence.
14
secteurs de l’économie et à certains services publics sensibles4 tels ceux de l’énergie, des
postes et télécommunications et plus récemment de l’eau, avec la création de sept nouvelles
agences ou autorités. Si les premières autorités ont été installées pour stimuler un climat
favorable aux affaires, notamment l’attractivité du pays aux investissements directs étrangers,
les secondes sont venues pour assurer une forme d’équilibre entre services publics et
opérateurs privés en prévision des risques liés à une libération sauvage des prix. Les autres
autorités ont été créées dans des secteurs étranglés à l’image des services publics de l’eau, de
l’électricité et du gaz pour lesquels l’Etat ne pouvait plus assurer la fonction de distribution y
compris lorsque les ressources était relativement disponibles.
Chargées d’une mission de régulation des secteurs placés sous leur autorité, les
autorités administratives indépendantes bouleversent les catégories classiques de droit
administratif et constituent un fait nouveau dans les paysages économique et juridique
algériens. Leur première spécificité réside dans leur indépendance tout au moins en théorie.
En effet, elles ne sont pas soumises à un contrôle de tutelle, même si en pratique certaines
sont placées auprès d’un ministère, à l’image du Conseil de la Concurrence. Le second
caractère spécifique de ces autorités incarne leur composition collégiale qui les distingue des
établissements publics en ce sens qu’elles ne sont pas des organes de gestion mais de contrôle,
de supervision, d’arbitrage ou de réglementation.
S’agissant de l’autorité de régulation des services publics de l’eau proprement dite,
elle a été créée par décret exécutif le 27 septembre 2008. Elle a pour principale attribution de
veiller au bon fonctionnement des services publics de l’eau dans l’intérêt des usagers. A ce
titre, elle est chargée de veiller au respect par les concessionnaires et les délégations des
services publics de l’eau, des obligations qui leur incombent. Elle est chargée d’examiner les
réclamations des usagers, de formuler toutes recommandations utiles et d’observer et
d’évaluer les indicateurs de la qualité du service fourni aux usagers par les organismes
exploitant les services publics de l’eau. Dans un autre contexte, l’autorité de régulation a pour
mission de procéder à l’analyse des charges dans le cadre du contrôle des coûts et des tarifs
des services publics de l’eau. Par ailleurs, elle doit contribuer à l’établissement des cahiers des
charges types aux opérations de délégation de gestion comme elle est chargée de formuler un
avis sur les opérations de partenariat pour la gestion des activités des services publics de l’eau
mise en œuvre par les filiales d’exploitation.
Au plan de l’organisation et du fonctionnement, l’autorité de régulation des services
publics de l’eau est dirigée par un comité de quatre membres dont un président nommés tous
par décret présidentiel sur proposition du ministre des ressources en eau. Ce comité est
évidemment chargé d’exécuter les tâches liées aux attributions de l’autorité sous la
coordination de son président. Pour garantir l’indépendance de l’autorité, la fonction de
membre du comité de direction de l’autorité est incompatible avec tout autre emploi public,
toute activité professionnelle, tout mandat électif national ou local et toute détention directe
ou indirecte d’intérêts dans une entreprise exerçant dans le domaine de l’hydraulique. Au
chapitre des dispositions financières, la comptabilité de l’autorité de régulation est tenue en la
forme commerciale conformément à la législation et à la réglementation en vigueur. Le
contrôle de ses comptes est assuré par un commissaire aux comptes désigné par le ministre
des ressources en eau.
4
Pas moins de sept agences ou autorités ont été créées au fur et à mesure, ce sont : l’Agence Nationale du
Patrimoine Minier, l’Agence Nationale de la Géologie et du Contrôle Minier, la Commission de Régulation de
l’Electricité et du Gaz, l’Autorité de Régulation des Services Publics de l’Eau, l’Autorité de Régulation des
Transports, l’Autorité de Régulation des Hydrocarbures et l’Agence Nationale des Produits Pharmaceutiques à
usage de la Médecine Humaine.
15
L’autorité de régulation étant sous la tutelle du ministère des ressources en eau, elle est
appelée, à ce titre, à lui rendre compte de ses activités et de ses propositions pour
l’amélioration de la gestion des services publics de l’eau sur la base d’un rapport annuel.
A ce niveau déjà, il est intéressant de souligner un important changement de
terminologie dans le champ de la gestion du service public de l’eau. On quitte « le tout
public » et on délègue la gestion mais avec un maximum de précaution : l’Etat contrôle
fortement et garde une grande part du monopole dans la gestion de l’eau. Par ailleurs, le texte
régissant l’autorité de régulation des services publics de l’eau et de l’assainissement accorde
une place importante aux usagers et à leur implication dans la qualité du service fourni par les
délégataires. Il consacre également le partenariat comme nouvel instrument de la gestion de
ces services. Ce partenariat est quelque part spécifique puisque la loi prévoit la création de
filiales d’exploitation dans le cadre de l’article 104 de la loi 05-12 du 04 août 2005, relative à
l’eau. En fait, ce sont ces filiales qui vont servir d’interfaces au transfert du savoir faire et de
passerelle d’assistance en matière de management de l’eau. Des cadres des sociétés
délégataires assistent leurs collègues algériens au sein de ces filiales à la gestion de l’eau et à
la fourniture d’un service de qualité.
Cela étant, on peut s’interroger dans ce cas précis sur le rôle de la régulation du
moment qu’il n’y pas concession ou délégation telles prévues dans les modes de gestion des
services publics de l’eau et de l’assainissement à travers les articles 102 et 104 de la loi sur
l’eau ? En d’autres termes la régulation vise-t-elle à corriger les échecs du marché, à créer la
concurrence ou à la maintenir, ou encore à poursuivre des objectifs de politique publique ? En
fait, pour l’instant, on ne peut pas parler de marché de l’eau proprement dit en Algérie, donc
pas il n’y a ni de concurrence à créer ou à entretenir, en tous cas, pas dans l’immédiat. Il reste
donc la dernière alternative à savoir, poursuivre des objectifs de politique publique : l’Etat
engloutit des sommes faramineuses mais les résultats demeurent faibles, il se devait de
chercher une stratégie pour sortir du champ de l’inefficacité pour améliorer la qualité de la
fourniture du service public de l’eau. Il met en œuvre l’artifice de la délégation partielle de la
gestion du service de l’eau, à titre d’expérience, mais cela peut être également l’ouverture
d’une brèche dans le monopole étatique. L’autorité de régulation apparaît alors comme un
épouvantail réglementaire de plus auquel il peut être fait recours « à toutes fins utiles ».
S’agissant de la stratégie adoptée par le gouvernement pour réguler le service public
de l’eau, celle-ci n’est pas si claire. Par la loi, ou le mode « command and control », par
autorégulation, régulation par la propriété publique, par les incitations, par la transparence,
par la concurrence ? Aucun de ces modes n’est clairement établi dans le cas algérien, on
préfigure un peu de la régulation par la loi, un peu par la propriété publique et un peu par la
transparence. Donc c’est une forme hybride qui est en train de se formaliser à travers une
expérience en cours empreinte d’un maximum de prudence et d’hésitation. En fait, l’Etat ne
semble pas opter franchement vers la libéralisation de l’industrie de l’eau, malgré la mise en
place d’un arsenal réglementaire complet qui donne pourtant une place importante à la
privatisation pour des raisons à la fois économiques et sociopolitiques. Il est vrai que les outils
réglementaires ont été réfléchis et mis en place dans une phase où l’Algérie subissait de fortes
pressions extérieures pour accomplir des réformes tous azimuts et dans un contexte
d’incertitudes, les recettes de l’Etat commençant à peine à connaître les premières évolutions
positives avec la hausse des prix des hydrocarbures. Mais cinq années après, il semble bien
que ces outils constituent plutôt des cadres formels qu’opérationnels.
S’agissant d’instruments légaux mis en jeu pour la régulation, l’Etat a la latitude de
choisir entre deux modes prévus par la loi sur l’eau : la délégation et la concession. Cependant
les modes reposent sur le principe de la privatisation. Le gouvernement a choisi la voie de la
prudence : sans trop s’aventurer dans le champ de la privatisation, il opte pour une délégation
partielle de la gestion sans aucun investissement du délégataire dans les infrastructures. Ce
16
dernier agissant par contrat, a pour rôle comme on le verra plus loin d’apporter son savoir
faire et sa maîtrise de la technicité en matière de management de l’eau aux cadres d’une filiale
créée à cet effet dans la zone d’intervention. L’Etat investit dans les infrastructures de
production et de distribution de l’eau et finance également la filiale ainsi créée. Le délégataire
n’apporte aucune participation en termes d’investissement dans les infrastructures
hydrauliques y compris lorsqu’il s’agit d’équipements ou de réalisation de projets dans le
cadre de la réhabilitation des réseaux. L’Etat garde le monopole des infrastructures de
production et de distribution de l’eau.
En matière de normes techniques, financières, économiques, sociales et
environnementales, l’Etat a pratiquement tout balisé par la loi. Celles-ci restent pour le
moment parmi les prérogatives des deux établissements publics en charge de la production et
de la distribution de la ressource en eau et ne rentrent pas en considération dans les
préoccupations actuelles des termes de la délégation.
En matière d’instruments économiques, la tarification est l’un des paramètres dont les
contours sont globalement cernés par la loi relative à l’eau. En principe, le système de
tarification de l’eau est fondé sur un principe de progressivité dont les modalités et les
conditions sont fixées par décret. Ce système est basé sur les principes d’équilibre financier,
de solidarité sociale, d’incitation à l’économie de l’eau et de protection de la qualité des
ressources en eau. Le recours à la concurrence en matière de délégation est également prévu
par la loi relative à l’eau. En effet, la délégation des services publics de l’eau et e
l’assainissement doit s’effectuer par voie d’appel à la concurrence et aboutir à une convention
de délégation approuvée selon les modalités fixées par voie réglementaire. Cependant, dans la
première expérience de délégation, si les formes ont été respectées, il n’y a pas eu d’appel à
concurrence en bonne et due forme, c’est-à-dire sous forme d’appel d’offres pour des raisons
d’urgence. Par contre, pour les opérations suivantes relatives à la délégation dans trois
grandes villes du pays, cet aspect a été respecté.
Sur un plan strictement pratique, l’autorité de régulation des services publics de l’eau
et de l’assainissement a été installée en fin 2009, et on ne lui connaît pratiquement pas
d’interventions sur le terrain. C’est le ministre des ressources en eau qui joue le rôle de
principal acteur à travers ses fréquentes déclarations sur les opérations de délégation des
services publics de l’eau et de l’assainissement à des opérateurs privés. C’est à travers ces
déclarations que l’on perçoit le manque d’efficacité et de résultats de certains délégataires et
du mode de délégation choisi. En effet, le ministère des ressources en eau a opté pour le
lancement d’un audit afin d’évaluer la qualité des prestations fournies par ces délégataires
allant jusqu’à mettre en demeure d’un d’eux dont la prestation a été jugée nettement en
dessous de l’objectif fixé.
Globalement, il se dégage de cette première expérience une impression de
précipitation ; tout s’est passé comme si la régulation du service public de l’eau se résume à la
mise en place d’un régulateur qui est défini comme indépendant de l’Etat supposé être
intrinsèquement pervers ou du moins inefficace pour reprendre les termes de P. Bauby
[BAUBY, 2002]. D’ailleurs, les premiers partenariats ont été lancés avant même la mise en
place de l’autorité en raison de la situation de pénurie d’eau dans les grandes villes du pays,
notamment la capitale. Est-ce à dire que cette autorité a été mise en place pour la forme alors
que réglementairement, elle est appelée à donner des avis sur la délégation, le partenariat, à
élaborer les cahiers des charges pour les opérations de délégation et de concession et à veiller
à garantir la concurrence.
Voyons maintenant comment se traduit le processus de délégation sur le terrain à
travers l’expérience de la délégation de la gestion des services publics de l’eau et de
l’assainissement dans les quatre grandes villes du pays.
17
(4) Une première expérience de délégation partielle de la gestion des services publics de
l’eau et de l’assainissement à des groupes spécialisés dans le domaine de l’eau dans quatre
grandes villes algériennes
Durant l’été 2002, la capitale algérienne a subi une sécheresse importante pendant
laquelle le principal barrage qui l’alimente était quasiment à sec ; comme ultime recours, il ne
restait plus que les nappes phréatiques. Par ailleurs, le piteux état du réseau posait de sérieux
problèmes de distribution d’eau aux habitants de la capitale depuis plus d’une dizaine
d’année. Le gouvernement décida de mener un programme de modernisation des installations
existantes et souhaita faire appel à l’expertise d’un spécialiste du domaine, en l’occurrence
SUEZ Environnement, pour établir un diagnostic des installations. Le projet a été initié en
octobre 2002, puis formalisé par un protocole d’accord signé en février 2003 par l’Algérienne
des Eaux (ADE), l’Office National de l’Assainissement (ONA) et SUEZ Environnement
après validation par le Conseil des Ministres étant donné le caractère urgent de l’opération. A
la demande des autorités algériennes, cette société a effectué, en étroite association avec les
cadres de l’ONA et de l’ADE, un diagnostic opérationnel présentant les solutions pour
éliminer durablement les difficultés liées à la distribution de l’eau. Il a été alors élaboré un
plan d’action visant à la modernisation des systèmes et au rétablissement de la distribution en
continu sur une période initiale de cinq ans.
En mai 2004, un conseil interministériel a permis la validation de l’approche ainsi que
l’individualisation de budgets prévisionnels associés tout en acceptant de réunir dans un
ensemble commun les services d’eau et d’assainissement de la wilaya d’Alger. La structure
retenue à cet effet est la création d’une société par actions dénommée la Société des Eaux et
d’Assainissement d’Alger (SEAAL) dont les premiers actionnaires seront l’ADE et l’ONA à
parité.
L’aboutissement des négociations a donné lieu en fin novembre 2005 à la signature
d’un protocole d’accord entre SUEZ Environnement et les autorités algériennes marquant
ainsi le début de la mise en œuvre opérationnelle du projet. Le contrat ainsi établi semble
avoir été longuement mûri et négocié, pour apporter une réponse adaptée à la situation
précaire du réseau de distribution des eaux de la ville d’Alger. En effet, pas moins de trois
années ont été nécessaires pour finaliser cet accord, et apporter des solutions durables aux
autorités algériennes désireuses d’améliorer de manière significative la qualité de l’eau
distribuée et le réseau d’assainissement de la capitale. En fait, il s’agit de restaurer une
situation satisfaisante de service pour la ville d’Alger, à travers une démarche contractuelle
adaptée et un engagement fort des deux partenaires qui repose, selon les termes du contrat, sur
quatre aspects essentiels: (1) la mobilisation et le transfert du savoir-faire de Suez
Environnement et un effort soutenu de formation des équipes locales ; (2) la poursuite par
l’Etat algérien d’un programme d’investissements pour la modernisation des outils de gestion,
la rénovation et l’extension du réseau ;(3) un engagement commun sur des objectifs concrets
et ambitieux d’amélioration de la qualité du service, notamment, une desserte assurée 24
heures sur 24 au bout de trois ans et demi ; (4) un contrat évolutif et inscrit dans la durée : 5
ans de management ouvrant la voie à la possibilité d’un partenariat renforcé (affermage, par
exemple).
L’objectif du partenariat de long terme entre les autorités algériennes et SUEZ
Environnement est de développer une entreprise de service public performante, capable de
répondre aux besoins de la population de la capitale en matière de services de l’eau et de
l’assainissement. En fait, la démarche suivie et le type de société mise en place sont ceux qui
seront consacrés par la loi relative à l’eau qui ne paraîtra qu’en 2005. D’un montant de 120
millions d’euros, le contrat repose sur un plan d’action ambitieux articulé autour de trois axes
fondamentaux :
18
1. Moderniser et doter progressivement la ville d’Alger de services de l’eau et de
l’assainissement de niveau convenable et fiable par la mise d’un certain nombre d’actions qui
consistent à moderniser les systèmes d’eau et d’assainissement, évaluer et inventorier le
patrimoine existant, réhabilitation et réparer les réseaux, fiabiliser les forages, mettre en place
des outils modernes de gestion technique, améliorer le rendement, réaliser une étude des
ressources, à tenir compte de l’enjeu environnemental (99% des eaux usées sont déversées
non traitées dans la mer !).
2. Moderniser le service clientèle par la fiabilisation et la modernisation du service, le
recensement des clients, du nombre de compteurs installés et leur état de marche, la
fiabilisation du système de facturation pour une meilleure gestion de l’abonné et une
évaluation plus précise de la réelle quantité d’eau distribuée et consommée, la mise en place
d’outils modernes de gestion clientèle (logiciel de facturation, centre d’appels téléphoniques,
centres d’accueil clientèle, etc.).
3. Améliorer la gestion des ressources humaines par la mise en place d’un programme d’accès
au savoir faire et de transfert des compétences pour le service des eaux et d’assainissement de
la wilaya d’Alger qui compte environ 3 000 employés, la formation, l’adhésion des salariés au
projet et la motivation des personnels pour assurer des améliorations dans le service.
Ce dernier volet revêtant une grande importance, il se décline selon les composantes
suivantes :
1. La mise à la disposition des experts et managers de SUEZ Environnement porteurs de
savoir-faire et de sa diffusion auprès de la filiale SEEAL, nouvellement créée : Concrètement,
le transfert de savoir-faire se traduira sur le terrain par la mise en place de binômes associant
experts et managers de SUEZ Environnement aux cadres de l'Algérienne des eaux et de
l’Office national de l’assainissement qui bénéficieront en temps réel et de manière très
pratique de leurs expériences. Comme peuvent être développés des projets transversaux à
l’image d’un système d'information de la clientèle ou de télé-contrôle qui associeront
personnels expatriés et personnels locaux.
2. L’organisation de cycles de formation : Un plan de formation sera mis en place pour
accompagner le transfert de savoir-faire sur le terrain. Des stages de formation standard ou
spécifique seront réalisés sur site ou dans un centre de formation de SUEZ Environnement.
Des jumelages avec une autre exploitation du Groupe SUEZ Environnement pourront être
prévus et mis en œuvre également.
3. L’appartenance à un réseau international de recherche et développement : Cet engagement
se traduira par l’accès aux bases de données et à Transfaire1 et facilitera aux autorités l’accès
à un réseau d’experts et de chercheurs de renommée pour le soutien opérationnel en cas de
crise.
4. La fourniture de livrables : en d’autres termes les produits (biens matériels et logiciels,
directement utilisables par une filiale opérationnelle) et les méthodes (ensemble de règles de
conception, de fonctionnement, de bonnes pratiques, directement liées à l’exploitation des
installations).
Cette première expérience de délégation des services publics de l’eau et de
l’assainissement, propre à la capitale algérienne, a été progressivement étendue aux trois
autres grandes villes algériennes, Oran, Annaba et Constantine, qui vivent le même type de
problème qu’Alger. Les objectifs majeurs fixés pour les délégataires sont les mêmes que ceux
arrêtés pour la ville d’Alger. Les opérations de délégation ont été confiées respectivement à
trois spécialistes étrangers de l’eau : l’espagnol Agbar, l’allemand Gelsenwasser et le français
La Société des Eaux de Marseille. Trois nouvelles filiales, dotées chacune d’un budget de 1
milliard de DA, ont été créées au niveau des villes concernées (SEOR pour Oran, SEAA pour
Annaba et SEACO pour Constantine).
19
C’est ainsi que la Société des eaux de Marseille (SEM) a signé un contrat de gestion
des services de l’eau et de l’assainissement sur les communes de la wilaya de Constantine
avec les autorités algériennes pour un montant de 27,8 millions d’euros et une durée de 5 ans
et demi. En 2007, la gestion des eaux d’Oran a été confiée à la société espagnole Agbar pour
environ 30 millions d’euros en 2007 tandis que celle de Annaba (est) à la société allemande
Gelsensasser pour près de 50 millions d’euros.
Si l’on se réfère aux déclarations du ministre des ressources en eau, il semble que
l’expérience de la gestion déléguée des services publics de l’eau et de l’assainissement
amorcée par l’Algérie a abouti à des résultats probants au niveau des trois grandes villes du
pays tout en soulignant que l’Etat en garde la propriété. Cependant, il relève que l’expérience
connaît des difficultés à Constantine, quatrième grande ville concernée par la délégation.
L’objectif majeur escompté, à savoir l’approvisionnement en eau potable H24 dans ces
principales villes du pays, semble avoir été atteint à 95% dans les délais arrêtés. La
reconduction des contrats des sociétés délégataires reste évidemment tributaire des résultats
enregistrés pour les autres objectifs fixés, notamment le transfert du savoir faire et la
formation de cadres algériens performants en management de l’eau. Ces aspects feront l’objet
d’une évaluation en fin de contrat par des experts.
Au-delà des objectifs physiques fixés à cette opération de délégation à travers lesquels
on peut juger son efficacité, on doit s’interroger également sur les conditions et les motifs qui
ont conduit le gouvernement algérien à procéder à la délégation de la gestion des services de
l’eau et de l’assainissement et à en saisir les avantages et les inconvénients.
S’agissant des conditions qui ont prévalu à la signature du contrat de délégation avec
Suez Environnement, il faut souligner l’inexistence d’un cadre juridique approprié et
spécifique au domaine de l’eau : le contrat a été pratiquement conduit et ficelé avant la
promulgation de la loi relative à l’eau qui autorise la délégation ou la concession au secteur
privé, même si les statuts de l’établissement public l’Algérienne des eaux consacraient déjà le
principe de la concession de la gestion de l’eau. Par ailleurs, l’autorité administrative de
régulation, prévue également dans le cadre de cette loi, n’a vu ses assises juridiques
confortées qu’en fin 2008 à travers un décret exécutif et sa mise en place dans le courant de
l’année 2009. De ce fait, elle a été précédée par la procédure de délégation de la gestion de
l’eau et de l’assainissement de la ville d’Alger au géant du secteur, Suez Environnement.
Aussi, on ne peut s’empêcher de penser à une démarche incitative ou à « une politique de
charme » de la part de cet opérateur vis-à-vis des autorités algériennes qui les a conduites à
opter pour le mode de délégation.
Il est certain que la situation dramatique de stress hydrique que vivait la capitale et bon
nombre de contrées algériennes a été pour beaucoup dans la prise de décision mais l’existence
d’une certaine pression résultant de l’étalage de la maîtrise de la technicité, du savoir faire et
de la domination de l’expertise pointue par ce géant de l’eau n’est pas à écarter. D’autant plus
qu’à la base de ce contrat, se trouvait la Banque Mondiale qui, non seulement, a financé
l’opération, mais a conseillé les autorités algériennes tout au long du processus. Connaissant
l’appui manifeste de cette institution à la privatisation des services publics, les ingrédients se
trouvent ainsi réunis pour que tout glisse ostensiblement vers le mode de délégation.
Evidemment, d’autres raisons peuvent avoir encouragé les autorités algériennes à opter
pour la délégation des services publics de l’eau et de l’assainissement. La plus évidente réside
dans l’incapacité des établissements publics à assurer la distribution correcte de la ressource
hydrique aux populations des grandes villes notamment, malgré une disponibilité relative du
précieux liquide et des moyens financiers faramineux. En effet, ces établissements ne
réussissent pas à mobiliser les qualifications nécessaires, ni à développer les techniques
exigées afin de pouvoir garantir un bon taux de couverture en matière de distribution, de bons
taux de recouvrement des coûts et faire face à la détérioration de l’infrastructure. Comme ils
20
sont souffrent de sureffectifs, d’inefficacité de gestion et d’un manque manifeste de réactivité
face aux besoins des populations. En quelque sorte, il était devenu plus que nécessaire pour
l’Etat d’investir utile, de rechercher l’efficacité, en arrachant la gestion de l’eau, même si c’est
en partie et à titre expérimental, des mains d’un secteur public inerte malgré l’injection
continue de moyens financiers importants.
Par ailleurs, il est largement admis que la gestion déléguée comporte un certain
nombre d’avantages économiques [BAUBY, 2007 ; SIMILIE, 2007] : elle rend possible
l’intégration de la conception, la construction et l’entretien d’une infrastructure ou d’un
service ; en cas de contraintes budgétaires strictes, elle permet de faire appel aux
investissements privés, sans que la privatisation totale soit nécessaire, puisque l’infrastructure
demeure la propriété de la municipalité ; elle favorise l’introduction de la logique de
l’entreprise au détriment de la gestion administrative, ce qui accroît l’efficacité dans la
gestion ; enfin, elle est censée allier les atouts du monopole et ceux de la concurrence et de la
gestion privée : en effet, le délégataire dispose d’un droit exclusif à produire pendant la durée
du contrat, mais ce dernier est renouvelé selon une procédure concurrentielle.
D’autres facteurs incitatifs peuvent être également retenus, à l’image du fait que la
production et la distribution de l’eau demandent des procédures de traitement toujours plus
exigeantes afin de répondre à des conditions de santé publique et de standards de qualité de
plus en plus stricts. La question de la tarification de l’eau peut être aussi au centre des
préoccupations des autorités, du moment que les contrats de délégation évitent aux élus de
prendre la responsabilité de l’augmentation du prix de l’eau, et plus généralement, du coût de
la gestion du service quoique cette question relève pour le moment de la discrétion du
gouvernement.
Enfin, le succès des diverses expériences de la gestion déléguée à travers différents
pays du monde peut être aussi parmi les facteurs à l’origine de la nouvelle option prise par le
gouvernement algérien dans la gestion de la distribution de l’eau. Le succès de la gestion
déléguée tient en grande partie à sa capacité à apporter des réponses aux enjeux en matière
d’innovation, de qualité technique, de souplesse de gestion, d’économies d’échelle, et de bien
d’autres aspects [SIMILIE, 2007]. Toutefois, ce dernier auteur ne manque pas de relever
quelques aspects pervers de la délégation pouvant conduire à des risques de dérives comme le
financement des activités politiques ou des campagnes électorales, qui, selon lui, pourraient
encourager la corruption. Cependant, l’expérience de délégation n’étant qu’à ses premiers
balbutiements, il est encore précoce de craindre ce type de dérive dans le cas de l’Algérie,
sinon que le « marché de l’eau » en lui-même constitue un secteur très attractif pour les
grands leaders mondiaux de l’eau avec une enveloppe de pas moins de 15 milliards de
dollars ! Il est vrai que l’opération de délégation ne pèse pas lourd pour l’instant mais le reste
des segments (barrages, transferts, station d’épuration, unités de dessalement d’eau de mer,
rénovation et réfection des réseaux de distribution, etc.) représentent un marché très juteux
d’autant plus que, mis à part les deux établissements publics de l’eau et de l’assainissement, il
n’existe pratiquement pas d’entreprises nationales d’envergure pouvant répondre aux
différents appels d’offres. Les données actuelles laissent à penser que l’on risque d’aboutir à
moyen terme à une situation de domination par l’opérateur SUEZ Environnement qui
s’accapare l’essentiel des contrats liés au secteur de l’eau à travers tous ses segments. A titre
d’illustration, on relève dans un communiqué de presse de ce leader de l’eau daté du 19
février 2009, pas moins de 7 contrats à son actif ou à l’actif de ses filiales en activité en
Algérie (SAFEGE, DEGREMONT, AGBAR). C’est dire aussi que les leaders mondiaux de
l’eau ont de belles opportunités dans le secteur de l’eau en Algérie et la délégation « à
l’algérienne » de la gestion de l’eau ne représente en fait que la partie visible de l’iceberg et
un canal de pénétration dans le secteur.
21
Au chapitre des faiblesses du modèle de la gestion déléguée, l’Etat algérien doit tenir
compte du fait que les grands groupes intervenant dans le domaine ont réussi des intégrations
verticales et horizontales débouchant sur une situation de concurrence oligopolistique. Par
ailleurs, à la lecture des activités et des contrats conclus par les différents opérateurs
impliqués dans le domaine de l’eau en Algérie, il est aisé de constater que ces derniers
constituent en fait « des tentacules » ou des démembrements d’un même géant de l’eau.
Combien même il y a appel d’offres ouvert à la concurrence, dans les faits, il ne s’agit que
d’une pseudo-concurrence, les propositions venant pratiquement d’une même source. En
effet, on sait pertinemment que Suez Environnement vient de racheter en totalité la société
espagnole Agbar, titulaire d’un contrat de délégation de la gestion des services publics de
l’eau et de l’environnement de la ville d’Oran, tandis que la société des eaux de Marseille
n’est qu’un appendice de Suez Environnement et que la SAUR qui intervient dans le même
domaine dans la ville d’Annaba est une société hybride des deux géants, Bouygues et Suez
Environnement.
L’incursion du mode de la gestion déléguée dans le secteur de l’eau en Algérie
constitue en soi un élément nouveau qui peut apporter des gains évidents de qualité et
d’efficacité dans des secteurs où l’organisation administrative n’est pas toujours la plus
adaptée. Cependant, ce mode est marqué par des déséquilibres liés aux asymétries
structurelles d’information et d’expertise pouvant surgir entre les autorités organisatrices
délégantes et les opérateurs délégataires, étant donné la situation de concurrence
oligopolistique, les autorités algériennes ayant affaire à des leaders mondiaux fortement
expérimentés dans le secteur de l’eau et de l’assainissement. Aussi, quels que soient les
moyens pouvant être mis à la disposition des autorités organisatrices, notamment en matière
de contrôle, de régulation et d’expertise, il est très difficile de faire disparaître totalement
l’asymétrie structurelle. Aussi, il est souhaitable que les autorités organisatrices puissent
initier une démarche sécurisante en développant davantage de moyens d’expertise leur
permettant d’opérer directement le service sur une partie de leur territoire. L’option pour la
création d’une filiale dans chacun des cas, pourrait constituer un palliatif pour peu que celle-ci
réussisse dans le processus de transfert de technologie, acquiert le savoir-faire nécessaire et un
maximum d’expertise dans cette première phase contractuelle.
Quel est le devenir de l’option pour la délégation dans le contexte actuel de crise
économique mondiale et quelles sont les incidences de la crise sur ce nouveau mode de
gestion : va-t-on franchir à un nouveau pas vers une véritable délégation ou encore la
concession, ou bien y-a-t-il un risque de repli vers la gestion publique du secteur de l’eau une
fois les objectifs recherchés atteints ?
Conclusion
Avec l’application de la nouvelle politique de la gestion intégrée des SPEA et les
efforts d’investissements consentis dans le secteur, il est indéniable que l’on a enregistré une
nette amélioration, même si elle reste relative, dans la production de l’eau et le traitement des
eaux usées. Les principaux objectifs ont été relativement atteints, notamment en milieu urbain
mais ils restent à atteindre dans le milieu rural. L’apprentissage d’un meilleur management
semble donner ses fruits également. L’Etat reste le principal acteur tant au plan du
financement que de la gestion des SPEA, contrairement à certains autres services en réseau
comme les télécommunications et les transports. On enregistre même un retour en force de
l’Etat avec la mise en place d’entreprises publiques et d’établissements publics dans différents
services publics en réseau, sonnant comme un repli dans les objectifs fixés aux réformes
économiques.
22
Le contexte de crise financière mondiale a eu pour effet de multiplier et de consolider
les interventions de l’Etat mais aussi de contrôler fortement les interventions du secteur privé
à travers différents mécanismes de régulation dont la matérialisation sur le terrain n’est pas
toujours évidente. Cela se traduit par une tendance à la rationalisation des dépenses, à la mise
en place d’instruments de contrôle et de régulation qui visent à garantir au mieux la
concurrence et la transparence. Il est vrai que cette tendance a été fortement encouragée et
galvanisée par la remontée des prix des hydrocarbures et donc des ressources confortables
permettant au gouvernement de consolider l’action publique de redéfinir et d’optimiser au
mieux les politiques publiques notamment dans des secteurs tels que celui de l’eau.
Néanmoins, il paraît capital de rechercher d’autres voies et moyens de pérenniser la
dynamique par une recherche de financements appropriés et auto-entretenus permettant de
prévoir un retour de manivelle en cas où la rente pétrolière venait à régresser.
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