Proctologie(s) P roctologie(s) Faut-il dépister la dysplasie anale ? Which interest to screen anal dysplasia? IP L. Siproudhis, C. Favreau, A.S. Thirouard* Mots-clés : Anus – Dysplasie – Papillomavirus. Keywords: Anus – Dysplasia – Human papillomavirus. Compréhension du problème L’incidence du carcinome épidermoïde de l’anus augmente de façon importante depuis 50 ans, à la fois chez l’homme et chez la femme (incidence globale moyenne en population générale 1/100 000 habitants). L’augmentation du taux d’incidence est, sur la côte est des États-Unis, de 3 % par an. En 20 ans, elle a été multipliée par 10 chez l’homme dans certaines tranches d’âge (1). Son incidence reste globalement 10 à 15 fois moindre que celle du col utérin (2). Cependant, les hommes ayant des relations homosexuelles ont une incidence de cancer du canal anal 35 fois supérieure à celle de la population générale, dans des proportions en théorie comparables à celles de lésions de col utérin chez une femme hétérosexuelle (2-4). On estime que les facteurs les plus fortement associés au risque de voir développer un carcinome épidermoïde du canal anal sont les antécédents d’infections sexuellement transmises (et plus particulièrement celles liées aux virus du groupe papillomavirus [HPV]), le nombre de partenaires sexuels, un terrain d’immunodéficience et l’existence de lésions de même nature au niveau du col utérin, du vagin ou de la vulve (3). L’infection à HPV est un acteur quasi constant des mécanismes de cancérogenèse du canal anal (5). Par ailleurs, les études de cohortes soulignent la prévalence élevée de l’infection HPV (une fois sur quatre) chez les malades infectés par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH), y compris chez les malades hétérosexuels toxicomanes (6). De ce fait, les lésions précancéreuses ou dysplasiques sont plus fréquemment observées chez les malades ayant une infection virale par HPV et/ou VIH. La survenue de coïnfection augmente d’autant le risque de survenue de dysplasie (7). Le risque de survenue de lésions dysplasiques du canal anal est près de quatre fois supérieur chez les malades infectés par le VIH (7, 8). L’incidence de la dysplasie anale est élevée lorsqu’elle est éva- * Service d’hépatogastroentérologie, hôpital Pontchaillou, Rennes. 210 luée par méthode de frottis. Chez l’homme infecté par le VIH, la dysplasie est rapportée dans 41 à 97 % des malades soumis à ce test alors qu’elle varie entre 14 et 28 % chez les hommes homosexuels non infectés par le VIH. L’incidence de la dysplasie augmente avec la durée du suivi : un tiers des malades ayant une cytologie initiale normale et la moitié de ceux ayant une cytologie initiale anormale développent des lésions de dysplasie de haut grade après un suivi moyen de 4 ans (8). Ce risque est doublé chez les malades infectés à la fois par le VIH et ayant une infection anale présente ou passée (7). La prise en charge thérapeutique du carcinome invasif du canal anal n’est, pour l’instant, pas influencée par ces concepts pathogéniques : le terrain de survenue ne modifie pas les options proposées. Le carcinome épidermoïde invasif du canal anal a, comme beaucoup de pathologies tumorales malignes, un pronostic dominé par le stade anatomique de prise en charge thérapeutique : le taux de survie à 5 ans est de 78 %, 56 % et 18 % selon qu’il s’agisse respectivement d’une atteinte anatomique locale, régionale ou d’un processus d’extension métastatique (9). De ce fait, le mode de dépistage des malades à risque, le rythme de surveillance, la conduite et le dépistage des lésions dysplasiques du canal anal peuvent être justifiés mais ne font, aujourd’hui, l’objet d’aucun consensus. Les malades ayant été traités pour une maladie condylomateuse ou un cancer du canal anal doivent connaître un suivi et des examens cliniques répétés (figure). En revanche, les personnes asymptomatiques à risque n’ont aujourd’hui pas de suivi comparable. Figure. Dysplasie malpighienne canalaire développée en nappe­ au sein de la muqueuse suspectinéale et rectale basse. La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue - Vol. IX - n° 4 - septembre 2006 Outils de dépistage Le développement de techniques d’analyse cytologique, dite en couche mince ou en phase liquide, autorise pourtant un suivi comparable à celui qui est proposé au niveau du col utérin. Qui plus est, certains travaux évoquent la possibilité que le frottis soit effectué par les personnes elles-mêmes (10). L’analyse cytologique repose sur la classification de Bethesda modifiée. La sensibilité et la spécificité des techniques de frottis pour l’identification des lésions de dysplasie varient entre 69 et 93 %, 32 et 59 % respectivement. La répétition du dépistage à 2 ans d’intervalle permet d’augmenter de façon très significative les valeurs prédictives des tests (11). Cependant, le dépistage des malades à risque et leur compliance au suivi pourraient être médiocres si l’on en croit les 40 % de personnes se prêtant encore à un suivi trois ans après le diagnostic initial d’une condylomatose anale (12). L’impact d’une telle procédure de dépistage n’a pas encore donné lieu à un élargissement des pratiques et à des propositions rationnelles de suivi et il n’est pas aujourd’hui démontré qu’une politique de dépistage des malades infectés par le VIH, par exemple, améliore la survie et le pronostic de ceux qui sont victimes d’un cancer du canal anal (9). Impact du dépistage sur la prise en charge thérapeutique Le traitement de la dysplasie anale n’a donné lieu aujourd’hui à aucune autre évaluation que celle de courtes séries de cas. À l’instar du traitement de la dysplasie du col de l’utérus, les gestes de résection, de photo- ou d’électrocoagulation des zones de dysplasie paraissent des alternatives logiques. Cependant, chez les malades infectés par le VIH, la récidive des lésions de dysplasie de haut grade après traitement est observée dans près de 80 % des cas dans l’année qui suit le geste d’électrocoagulation. Le recours à des thérapeutiques immunomodulatrices de type imiquimod ou les vaccins thérapeutiques (protéines E7 HPV 16) pourraient être une approche plus séduisante chez ces malades. L’effet des thérapeutiques antirétrovirales modernes (HAART) sur l’incidence et la progression des lésions de dysplasie de haut grade chez les malades VIH apporte, selon les études, des données actuellement contradictoires, certains travaux soulignant un accroissement considérable de la dysplasie de haut grade en termes d’odds-ratios, d’autres soulignant un effet inverse (9, 13). Remarques en guise DE conclusion Aucune étude randomisée n’a montré un bénéfice du dépistage sur la mortalité spécifique de la dysplasie anale. Aucune étude longitudinale n’a, à ce jour, montré de supériorité d’un mode de La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue - Vol. IX - n° 4 - septembre 2006 dépistage et de suivi optimal par rapport à l’absence de suivi. Les stratégies de traitement de la dysplasie n’ont pour l’instant pas donné lieu à une évaluation solide. Les stratégies de destruction locale sont peu efficaces dans la prévention des récidives chez les malades infectés par le VIH et ayant des lésions de dysplasie de haut grade. L’histoire naturelle de la progression de la dysplasie vers le cancer invasif n’est pas bien documentée. S’il est aujourd’hui bien prouvé que la majorité des malades VIH ayant une dysplasie de bas grade va développer au cours du suivi une dysplasie de haut grade, la progression de celle-ci vers un cancer invasif est imprécise (9). Tout reste à faire dans ce champ pathologique… n Proctologie(s) P roctologie(s) R éférences bibliographiques 1. Ryan DP, Compton CC, Mayer RJ. Carcinoma of the anal cancer. N Engl J Med 2000;342:792-800. 2. Schwartz SM, Daling JR, Doody DR et al. Oral cancer risk in relation to sexual history and evidence of human papillomavirus infection. J Natl Cancer Inst 1998;90:1626-36. 3. Frisch M, Glimelius B, Van den Brule AJ et al. Sexually transmitted infection as a cause of anal cancer. 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