DOSSIER THÉMATIQUE Famille et anorexie mentale Anorexia nervosa and family J.M. Havet* T oute activité − en psychiatrie comme ailleurs − repose sur une hypothèse quant à la nature du problème à traiter, sur une modélisation qui conduit à déterminer ce qu’il convient de faire − et de ne pas faire − pour obtenir le résultat souhaité. Afin d’optimiser la démarche adoptée, il est à l’évidence souhaitable que cette hypothèse soit clairement formulée, c’est-à-dire qu’elle soit explicitée plutôt qu’elle ne reste implicite. Quand il évoque la famille de ses patients, le psychiatre suggère que, d’une certaine manière, celle-ci joue un rôle dans le processus psychopathologique, tant dans son éclosion que dans sa pérennisation ou son évolution. Sinon, pourquoi le ferait-il ? Il a donc, dans cette prise en compte de la famille, tout intérêt à être en mesure de déterminer très précisément quel modèle il va utiliser afin d’en faire un levier thérapeutique efficace. L’intérêt du praticien pour la famille des anorexiques n’est pas aussi récent qu’on est porté à le penser lorsque l’on se fonde sur le développement, à compter du milieu du xxe siècle, des thérapies familiales systémiques. En outre, les idées concernant l’influence du contexte familial n’ont cessé depuis d’évoluer, ou plutôt de se multiplier. En effet, les concepts les plus récents n’ont pas rendu obsolètes les précédents, mais proposent plutôt d’autres versions d’un même problème, permettant d’enrichir la pratique par les nouvelles directions du travail thérapeutique que ces interprétations inédites de concepts existants impliquent. Charles Lasègue et l’anorexie hystérique Dans son article de 1873 sur l’anorexie hystérique (terminologie qui correspond à ce que nous nommons actuellement anorexie mentale), C. Lasègue évoque déjà la nécessité de prendre en compte le rôle de l’entourage du patient (1). Il écrit : “On aurait une notion erronée de la maladie en bornant l’examen à la maladie […] Le milieu où vit la malade exerce une influence qu’il serait également regrettable d’omettre ou de méconnaître.” Conscient de l’importance des facteurs relationnels dans l’évolution de la pathologie, il met d’emblée en garde le thérapeute : “Malheur au médecin qui, méconnaissant le péril, traite de fantaisie sans portée comme sans durée cette obstination dont il espère avoir raison par des médicaments, des conseils amicaux ou par la ressource encore plus défectueuse de l’intimidation. Avec les hystériques une première faute médicale n’est jamais réparable. À l’affût des jugements qu’on porte sur elles, de ceux surtout auxquels s’associe la famille, elles ne pardonnent pas, et, considérant qu’on a commencé les hostilités, elles s’attribuent le droit de les continuer avec une ténacité implacable. À cette période initiale, la seule conduite sage est d’observer, de se taire, et de se rappeler que, quand l’inanition volontaire date de plusieurs semaines, elle est devenue un état pathologique à longue échéance.” Ces sages conseils demeurent si pertinents qu’il nous a semblé nécessaire de les rappeler. C. Lasègue décrit également les répercussions du comportement anorexique sur l’entourage du patient : “Quand, après plusieurs mois, la famille, le médecin, les amis, voient l’inutilité persistante de tous les efforts, l’inquiétude commence.” Le patient finit par occuper une position centrale dans la famille : “L’anorexie devient peu à peu l’objectif unique des préoccupations et des conversations. Il se forme ainsi une façon d’atmosphère autour de la malade qui l’enveloppe et à laquelle elle n’échappe à aucune heure de la journée.” Comment l’entourage va-t-il réagir ? “La famille n’a à son service que deux méthodes qu’elle épuise toujours : prier ou menacer. […] On multiplie les délicatesses de la table dans l’espérance d’éveiller * Pôle de psychiatrie des adultes, hôpital Robert-Debré, Reims. La Lettre du Psychiatre • Vol. VII - n° 4 - juillet-août 2011 | 127 Mots-clés Anorexie mentale Famille Thérapie systémique Complexité Psychosomatique Summary Like other psychiatric disorders anorexia nervosa can be referred to the patients family context. Several models are then available for the therapist. Keywords Anorexia nervosa Family Systemic therapy Complexity Psychosomatic Résumé L’anorexie mentale, comme toute autre pathologie psychiatrique, peut être rapportée au contexte familial des patients. Le thérapeute dispose alors de plusieurs modèles pour orienter sa pratique. l’appétit, plus la sollicitude s’accroît, plus l’appétition diminue […] On se lasse de supplier, On exige. Nouvelle tentative plus infructueuse que les précédentes.” Enfin, devant l’aggravation, “les amis, les parents inclinent à regarder la situation comme désespérée [… ] ; l’affliction vraie, sincère, a succédé aux remontrances.” Si C. Lasègue décrit parfaitement les interactions entre la patiente anorexique et son entourage, il n’y a malheureusement aucune autre solution à proposer que l’attente avec l’espoir d’une guérison spontanée. Il note cependant que le désespoir de l’entourage peut influencer favorablement le comportement de la patiente : “La jeune fille commence à s’inquiéter de l’appareil attristé qui l’entoure et pour la première fois son indifférence satisfaite se déconcerte.” Le médecin va alors pouvoir “reprendre son autorité s’il avait eu soin de la ménager en prévision de l’avenir”, sans que C. Lasègue précise concrètement en quoi. craindre une issue fatale, persistent à l’encourager à manger, bien qu’ils soient parfaitement conscients de l’inutilité de leurs efforts. Le thérapeute devra aborder avec prudence la tâche qu’il suggère aux parents d’assumer et de se garder de tout optimisme prématuré quant à l’évolution. Ainsi, il dira, “vos tentatives visant à l’aider à manger se sont inlassablement retournées contre vous” plutôt que d’affirmer que ce qui a été essayé “n’a pas marché”. Et, quand il suggérera une tâche, consistant pour les parents à ne plus proposer de nourriture à leur enfant, il leur demandera de bien réfléchir et de ne pas se précipiter dans cette nouvelle voie. La mise en œuvre de cette façon d’aborder le traitement de l’anorexie, qui paraît simple dans son principe, reste cependant très délicate. Quand le problème, c’est la solution : l’école de Palo Alto L’anorexie mentale impliquant le corps, le psychisme et l’entourage, S. Minuchin la considère en tant que pathologie psychosomatique et met en évidence 5 caractéristiques des familles dans lesquelles elle survient (3) : ➤ ➤ l’enchevêtrement avec d’importantes difficultés à délimiter des frontières et un espace individuel ; ➤ ➤ la surprotection de tous les membres de la famille les uns vis-à-vis des autres, associée à un souci excessif du bien-être d’autrui ; ➤ ➤ la rigidité, avec des difficultés majeures à changer les règles et la structure familiale quand celles-ci sont devenues obsolètes ; ➤ ➤ l’évitement des inévitables conflits familiaux, qui restent de ce fait irrésolus ; ➤ ➤ la triangulation, c’est-à-dire l’implication des enfants dans les tensions parentales. Il s’agissait donc pour le thérapeute d’aider la famille à modifier ses patterns relationnels, à se restructurer pour permettre au patient d’abandonner son comportement anorexique. Cependant, selon S. Cook-Darzens, il s’avère que cette configuration relationnelle familiale n’est pas vérifiée expérimentalement, qu’elle est rarement retrouvée dans son intégralité et avec l’intensité décrite (4). Elle ne serait pas spécifique de l’ano- Une première réponse au sentiment d’impuissance de la famille sera apportée par l’équipe du Mental Research Institute (MRI) de Palo Alto en Californie (2). Leur hypothèse est que “les problèmes, quelle que soit la façon dont ils ont commencé, persistent en raison des tactiques mises en œuvre avec constance par le plaignant pour essayer de les résoudre.” En conséquence, “l’objectif de la thérapie n’est pas de faire en sorte que les plaignants fassent quelque chose mais qu’ils interrompent ce qu’ils avaient mis en œuvre pour tenter de résoudre le problème.” Ils prescrivent cependant aux patients certaines tâches, “des actions alternatives, dans la mesure où une personne ne peut arrêter de faire quelque chose sans faire autre chose à la place”. Dans les cas d’anorexie mentale, les plaignants sont plus souvent les membres de l’entourage que le patient lui-même. C’est donc sur eux que vont porter les actions du thérapeute. Dans ces situations, habituellement, des parents, très légitimement inquiets de la maigreur de leur enfant, qui leur fait 128 | La Lettre du Psychiatre • Vol. VII - n° 4 - juillet-août 2011 Salvador Minuchin et la famille psychosomatique DOSSIER THÉMATIQUE rexie mentale, mais serait également observée dans les familles ayant d’autres problèmes psychosomatiques (diabète, asthme) ou d’autres types de troubles psychiatriques (dépression). On serait même en mesure de la mettre en évidence dans des familles touchées par un problème de mucoviscidose, or il paraît plus qu’incertain que cette configuration familiale génère une maladie organique. En fait, 25 % des familles d’anorexiques présenteraient un fonctionnement très satisfaisant avant la survenue de l’anorexie et 50 % des dysfonctionnements mineurs. Son étude portant sur 40 familles a montré qu’elles étaient moins cohésives que les familles non problématiques et qu’il y avait surtout beaucoup de désaccord entre les membres de la famille sur le fonctionnement familial, ce qui va à l’encontre du souci d’harmonie évoqué par S. Minuchin. En revanche, l’évaluation de 85 familles a permis à R. Pauze de constater qu’il existait 2 catégories de jeunes filles anorexiques (5) : celles qui viennent d’un milieu protecteur correspondant à la famille psychosomatique de S. Minuchin et celles qui viennent d’une famille extrêmement violente psychologiquement, physiquement et sexuellement. Il est donc difficile de trancher cette question avec certitude actuellement et de nouvelles études restent nécessaires. En fin de séance, le thérapeute, après s’être entretenue avec ses collègues en l’absence de la famille, revenait vers lui avec un commentaire et/ou une prescription en rapport avec le contexte relationnel précis mis à jour lors de l’exploration initiale de la dynamique familiale et de l’histoire du symptôme. Par exemple, dans la famille Sala, Antonella avait développé une anorexie après qu’on lui eut interdit de poursuivre sa relation affective avec Franco, que son entourage considérait comme non digne de confiance parce qu’il n’avait pas envie de travailler et, surtout, parce qu’il était accusé d’attentat à la pudeur à la suite d’un strip-tease effectué dans un bar du village lors d’une beuverie entre copains (7). Le point de vue du thérapeute fut le suivant : “Si Antonella guérissait, il y aurait le risque qu’elle recommence à fréquenter Franco, et cela pourrait être pour la grand-mère une honte et une douleur mortelle, bien pire que ce qu’elle souffrirait si Antonella mourait de sa maladie.” Dans cette perspective, le problème est la solution à un autre problème plus grave, et il convient donc de ne pas s’en défaire. Confrontée à cette définition paradoxale, et afin de continuer à s’opposer à sa famille − et au thérapeute −, la patiente n’avait d’autre solution que de reprendre son alimentation. L’école de Milan, première époque : paradoxe et contre-paradoxe L’école de Milan, deuxième époque : les jeux psychotiques dans la famille M. Selvini Palazzoli considérait que l’anorexie mentale était une grève de la faim non déclarée comme telle, un comportement d’opposition, de protestation et de lutte, avec la volonté de prendre le pouvoir non seulement sur son propre corps, mais aussi, et surtout, sur l’ensemble de la famille (6) : le patient était furieux contre un membre de son entourage (en général son père ou sa mère) par qui il s’était senti trahi, et ses symptômes étaient en quelque sorte l’instrument de sa vengeance, le moyen de faire souffrir en retour qui l’avait abusé. La prescription paradoxale du maintien du symptôme avait alors pour objectif de provoquer le patient en attaquant ses convictions par le biais d’une redéfinition de son comportement. Il pensait avoir acquis du pouvoir (tous s’efforçant de le convaincre de manger, le suppliant, mais personne ne parvenant à vaincre sa résistance) mais, selon le thérapeute, il ne s’agissait en fait que de sollicitude, d’un comportement protecteur, d’un sacrifice qu’il s’imposait pour le bien-être de la famille. À compter de la fin des années 1970, M. Selvini Palazzoli et sa nouvelle équipe travaillent à la reconstitution de la mise en place et de l’évolution des manifestations anorexiques au sein de la famille (8). Cette recherche débouche sur une modélisation en 6 stades du processus. Tout commence par le “pat du couple parental”, expression empruntée au jeu d’échecs pour désigner une relation conjugale conflictuelle sans issue, ne débouchant ni sur la réconciliation ni sur la séparation. Dès son enfance la future patiente sera engagée dans ce jeu, en étant par exemple la confidente de sa mère, croyant ainsi bénéficier d’une relation privilégiée alors qu’il s’agit d’un imbroglio affectif. Lors de son adolescence, elle découvre que sa mère n’est pas si attachée à elle qu’elle le pensait et elle se rapproche de son père qui la pousse à s’opposer à sa mère. Le régime alimentaire qui suit prendra le sens d’une tentative faite pour se différencier de sa mère et s’opposer à elle. Mais, ne se sentant pas soutenue par son père, la jeune fille accentuera jusqu’à l’absurde sa restricLa Lettre du Psychiatre • Vol. VII - n° 4 - juillet-août 2011 | 129 DOSSIER THÉMATIQUE Troubles du comportement alimentaire Famille et anorexie mentale tion alimentaire. Enfin, découvrant le pouvoir que lui confèrent ses symptômes, elle se trouvera dans l’impossibilité de les abandonner. La thérapie s’appuiera dans un premier temps sur une prescription invariable, celle du secret (en particulier lors de sorties des parents), puis sur le dévoilement du jeu familial (9). Bien évidemment, cette méthodologie n’est indiquée que si la patiente a clairement identifié des difficultés relationnelles avec ses ami(e)s. Si l’on compare des jeunes filles ayant bénéficié d’une intervention de ce type à celles qui n’en ont pas bénéficié, on constate que les premières prennent beaucoup plus de poids, et plus rapidement. Robert Pauzé et le réseau social Luigi Onnis et l’optique de la complexité La socialisation semble être une variable extrêmement importante dans l’étiopathogénie de l’anorexie mentale. En effet, quand on demande à des patients, 10 ans après leur sortie du processus anorexique, ce qui a été le plus déterminant pour leur évolution, ils répondent souvent que leurs amis ont eu plus d’influence que le système thérapeutique ou leur famille. Fort de ce constat, R. Pauzé va orienter en partie son travail avec les adolescentes anorexiques vers la rencontre de leur réseau d’amies (5). Il va les réunir afin de les informer des difficultés que la patiente vit au niveau de son insertion sociale (tendance à l’isolement) et d’identifier les solutions qu’elles pourraient lui proposer. Cette réunion est mise en place après environ 8 semaines de thérapie avec la famille et elle fait suite à 4 ou 5 entretiens individuels avec la patiente afin de préparer la rencontre. La patiente contacte elle-même ses amies (en général 5 à 10 personnes) et les invite, le plus souvent un samedi matin, au domicile de ses parents auxquels il a été demandé de préparer une collation et de quitter la maison avec le reste de la famille pendant toute la durée de la rencontre. Le groupe s’installe dans la pièce principale de la maison (souvent le salon). Dans un premier temps, après s’être présenté, R. Pauzé communique aux personnes présentes l’objectif de la réunion : permettre à la patiente de trouver une place dans le groupe. On ne discute jamais de l’anorexie. On débat d’une problématique sociale, par exemple de l’agressivité des filles les unes avec les autres. L’adolescente explique comment elle en est venue à s’isoler ; puis R. Pauzé demande à ses amies de parler des difficultés qu’elles ont eues à s’insérer dans des groupes et ce qu’elles ont fait pour sortir de cette impasse. L’idée sous-jacente est de rendre le problème collectif. Après 1 h 30 à 2 h de débat, R.Pauzé reprend les principaux points abordés et part. La patiente invite alors ses amies à une collation. La semaine suivante le thérapeute s’entretient avec la famille au complet de l’effet qu’a eu cette rencontre. 130 | La Lettre du Psychiatre • Vol. VII - n° 4 - juillet-août 2011 Selon L. Onnis, plusieurs composantes, qu’il est nécessaire d’intégrer, entrent en jeu dans l’anorexie mentale (10). En premier lieu, une composante socioculturelle : cette pathologie ne se rencontre que dans les pays à économie avancée, où les biens de consommation sont disponibles. Il s’y associe, paradoxalement, une invitation à rester mince, surtout chez les femmes, ce qui permet de comprendre que ce sont surtout elles qui sont touchées par ce problème. On observe également une composante individuelle : l’adolescente essaye de trouver une personnalité propre, souvent au travers de comportements d’opposition qui, chez l’anorexique, s’expriment seulement sur le terrain de la nutrition. Par ailleurs, les adolescents ont le sentiment de la fragilité des limites de leur moi et veulent éviter les intrusions, ce qui entre en résonance avec la composante relationnelle familiale : il est, dans ces familles, difficile, voire impossible, de disposer d’un espace intime et l’on retrouve en leur sein des mythes de cohésion et d’unité associés à des fantasmes de rupture. Le temps suspendu est le fil rouge qui traverse les 3 composantes évoquées. Notre société est celle du présent infini, de l’éternelle jeunesse. Le patient a des difficultés à envisager l’avenir et à quitter l’enfance. La famille se trouve dans l’impossibilité de passer à l’étape suivante de son cycle vital. Cette suspension du temps sera mise en acte lors de la thérapie par l’intermédiaire des “sculptures familiales” du passé, du présent et de l’avenir, qui, en outre, grâce à l’utilisation d’un langage analogue à celui de l’anorexique – le langage du corps −, permettent de contourner les résistances de la verbalisation. Michael White et la thérapie narrative Dernière-née du courant des thérapies familiales, rattachée au postmodernisme (11) et au construc- DOSSIER THÉMATIQUE tionnisme sociale (12), la thérapie narrative s’est essentiellement développée à partir des travaux de M. White (13). Elle pose la question centrale de l’identité et, de ce fait, a pu être considérée comme un retour à la thérapie individuelle. Il n’en est rien dans la mesure où la construction de l’identité est fondamentalement dialogique, le sujet étant défini par les autres tout autant que par lui-même. M. White part de cette constatation que “les problèmes [que les patients – et leurs thérapeutes –] rencontrent dans la vie sont un reflet de leur identité, ou de l’identité des autres, ou encore de l’identité de leurs relations, [… ] ils sont inhérents à leur Moi ou à celui des autres ; c’est-à-dire qu’eux-mêmes ou les autres sont en fait le problème.” La conséquence en est “de les enfoncer encore plus dans le problème qu’ils essayent de résoudre”. S’opposant à cette conception, les thérapeutes narratifs pensent qu’il faut séparer le problème de la personne afin d’ouvrir un espace permettant au sujet de commencer à agir contre ce problème. Ce sera l’objectif des “conversations externalisantes”, dont une des stratégies consiste à nommer et à personnifier le problème. Ainsi, le patient ne sera plus qualifié d’“anorexique”, mais considéré comme étant confronté à Anorexie, et l’on cherchera à reconstituer quelle influence celle-ci a eu sur sa vie et à déterminer les moments où il a pu lui résister (exceptions). Le thérapeute déconstruira en outre le contexte culturel “allié” du problème (en l’occurrence, l’accent mis sur l’image sociale du corps et de la minceur). Il aidera le patient à redevenir auteur de sa propre vie, en changeant la perception que lui-même et les autres avaient de lui quand il était simplement un anorexique. Indications de la prise en charge familiale Peu de recherches permettent de s’orienter de façon objective vers une prise en charge familiale. La plus connue reste celle menée par G.F. Russell et al., qui portait sur 57 patientes anorexiques ayant retrouvé un poids satisfaisant après hospitalisation (14). Elles furent réparties en 3 groupes tenant compte des facteurs influençant classiquement le pronostic : ➤ ➤ groupe 1 : début avant 19 ans et moins de 3 ans d’évolution ; ➤ ➤ groupe 2 : début avant 19 ans et plus de 3 ans d’évolution ; ➤ ➤ groupe 3 : début après 19 ans. Les patientes furent ensuite randomisées : 29 suivirent une thérapie familiale et 28 suivirent une thérapie individuelle. Ces 2 groupes étaient identiques tant du point de vue clinique que de celui des caractéristiques familiales et socioculturelles. Les résultats à 1 an furent jugés bons dans 23 % des cas, intermédiaires dans 16 % des cas et mauvais dans 61 % des cas. La thérapie familiale s’est montrée supérieure à la thérapie individuelle quand le trouble n’était pas chronique et avait débuté tôt (groupe 1, dans lequel on retrouve la majorité des bons résultats), avec 60 % de bons résultats pour la thérapie familiale, versus 10 % pour la thérapie individuelle qui, elle, s’avère préférable dans les cas d’anorexie à début tardif (groupe 3, dans lequel on retrouve la majorité des mauvais résultats). L’étude qui portait également sur 23 cas de boulimie n’a pas permis de dégager de différence significative entre les 2 types d’approche thérapeutique. Cependant, pour importantes que soient ces données dans le choix du type de prise en charge la plus appropriée, il apparaît, à la lumière des recherches actuelles portant sur l’évaluation des psychothérapies (15), que la qualité de l’alliance thérapeutique est plus fortement associée aux résultats de l’intervention que les techniques employées. Les résultats thérapeutiques des prises en charge familiales L’équipe de M. Selvini Palazzoli a réalisé en 1996 une étude rétrospective portant sur l’ensemble des patientes traitées dans son centre entre 1971 et 1987, y compris sur celles qui n’ont bénéficié que d’une seule séance de thérapie familiale (9). Cent quinze des 185 patientes répondant aux critères diagnostiques du DSM-IV ont été retrouvées. Elles ont reçu chacune une lettre personnelle leur proposant un rendez-vous téléphonique pour un entretien semistructuré portant, entre autres, sur leur condition somatique et psychique, leur rapport à l’alimentation, leurs relations affectives et leur statut socio-économique. Cent sept réponses ont semblé suffisamment coopératives et crédibles pour être analysées. L’évaluation globale du bien-être des patientes montre que 60 % d’entre elles vont bien, 23 % assez bien, 10 % présentent des difficultés, 6 % sont en invalidité ou en semi-invalidité et 1 patiente est décédée. La plupart des patientes sont sorties de l’anorexie : 60,8 % sont asymptomatiques. Pour 3,7 % d’entre Références bibliographiques 1. Lasègue C. Écrits psychiatriques . Textes choisis et présentés par J. Corraze. Toulouse : Privat, 1971. 2. Fisch R, Schlange K. Traiter les cas difficiles. Les réussites de la thérapie brève. Paris : Seuil, 2005. 3. Minuchin S. Familles en thérapie. Paris : Éditions Universitaires, 1983. 4. Cook-Darzens S. Thérapie familiale de l’adolescent anorexique. Paris : Dunod, 2002. 5. Pauze R. En collaboration avec Charbouillot-Mangin B. L’anorexie chez les adolescentes. Ramonville Saint- Agne : Érès, 2004. 6. Selvini Palazzoli M, Boscolo L, Cecchin G, Prata G. Paradoxe et contre-paradoxe. Paris : ESF, 1978. 7. Selvini Palazzoli M. Histoire d’une recherche. Paris : ESF, 1987. 8. Selvini Palazzoli M, Cirillo S, Selvini M, Sorrentino AM. Les jeux psychotiques dans la famille. Paris : ESF, 1990. 9. Selvini Palazzoli M, Cirillo S, Selvini M, Sorentino AM. Anorexiques et boulimiques. Bilan d’une approche thérapeutique familiale. Paris : Médecine et hygiène, 2002. 10. Onnis L. Les langages du corps. La révolution systémique en psychosomatique. Paris : ESF, 1996. 11. Lyotard JF. La condition postmoderne. Paris : Éditions de minuit, 1979. 12. Gergen KJ. Le constructionnisme social, une introduction. Lonay : Delachaux et Niestlé, 2001. 13. White M. Cartes des pratiques narratives. Bruxelles : Satas, 2009. 14. Russell GF, Szmukler GI, Dare C, Eisler I. An evaluation of family therapy in anorexia nervosa and bulimia nervosa. Arch General Psychiatry 1987;44:1047-56. 15. Despland JN, Zimmermann G, De Roten Y. L’évaluation empirique des psychothérapies. Psychothérapies 2006;26(2):91-5. La Lettre du Psychiatre • Vol. VII - n° 4 - juillet-août 2011 | 131 DOSSIER THÉMATIQUE Troubles du comportement alimentaire Famille et anorexie mentale elles persiste une anorexie restrictive et, pour 3, 7 %, une anorexie boulimique ; 11, 2 % ont une boulimie à poids normal et 14 % une dysthymie. La grande majorité des patientes ont une vie sentimentale normale ; 19 ont des enfants (mais il est trop tôt pour conclure, puisque leur âge moyen actuel est de 31 ans). Seules 5,2 % des patientes n’ont pas d’activité professionnelle ou scolaire. Une patiente sur 2 juge ses relations familiales actuelles positives, 14 % les jugent négatives et 34 % mixtes. Il est à noter que beaucoup de guérisons se sont construites contre ou sans la famille. Après la thérapie familiale, 50,1 % des patientes ont bénéficié d’une thérapie individuelle et 24, 7 % ont été hospitalisées. L’ensemble de ces résultats montre l’intérêt de la prise en charge familiale dans l’anorexie mentale, mais également ses limites. Selon les auteurs, l’élément le plus important pour prédire une issue favorable est la capacité de toute la famille à se remettre en cause et à s’impliquer dans un travail psychologique. Une étude des différentes procédures thérapeutiques P E T I T E utilisées montre la supériorité de la méthode paradoxale sur la prescription invariable et le dévoilement du jeu ; mais avec cette dernière les relations familiales évoluent de façon plus satisfaisante. Conclusion Ni le patient anorexique ni sa famille n’ont besoin d’une modélisation de la pathologie pour évoluer. Le thérapeute se trouve en revanche devant la nécessité de disposer d’une représentation du problème qui lui permette d’organiser son activité. Les modèles prenant en compte la famille ne sont pas plus vrais que ceux qui envisagent l’anorexie mentale en tant que pathologie individuelle psychologique et/ou biologique. Ils ont simplement l’intérêt d’offrir au thérapeute une alternative lorsque d’autres conceptions du trouble se sont montrées inefficaces. Ils ont également l’avantage de la diversité, puisque aucun d’entre eux ne peut vraiment prétendre à de meilleurs résultats qu’un autre, ou être spécifique d’une situation particulière. ■ A N N O N C E Tarifs insertions MODULES COLLECTIVITÉS PARTICULIERS 1/16 de page L 50 mm x H 55 mm 289,65 € 144,83 € 1/8 de page L 50 mm x H 110 mm 579,30 € 289,65 € 1/4 de page L 90 mm x H 110 mm 1 082,39 € 541,20 € 1/2 de page L 182 mm x H 110 mm 2 058,06 € 1 029,03 € * Abonnés particuliers : profitez d’une deuxième insertion gratuite. * Collectivités : dégressif à partir de deux insertions, nous consulter. * Quadri offerte. 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