
La Lettre du Psychiatre • Vol. VII - n° 4 - juillet-août 2011 | 131
DOSSIER THÉMATIQUE
tionnisme sociale (12), la thérapie narrative s’est
essentiellement développée à partir des travaux
de M. White (13). Elle pose la question centrale de
l’identité et, de ce fait, a pu être considérée comme
un retour à la thérapie individuelle. Il n’en est rien
dans la mesure où la construction de l’identité est
fondamentalement dialogique, le sujet étant défini
par les autres tout autant que par lui-même.
M. White part de cette constatation que “les
problèmes [que les patients – et leurs thérapeutes –]
rencontrent dans la vie sont un reflet de leur iden-
tité, ou de l’identité des autres, ou encore de l’iden-
tité de leurs relations, [… ] ils sont inhérents à leur
Moi ou à celui des autres ; c’est-à-dire qu’eux-mêmes
ou les autres sont en fait le problème.” La consé-
quence en est “de les enfoncer encore plus dans
le problème qu’ils essayent de résoudre”. S’oppo-
sant à cette conception, les thérapeutes narra-
tifs pensent qu’il faut séparer le problème de la
personne afin d’ouvrir un espace permettant au sujet
de commencer à agir contre ce problème. Ce sera
l’objectif des “conversations externalisantes”, dont
une des stratégies consiste à nommer et à person-
nifier le problème.
Ainsi, le patient ne sera plus qualifié d’“anorexique”,
mais considéré comme étant confronté à Anorexie,
et l’on cherchera à reconstituer quelle influence
celle-ci a eu sur sa vie et à déterminer les moments
où il a pu lui résister (exceptions). Le thérapeute
déconstruira en outre le contexte culturel “allié”
du problème (en l’occurrence, l’accent mis sur
l’image sociale du corps et de la minceur). Il
aidera le patient à redevenir auteur de sa propre
vie, en changeant la perception que lui-même et
les autres avaient de lui quand il était simplement
un anorexique.
Indications
de la prise en charge familiale
Peu de recherches permettent de s’orienter de façon
objective vers une prise en charge familiale. La plus
connue reste celle menée par G.F. Russell et al., qui
portait sur 57 patientes anorexiques ayant retrouvé
un poids satisfaisant après hospitalisation (14). Elles
furent réparties en 3 groupes tenant compte des
facteurs influençant classiquement le pronostic :
➤
groupe 1 : début avant 19 ans et moins de 3 ans
d’évolution ;
➤
groupe 2 : début avant 19 ans et plus de 3 ans
d’évolution ;
➤ groupe 3 : début après 19 ans.
Les patientes furent ensuite randomisées :
29 suivirent une thérapie familiale et 28 suivirent
une thérapie individuelle. Ces 2 groupes étaient iden-
tiques tant du point de vue clinique que de celui des
caractéristiques familiales et socioculturelles. Les
résultats à 1 an furent jugés bons dans 23 % des
cas, intermédiaires dans 16 % des cas et mauvais
dans 61 % des cas.
La thérapie familiale s’est montrée supérieure à la
thérapie individuelle quand le trouble n’était pas
chronique et avait débuté tôt (groupe 1, dans lequel
on retrouve la majorité des bons résultats), avec
60 % de bons résultats pour la thérapie familiale,
versus 10 % pour la thérapie individuelle qui, elle,
s’avère préférable dans les cas d’anorexie à début
tardif (groupe 3, dans lequel on retrouve la majorité
des mauvais résultats).
L’étude qui portait également sur 23 cas de boulimie
n’a pas permis de dégager de différence significative
entre les 2 types d’approche thérapeutique.
Cependant, pour importantes que soient ces données
dans le choix du type de prise en charge la plus
appropriée, il apparaît, à la lumière des recherches
actuelles portant sur l’évaluation des psychothéra-
pies (15), que la qualité de l’alliance thérapeutique
est plus fortement associée aux résultats de l’inter-
vention que les techniques employées.
Les résultats thérapeutiques
des prises en charge familiales
L’équipe de M. Selvini Palazzoli a réalisé en 1996
une étude rétrospective portant sur l’ensemble des
patientes traitées dans son centre entre 1971 et 1987,
y compris sur celles qui n’ont bénéficié que d’une
seule séance de thérapie familiale (9). Cent quinze
des 185 patientes répondant aux critères diagnos-
tiques du DSM-IV ont été retrouvées. Elles ont reçu
chacune une lettre personnelle leur proposant un
rendez-vous téléphonique pour un entretien semi-
structuré portant, entre autres, sur leur condition
somatique et psychique, leur rapport à l’alimentation,
leurs relations affectives et leur statut socio-écono-
mique. Cent sept réponses ont semblé suffisamment
coopératives et crédibles pour être analysées.
L’évaluation globale du bien-être des patientes
montre que 60 % d’entre elles vont bien, 23 % assez
bien, 10 % présentent des difficultés, 6 % sont en
invalidité ou en semi-invalidité et 1 patiente est
décédée.
La plupart des patientes sont sorties de l’anorexie :
60,8 % sont asymptomatiques. Pour 3,7 % d’entre
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