C L I N I Q U E Encéphalites virales en France en 1999 ! M.E. Lafon*, V. Dubois*, H.J.A. Fleury* RÉSUMÉ. En 1999 persiste l’absence de diagnostic étiologique de nombreux épisodes encéphalitiques d’origine vraisemblablement virale. Le plus souvent, l’évolution clinique de ces encéphalites est favorable, malgré l’absence de traitement spécifique. L’efficacité des médicaments antiherpétiques est telle que ces médicaments doivent être systématiquement prescrits, même lorsque la symptomatologie est peu typique. Il faut toutefois noter que les outils de diagnostic moléculaire ont fait considérablement progresser le diagnostic virologique. Au-delà des étiologies “traditionnelles” retrouvées chez l’immunocompétent (Herpesviridae, rougeole, oreillons, adénovirus, entérovirus, rage), des infections plus “exotiques” en apparence peuvent être identifiées dans des contextes épidémiologiques variés : chorioméningite lymphocytaire, encéphalite à tiques, encéphalite à virus West Nile, encéphalite japonaise, entre autres. L’incidence de la forme sporadique de la maladie de Creutzfeldt-Jakob demeure stable, malgré l’apparition en Europe d’un nouveau variant lié à l’encéphalopathie spongiforme bovine. Chez l’immunodéprimé infecté par le VIH, l’encéphalite à cytomégalovirus et la leucoencéphalopathie multifocale progressive à virus JC dominent encore, malgré une nette diminution d’incidence depuis l’instauration de traitements antirétroviraux efficaces. Cette revue synthétique tente de faire le point sur les données récentes concernant ces pathologies sur notre territoire, à l’aide de références bibliographiques principalement d’origine française et européenne. Mots-clés : Encéphalites - Virus - France. L es encéphalites d’origine virale continuent d’inquiéter, bien qu’une majorité d’entre elles soient, dans un pays comme le nôtre, d’évolution favorable, grâce à des mesures médicales et de réanimation appropriées. Les nouveaux moyens de diagnostic moléculaire permettent de dresser une liste assez complète de leurs étiologies. Cette brève revue tente de les énumérer. Les chiffres d’incidence sont encore sous-estimés, car ces pathologies ne font pas l’objet, pour la plupart, d’une déclaration obligatoire. Leur origine diffère, selon que l’encéphalite se présente de façon aiguë ou chronique, que le patient est immunocompétent ou immunodéprimé, en particulier infecté par le VIH. Quelques étiologies rares doivent cependant pouvoir être évoquées dans les conditions épidémiologiques actuelles. Enfin, bien que la nature virale de l’agent de la maladie de Creutzfeldt-Jakob soit loin d’être établie, il nous a paru indispensable de mentionner les chiffres les plus récents concernant le nouveau variant. ENCÉPHALITES AIGUËS DES SUJETS IMMUNOCOMPÉTENTS Parmi les méningoencéphalites aiguës, l’encéphalite herpétique doit toujours être évoquée en premier, en raison de sa fréquence, de sa gravité et de l’efficacité du traitement antiviral par l’aciclovir (1). Par ailleurs, les infections par les autres * Laboratoire de virologie, Université Bordeaux 2 et CHU de Bordeaux, Bordeaux. La Lettre de l’Infectiologue - Tome XIV - n° 3 - mars 1999 Herpesviridae ainsi que par les Paramyxoviridae (rougeole, oreillons) représentent les étiologies les plus fréquentes. Une étude britannique portant sur 2 162 patients (dont 3,3 % infectés par le VIH), présentant une atteinte non spécifique du système nerveux central, a montré l’intérêt et les limites du diagnostic moléculaire appliqué au liquide céphalorachidien (2). Un diagnostic étiologique précis est porté pour seulement 143 patients ; cela constitue 5 % de l’ensemble des sujets étudiés, mais 28,6 % de ceux qui ont une infection d’origine virale “prouvée, probable ou possible”, selon des critères cliniques, cytologiques et virologiques combinés. Parmi ceux-ci, 77 présentent des méningites à entérovirus et 56 des méningo-encéphalites provoquées par divers Herpesviridae (26 à HSV, 16 à VZV, 11 à EBV, 3 à CMV, 1 à HHV6) ; les 9 cas restants sont liés à des infections par le virus JC, des adénovirus, les virus des oreillons et de la rougeole. Huit seulement de ces 143 patients sont infectés par le VIH. En France, l’incidence des encéphalites à HSV est estimée à 200 par an par le Réseau national de santé publique. Toutefois, le nombre de diagnostics virologiques correspondants, qu’ils soient sérologiques ou moléculaires, reste inférieur à ce chiffre. Au sein de notre CHU, l’étiologie virale de 136 encéphalites a pu être identifiée de 1994 à 1997, sur les LCR de 1 024 patients adressés de façon systématique au laboratoire, en combinant l’amplification génique des séquences virales et le dosage de l’interféron dans le LCR. Toutefois, l’infection par HSV a rarement été prouvée (8 PCR positives pour les HSV). Ces tech101 C L I N I Q U E niques peuvent permettre le diagnostic d’épisodes récurrents d’encéphalite herpétique (3), voire d’encéphalites herpétiques à présentation clinique inhabituelle. Dans notre expérience, la sérologie intrathécale n’a jamais conduit seule au diagnostic : un LCR de contrôle, prélevé 8 à 10 jours après le début des signes cliniques, au moment où les taux d’anticorps sont susceptibles de s’élever, n’est qu’exceptionnellement adressé au laboratoire. Des méningoencéphalites à VZV, qui apparaissent une fois sur deux en l’absence d’atteinte cutanée, sont parfois identifiées (9 cas pour le CHU de Bordeaux, de 1994 à 1997) (4). Enfin, environ 3 % des encéphalites à CMV surviennent chez l’adulte immunocompétent (5), avec une issue le plus souvent favorable. En France, 7 cas auraient été décrits au cours des dix dernières années (6). Le virus EBV peut induire une encéphalite au décours de la mononucléose infectieuse ; la PCR dans le LCR permet alors de le détecter sans ambiguïté. Il en est de même pour le virus HHV6, parfois incriminé, y compris chez des sujets immunocompétents. Une encéphalite aiguë peut compliquer une maladie à Paramyxoviridae de l’enfance ou une vaccination (rougeole, oreillons). Pour 1996, cinq cas d’encéphalites rougeoleuses aiguës survenues chez des enfants et un adulte jeune sont rapportés en France (7). Trois de ces personnes n’avaient pas été vaccinées contre la rougeole. La vaccination antirougeoleuse peut elle aussi, exceptionnellement, induire des signes encéphalitiques, de bon pronostic (8). Si le virus ourlien et la vaccination anti-ourlienne provoquent le plus souvent une méningite aiguë sans gravité, des signes encéphalitiques peuvent émailler le tableau clinique. L’étude rétrospective de 54 cas de méningites ourliennes postvaccinales survenues après utilisation des vaccins mono- et trivalents montre l’existence d’une ataxie, d’une confusion ou d’une hypotonie associées à des anomalies électroencéphalographiques dans 9 % des cas (9). L’incidence des méningoencéphalites ourliennes postvaccinales est estimée en France à un cas pour 18 000 à 67 200 vaccinations. Ce chiffre est comparable à celui défini en Grande-Bretagne, mais bien inférieur à celui de l’incidence des méningites provoquées par l’infection virale (1 à 3 cas pour 1 000 infections ourliennes) (10). Les entérovirus, responsables d’environ 80 % des méningites virales, peuvent induire des encéphalites dans environ 10 % des cas, en particulier chez les nourrissons. Seuls quelques cas d’encéphalites à adénovirus sont décrits dans la littérature. De même, des manifestations encéphalitiques sont observées au décours d’épisodes grippaux, principalement lors des pandémies. Enfin, bon nombre d’encéphalites postinfectieuses, faisant suite à des infections virales passées plus ou moins inaperçues, demeurent sans diagnostic étiologique précis (11). Diverses encéphalites virales plus “exotiques” peuvent être rencontrées en France. Tel est le cas de l’encéphalite à tiques, qui survient dans le mois suivant la morsure par l’arthropode, le plus souvent chez des forestiers ou des randonneurs, principalement en Alsace et en Lorraine (12, 13). L’incidence dans cette région a été stable tout au long de la décennie passée, avec 3 à 102 10 cas annuels, diagnostiqués par la sérologie spécifique dans le sang et le LCR, avec présence d’IgM. Plusieurs cas faisaient suite à des déplacements dans les environs immédiats de l’agglomération strasbourgeoise. Toutefois, la forte prévalence de cette affection en Europe centrale (plus de 60 % des Autrichiens sont vaccinés !) et la mobilité des populations doivent faire évoquer ce diagnostic hors de ses limites géographiques usuelles. Ainsi un cas a-t-il été décrit en 1994 dans le Gard chez une jeune touriste piquée par une tique quelques semaines auparavant dans le Bade-Wurtemberg (14). Bien que nous n’ayons pas trouvé trace de cas récent en France, la possibilité d’arboviroses contractées sur notre territoire doit être prise en compte. Un foyer d’arboviroses à virus Tahyna (transmis par des moustiques du genre Aedes) et à virus West Nile (moustiques Culex) a été documenté en Camargue autour de l’étang de Vaccarès en 1962-1963 (15). Chevaux et hommes étaient atteints. Le virus Tahyna est toujours présent en Europe centrale (16). Le virus West Nile, transporté par des échassiers migrateurs, a causé récemment des épidémies humaines associées à quelques cas mortels en Roumanie et au Maghreb (17, 18). La présence actuelle en Camargue de populations importantes de moustiques du genre Culex incite à la prudence. L’encéphalite à virus de la chorioméningite lymphocytaire évolue, quant à elle, le plus souvent favorablement. Cet Arenavirus, transmis par aérosols à partir de souris et de hamsters dorés infectés chroniquement, a provoqué au moins quatre cas de méningites, dont l’un associé à des signes encéphalitiques, au cours des années passées (19). Le contact infectant avec un rongeur, dans la quinzaine précédant les signes cliniques, n’a pu être établi qu’une fois sur deux. La rage humaine est quasiment devenue une pathologie d’importation. Trois cas humains étaient comptabilisés en 1996 (20) ; ils concernaient des personnes mordues par un animal enragé en Algérie et à Madagascar. La baisse notable du nombre de consultants et de traitements antirabiques administrés ne doit pas faire oublier le risque de transmission, en particulier par l’intermédiaire d’animaux importés illégalement et de chiroptères frugivores. En 1995, une chauve-souris enragée était trouvée morte sur un palier en plein centre de Bourges (21) ! Les voyages pourraient amener d’autres pathologies. L’encéphalite japonaise, provoquée par un Flavivirus dont le cycle fait intervenir des oiseaux des étangs, des porcs et des moustiques du genre Culex, est présente sous forme endémo-épidémique dans toute l’Asie du Sud-Est, l’ouest de l’Inde et le Népal (22). La vaccination est conseillée pour des personnes devant séjourner dans ces régions en zone rurale et pour une durée supérieure à un mois (23, 24). La mortalité peut atteindre 25 %, avec des séquelles neuropsychiatriques chez 50 à 80 % des survivants. Certains cas de dengue s’accompagnent de manifestations encéphalitiques. Une épidémie notable est survenue en Martinique, zone endémique pour cette infection, en 1995, avec 13 % de signes hémorragiques et un cas mortel (25). La Lettre de l’Infectiologue - Tome XIV - n° 3 - mars 1999 C L’éventualité d’autres encéphalites importées, à Flaviviridae (encéphalite de Saint-Louis, de la Murray Valley, encéphalite russe verno-estivale), Togaviridae (encéphalites à virus Chikungunya, encéphalites équines diverses) ou Bunyaviridae (encéphalite de Californie, de Crimée-Congo, fièvre de la vallée du Rift), doit rester présente à l’esprit dans les cas graves et de diagnostic difficile. ENCÉPHALITES SUBAIGUËS ET CHRONIQUES Parmi les complications neurologiques de la rougeole, la panencéphalite sclérosante subaiguë présente un pronostic effroyable. Trois cas ont été répertoriés en France en 1996 (7), huit ans après l’épisode initial de rougeole identifié pour deux des patients. La décroissance du nombre de cas (25 en 1980) reflète l’élévation de la prévalence vaccinale au cours de la décennie passée. L’incidence de la maladie de Creutzfeldt-Jakob sporadique n’a pas varié en France récemment. Elle reste d’un cas par million d’habitants et par an. L’épidémie d’encéphalopathie spongiforme bovine identifiée en Grande Bretagne en 1986 et dont le pic a été atteint en 1992, avec environ 300 nouveaux cas par mois, est en voie de disparition. La maladie liée au nouveau variant humain, issue vraisemblablement de cette pathologie, a été à ce jour diagnostiquée chez 26 patients, parmi lesquels 25 Britanniques et un Français. CONCLUSION En 1998, en France, une encéphalite herpétique, ou secondaire à une infection par un autre herpèsvirus, doit systématiquement être recherchée, voire traitée de manière probabiliste, en raison de l’efficacité des antiviraux actuellement disponibles. Néanmoins, d’autres étiologies, pour lesquelles il n’existe le plus souvent aucun traitement spécifique, peuvent être en cause. Une vigilance particulière s’impose face aux pathologies d’importation, dont l’épidémiologie évolue de façon constante. Pour certaines de ces infections virales, une vaccination peut être programmée (avec ATU nominative) avant un séjour, en particulier professionnel, en région d’endémie : tel est le cas pour l’encéphalite japonaise et l’encéphalite à tiques. Un arrêté du 17 mars 1998, publié au Journal Officiel du 19 avril 1998 (pages 6062-63), fixe la liste des Centres nationaux de Référence pour la lutte contre les maladies transmissibles, pour les trois années à venir. Le recours à ces centres, dont les conseils peuvent s’avérer précieux dans les cas difficiles, ne peut être que recommandé. " REMERCIEMENTS Nous remercions les Drs I. Rebière (Réseau national de santé publique, Paris), D. Dormont (Centre à l’énergie atomique, Fontenay-aux-Roses), V. Deubel (Institut Pasteur, Paris) et J.P. Gut (Institut de virologie, Université Strasbourg I) pour l’amabilité avec laquelle ils ont bien voulu nous communiquer des données actualisées pour la rédaction de cet article. ENCÉPHALITES DES PERSONNES INFECTÉES PAR LE VIH Le développement des techniques moléculaires a permis des diagnostics plus précoces et assez bien corrélés aux résultats des examens neuropathologiques (4, 26). Chez 500 patients infectés par le VIH et présentant des troubles encéphalitiques, le CMV est retrouvé par PCR dans le LCR pour 16 % des cas, l’EBV pour 12 % (parmi lesquels bon nombre de lymphomes cérébraux) et le virus JC pour 9 % (avec une excellente spécificité pour le diagnostic de LEMP) (26). Le VZV est identifié chez 3 % de ces patients, le HHV-6 chez 2 %, le HSV-1 et le HSV-2 respectivement chez 2 et 1 % (26). Des techniques de PCR un peu moins sensibles confirment la prépondérance des infections à CMV (27). Tous les auteurs notent l’incidence identique de l’encéphalite à HSV chez les immunodéprimés et les immunocompétents. L’incidence de l’encéphalite à VIH est délicate à apprécier, en dehors des séries autopsiques, tant son diagnostic positif clinique est difficile à établir. Si les encéphalites à VIH sont le plus souvent associées à des charges virales VIH élevées dans le LCR (28), la corrélation est loin d’être absolue. La mesure de la charge virale VIH intracérébrale, mise en œuvre par une équipe française, a bien montré l’importance des mécanismes indirects dans la survenue de la démence associée au VIH (29). Une synthèse des particularités cliniques propres aux atteintes du système nerveux central de l’enfant infecté par le VIH a été récemment proposée (30). L’utilisation d’antirétroviraux efficaces semble conduire vers la diminution nette des cas d’encéphalites à CMV et à JCV. La confirmation de cette tendance est attendue dans les années à venir. La Lettre de l’Infectiologue - Tome XIV - n° 3 - mars 1999 L I N I Q U E R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. 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Quels sont les deux examens virologiques les plus informatifs à l’heure actuelle pour faire le diagnostic étiologique d’une encéphalite virale ? a. amplification génique dans le LCR b. sérologies sanguines c. cultures virales dans le LCR d. sérologies dans le LCR e. dosage de l’interféron dans le LCR IV. Quel est le principal virus responsable d’encéphalites chez les patients infectés par le VIH ? a. HSV b. VZV c. CMV d. EBV e. JCV Voir réponses page 134 La Lettre de l’Infectiologue - Tome XIV - n° 3 - mars 1999