Échos des congrès 47e EASD Lisbonne, 12-16 septembre 2011 B. Duvillié* , A. Vambergue** © katia gizzi À l’occasion du congrès de l’Association européenne pour l’étude du diabète (EASD, European Association for the Study of Diabetes), la connaissance des facteurs régulateurs de la sécrétion d’insuline a fait l’objet d’importantes avancées. En effet, on admet que les défauts de sécrétion d’insuline en réponse au glucose interviennent avant l’apparition du diabète de type 2 (DT2). Il est donc important de déterminer par quels mécanismes ces défauts de fonction de la cellule β apparaissent. B. Duvillié exposera les nouveaux concepts relatifs à ce sujet. Ensuite, A. Vambergue offrira une vue synthétique des présentations sur les complications cardiovasculaires au cours du DT2, sur la chirurgie bariatrique et, surtout, sur les possibilités d’évolution du diabète vers le cancer. Ce dernier point constitue un sujet d’interrogation croissante. Les abstracts cités sont consultables sur : http://www.easd.org/easdwebfiles/ annualmeeting/47thmeeting/2011/index.html La sécrétion d’insuline au cœur du débat * Inserm U845, faculté de médecine Necker, Paris. ** Clinique MarcLinquette, endocrinologie, diabétologie et métabolisme, hôpital Claude-Huriez, Lille. 312 Sécrétion d’insuline : les nouveaux facteurs impliqués dans sa régulation L’exocytose précède la sécrétion d’insuline en dirigeant les granules de sécrétion vers la membrane plasmique. Ensuite, les granules qui contiennent de l’insuline fusionnent avec la membrane plasmique. Les protéines importantes responsables de ces mécanismes sont SNAP-25, STX1A, VAMP2 et STXBP. Anderson et al. (OP06, abstr. 32 ; Malmö, Suède) ont étudié l’hypothèse selon laquelle les gènes qui contrôlent l’exocytose seraient altérés chez les patients diabétiques. Les profils d’expression de 23 gènes impliqués dans l’exocytose ont été analysés avec des puces à ADN, sur des préparations provenant d’îlots de 55 donneurs sains et de 9 diabétiques de type 2. Anderson et al. ont montré que 5 gènes importants pour l’exocytose étaient significativement diminués chez les patients diabétiques comparés aux témoins. L’expression de ces gènes, dont STX1A, est corrélée négativement au pourcentage d’hémoglobine glyquée et corrélée positivement à la sécrétion d’insuline en réponse au glucose. Cette étude met donc en évidence l’importance de l’expression des gènes de l’exocytose dans la fonction des cellules β. La diminution de leur expression pourrait probablement être impliquée dans le DT2. Cantley et al. (abstr. 34 ; Sydney, Australie) ont recherché le rôle du facteur CBP/p300-interacting transactivator 2 (CITED2) dans les cellules β. En effet, CITED2 est fortement exprimé dans les cellules β et il agit comme cofacteur de molécules partenaires qui ont un rôle connu dans la fonction des cellules β. La mutation spécifique de CITED2 dans les cellules β n’entraîne pas de phénotype apparent chez les souris qui présentent une masse corporelle et un aspect normaux. Néanmoins, lorsque ces souris sont soumises à des tests de tolérance au glucose, on observe une réduction de la sécrétion d’insuline par rapport aux souris témoins. La masse de cellules β des souris mutantes est normale mais l’architecture des îlots est altérée. De plus, l’expression de CITED2 était diminuée de 38 % dans les îlots de souris diabétiques Db/Db par rapport à des souris témoins sauvages. L’ensemble de ces résultats démontre clairement que le facteur CITED2 est impliqué dans la fonction des cellules β. L’hypothèse d’un rôle de CITED2 au cours du diabète est soutenue par l’analyse des souris Db/Db. Néanmoins, l’analyse de son mécanisme d’action nécessitera des recherches complémentaires. Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XV - nos 9-10 - novembre-décembre 2011 47e EASD Le facteur de transcription et de traduction TFB1M contrôle l’expression de gènes mitochondriaux. Sharoyko et al. (OP06, abstr. 31 ; Malmö, Suède) ont montré, grâce à une analyse génomique, que certains variants du gène TFB1M sont associés à un accroissement du risque, pour les patients, de développer un DT2, du fait d’anomalies de la sécrétion d’insuline et d’une glycémie élevée lors de tests de tolérance au glucose. Afin d’élucider le rôle de TFB1M, Sharoyko et al. ont analysé des souris qui portent une mutation de TFB1M dans les cellules β du pancréas. À 2 mois et demi, ces souris affichent un retard d’élimination du glucose lors de tests de tolérance au glucose et une absence d’induction de la sécrétion d’insuline. À 4 mois, ces souris deviennent diabétiques et la sécrétion d’insuline en réponse au glucose est altérée. Il devient évident que la protéine TFB1M joue un rôle majeur dans la fonction des cellules β et le développement du diabète. Elle constitue dès lors une nouvelle cible thérapeutique potentielle. La croissance des cellules β est un phénomène adaptatif qui permet une homéostasie glucidique correcte lors de la grossesse. Wu et al. (OP08, abstr. 43 ; Nanjing, Chine) ont montré précédemment que la survivine contrôle la prolifération des cellules β pendant la période périnatale. L’étude présentée à l’EASD avait pour objectif de mieux comprendre le rôle de la survivine pendant la gestation. Pour cela, ses auteurs ont généré des souris avec une mutation de la survivine spécifiquement dans les cellules β. Wu et al. ont examiné dans un premier temps l’expression de la survivine dans des souris témoins sauvages : la survivine était exprimée entre E10.5 et E18.5, atteignant un pic d’expression à E14.5. Cette expression est corrélée à une hausse de prolifération des cellules β à E14.5. Les souris mutantes pour la survivine ont des défauts de sécrétion d’insuline en réponse au glucose pendant la gestation, avec une diminution de la masse de cellules β par rapport aux souris témoins sauvages. Cette réduction de la masse de cellules β est causée par une baisse de réplication. Ces données montrent un nouveau rôle de la survivine, gène qui s’avère essentiel pour l’adaptation de la masse de cellules β pendant la grossesse. Régénération des cellules β : un concept revisité lors de la vie néonatale Pendant de nombreuses années, une question fondamentale a été de savoir si la néogenèse des cellules β – c’est-à-dire la différenciation de cellules β à partir d’autres types cellulaires – existait chez l’adulte. Les études génétiques par traçage de cellules de Dor et Bhushan ont exclu cette possibilité dans le pancréas adulte en 2004. Au congrès de l’EASD, Minami et al. (OP08, abstr. 48 ; Kobe, Japon) ont relancé le débat et posé la question de l’existence d’une néogenèse des cellules β pendant la période néonatale. Pour cela, ils ont généré des souris dans lesquelles on peut marquer et suivre les cellules β avec l’expression d’un gène rapporteur YFP (Yellow Fluorescent Protein). Les cellules β ont été ainsi marquées à la naissance. Lors du sevrage des souriceaux (vers 3 semaines postnatales), un grand nombre de cellules qui avaient été marquées par YFP ont été remplacées par des cellules non fluorescentes. Cela indique que ces nouvelles cellules β se sont formées à partir de cellules “non β”, car, si elles provenaient de la réplication de cellules β préexistantes, on s’attendrait à ce qu’elles expriment le facteur YFP. Or, ces données montrent que la néogenèse des cellules β est possible pendant la période postnatale. Cet événement devrait permettre d’envisager à l’avenir des possibilités thérapeutiques importantes pour le traitement du diabète néonatal. Insuline et cerveau : un nouveau rôle dans la satiété Une autre question majeure soulevée au congrès de l’EASD était consacrée au rôle de l’expression de l’insuline dans le cerveau. Les auteurs ont notamment recherché les effets de l’insuline du cerveau sur la prise de poids et sur la régulation de la glycémie. L’équipe de Johnson (abstract 711 ; Vancouver, Canada) a étudié le profil d’expression des 2 gènes de l’insuline chez la souris dans différentes parties du cerveau. Rappelons que la souris exprime 2 gènes non alléliques codant pour 2 protéines très voisines, qui diffèrent par 2 acides aminés dans leur chaîne B et par 3 dans le peptide C. Chez l’homme, il n’existe qu’un seul gène de l’insuline. Dans quelques cellules de l’hypothalamus, Johnson et al. ont détecté des transcrits de l’insuline 2 mais pas de l’insuline 1. Les transcrits Ins1 et Ins2, en revanche, sont exprimés dans le pancréas, ainsi que le décrivaient Duvillié et al. en 1997 (1). Cette étude montre que des souris Ins1-/-Ins2+/- ont une prise de poids corporelle et une prise alimentaire plus importantes que celles de souris Ins1-/-Ins2+/+ lorsque ces animaux sont exposés à un régime riche en graisse. Ces résultats conduisent à l’hypothèse d’un rôle de l’expression du gène Ins2 dans le cerveau sur la satiété. De façon intéressante, il avait été expliqué précédemment que des souris ayant une mutation spécifique du gène du récepteur de l’insuline dans le cerveau développent également une obésité lors d’un régime riche en graisse. L’ensemble de ces données soutient l’idée d’un effet de l’expression de l’insuline dans le cerveau sur la prise alimentaire. Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XV - nos 9-10 - novembre-décembre 2011 313 Échos des congrès Les complications cardiovasculaires dans le diabète de type 2 Une session a été consacrée aux “Complications cardiovasculaires du DT2 : un sujet toujours d’actualité” (OP26 ; Stehower, Maastricht, Pays-Bas ; Witte, Gentofte, Danemark). Des questions non résolues concernant la relation entre le niveau d’HbA1c et le risque de complications cardiovasculaires graves – sous-entendant le risque de mortalité cardiovasculaire – persistent à ce jour. Les analyses et méta-analyses qui se sont succédé après les résultats de l’étude ACCORD (Action to Control Cardiovascular Risk in Diabetes) ont fait état de la possibilité d’une association de courbe en U. Des données rétrospectives issues d’une cohorte de 40 204 Suédois âgés de plus de 35 ans, atteints de DT2 et suivis en médecine générale, ont été présentées au cours de ce congrès (OP26, abstr. 153 ; Östgren, Linköping, Suède). Ces données ont été comparées à celles du Registre national des causes de décès et à celles du Registre national d’hospitalisation. Le risque d’un premier événement cardiovasculaire grave a été défini par un critère composite (infarctus myocardique non mortel, insuffisance cardiaque, accident vasculaire cérébral non mortel, décès d’origine cardiovasculaire). Pendant la période de suivi – entre 1999 et 2010 –, 10 018 patients de la cohorte suédoise (soit 24,9 %) ont présenté un événement cardiovasculaire grave. La relation entre le taux d’HbA1c et le risque de ce premier événement cardiovasculaire grave est de type courbe en J. Le risque le plus faible est observé pour un taux d’HbA1c de 6,3 % : or, cette relation persiste après ajustement sur les facteurs confondants que sont l’ancienneté du diabète, la durée du traitement, le niveau socio-éducatif des patients. Les auteurs en concluent que les futures recommandations devraient inclure un seuil minimal à viser de taux d’HbA1c de l’ordre de 6,0 à 6,5 % selon leurs données. D’autres données issues de nombreux registres – notamment ceux des pays nordiques et des PaysBas – ont confirmé une notion déjà connue, à savoir la réduction du risque cardiovasculaire chez les patients traités par metformine. Néanmoins, il faut souligner qu’il s’agit de données observationnelles obtenues auprès de groupes de patients traités par metformine versus insuline, non comparables. L’indication de l’insulinothérapie est souvent proposée en présence de complications plus sévères. Ces résultats ne permettent en aucun cas d’imputer à l’insuline une augmentation du risque cardiovasculaire. Une autre étude observationnelle venant des États-Unis (OP26, abstr. 156 ; Fu, Cleveland, États-Unis) a comparé 314 le risque cardiovasculaire dans 2 groupes de patients traités en monothérapie au moins pendant 90 jours soit par metformine seule, soit par sulfamides seuls, et suivis pendant 3 ans. L’avantage de cette étude est que les patients étaient appariés sur les facteurs de risque (indice de masse corporelle [IMC], ancienneté du diabète, niveau d’HbA1c, niveau tensionnel et lipidique). Les résultats restent favorables à la metformine par rapport aux sulfamides. Néanmoins, il n’y a pas eu d’information sur les combinaisons de traitements ou les modifications de traitement au cours du suivi. Insuline et cancer, metformine et cancer Ce sujet continue de faire l’objet de toute l’attention de la communauté diabétologique au cours des différents congrès nationaux et internationaux. Quelques notions épidémiologiques déjà connues ont été rappelées : le risque de cancer chez les patients diabétiques est plus élevé que chez les non-diabétiques, et ce risque est globalement multiplié par 2. Les mécanismes précis de cette association ne sont cependant pas encore bien compris. Il semble néanmoins que le mécanisme le plus important soit celui de l’insulinorésistance associé à celui de l’hyperinsulinisme. Nous savons que l’insuline est un facteur mitogène et qu’il n’est pas exclu que l’hyperinsulinisme puisse stimuler la prolifération de cellules cancéreuses. Toutefois, nous avons besoin de données complémentaires pour mieux comprendre ces mécanismes. À l’inverse, le rôle potentiellement bénéfique de la metformine sur la prolifération tumorale a été rapporté. Les patients diabétiques sous metformine auraient un risque moins élevé de cancer. D’après certaines observations in vitro, elle permettrait de freiner la prolifération cellulaire. Nous ne savons pas si ces données seront confirmées in vivo. La metformine ne peut certes pas être considérée comme un antimitotique, mais elle pourrait trouver sa place dans le traitement adjuvant à la chimiothérapie de certains cancers comme le cancer du sein. Ces données justifient bien sûr d’être validées par des données complémentaires, expérimentales ou précliniques. L’ère du bypass est-elle déjà dépassée dans le traitement chirurgical du diabète de type 2 ? Une session a été consacrée aux données issues de la chirurgie bariatrique dans la prise en charge du DT2 (OP31 ; Mingrone, Rome, Italie ; Nuutila, Turku, Finlande). Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XV - nos 9-10 - novembre-décembre 2011 47e EASD Elles confirment le bénéfice de la chirurgie sur le plan métabolique et la possibilité d’une nouvelle technique – cette fois-ci non invasive. Il existe maintenant dans la littérature de nombreuses données confirmant l’effet bénéfique, au moins sur le plan métabolique, chez nos patients atteints de DT2. Il a été démontré (OP181 ; Barsotti, Pise, Italie) que cet effet bénéfique de la chirurgie bypass concerne également les sujets obèses non diabétiques par le biais d’une amélioration de l’insulinosensibilité. La chirurgie bariatrique serait, d’après une autre étude suisse (OP31, abstr. 182 ; Svehlikova, Graz, Autriche ; Suisse), suivie d’effets très précoces et très rapides en termes d’amélioration de l’insulinosensibilité – quelle que soit l’ancienneté du diabète. L’insulinorésistance associée aux différents tissus est également présente au niveau de l’intestin lors de l’exploration par PET scan effectuée avant chirurgie et 6 mois plus tard. L’insulinorésistance est nettement améliorée 6 mois après la chirurgie (OP31, abstr. 185 ; Mäkinen, Turku, Finlande). Le contenu le plus spectaculaire de cette session est venu de la présentation d’une nouvelle technique non invasive, “l’entérobarrière”, qui pourrait remplacer le bypass : il s’agit d’une prothèse – ou manchon synthétique – qui fait une barrière au niveau du duodénum et d’une partie du jéjunum. Elle est posée pour une durée de 3 mois. Cette technique se fait par fibroscopie. Les résultats sont comparables à ceux du bypass – une semaine après la pose, en termes d’amélioration de l’insulinosensibilité, et après plusieurs mois, en termes de perte pondérale et d’amélioration de l’HbA1c. Si les études cliniques à plus long terme confirment ces résultats préliminaires, ce sera une révolution, dans la mesure où il s’agit d’une technique non invasive entraînant un risque de morbidité moindre que celui du bypass (OP31, abstr. 186 ; de Jonge, Maastricht, Pays-Bas). ■ IDF 2011 International Diabetes Federation Dubaï – 4-8 décembre 2011 Journal en ligne en direct versions web + iphone Recevez chaque jour les temps forts du congrès sous forme de billets d’humeur, interviews vidéos, diapositives à télécharger et brèves sur votre messagerie électronique. Pour le consulter, connectez-vous sur : www.edimark.fr Ou adressez une demande d’inscription à : [email protected] Coordonnateur : Olivier DUPUY (HIA Bégin) www.edimark.fr/ejournaux/IDF/2011/ SITE RÉSERVÉ AUX PROF ESSIONNELS DE SANTÉ * “Attention : les comptes-rendus de congrès ont pour objectif de fournir des informations sur l’état actuel de la recherche ; ainsi, les données présentées seront susceptibles de ne pas être validées par les autorités françaises et ne doivent donc pas être mises en pratique.” “Ces informations sont sous la seule responsabilité des auteurs et du directeur de la publication qui sont garants de l’objectivité de cette publication.” Avec le soutien institutionnel de Référence 1. Duvillié B, Cordonnier N, Deltour L et al. Phenotypic alterations in insulin-deficient mutant mice. Proc Natl Acad Sci USA 1997;94(10):5137-40. Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XV - nos 9-10 - novembre-décembre 2011 315