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Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (VIII), n° 1, janvier/février 2004
Stratégie thérapeutique
Stratégie thérapeutique
Orbitopathie basedowienne, quel traitement médical ?
B. Delemer*
A
u cours de ces dernières années, nous avons assisté
à des avancées dans la compréhension de la physio-
pathologie de l’orbitopathie basedowienne, même
si tout est loin d’être résolu. Le retentissement drama-
tique de cette pathologie sur la qualité de vie des patients
est également mieux apprécié. Sur le plan thérapeutique,
s’il n’y a pas eu d’avancée médicale majeure, nous
pouvons nous appuyer sur des études mieux évaluées,
définissant de véritables protocoles thérapeutiques. Les
thérapeutiques immunosuppressives sont efficaces à la
phase active de la maladie tandis que la chirurgie recons-
tructrice trouve sa place quand la pathologie est à la phase
de séquelles. La reconnaissance de ces différentes phases
a également progressé, ce qui affine nos indications thé-
rapeutiques. Il va sans dire que la prise en charge de ces
patients est le type même d’une activité multidiscipli-
naire qui engage ophtalmologistes et endocrinologues
ainsi que de multiples partenaires.
Combien de patients relèveront
d’un traitement ?
Seule une minorité d’entre eux nécessitera un traitement
agressif. L’histoire naturelle de la maladie reconstituée à
partir d’une cohorte de patients suivis en milieu spécia-
lisé, et donc déjà sélectionnés, montre qu’une ophtalmo-
pathie minime régresse spontanément dans 2/3 des cas et
s’aggrave chez 15 % des patients. Seuls ces 15 % relèvent
d’un traitement.
Comment évaluer la gravité de la maladie ?
Schématiquement, on peut classer l’orbitopathie en trois
grandes catégories : légère ou minime, modérée et grave.
Les deux dernières catégories relèvent d’un traitement.
Comment évaluer l’activité de la maladie ?
L’orbitopathie est une maladie qui évolue en plusieurs
phases bien décrites par Rundle, il y a plus de 40 ans. La
maladie évolue tout d’abord selon une phase ascendante
avec une régression spontanée qui aboutit à une phase de
séquelles. La maladie n’est active qu’à son début et cette
évolution est schématisée sur la figure 1. Une évaluation
clinique selon les critères ci-dessus pourra donner des
résultats similaires, que la maladie soit active ou non. En
revanche, on sait que la réponse aux traitements
immunosuppresseurs n’est présente que pendant la phase
active.
Reconnaissance de la phase active
fondée sur différents critères
* Endocrinologie, CHU de Reims.
Orbitopathie Protrusion Diplopie Neuropathie optique
Légère 19-20 intermittente absente
Modérée 21-23 inconstante AV 8/10 à 5/10
Grave > 23 constante AV < 5/10
Tableau I.
Figure 1. Courbe pointillée bleue = courbe d’activité, courbe rose =
courbe d’évolution clinique. Prédiction de la réponse au traitement
médical selon l’activité de la maladie pour une même évaluation
clinique. a) phase active ; b) après la phase active. D’après (5).
Immunosuppression
Immunosuppression
%
%
Temps
Temps
a.
b.
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Stratégie thérapeutique
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Le plus simple est la durée de la maladie, sachant qu’au-delà
de 18 mois la phase active est souvent dépassée.
Le score d’activité clinique recherche les signes inflam-
matoires suivants :
– douleur rétro-oculaire ;
– douleur à la mobilisation des globes oculaires ;
– œdème palpébral ;
– érythème des paupières ;
– hypertrophie de la caroncule ;
– injection conjonctivale ;
– chémosis.
Les examens complémentaires peuvent être utiles mais
ils sont mal codifiés : échographie des muscles oculaires,
IRM oculaire, captation de l’octréotide marqué évaluée
en scintigraphie.
Quels sont nos moyens thérapeutiques
en 2004 ?
Les traitements locaux concernent tout le monde et sont
suffisants pour les formes minimes.
Pour tous, on donnera les conseils classiques : surélever
le lit, protéger les yeux.
Selon les symptômes on proposera :
Traitements immunosuppresseurs
Les corticoïdes restent le médicament majeur
On exploite leur effet anti-inflammatoire et immunosup-
presseur. Des posologies élevées (1 mg/kg) sont souvent
nécessaires pendant une durée prolongée d’au moins
trois mois. Il existe un risque de récidive à l’arrêt et à la
réduction de la posologie.
Le bénéfice attendu est présent chez deux malades sur
trois. L’amélioration concerne :
– les signes inflammatoires, douleur, érythème ;
– l’acuité visuelle ;
– la mobilité oculaire et la diplopie (effet partiel).
En revanche, ils sont peu efficaces sur la protrusion. On ne
peut pas en attendre une réelle guérison de l’ophtalmo-
pathie.
Les effets secondaires sont extrêmement fréquents et 9 %
seulement des patients sont épargnés après un traitement
per os. Ce sont les effets classiques de la corticothérapie :
diabète, dépression, Cushing, HTA, infections, atteinte
osseuse, etc. Les traitements par bolus sont globalement
mieux tolérés (IV 56 %, per os 85 % dans un travail), mais
on leur décrit une complication plus spécifique : l’induc-
tion d’une hépatite grave.
La voie d’administration des corticoïdes : per os ou
bolus IV ? La comparaison entre ces deux modes de trai-
tement est globalement en faveur des bolus, qu’il s’agisse
des études ouvertes ou des rares études randomisées. Il
est également difficile dans les publications de faire la
part des choses, les deux modes d’administration pouvant
être associés (bolus puis traitement per os).
Les autres traitements médicaux
De nouveaux essais d’immunosuppresseurs ont été menés.
Globalement, ceux-ci sont décevants.
La ciclosporine est moins efficace que la prednisone ; en
revanche, il peut y avoir un intérêt à associer les traite-
ments.
Bien d’autres essais ont été rapportés : citons la colchicine,
le méthotrexate, les plasmaphérèses, les veinoglobulines,
etc., mais aucun de ces traitements ne s’est avéré efficace
de manière significative.
L’efficacité des analogues de la somatostatine est en cours
d’investigation. Leur utilisation repose sur la mise en évi-
dence des récepteurs de la somatostatine in vivo (octréo-
scan) et in vitro, ainsi que sur un effet inhibiteur de l’octréo-
tide sur les cellules orbitaires en culture. Globalement, les
études réalisées ne montrent pas d’effet significatif. Nous
attendons la publication de l’étude récemment réalisée sous
l’égide du groupe de recherche sur la thyroïde (GRT).
À l’heure actuelle, aucun traitement ne peut remplacer la
vieille corticothérapie qui reste notre seule arme médicale
efficace.
Quels moyens pour prévenir
les orbitopathies ?
Éliminer ou réduire les facteurs de risque :
le rôle du tabac
Le tabac est maintenant un facteur de risque reconnu pour
l’orbitopathie, avec un odd ratio de 7,7 chez les fumeurs
(OR = 1,9 pour le développement d’une maladie de
Basedow sans orbitopathie). De plus, on retrouve une
Symptômes Moyens
Photophobie Lunettes de soleil
Sensation de corps étranger Larmes artificielles
Rétraction de la paupière Collyres bêtabloquants
Inocclusion palpébrale Protection de la cornée la nuit
Diplopie Prismes
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relation dose-réponse pour le risque de diplopie avec
la quantité de cigarettes fumées. Enfin, le tabac diminue
la réponse aux traitements, ce qui justifie en soi une
demande d’arrêt de l’intoxication chez les patients.
Contrôler précocement les hyperthyroïdies
Une enquête auprès des endocrinologues européens a
montré que leur impression générale était en faveur de la
réduction de l’incidence de l’orbitopathie sauf dans deux
pays : la Hongrie et la Pologne (plus de tabac ?). Une
explication pourrait être l’amélioration de la prise en
charge des patients basedowiens et un meilleur contrôle
de l’hyperthyroïdie. Ainsi, la comparaison entre 1960 et
1990 des 100 premiers patients annuels consultant pour
maladie de Basedow dans un même centre spécialisé a
montré une réduction de 57 à 35 % des orbitopathies
ainsi qu’une réduction des formes sévères.
Ne pas aggraver l’œil en traitant la thyroïde :
la prévention secondaire
La notion d’aggravation, voire de déclenchement, pro-
longé d’une orbitopathie après un traitement antithyroï-
dien agressif était rapportée dans la littérature mais diffi-
cile à démontrer. En fait, les fluctuations de l’équilibre
thyroïdien, tant l’hyperthyroïdie que les passages en
hypothyroïdie avec élévation de la TSH, semblent dan-
gereux. Donc, ne pas traiter les récidives après des trai-
tements médicaux est mauvais, tout comme surtraiter
sans contrôler les passages en hypothyroïdie.
Parmi les traitements, si les anti-thyroïdiens de synthèse
(ATS) semblent neutres, l’irathérapie a la plus mauvaise
réputation. L’étude de Bartalena et al. (1) fait autorité
(figure 2). Il s’agit d’une étude prospective randomisée de
450 patients traités soit par antithyroïdiens de synthèse, soit
par irathérapie, soit par irathérapie suivie d’une cortico-
thérapie à la posologie de 0,4 mg/kg pendant un mois puis
arrêt progressif sur une période de deux mois, soit trois mois
de traitement. Les résultats montrent après irathérapie une
apparition ou une aggravation de l’ophtalmopathie dans
15 % des cas, permanente et nécessitant un traitement chez
8 % des patients. La corticothérapie permet de retrouver
des résultats identiques à ceux des ATS en ce qui
concerne la progression de l’orbitopathie. Dans la mesure
où peu de patients progressent après irathérapie, les
auteurs nous proposent de retenir ce traitement en cas de
facteurs de risque importants : orbitopathie préexistante,
hyperthyroïdie non contrôlée et particulièrement à T3,
tabagisme. Une hypothèse pour expliquer cet effet
néfaste de l’iode est le relargage possible d’antigènes
thyroïdiens après traitement, comme en témoigne l’aug-
mentation du taux des anticorps, notamment ceux qui
semblent impliqués dans l’orbitopathie, les AC anti-
récepteurs de la TSH.
L’autre traitement radical de l’hyperthyroïdie, la chirurgie,
n’entraîne pas de progression de l’orbitopathie.
Quand un risque important d’orbitopathie existe, on a
donc des moyens de protéger le patient. Un traitement
médical prolongé par des ATS prolongés pouvant expo-
ser au risque de récidive n’est certainement pas souhai-
table. Les traitements radicaux ne doivent pas être
exclus. Certains auteurs recommandent même des traite-
ments les plus éradicateurs possibles d’antigènes thyroï-
diens (chirurgie et irathérapie) comme immunosuppres-
seur sélectif.
Conclusion
L’indication des différents traitements médicaux est
mieux codifiée même si les pratiques varient encore. Des
études multicentriques à l’échelle européenne sont mises
en place. À l’échelle locale, la prise en charge multi-
disciplinaire des patients est un préalable.
L’orbitopathie bénigne bénéficie des traitements locaux
et doit être surveillée.
Le traitement médical a une place dès que l’orbitopathie
devient modérée à sévère : on discutera entre cortico-
thérapie (actuellement plutôt des bolus) et radiothérapie,
voire les deux en phase d’activité de la maladie.
Après cette phase, c’est la place de la chirurgie correc-
trice. Les formes très sévères relèvent d’une chirurgie de
décompression en urgence après d’éventuels bolus de
corticoïdes.
Références
1.
Bartalena L et al. Relation between therapy for hyperthyroidism and the
course of Grave’s ophthalmopathy. N Engl J Med 1998 ; 338 : 73-8.
2.
Bartalena L et al. Management of Graves’ ophthalmopathy : reality and
perspectives. Endocrine Rev 2000 ; 21 : 168-99.
Figure 2. Prévention de la progression de l’orbitopathie par une
corticothérapie débutée après l’iode (d’après [1]).
Radio-iodine-Prednisone
Methimazole
Radio-iodine
Mois après traitement
Patients sans apparition
ou aggravation
de l’ophtalmopathie (%)
1 / 3 100%
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