L Troubles oculomoteurs dans la sclérose en plaques

publicité
Troubles oculomoteurs dans la sclérose en plaques
Ocular motor disorders in multiple sclerosis
C. Vignal-Clermont
(Service de neuro-ophtalmologie et urgences, fondation A. de Rothschild, Paris)
✔ Mots-clés. Sclérose en plaques • Nystagmus •
Ophtalmoplégie internucléaire antérieure • Skew deviation • Oscillopsie • Diplopie.
✔ Keywords. Multiple sclerosis • Nystagmus • Internuclear ophthalmoplegia • Skew deviation • Oscillopsia • Diplopia.
L
es troubles oculomoteurs sont fréquents au cours de la
sclérose en plaques (SEP) : ils peuvent révéler la maladie
ou être asymptomatiques (1). Si on les recherche systématiquement, des troubles oculomoteurs sont retrouvés chez
plus de la moitié des patients, soit respectivement 60, 74 et
80 % des patients atteints d’une SEP possible, probable ou
définie (2) ; ils sont indépendants de l’atteinte de la voie visuelle
sensorielle. Les anomalies oculomotrices se traduisent par
une diplopie et/ou des oscillopsies. Elles peuvent apparaître
et régresser au cours d’une poussée, ou persister et évoluer
sur un mode chronique (3). Elles font le plus souvent suite à
des lésions du tronc cérébral et/ou du cervelet, et participent
au handicap des patients atteints de SEP.
Examen oculomoteur
Cet examen, fait au lit du patient, permet de mettre en évidence
la grande majorité des anomalies oculomotrices présentes
dans la SEP. En plus de l’interrogatoire, il apprécie les éléments
présentés dans le tableau (4).
Diplopie
✔ Ophtalmoplégie internucléaire
La survenue d’une diplopie au cours de la SEP est le plus souvent
en rapport avec une ophtalmoplégie internucléaire (OIN).
L’OIN peut révéler la maladie ; elle est souvent bilatérale.
Selon la littérature, 17 à 41 % des patients atteints d’une SEP
présentent une OIN au cours de leur maladie, et les deux
tiers des patients âgés de moins de 50 ans ayant une OIN
ont une SEP. Cliniquement, lors du mouvement de version,
on constate une limitation de la saccade de l’œil adducteur
homolatéral à la lésion. Cette limitation est variable (parésie
Tableau. Éléments à apprécier lors de l’examen.
• Alignement oculaire
en position primaire
• Torticolis
• Déviation permanente :
tropie, horizontale ou verticale
(POM, skew deviation)
• Déviation latente (phorie)
• Examen
des ductions (binoculaire),
des versions (monoculaire),
de la convergence
• Anomalie des saccades
(latence, vitesse et précision),
de la poursuite (fluide
ou saccadée), des mouvements
automaticoréflexes
• Intrusions saccadiques
• Nystagmus ?
• Forme (pendulaire, ressort),
direction, effet de la position
du regard, de la fixation,
de la position de la tête
• Examen oculovestibulaire
(acuité dynamique,
head thrusts)
• Anomalie du réflexe
oculovestibulaire
ou paralysie). Parfois, il existe un simple ralentissement de
la saccade d’adduction. Dans la majorité des cas, la convergence est intacte (figure, p. 18). La diplopie par rupture de
la fusion dans le regard latéral peut manquer dans les cas les
plus discrets ; les signes fonctionnels sont alors limités à une
fatigue ou à une confusion visuelle. Au niveau de l’œil abducteur, un nystagmus peut être responsable d’une oscillopsie
transitoire, mais l’OIN peut également être asymptomatique.
La détection des cas les plus discrets est meilleure lorsque les
mouvements oculaires sont enregistrés (5) ; ainsi, T.C. Frohman
et al. ont montré que 70 % des 279 médecins observateurs
n’avaient pas détecté une forme d’OIN minime diagnostiquée
grâce à l’électro-oculographie, contre seulement 6 % en cas
de forme plus sévère. L’évolution de l’OIN au cours de la SEP
est variable : elle persiste au-delà de 2 mois chez 50 % des
patients. Elle correspond à une lésion de l’interneurone, situé
dans le faisceau longitudinal médian (FLM) au niveau du pont
ou du mésencéphale, et qui relie le noyau du nerf abducens (VI)
au noyau du nerf oculomoteur (III).
D’autres désordres oculomoteurs peuvent s’associer à une OIN.
En cas d’atteinte du noyau du nerf abducens (VI), on observera une paralysie de la latéralité ipsilatérale à la lésion
(syndrome de “un et demi” de Fisher).
•
Images en Ophtalmologie • Vol. VIII • no 1 • janvier-février 2014
17
Focus
a
b
c
d
Figure. Ophtalmoplégie internucléaire révélant une sclérose en plaques. De face (b), les yeux sont en rectitude, mais il existe une divergence oculaire secondaire au ralentissement de la saccade d’adduction du côté de la lésion, ici bilatérale dans le regard latéral droit (a)
et gauche (c) alors que la convergence (d) est normale.
En cas d’OIN bilatérale, les voies des mouvements verticaux
étant contenues dans le FLM, il est fréquent de rencontrer
des anomalies verticales de tous types : nystagmus vertical
battant vers le haut, le plus souvent, mais aussi anomalies
de la poursuite ou des mouvements vestibulo-oculomoteurs
verticaux (skew deviation).
du nerf oculomoteur (III) sont plus rares, mais des anomalies
fasciculaires partielles (branche supérieure ou inférieure) et
des atteintes nucléaires ont été décrites ; le nerf trochléaire
est exceptionnellement atteint. Le ptosis est rare et peut être
uni- ou bilatéral, d’origine nucléaire.
Une skew deviation (défaut d’alignement vertical non paralytique et anomalie torsionnelle bilatérale) peut également
s’associer à une OIN unilatérale.
Elle peut être isolée ou associée à une OIN. C’est un strabisme
vertical sans paralysie oculomotrice secondaire à une lésion
des voies vestibulaires, le plus souvent centrale (au niveau du
FLM) dans la SEP. Lorsque la lésion est mésencéphalique ou
protubérantielle, l’œil le plus haut est homolatéral à la lésion
alors que, dans les atteintes bulbaires, il est situé de l’autre
côté. Cette déviation verticale est souvent associée à une
“ocular tilt reaction” (intorsion de l’œil le plus haut et extorsion de l’œil le plus bas, déviation de la verticale subjective et
torticolis compensateur).
•
•
Enfin, en cas d’OIN bilatérale avec atteinte associée de la
convergence, il existe une divergence oculaire en position
primaire : c’est la WEBINO (wall-eye, bilateral internuclear
ophthalmoplegia).
•
✔ Lésions nucléaires et fasciculaires
et atteintes des nerfs moteurs oculaires externes
Les lésions nucléaires et fasciculaires ont été décrites dans
la SEP, et les atteintes du nerf abducens (VI) sont les plus
fréquentes. Les publications rapportent que la SEP est la cause
de 4 à 9 % des atteintes unilatérales du nerf abducens (VI),
mais elles ne distinguent pas la date de survenue de la paralysie par rapport au diagnostic de SEP, ni le caractère isolé
ou non de l’atteinte (6). Ainsi, dans une étude rétrospective
publiée en 2000 et portant sur 600 patients atteints de SEP,
seuls 3 présentaient une atteinte du nerf abducens (VI) isolée
révélant la maladie. Les auteurs en ont conclu que, chez un
patient présentant un VI isolé et inaugural, la probabilité de le
rapporter à une SEP est faible, de 0,8 à 1,6 %, si l’on considère
seulement les patients de moins de 50 ans (7). Les atteintes
18
Images en Ophtalmologie • Vol. VIII • no 1 • janvier-février 2014
✔ Skew deviation
✔ Syndrome de Parinaud
Il peut être observé en cas d’atteinte du mésencéphale dorsal,
mais il est rare dans la SEP.
Oscillopsies
Elles sont fréquentes et résultent d’anomalies de l’un des
systèmes assurant la stabilisation oculaire. L’oscillopsie peut
faire suite à un nystagmus − initié par un mouvement lent qui
peut être pendulaire ou à ressort −, à une intrusion saccadique
− initiée par un mouvement rapide − ou à une dysmétrie des
saccades.
✔ Nystagmus
Selon la structure atteinte, on observe différents types de
nystagmus. Nous n’envisagerons ici que les plus fréquents.
Les structures impliquées dans le maintien du regard excentré
sont des neurones intégrateurs situés dans le tronc cérébral :
pour les mouvements horizontaux, il s’agit du noyau prépositus
hypoglossi, bulbaire, et du noyau vestibulaire médian ; pour
les mouvements verticaux, du noyau vestibulaire supérieur et
du noyau interstitiel de Cajal mésencéphalique. Ces intégrateurs sont connectés au flocculus du cervelet, qui exerce un
rétrocontrôle. Le nystagmus du regard excentré est souvent
retrouvé au cours de la SEP, en raison de la fréquence des
lésions du tronc et du cervelet. Il peut être asymptomatique
et évoluer de manière chronique.
Le réflexe vestibulo-oculaire (RVO), qui permet la stabilisation
du regard pendant les mouvements de la tête, est assuré par
des récepteurs labyrinthiques, les noyaux vestibulaires, les
noyaux oculomoteurs et le cervelet labyrinthique. Le déficit de
la suppression du RVO par la fixation oculaire se traduit par
un nystagmus vestibulaire présent malgré la fixation. Dans la
SEP, il témoigne le plus souvent d’un syndrome cérébelleux et
pourrait être corrélé à l’évolutivité de la maladie (8).
Le nystagmus pendulaire se caractérise par des mouvements
lents de va-et-vient ; il est particulièrement fréquent dans la
SEP, très invalidant, le plus souvent horizontal, de faible amplitude et de haute fréquence. Son origine peut être mixte ; en cas
d’antécédent de névrite optique, il peut être dû au ralentissement de la conduction visuelle, avec un retard du contrôle des
micromouvements oculaires, mais il est parfois secondaire à
une lésion de l’un des systèmes de contrôle centraux (cervelet,
noyaux gris centraux et cortex frontal).
✔ Intrusions saccadiques
Ce sont des mouvements oculaires anormaux et rapides qui
peuvent être classés en fonction de leur amplitude, de leur
direction et de l’existence ou non d’une pause intersaccadique.
Conclusion
Les anomalies oculomotrices sont fréquentes et invalidantes au
cours de la SEP et doivent être recherchées systématiquement
lors de l’examen clinique. L’imagerie cérébrale permet de les
relier aux lésions inflammatoires souvent localisées au niveau
du tronc cérébral et du cervelet. Leur traitement médicamenteux est souvent décevant, mais des solutions orthoptiques et
chirurgicales existent pour améliorer le confort des patients,
en particulier lorsque les troubles évoluent sur un mode chronique et qu’il existe une diplopie permanente avec une déviation
oculaire horizontale ou verticale en position de face, et/ou un
II
torticolis gênant.
C. Vignal-Clermont déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.
Références bibliographiques
1. Rougier MB, Tilikete C. Les troubles oculomoteurs au cours de la sclérose
en plaques. J Fr Ophtalmol 2008;31(7):718-21.
2. Reulen JP, Sanders EA, Hogenhuis LA. Eye movement disorders in
multiple sclerosis and optic neuritis. Brain 1983;106(Pt 1):121-40.
3. Tilikete C, Jasse L, Vukusic S et al. Persistent ocular motor manifestations and related visual consequences in multiple sclerosis. Ann N Y Acad Sci
2011;1233:327-34.
4. Frohman EM, Frohman TC, Zee DS, McColl R, Galetta S. The neuroophthalmology of multiple sclerosis. Lancet Neurol 2005;4(2):111-21.
5. Frohman TC, Frohman EM, O’Suilleabhain P et al. Accuracy of clinical
detection of INO in MS: corroboration with quantitative infrared oculography.
Neurology 2003;61(6):848-50.
6. Moster ML, Savino PJ, Sergott RC, Bosley TM, Schatz NJ. Isolated sixthnerve palsies in younger adults. Arch Ophthalmol 1984;102(9):1328-30.
On peut ainsi observer :
• des ondes carrées et des ondes carrées géantes, horizontales, avec une pause intersaccadique ;
• un flutter (horizontal) et un opsoclonus (multidirectionnel)
qui ne comportent pas de pause intersaccadique.
7. Barr D, Kupersmith MJ, Turbin R, Bose S, Roth R. Isolated sixth nerve
palsy: an uncommon presenting sign of multiple sclerosis. J Neurol 2000;
247(9):701-4.
En cas de syndrome cérébelleux, on retrouvera des saccades
dysmétriques.
8. Serra A, Derwenskus J, Downey DL, Leigh RJ. Role of eye movement
examination and subjective visual vertical in clinical evaluation of multiple
sclerosis. J Neurol 2003;250(5):569-75.
Images en Ophtalmologie • Vol. VIII • no 1 • janvier-février 2014
19
Téléchargement