Médecine
& enfance
septembre 2013
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l’avenir lointain de l’enfant ? Prenons
par exemple le cas d’un enfant dont
l’adoption implique qu’il quitte une fa-
mille d’accueil où il est bien, où il a ses
marques. Si l’on réfléchit à court terme,
on maintient l’enfant dans la famille,
sans envisager qu’à dix-huit ans, en rai-
son de son statut, ou à l’occasion d’un
déménagement, d’un divorce ou de sa
crise d’adolescence, cet enfant se re-
trouvera à la rue, alors qu’on a l’occa-
sion de lui offrir une vraie famille, qui le
mènera jusqu’où ce sera nécessaire par-
ce qu’il s’agira de son propre enfant ;
첸
Dans les troubles d’un enfant consi-
déré comme malade, quelle est la part
de l’enfant lui-même et de l’environne-
ment ? Certains enfants connaissent de
telles situations qu’ils peuvent devenir
transparents ou, au contraire, tout cas-
ser. Ils ne sont pas fous pour autant.
Ainsi cet enfant de neuf ans qui m’est
amené pour hospitalisation parce qu’il a
manifesté à sa mère des idées suici-
daires. Le lendemain, le père vient me
dire que j’ai été manipulé par la mère,
car nous nous trouvons au début du
mois où il doit en assurer la garde. Le
conflit est à ce point inextricable que je
dois faire intervenir un expert et le pro-
cureur des mineurs : les deux parents
m’accusent simultanément, l’une de
non-assistance (la mère affirme que son
fils va se suicider), l’autre d’incompé-
tence (le père dit que la mère me mani-
pule). Comment un enfant ainsi instru-
mentalisé peut-il aller bien, même sans
être malade à proprement parler ?
Les diagnostics, les suivis, les orienta-
tions, les mises sous traitement, les certi-
ficats, les changements de placement, les
signalements, tout prendrait une autre
couleur si l’on se posait ces questions…
LES MÉTHODES ÉDUCATIVES
COMPORTEMENTALISTES DANS
L’AUTISME À LA LUMIÈRE DE CES
QUESTIONS
Le trouble, c’est l’autisme. Les manifes-
tations extériorisées, c’est le repli sur
soi, l’évitement de la communication
avec autrui, l’absence d’interactions so-
ciales par manque de compréhension
affective des personnes présentes dans
l’environnement (aloneness), mais aussi
des stéréotypes, des gestes, des mouve-
ments, des paroles, des centres d’intérêt
toujours semblables (samesness), sou-
vent hermétiques, incompréhensibles,
bizarres pour l’interlocuteur.
Ce que vit et ce que pense la personne
autiste, pour la majorité d’entre elles,
nul ne le sait. Seules certaines person-
nalités, dotées de très bonnes capacités
intellectuelles, souffrant d’une atteinte,
en particulier du langage, très légère,
parviennent à nous le dire dans des
livres ou dans des interviews souvent
remarquables (1), mais ce n’est pas re-
présentatif, puisque 70 à 80 % des por-
teurs d’autisme souffrent de déficit in-
tellectuel et ne disposent quasiment pas
de langage.
Tout cela crée une coupure avec les
autres, une impossibilité de socialisation,
même rudimentaire, la mise à l’écart
dans un milieu normal, qui souvent re-
jette l’individu ainsi affecté du fait de la
difficulté à comprendre et faute de sa-
voir comment réagir aux impasses de la
communication et aux crises. Nous
sommes face à un roc (d’où l’expression
de « forteresse vide » créée par Bruno
Bettelheim). Ni l’éducation parentale, ni
la tendresse, ni l’écoute, ni l’exemple des
autres enfants dans un groupe ne modi-
fie fondamentalement le fonctionne-
ment de ces enfants. On n’aboutit au
mieux qu’à des aménagements.
Jusqu’à présent, des professionnels réu -
nis dans des unités nommées « hôpital
de jour » ou « centre de jour », qui font
partie de l’équipement des secteurs de
pédopsychiatrie, s’efforcent d’améliorer
les apprentissages et la communication
de ces enfants. Ces lieux apaisés, où la
pression est moindre, où les enfants
peuvent exister malgré le trouble ma-
jeur dont ils souffrent, permettent d’as-
socier techniques d’apprentissage, de
communication, de socialisation, même
si ces activités sont insuffisamment in-
tensives en raison des besoins considé-
rables de ces enfants et de notre
manque chronique de moyens. Le
manque de places proposées, à tous les
âges de la vie, à ces enfants porteurs
d’autisme est très difficile à vivre pour
tous. Ainsi, dans mon propre service,
10 places sont occupées par 25 enfants,
qui ne sont donc pris qu’à temps partiel
là où il faudrait du temps plein.
A la lumière des théories de Rizzolati sur
les neurones miroirs, certains (J. Nadel)
ont mis au point des méthodes s’effor-
çant d’utiliser comme base d’apprentis-
sage l’aptitude des enfants à imiter.
L’imitation réciproque apparaît en effet
dès les premiers mois de la vie. Cette imi-
tation précède et fait le lit du langage
grâce aux apprentissages qu’elle permet.
Une méthode fondée sur l’acquisition
par imitation de patterns corporels utiles
à la communication est à la base de la
méthode. Rien, dans cette méthode d’ap-
parence comportementale, ne constitue
un obstacle éthique. La théorie est inté-
ressante et respectueuse du rythme et de
la spontanéité de l’enfant. Cette dernière
est simplement orientée dans un sens qui
peut être profitable à l’enfant. La métho-
de lui est proposée de manière ludique,
et il peut y adhérer ou non.
Une autre méthode, dite des « 3 I » (indi-
viduelle, intensive et interactive) part,
elle, de l’idée que l’enfant n’a pas fait les
apprentissages premiers. A un rythme
très soutenu (40 heures par semaine,
entre intervenants et famille), on lui pro-
pose, à travers le jeu, de reprendre les
bases, de refaire le chemin qu’il n’a pas
accompli pendant sa petite enfance. Si
l’on respecte les refus de l’enfant, si on
évite de l’épuiser, rien dans cette métho-
de ne contredit les principes éthiques.
Il n’en va pas de même d’une autre mé-
thode, et c’est celle que préconise la
HAS, qui entend agir sur les comporte-
ments gênants de l’enfant autiste en
exerçant une certaine contrainte, avec, si
besoin est, une récompense, mais en tout
cas en insistant pour gommer les com-
portements déviants et gênants sociale-
ment, et favoriser les comportements
dits adaptés. Après des débuts quasi mal-
traitants pour atteindre le résultat es-
compté (voir les films du précurseur,
Ivar Lovaas), la méthode s’est civilisée, et
le résultat est visible, puisque, sous la
contrainte, un enfant se soumet. Tout
change cependant lorsque l’âge de la
soumission sous contrainte passe. C’est
ce qui n’est pas dit aux familles.
En ce qui concerne la méthode elle-mê-
me, on ne peut qu’être d’accord sur le
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