CV universelle au cycle du geste mandibulaire (qui constitue le cadre) : la consonne est produite
lorsque la mandibule est en position haute alors que la voyelle est réalisée lorsque la mandibule
est en position basse (le contenu). Cependant, cette théorie n’apporte pas d’explication à la forte
prédominance de la structure syllabique CV par rapport à la structure inverse VC laquelle
représente moins de 5 % des syllabes des langues du monde (Rousset, 2004) et qui s’inscrit tout
aussi bien dans le cycle mandibulaire. La théorie prédit également des combinaisons sonores CV
favorisées dans les langues qui sont semblables aux productions des enfants au stade du
babillage, et ce quelle que soit la langue de leur environnement (Davis & MacNeilage, 1995 ;
MacNeilage & Davis, 2001). Ces combinaisons favorisées appelées Pure Frame sont produites
avec un cycle d’oscillation mandibulaire, sans mouvement antéro- postérieur de la langue entre la
réalisation de la consonne et celle de la voyelle, et sont considérées comme des productions
articulatoirement simples leur conférant un avantage qui expliquerait leur surreprésentation.
Rousset (2004), confirmé par Vallée, Rossato & Rousset (2009), montre que les proportions de
Pure Frame parmi les syllabes VC relevées dans 15 langues sont significativement plus
importantes que pour les syllabes CV, indiquant une forte cohésion articulatoire plus fréquente
entre voyelle et consonne lorsque cette dernière est en coda par rapport à l’attaque. Il faut aussi
ajouter comme point faible à cette théorie que le type de syllabe CVC est au deuxième rang des
fréquences des structures syllabiques dans les langues du monde (après CV), et au premier rang
de certaines (ex. les langues du sud-est asiatique : nyakhur, thai, vietnamien, wa...).
Dans le modèle de la phonologie articulatoire, au contraire, la mandibule n’a pas de rôle direct
dans la production de la syllabe, car considérée comme support des actions des articulateurs lèvre
inférieure et langue. La prédominance de la structure CV y est expliquée par les caractéristiques
naturelles des segments, consonantiques et vocaliques, qui s’associent en phase (in phase-
coupling) : les gestes articulatoires pour C et V sont très précisément coordonnés, donc
compatibles, sans interférence négative mutuelle sur leur production respective car réalisés grâce
à des mécanismes articulatoires indépendants qui permettent, en même temps, un déclenchement
synchronisé des gestes pour C et V. Le chevauchement des gestes, estimé par la mesure du C-
Center Effect (Browman & Goldstein, 1988) confère à la combinaison CV “the most stable
coupling mode” et les différentes positions intra-syllabe possibles pour C correspondent alors à
différents modes de configuration des gestes (Browman & Golstein, 1995 ; Byrd, 1995). La
syllabe est ici, à l’inverse de la démonstration sur laquelle s’appuie la théorie Frame, then
Content, le produit de plusieurs gestes individuels correspondant aux segments coarticulés (“a
gestural constellation”). Les combinaisons CV favorisées sont celles pour lesquelles les gestes
sont les plus naturellement en phase donc stables (Goldstein, Byrd & Saltzman, 2006 ; Whalen,
Giulivi, Goldstein, Nam & Levitt, 2011). La structure renversée VC demande une coordination
motrice plus complexe dans la mesure où la production de la consonne, si elle est lancée trop tôt,
masque la réalisation acoustique de la voyelle. Pour cette raison, les structures VC montrent
beaucoup moins de stabilité dans la coordination des gestes (pas de C-Center Effect) expliquant
la vulnérabilité de la coda sujette à la lénition. Cette explication peut-elle être prolongée à
l’observation de la proportion des Pure-Frame plus importante dans les structures VC par rapport
à CV ?
Une autre piste d’explication de cette co-articulation noyau-coda, qui serait aussi à même de
rendre compte du MOP, pourrait venir des études de Kelso, Vatikiotis-Bateson, Saltsman & Kay
(1985), Gracco (1994), Redford (1999) ou encore Redford & Donkelaar (2008) qui, en cherchant
à évaluer l’impact des propriétés biomécaniques de la mandibule sur l’articulation des segments,
mettent en évidence l’existence d'une asymétrie entre les deux phases du cycle mandibulaire : la