Toxicité des traitements antirhumatismaux chez les patients atteints d’hépatite virale M

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La Lettre du Rhumatologue - n° 327 - décembre 2006
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* Service de rhumatologie, CHU de Dijon.
** Service d’hépato-gastroentérologie, CHU de Dijon.
Toxicité des traitements antirhumatismaux
chez les patients atteints d’hépatite virale
Anti-rheumatic drugs toxicity in patients with chronic viral hepatitis
#J.F. Maillefert*, A. Minello**
POINTS FORTS
Les AINS peuvent être utilisés avec prudence, dans le
respect des contre-indications, chez les patients atteints
d’hépatite virale chronique sans insusance hépatocellulaire,
avec hypertension portale.
Les AINS sont formellement contre-indiqués chez les
patients atteints d’hépatite virale chronique avec insusance
hépatocellulaire et hypertension portale.
Des phénomènes de réactivation d’hépatite B, voire d’hépa-
tite fulminante, ont été observés à l’arrêt d’un traitement
corticoïde, même bref, ou à l’arrêt d’un traitement de fond.
Les corticoïdes, les traitements de fond et les biothérapies
sont susceptibles d’être délétères chez les patients atteints
d’hépatite virale chronique, surtout ceux atteints d’hépa-
tite B. Leur prescription doit être eectuée avec prudence,
uniquement si le rapport bénéce/risque est favorable, et
en collaboration avec l’hépatologue.
Mots-clés : Traitements anti-rhumatismaux – Polyarthrite
rhumatoïde – Hépatite virale – Eets secondaires.
Keywords: Anti-rheumatic treatments – Rheumatoid
arthritis – Viral hepatitis – Adverse effects.
D
e nombreux traitements antirhumatismaux ont un
potentiel hépatotoxique. Cette potentialité nous plonge
tous dans la difficulté lorsque nous prenons en charge
les patients présentant des manifestations articulaires de l’hépa-
tite C, ou ceux atteints d’affections rhumatismales diverses, en
particulier de polyarthrite rhumatoïde, et présentant par ailleurs
une hépatite virale chronique B ou C. Cet article vise à faire le
point sur les données actuelles de la littérature concernant ce
problème.
ANTIINFLAMMATOIRES NON STÉROÏDIENS
Latteinte hépatique, avec, en particulier, une élévation du
taux sérique des transaminases, constitue un effet indésirable
classique et non exceptionnel des anti-inflammatoires non
stéroïdiens (AINS). En revanche, les hépatites sévères, voire
fulminantes, sont exceptionnelles (1). Curieusement, la majorité
des données sur la toxicité des AINS chez les patients atteints
d’hépatite virale chronique nous vient d’essais thérapeutiques
réalisés par les hépatologues. En effet, certaines données in
vitro ont laissé espérer un effet bénéfique des AINS sur l’hé-
patite virale, direct (participation des cyclo-oxygénases [COX]
dans le processus physiopathogénique) ou indirect (potentia-
lisation de l’effet de certains traitements, notamment l’inter-
féron). Plusieurs essais ont été conduits dans l’hépatite C. Les
premiers résultats ont été encourageants, mais n’ont pas é
confirmés, et les hépatologues semblent avoir abandonné l’idée
d’utiliser les AINS dans le traitement de l’hépatite C. Un essai
a également été conduit dans l’hépatite B. Ses résultats sont
intéressants mais parcellaires, non convaincants, et nécessitent
confirmation (2). Toutefois, l’intérêt pour nous, rhumatologues,
est que ces études ont eu le mérite de suggérer que la toxicité
hépatique des AINS n’est pas augmentée chez les sujets atteints
d’hépatite virale chronique. Il faut toutefois rester vigilant:
le nombre de patients inclus était insuffisant pour éliminer
la possibilité d’une petite augmentation de prévalence ou de
sévérité des hépatites graves. Il n’en demeure pas moins que les
AINS semblent pouvoir être utilisés chez ces patients avec les
précautions habituelles et une surveillance du bilan hépatique,
en tenant compte du rapport bénéfice/risque, et en se rappelant
que, en revanche, l’insuffisance hépatocellulaire avec hyperten-
sion portale constitue une contre-indication absolue. En effet,
certains AINS peuvent augmenter le risque d’hémorragie par
rupture de varices œsophagiennes.
CORTICOÏDES
Le problème semble différent dans l’hépatite B et l’hépatite C.
Dans l’hépatite B, les corticoïdes ont un effet délétère sur l’affec-
tion virale (prednisolone aux doses de 15 à 20 puis de 10 mg/j),
avec effets négatifs sur les paramètres biologiques et histolo-
giques, les réactivations et les complications de la maladie, et
même la survie (3). Un autre élément, mal connu, est qu’il faut
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Hépatite B Hépatite C
AINS – Pas plus de problèmes hépatiques que dans la population générale
– Mais données actuelles ne permettent pas d’éliminer une augmentation de prévalence ou de sévérité des hépatites graves
– Contre-indiqués si cirrhose avec hypertension portale
– Dans les autres cas, peuvent être utilisés si nécessaire, sous surveillance hépatique
Corticoïdes – Eets délétères sur l’hépatite virale
– Risque de réactivation de l’hépatite, voire d’hépatite fulminante à l’arrêt
– Si nécessaire
Travailler de concert avec l’hépatologue
• Évaluer le rapport bénéce/risque des diérentes alternatives
• Bilan VHB préthérapeutique
• Surveillance +++
• Discussion antiviraux en préventif
– Eets délétères potentiels sur l’hépatite virale
Toutefois bien moins toxiques que pour l’hépatite B
– Possibles à petites doses après accord hépatologue
et sous surveillance hépatique
Traitements
de fond de la
polyarthrite
rhumatoïde
– Prudence
– Immunosuppresseurs peut-être plus toxiques que pour le VHC
– Risque de réactivation de l’hépatite, voire d’hépatite fulminante à l’arrêt
– Si absolument nécessaire
Travailler de concert avec l’hépatologue
• Évaluer le rapport bénéce/risque des diérentes alternatives
• Bilan VHB préthérapeutique
• Surveillance +++
• Discussion antiviraux en préventif
Données plus rassurantes
– Rester prudent
– Si nécessaire
Travailler de concert avec l’hépatologue
• Évaluer le rapport bénéce/risque des diérentes alternatives
• Si la polyarthrite le permet, préférer l’hydroxychloroquine, voire la salazopyrine
• MTX: très peu de données, mais rassurantes
• Bilan préthérapeutique
• Quantier l’ARN viral
• Surveillance
Biothérapies – Prudence
– Risque de réactivation de l’hépatite, voire d’hépatite fulminante
Travailler de concert avec l’hépatologue
– Évaluer le rapport bénéce/risque des diérentes alternatives
– Si absolument nécessaire, discussion lamivudine en préventif
– Données plus rassurantes que pour hépatite B
– Rester très prudent en attendant des données complémentaires de la littérature
Travailler de concert avec l’hépatologue
être extrêmement prudent lors de l’arrêt d’un traitement corti-
coïde, y compris de courte durée: plusieurs cas de réactivation
de l’hépatite B, voire d’hépatite fulminante, ont été décrits.
La corticothérapie orale semble être moins toxique dans l’hépa-
tite C, au moins à petites doses (≤ 5 mg/j déquivalent predni-
sone, ou 4-8 mg/j, selon les auteurs). Toutefois, cette assertion
repose sur de petites séries (4). Elle doit donc être manipulée
avec prudence, ce d’autant que des données obtenues dans le
contexte très particulier de la post-greffe hépatique sont moins
favorables (5).
Enfin, pour clore ce chapitre, on rappellera que les bolus de corti-
coïdes doivent être évités dans les deux affections virales.
TRAITEMENTS DE FOND
Nous ne disposons que de très peu d’informations quant à
l’utilisation des traitements de fond de la polyarthrite rhuma-
toïde chez les patients atteints d’hépatite virale. Par ailleurs, la
plupart de ces informations proviennent de petites séries plutôt
que d’études scientifiques. Une des rares études sur le sujet a
été publiée en 2001 (6). Il s’agissait d’une étude rétrospective
ayant évalué 29 patients atteints à la fois d’hépatite virale et de
rhumatisme inflammatoire. Chez ces 29 personnes, les auteurs
ont identifié 47 épisodes de prise de traitement de fond (définie
par la prise d’un traitement de fond pendant au moins 6 mois).
Ces traitements de fond étaient essentiellement l’hydroxychlo-
roquine et la sulfasalazine. Une élévation des transaminases a
été obsere dans 55 % des cas, alors qu’elle nétait retrouvée
que dans 21% des cas d’une population témoin atteinte de poly-
arthrite rhumatoïde sans affection virale, et dans 20 % des cas
d’une population témoin atteinte d’hépatite virale sans maladie
rhumatologique. Les chiffres étaient comparables si l’on s’inté-
ressait aux sous-populations traitées par hydroxychloroquine
et sulfasalazine (53% et 55% d’élévation des transaminases).
Les données concernant les sels d’or et surtout le méthotrexate
nétaient malheureusement pas fiables compte tenu de leur très
faible utilisation dans la population étudiée.
Cette étude suggère donc que la présence d’une hépatite virale
s’accompagne d’une augmentation de la toxicité hépatique de
certains traitements de fond. Malheureusement, elle souffre de
quelques problèmes méthodologiques. D’autre part, certaines
données importantes ne sont pas fournies, rendant la lecture de
l’article très frustrante. On regrette notamment que les résultats
dans les sous-populations atteintes d’hépatite B et d’hépatite C
naient pas été donnés, ce d’autant que la majorité des patients
était porteuse du virus de l’hépatite B (23 sujets), alors que
6 personnes seulement étaient porteuses du virus C.
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On ne retrouve dans la littérature que très peu d’autres infor-
mations concernant les traitements de fond chez les porteurs
du virus B. Il existe des arguments indirects suggérant que l’uti-
lisation d’immunosuppresseurs pourrait provoquer plus de
réactivations virales chez les porteurs de l’hépatite B que chez
les porteurs de l’hépatite C. Enfin, comme pour les corticoïdes,
on retrouve des descriptions d’observations d’hépatites B fulmi-
nantes à l’arrêt du traitement de fond.
Les données concernant l’hépatite C ne proviennent que de
petites séries. Celles-ci suggèrent que l’hydroxychloroquine et la
D-pénicillamine pourraient être bien tolérées. Le méthotrexate a
été utilisé chez 7 patients dans la série de Nissen [dose moyenne
12,5 mg/semaine, durée moyenne 15 mois] (7). Chez ces patients,
une seule réactivation virale, contrôlée par la vidarabine, a été
notée. Une ponction-biopsie hépatique a été réalisée chez trois
patients traités depuis plus de un an, et na pas mis en évidence
d’évolution fibrosante (8).
BIOTHÉRAPIES
Leur utilisation semble surtout problématique dans l’hépatite B.
Certaines observations dans lesquelles les anti-TNF ont été utilisés
sans problème ont certes été rapportées. Cependant, des réactiva-
tions de l’hépatite B, voire des hépatites fulminantes, ont été signa-
lées, soit au cours du traitement anti-TNF soit, ici aussi, après l’arrêt
de ce dernier. Lindication doit donc être extrêmement prudente.
En cas de nécessité, il faudra discuter avec l’hépatologue l’intérêt de
traitements antiviraux associés. Certaines observations suggèrent
en effet que ceux-ci pourraient permettre de diminuer le risque de
réactivations virales induites par l’anti-TNF, voire de les prévenir.
Dans une observation, les antiviraux ont même permis de traiter
la réactivation virale tout en poursuivant l’anti-TNF (9). Enfin,
parmi les nouvelles biothérapies, le rituximab semble pouvoir, lui
aussi, favoriser des réactivations de l’hépatite virale B.
En ce qui concerne l’hépatite C, plusieurs observations ou petites
séries ont été publiées, et nont pas fait part de réactivations de
la maladie virale sous anti-TNF. Deux séries plus importantes,
comprenant respectivement 24 malades (dont 8 suivis en pros-
pectif) et 9 malades (tous suivis en prospectif), nont pas mis
en évidence d’aggravation du taux de transaminases, ni de la
charge virale (10, 11) sous anti-TNF (essentiellement l’étanercept).
Létanercept a été évalué en tant que traitement adjuvant de l’hé-
patite C (interféron + ribavirine + étanercept versus interféron +
ribavirine + placebo) avec des résultats intéressants, mais ceux-
ci doivent être confirmés, compte tenu de certaines faiblesses
méthodologiques de l’étude (12). Enfin, plusieurs petites séries de
traitement par rituximab ont été publiées. Les résultats étaient
encourageants en ce qui concerne l’efficacité et la tolérance. Il
s’agissait cependant de patients très particuliers, avec cryoglobuli-
némie et vascularite sévère. Les données concernant biothérapies
et hépatite C sont donc plus rassurantes que pour l’hépatite B.
Elles sont cependant trop parcellaires pour permettre de dire
que les biothérapies naugmentent pas le risque de réactivation
de l’hépatite C. L’indication doit donc en être très prudente.
QUE FAIRE EN PRATIQUE?
Compte tenu du manque de données scientifiques sur le sujet, il
est impossible de proposer des conduites à tenir systématiques.
La conduite à tenir doit donc être discutée au cas par cas. La
discussion ne doit pas uniquement prendre en compte le risque
du traitement chez un patient donné, mais plutôt son rapport
bénéfice/risque. Elle doit donc prendre en compte linvalidité et
le handicap du patient liés à l’affection rhumatismale, la nature
et l’activité de l’hépatite virale, la présence et l’importance d’une
fibrose hépatique. Elle doit également essayer de comparer les
rapports bénéfice/risque des différentes alternatives (y compris
l’abstention thérapeutique). Lassociation à un traitement anti-
viral préventif fait également partie des alternatives, en sachant
qu’il faut alors inclure dans l’évaluation bénéfice/risque les effets
indésirables potentiels de l’antiviral (notamment pour l’hépa-
tite C).
Enfin, on rappellera l’importance et la nécessité de la discus-
sion pluridisciplinaire entre le rhumatologue et l’hépatologue
traitants, chacun de ces intervenants devant essayer d’éviter un
raisonnement d’organe, et d’appréhender le problème de santé
du patient dans sa globalité.
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