SOINS ONCOLOGIQUES DE SUPPORT Les soins de support à San Antonio en 2010 D. Mayeur* L es congrès thématiques ne sont pas souvent très riches en nouveautés concernant les soins oncologiques de support (SOS), hormis évidemment ceux de l’Association franco­phone pour les soins oncologiques de support (AFSOS) et de la Multinational Association of Supportive Care in Cancer (MASCC). Le 33e Symposium sur le cancer du sein de San Antonio, qui s’est déroulé en décembre 2010, a fait exception à cette règle, avec plusieurs communications en séance plénière et des posters plutôt intéressants. Est-ce la preuve de la richesse de la recherche en SOS et/ou d’un discret essoufflement de la recherche en thérapeutique anticancéreuse ? Les communications en séance plénière * Service d’hématologie-oncologie, hôpital André-Mignot, Le Chesnay. Si la communication concernant la prise en charge de la douleur après traitement du cancer du sein (Rabow MW, abstr. ES9-1) était très basique et sans nouveauté, digne d’une présentation des années 1990, celle concernant l’apport de l’exercice physique du membre supérieur du côté opéré (Schmitz KH et al., abstr. ES9-3) s’est avérée remarquable. L’auteure principale a commencé sa présentation non sans humour, précisant qu’elle aurait souhaité pouvoir déclarer un conflit d’intérêt, ce qui aurait signifié que l’industrie s’intéresse enfin à ce problème… Il s’agit d’un essai randomisé de soulèvement progressif de poids, 2 fois par semaine versus un groupe contrôle. Les patientes disposaient d’une salle de gymnastique et étaient encadrées pendant les 13 premières semaines, puis continuaient sans encadrement médico-sportif pendant 9 mois. Au total, 141 patientes avec un lymphœdème stable et 154 présentant un risque de lymphœdème ont participé à cette étude. L’objectif primaire était la modification du diamètre du bras à 1 an, mesurée par volumétrie des bras atteints et indemnes. Les objectifs secondaires étaient l’apparition et les épisodes d’exacerbation du lymphœdème, les symptômes de ce dernier et la force musculaire. Les participantes atteintes de lymphœdème devaient porter 352 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XX - n° 5 - mai 2011 un manchon de compression pendant les exercices. Parmi les patientes commençant l’étude avec un lymphœdème, il n’y a pas eu de différence significative entre les deux groupes concernant le nombre de malades ayant une augmentation de 5 % ou plus du gonflement du bras. En revanche, les patientes du groupe intervention ont eu une meilleure amélioration des symptômes de lymphœdème autoreportés (p = 0,03) et une moindre incidence des épisodes d’exacerbation de lymphœdème (p = 0,04). Les patientes sans lymphœdème à l’inclusion et celles à haut risque (curage axillaire ayant retiré plus de 5 ganglions) ont significativement plus souvent développé un lymphœdème dans le bras contrôle que dans le groupe exercice physique (p = 0,04). Le dogme de l’absence d’exercice physique et de port de charges du côté opéré est donc largement battu en brèche par cette belle étude clinique. N. Devoogdt et al. (abstr. S5-3) ont comparé deux groupes où les patientes recevaient une information et pratiquaient un exercice physique, randomisés pour recevoir ou non un drainage lymphatique manuel. Au total, 160 patientes consécutives ayant eu un curage ganglionnaire axillaire lors de leur chirurgie ont été incluses. Le traitement commençait 5 semaines après ce curage et durait 20 semaines. Le groupe expérimental bénéficiait de 29 séances d’exercice physique et de 34 drainages lymphatiques, tandis que le groupe contrôle effectuait 28 séances d’exercice physique uniquement. L’objectif primaire était l’incidence du lymphœdème à 6 et à 12 mois, définie par une ­augmentation d’au moins 2 centimètres du diamètre du bras à 2 points de mesure adjacents par rapport à la valeur préchirurgicale. Les objectifs secondaires étaient le temps nécessaire pour voir se développer le lymphœdème, le volume de ce dernier, la qualité de vie à 3, 6 et 12 mois postopératoires et les problèmes de fonctionnement secondaires au lymphœdème au douzième mois postopératoire. Cette belle communication, rigoureuse et bien menée, a mis en évidence l’absence totale d’efficacité du drainage lymphatique manuel sur l’ensemble des objectifs de l’étude ! De quoi rassurer les patientes à une époque où il SOINS ONCOLOGIQUES DE SUPPORT devient de plus en plus difficile de trouver des kinésithérapeutes s’intéressant à la prise en charge du lymphœdème… L’essai randomisé de A.H. Boekhout et al. (abstr. PD08-04) a été discuté en session orale. Il comparait venlafaxine 75 mg/j, clonidine 0,1 mg/j et placebo en traitement des bouffées de chaleur pendant une période de 12 semaines. L’objectif principal était la différence dans le score de bouffées de chaleur à 12 semaines ; les objectifs secondaires étaient l’effet des traitements sur le fonctionnement sexuel, la qualité du sommeil, l’anxiété, la dépression et les effets secondaires du traitement. Cent deux patientes ont été incluses, dont 80 évaluables pour la période de 12 semaines. Le traitement par venlafaxine ou clonidine était significativement plus efficace que le placebo (p = 0,03), avec une diminution de 45 % des bouffées de chaleur. La différence entre venlafaxine et placebo était plus marquée (p = 0,0004) que celle entre clonidine et placebo (p = 0,045). Il n’y a pas eu de différence significative entre les deux traitements en ce qui concerne la sexualité et la qualité du sommeil. Les patientes sous clonidine étaient significativement (p = 0,04) plus anxieuses que celles sous venlafaxine, tandis que ces dernières étaient significativement (p = 0,03) plus déprimées et avaient plus souvent des nausées (p = 0,02) et une constipation (p = 0,04) que celles sous clonidine. La perte d’appétit était plus souvent signalée comme effet indésirable grave chez les patientes sous venlafaxine (p = 0,003). En conclusion, la venlafaxine paraît plus efficace que la clonidine, mais au prix d’effets indésirables plus fréquents. Les posters Comme toujours, l’intérêt des posters est très variable, mais le choix n’est pas toujours simple. Concernant les facteurs de croissance granulocytaire (Granulocyte Colony-Stimulating Factor [G-CSF]), une étude (Aarts MJB et al., abstr. P3-15-01) a randomisé, chez des patientes définies selon les recommandations comme étant à haut risque de neutropénie fébrile, l’utilisation de G-CSF pendant les deux premiers cycles d’une chimiothérapie ou pendant tous les cycles de celle-ci. Cet essai a été fermé prématurément après l’inclusion de 169 des 230 patientes initialement prévues, en raison du taux élevé de neutropénie fébrile dans le bras “2 cycles de G-CSF” : 32 versus 5 % dans le bras standard (G-CSF pendant tous les cycles) [p < 0,0001]. Dans le bras expérimental, fièvre, infection et mucite ont conduit à des événements indésirables sérieux pour 36 % des patientes, versus 13 % de celles traitées de manière usuelle (p < 0,001). La toxicité cardiaque de la radiothérapie a été évoquée par une étude suédoise originale (Nilsson G et al., abstr. P4-11-02) qui a analysé une cohorte de patientes diagnostiquées pour cancer du sein entre 1970 et 2003 et les registres de coronarographie sur la période 1990-2004 : dans 199 cas, un cancer et une coronarographie étaient retrouvés. Il en ressort un âge moyen au diagnostic de cancer du sein de 58,2 ans et un cancer du sein gauche dans 55 % des cas. Le temps médian jusqu’à la coronarographie était de 10,3 ans. Soixante-deux pour cent des patientes avaient reçu une radiothérapie, dont 29 % une irradiation de la chaîne mammaire interne. Les auteurs ont mis en évidence une association significative entre irradiation du cancer du sein gauche et sténose des portions médianes et distales de l’artère descendante gauche. Dans le même ordre d’idées, une étude canadienne (Wang W et al., abstr. P4-11-07) a comparé les données de coronarographie de patientes ayant reçu une radiothérapie pour un cancer du sein droit ou gauche. Sur 12 696 malades traitées par radiothérapie entre 1995 et 2009, 91 ont subi une coronarographie. Le temps médian jusqu’à la coronarographie était de 4,4 ans ; le degré de sténose ne différait pas significativement entre les deux groupes. Pour les patientes ayant leur coronarographie plus de 5 ans après la radiothérapie, on note cependant un segment médian de l’artère coronaire droite un peu plus étroit pour une irradiation droite (p = 0,039). Une des différences ici, par rapport à l’étude suédoise, est le recul moins important, expliquant peut-être certaines nuances dans les résultats. Cependant, ces études confirment qu’il ne faut de toute façon pas négliger les éventuels symptômes cardiologiques à distance du traitement d’un cancer du sein. Quant aux patientes traitées par bévacizumab, une méta-analyse (Nasim S et al., abstr. P6-12-01) a confirmé, outre le risque bien connu d’hyper­tension artérielle (HTA) [RR = 10,32], une augmen­tation du taux de dysfonction ventriculaire gauche, avec un risque relatif de 2,58, ainsi que l’absence d’augmentation du risque relatif d’événements thrombotiques. En ce qui concerne l’os, les résultats à 5 ans de l’étude ZO-FAST confirment l’intérêt de l’administration précoce du zolédronate par rapport à un traitement retardé pour prévenir la perte osseuse chez des patientes traitées par du létrozole en adjuvant, au prix de 0,6 % d’ostéonécrose mandibulaire (DeBoer R et al., abstr. P5-11-01). Selon une étude randomisée La Lettre du Cancérologue • Vol. XX - n° 5 - mai 2011 | 353 47e Congrès américain en cancérologie Chicago, 3-7 juin 2011 e -journal en direct > VERSION WEB + iPhone www.edimark.fr/ejournaux/chicago/2011/ de phase III (Stopeck AT et al., abstr. P6-14-09), le dénosumab entraîne significativement moins d’effets indésirables de type pseudogrippal (p < 0,0001) que le zolédronate dans les 3 jours suivant l’administration du produit. Le dénosumab présente une tendance à améliorer un peu plus que le zolédronate l’interférence entre douleur et activité ; il n’existe une différence significative en faveur du dénosumab (p = 0,0024) qu’en ce qui concerne le délai avant que le score de douleur la plus intense augmente de plus de 4 points, et cela uniquement chez les patients ayant un score de douleur faible à l’entrée dans l’étude (Cleeland CS et al., abstr. P1-13-01). En revanche, la qualité de vie semble plus souvent améliorée chez les patientes traitées par dénosumab que chez celles traitées par zolédronate (Fallowfield L et al., abstr. P1-13-05). Enfin, une étude concernant l’ibandronate (Schmidt M et al., abstr. P1-13-02), utilisé selon les modalités de l’autorisation de mise sur le marché chez 3 515 patientes, a confirmé une diminution des douleurs chez 64 % des malades traitées et une diminution de la consommation d’antalgiques (57 % des patientes ne prenaient même plus d’antalgique lors de la dernière visite protocolaire), avec en outre une bonne tolérance rénale. Conclusion Recevez, chaque jour, les temps forts du congrès “ Attention : ceci est un compte-rendu de congrès dont l’objectif est de fournir des informations sur l’état actuel de la recherche ; ainsi, les données présentées sont susceptibles de ne pas être validées par les autorités françaises et ne doivent donc pas être mises en pratique.” Les SOS ont fait l’objet de plusieurs communications orales et posters intéressants, soulignant l’importance grandissante de cet aspect de la prise en charge des patients atteints de cancer. Deux points méritent tout particulièrement d’être retenus : ➤➤ l’inefficacité du drainage lymphatique manuel postopératoire pour prévenir le lymphœdème ; ➤➤ l’importance de l’exercice physique du bras opéré en prévention et traitement du lymphœdème : un vieux dogme est tombé, il reste maintenant à organiser ce type de prise en charge, alors que les moyens financiers diminuent... Tout un challenge. ■ “Ces informations sont sous la seule responsabilité des auteurs et du directeur de la publication qui sont garants de l’objectivité de cette publication.” Site réservé aux professionnels de la santé Avec le soutien institutionnel de Crédit photo couverture : © Martin Dimitrov Les articles publiés dans La Lettre du Cancérologue le sont sous la seule responsabilité de leurs auteurs. Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés réservés pour tous pays. © mai 1992 - EDIMARK SAS - Dépôt légal : à parution. 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