Ce qu’on peut aujourd’hui acheter sur le marché
Sandel fournit des exemples forts concrets de ce phénomène. Le lecteur sera
surpris et, souvent, choqué de voir tout ce que l'on peut désormais acheter sur le
marché ainsi que tout ce qui peut être objet de spéculation ou de pari. Qui sait, par
exemple, que les gens qui en ont les moyens paient, dans un nombre croissant
d'occasions, des personnes, nécessairement démunies, pour faire la queue à la leur
place, que ce soit pour assister à un spectacle ou s'inscrire à l'université, pour faire
enregistrer ses bagages ou rendre visite au médecin? Qui sait qu'on incite de plus
en plus les enfants à lire un livre ou les étudiants à obtenir de bons résultats à
l’université contre de l'argent? Qui sait qu'on peut, moyennant de coquettes
sommes, acquérir le droit de traquer et tuer un rhinocéros, une espèce en voie de
disparition, ou un morse, animal qui s’offre passivement sans pouvoir fuir? Qui
sait que l'on peut acheter un droit d'entrée dans des écoles prestigieuses ou un droit
d'émigrer aux Etats-Unis? Qui sait qu'on peut acheter, pour sa santé, n'importe quel
organe corporel à quelqu'un d'autre? Qui sait que de plus en plus de personnes
spéculent et parient sur à peu près tout ce qu'on peut imaginer, des choses les plus
insignifiantes aux choses les plus sérieuses et les plus graves, sur les résultats des
prochaines élections comme sur la mort de ses employés via la contraction
d’assurances vie? Qui sait, enfin et pour s'arrêter là, qu'un nombre croissant
d'associations, d'organismes ou d'institutions, comme par exemple les clubs de
baseball ou les établissements universitaires vendent leur nom et, par conséquent,
le droit de choisir la manière de s’appeler à des entreprises de marketing?
Les prétentions exorbitantes de la science économique
La pensée économique n'a cessé de faire valoir - Sandel étaie ici son analyse sur la
lecture des manuels universitaires d'économie les plus réputés des dernières
décennies - que le marché fournissait les mécanismes les plus efficaces
d’allocation des ressources, très au-delà des biens de production et des biens de
consommation. Les prix, en particulier, constituerait, selon elle, la variable
d'ajustement de l'offre et de la demande la plus rationnelle, celle qui maximiserait
la répartition de biens rares en les cédant au mieux offrant, réputé être celui qui les
désire les plus fortement. Les économistes, alliés ici de la pensée néolibérale, qui
ont réussi, à partir des années 1980, à imposer au-delà de toute espérance leur
manière de voir, soutiennent que ces mécanismes économiques optimisent les
solutions à tous les problèmes de répartition. Ils sont également persuadés que ces
dispositifs ont l'avantage d'être parfaitement neutres à l'égard des valeurs.
Sandel s'inscrit en faux contre l'ensemble des ces prétentions des acteurs de
l'économie comme des spécialistes de sciences économiques. Il fait valoir que les