114 | La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXIX - no 3 - mai-juin 2014
Points forts
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L’ostéoporose chez les patients VIH+ concerne une population jeune (environ 45ans) et essentiellement
masculine.
»
La baisse de la masse osseuse est surtout importante à l’instauration des HAART et pendant les48premières
semaines de traitement.
»
La perte de masse osseuse est plurifactorielle, les facteurs de risque d’ostéoporose sont classiques
(IMC bas, tabac, ethnie caucasienne, etc.) et spécifiques de l’infection par le VIH (toxicité indirecte du VIH :
restauration et activation immunitaires, rôle probable des cART).
»
La prise en charge thérapeutique est classique : optimisation des mesures hygiénodiététiques et supplé-
mentation par vitamine D. Les traitements par bisphosphonates ont fait la preuve de leur efficacité chez
les patients ostéoporotiques et VIH+.
Mots-clés
Ostéoporose et VIH
Restauration
immunitaire
Toxicité
desantirétroviraux
Fractures
Traitement de
l’ostéoporose
Highlights
»
Osteoporosis prevalence in
HIV-infected patients is high
in spite of the young age of
the population (median age of
45years).
»
Bone mineral density (BMD)
is stable in HIV cohorts estab-
lished on HAART, whereas
cohorts initiating HAART have
short-term (48 weeks) acceler-
ated BMD loss.
»
Among the factors found
to be associated with BMD,
some were expected (lower
BMI, tobacco use…), but others
are specific to HIV infection
(immune reconstitution and
activation, cART…).
»
Osteoporosis therapeutic
management is classic: optimi-
zation of lifestyle behaviours
and vitamin D supplementation.
Bisphosphonate- treatments
have demonstrated efficacy
in osteoporotic HIV-infected
patients.
Keywords
HIV and osteoporosis
Immune reconstitution
Antiretroviral toxicity
Fractures
Osteoporosis treatment
critères d’ostéoporose (T-score ≤ −2,5 DS), avec, respec-
tivement, un odds-ratio (OR) de 6,4 (IC
95
: 3,7-11,3) et
3,7 (IC95 : 2,3-5,9) par rapport au groupe témoin non
infecté par le VIH. Au sein du groupe des patients VIH+,
ceux traités par ARV présentaient un risque accru de
déminéralisation osseuse par rapport aux patients naïfs
d’ARV, avec un OR de 2,7 (IC95 : 1,9-4,1).
Dans une étude publiée au sein de la cohorte ANRS
CO3 Aquitaine, une ostéodensitométrie a été réalisée
chez 492 patients VIH+ (72 % d’hommes) [4]. L’âge
médian des patients était de 43 ans. Cette étude confi r-
mait une importante prévalence de la déminéralisation
osseuse, puisqu’une ostéopénie (T-score compris entre
−1 et −2,5 DS) était présente chez 54,6 % des hommes
(IC95 : 49,4-59,7) et 51,1 % des femmes (IC95 : 42,6-
59,6) et une ostéoporose chez 33,7 % des hommes et,
curieusement, 8,3 % des femmes seulement.
Ainsi, les patients VIH+ présentent une déminéra-
lisation osseuse importante et précoce par rapport
à la population générale. Celle-ci touche majori-
tairement des hommes plutôt jeunes (âge médian
légèrement supérieur à 40 ans dans les études), ce
qui contraste avec les données épidémiologiques en
population générale de l’ostéoporose. Ce phénomène
est d’autant plus marqué depuis l’avènement des
cART, mais il ne faut pas oublier que ces dernières
années ont permis d’allonger considérablement la
durée de vie des patients VIH+. Plusieurs hypothèses
physiopathologiques avaient alors été émises pour
l’expliquer : toxicité médicamenteuse ? Tissu osseux
soumis de façon chronique à la sécrétion de cytokines
pro-infl ammatoires délétères pour son métabolisme ?
Toxicité directe du rétrovirus sur les ostéoblastes ? Ou,
simplement, des patients présentant de façon accrue
des facteurs de risque classiques d’ostéoporose ?
Physiopathologie de la perte
osseuse
Toxicité directe du VIH sur le tissu
osseux ?
La capacité du VIH à infecter les ostéoblastes
matures demeure controversée. N. Nacher et al.
n’avaient pas mis en évidence l’expression du CD4
à la surface des ostéoblastes de moelle osseuse
de patients séropositifs [5]. Les cultures d’ostéo-
blastes ne montraient pas non plus la présence
d’ARN rétroviral dans le surnageant, ni d’altération
de leur réplication ou de leur capacité à synthétiser
du collagène de type 1. Les auteurs concluaient que
ce virus pourrait diffi cilement contaminer des ostéo-
blastes in vivo.
J.M. Fakruddin et al. avaient montré que le VIH
était capable d’induire in vitro la production du
facteur RANKL (Receptor Activator of Nuclear factor
Kappa-B Ligand) [6], sécrété par les ostéoblastes et
les lymphocytes T activés, cytokine qui allait à son
tour activer les ostéoclastes. L’expression de cette
sécrétion serait induite par la glycoprotéine gp120,
principale protéine de surface du VIH.
Rôle des traitements antirétroviraux
Dans leur méta-analyse, T.T. Brown et al. (3), en
analysant séparément l’effet des différents traite-
ments, montraient que le risque de déminéralisation
était signifi cativement plus élevé chez les patients
traités par les IP que chez les patients recevant
d’autres traitements (OR de 1,5 [IC95 : 1,1-1,6]). De
même, le ténofovir (inhibiteur nucléotidique de
la transcriptase inverse) est souvent associé aux
densités minérales osseuses (DMO) les plus abais-
sées lorsqu’il est comparé à d’autres inhibiteurs
nucléosidiques comme l’abacavir par exemple (7).
D’après des études longitudinales (7, 8), la perte de
masse osseuse chez les patients naïfs d’antirétro-
viraux commençant leur traitement, est effective
entre S0 et S48 (et surtout lors des 24 premières
semaines au rachis). Cette perte est de l’ordre de 2
à 6 % selon les études, les molécules utilisées et les
sites de mesure. Puis il existe une stabilisation de la
DMO dans le temps (9).
L’introduction des ARV ne prévient pas la baisse de
DMO, quel que soit le schéma antirétroviral utilisé,
mais certaines classes médicamenteuses, comme
les IP ou le ténofovir, ont plus souvent été associées
aux baisses de DMO que d’autres. Cependant, les
résultats sont parfois discordants, et il est diffi cile
de différencier l’effet de ces médicaments sur l’os
des autres conséquences de l’infection VIH. Certains