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La Lettre du Pharmacologue - Volume 13 - n° 4 - avril 1999
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a maladie de Parkinson reste à ce jour l'une des
rares atteintes dégénératives du système nerveux
central accessibles à la thérapeutique. C'est, en
l'espèce, une réussite exemplaire de la neuropharmacologie,
inaugurée par la dopathérapie dans les années soixante.
L'utilisation du précurseur de la dopamine a constitué une
véritable révolution thérapeutique, et, aujourd'hui encore, la
L-DOPA demeure le meilleur traitement symptomatique de la
maladie de Parkinson, même si trente années d'usage intensif
ont permis d'en circonscrire les limites.
C'est la nécessité d'une transformation intraneuronale en
dopamine qui constitue le point faible de la dopathérapie. En
effet, au cours de la maladie, la perte cellulaire altère les pos-
sibilités de synthèse et de stockage de ce neuromédiateur. Ce
phénomène contribue vraisemblablement à l'émergence des
fluctuations motrices DOPA-induites. La synthèse, dans les
années 70, d'agonistes dopaminergiques actifs directement sur
les récepteurs post-synaptiques et possédant une durée d'ac-
tion plus importante que la L-DOPA a contribué à améliorer
cette limite de la dopathérapie. La mise au point des inhibi-
teurs de la monoamine oxydase B (IMAO-B) et plus récem-
ment des inhibiteurs de la catéchol-O-méthyl-transférase
(ICOMT) visait le même objectif.
D'autres modalités thérapeutiques se dessinent pour l'avenir.
Elles sont actuellement dominées par le concept de neuropro-
tection et l'usage plus précoce d'agonistes dopaminergiques au
cours de la maladie. Une voie de recherche encore peu exploi-
tée concerne les symptômes DOPA-résistants de la maladie
comme les difficultés cognitives et l'instabilité posturale qui,
depuis l'apport de la dopathérapie dans le traitement des
troubles moteurs, participent de façon plus apparente au han-
dicap.
NEUROANATOMIE FONCTIONNELLE
ET NEUROPHARMACOLOGIE
La maladie de Parkinson atteint essentiellement les neurones
des formations pigmentées du tronc cérébral (figure 1), et tout
particulièrement les neurones dopaminergiques à l'origine de
la voie nigro-striée, situés dans la pars compacta du locus niger
(1). Cependant, la raréfaction neuronale atteint d'autres noyaux
du tronc cérébral non dopaminergiques, comme le locus coe-
ruleus, le noyau dorsal du vague, la formation réticulée mésen-
céphalique, le noyau basal de Meynert (2), rendant compte des
signes DOPA-résistants de la maladie (tableau I).
De façon très grossière, on peut considérer que l'activité
motrice est régulée physiologiquement au sein d'un ensemble
complexe de boucles intracérébrales incluant la substance
noire, le striatum et le thalamus. Le thalamus sélectionnerait
les programmes moteurs, et serait freiné dans cette tâche
par le striatum. Au cours de la maladie de Parkinson, c'est l'in-
hibition dopaminergique provenant des neurones de la
pars compacta du locus niger qui apparaît déficitaire.
Certains interneurones striataux deviennent en conséquence
Les médicaments de la maladie de Parkinson en 1999
!
P. Le Cavorzin*, D. Bentué-Ferrer*, H. Allain*
*Laboratoire de pharmacologie expérimentale et clinique, Faculté de médecine,
Université de Rennes I, Rennes.
RÉSUMÉ.
La L-DOPA reste aujourd'hui encore le meilleur traitement symptomatique de la maladie de Parkinson. Ce médicament entraîne
cependant, au cours de l'évolution de la maladie, des effets indésirables moteurs rapportés à sa nécessaire métabolisation neuronale. La
coprescription d'agonistes dopaminergiques et d'inhibiteurs de la MAO-B a permis de reculer les limites de la dopathérapie, et le développe-
ment récent d'agonistes plus spécifiques, et peut-être plus encore des ICOMT, poursuit cet effort. Pour demain, des concepts thérapeutiques
totalement originaux sont à l'étude, comme ceux exploitant la cible glutamatergique. Une autre voie intéressante, mais encore largement inex-
ploitée, pourrait viser le remplacement d'autres neurotransmetteurs cérébraux probablement impliqués dans la genèse des symptômes DOPA-
résistants, actuellement les plus handicapants. L'hypothèse excitotoxique attend encore une confirmation clinique, et un intérêt pour les fac-
teurs de croissance neuronaux commence à émerger. Enfin, la pharmacologie est aujourd'hui en compétition avec d'autres approches telles la
neurostimulation ou les implantations cellulaires intracérébrales.
Mots-clés :
Maladie de Parkinson - L-DOPA - Pharmacologie moléculaire - Agonistes - IMAO-B - ICOMT - Glutamate - Excitotoxicité.
L
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hyperactifs, libérant le tonus glutamatergique sous-cortical
(3). Le résultat final de ces modifications est un freinage accru
du thalamus moteur (figure 2).
Les travaux de Delwaide ont contribué à préciser le retentis-
sement à l'étage spinal de ces anomalies, en particulier en ce
qui concerne la physiopathologie de la rigidité ainsi que le
rôle fonctionnel de certaines voies d'association sous-cortico-
spinales (4).
Enfin, les troubles cognitifs concernent la mémoire procédu-
rale et les fonctions exécutives (5, 6) et ne sont que très par-
tiellement DOPA-sensibles. Les anomalies posturales sont
encore très peu documentées.
Tableau I. Signes cliniques résistant au traitement pharmacolo-
gique par la L-DOPA.
Instabilité posturale
Troubles cognitifs
Dysarthrie et troubles de la déglutition
Troubles de la motricité oculaire
Signes dysautonomiques :
–troubles vésico-sphinctériens et sexuels
parésie gastro-intestinale
–hypotension orthostatique
séborrhée
Figure 1. Projections des neurones dopaminergiques du tronc
cérébral. On distingue trois systèmes fonctionnels : la voie méso-
striatale (1) à destination du néostriatum (voie nigro-striée),
la voie mésolimbique (2) vers le système limbique (noyau
accumbens, amygdale), et la voie mésocorticale (3) se projetant sur
le cortex, surtout frontal.
Figure 2.
Représentation
schématique
des anomalies
fonctionnelles au
sein des noyaux
gris centraux
au cours de la
maladie
de Parkinson.
La réduction
des projections
dopaminergiques
vers le striatum
favorise l'activité
des projections
gabaergiques
dirigées vers
le pallidum
externe (GPe),
au détriment
des projections
destinées
au pallidum
interne (GPi)
et à la substance
noire (SNc
et SNr).
Il en résulte
une libération
de l'activité
glutamatergique
du noyau
sous-thalamique
(NST), dont la
conséquence est
une inhibition
du thalamus.
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PHARMACOLOGIE MOLÉCULAIRE
Métabolisme dopaminergique
La voie naturelle de biosynthèse de la DOPA (dihydroxyphé-
nylalanine) utilise la tyrosine. L'hydroxylation en méta du
noyau benzénique de la tyrosine par la tyroxine hydroxylase
produit le noyau pyrocatéchol (dihydroxy-1,2 benzène), com-
mun aux catécholamines. La décarboxylation en dopamine est
ensuite réalisée par la DOPA-décarboxylase (figure 3). La
dopamine est inactivée dans l'espace synaptique par deux
enzymes s'attaquant aux radicaux impliqués dans son activité
pharmacologique (voir “Relations structure-activité”). La
catéchol-O-méthyl-transférase (COMT) catalyse la méthyla-
tion du groupement hydroxyle situé en méta, tandis que la
monoamine oxydase (MAO) réalise l'hydrolyse du radical
amine primaire. Ces deux enzymes sont actives à l'égard de
l'ensemble des catécholamines. Il existe deux formes de MAO
(A et B). Le type B prédomine dans le cerveau. Cette enzyme
participe également au catabolisme de la sérotonine. La
COMT est très répandue dans l'organisme (foie, rein, tube
digestif et cerveau). La forme périphérique est soluble, tandis
que la forme cérébrale est liée à la membrane cellulaire.
Récepteurs dopaminergiques
On dénombre actuellement cinq sous-types de récepteurs
dopaminergiques, regroupés en deux formes structurelles du
récepteur D1(D1A et D5:collectif D1) et trois du récepteur D2
(D2,D
3,D
4:collectif D2). Ces récepteurs appartiennent à la
superfamille des récepteurs à sept domaines transmembra-
naires. Ce sont des récepteurs métabotropiques couplés à une
protéine G (excitatrice ou inhibitrice). Les récepteurs apparte-
nant au collectif D1sont couplés positivement à l'adénylate
cyclase ; les récepteurs du collectif D2le sont négativement, ou
sont indépendants de l'activité adényl-cyclasique (tableau II).
Enfin, il semble exister des interactions entre les sous-types
de récepteurs au niveau synaptique. Par exemple, la stimula-
tion des récepteurs D1réduirait l'affinité des récepteurs D2
pour la dopamine, permettant un effet neuromodulateur (7).
En pratique, la stimulation simultanée des D1et D2semble
synergique, comme le suggère la plus grande efficacité chez
l'homme des agonistes dopaminergiques associant une activi-
té D1et D2(apomorphine > pergolide > bromocriptine).
Ainsi, l'agoniste dopaminergique le plus puissant parmi les
dérivés de l'ergot de seigle est le pergolide (8), et c'est aussi
celui possédant la plus forte affinité pour les récepteurs D1
(tableau III).
La répartition encéphalique des divers sous-types de récep-
teurs permet de présumer de leur implication dans divers pro-
cessus fonctionnels (figure 4). Ainsi, les récepteurs D1sont
ubiquitaires, corticaux et sous-corticaux, et seraient impliqués
dans l'activité motrice et la mémoire de travail. Les D2sont
essentiellement présents dans les ganglions de la base et sont
liés à la motricité. Les D3et D4(D5) sont préférentiellement
localisés au niveau du système limbique et seraient impliqués
dans certaines manifestations psychiatriques. Les D3inter-
viennent dans la régulation de la motivation. Le rôle des D4
et D5est encore mal connu.
Relations structure-activité
Les données sont relativement exhaustives dans ce domaine,
en particulier concernant les agonistes dopaminergiques déri-
vés de l'ergot de seigle (9). L'analogie structurale avec la
dopamine permet de préciser la structure responsable de l'ef-
Figure 3. Biosynthèse et catabolisme de la dopamine.
MAO : monoamine oxydase ; COMT : catéchol-O-méthyl-transférase ; AD : aldéhyde déshydrogénase.
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fet pharmacologique (pharmacophore). La configuration spa-
tiale associant deux groupements hydroxyles en 3, 4 séparés
de l'atome d'azote par une distance de 7 à 8 angströms est
indispensable à l'interaction de la dopamine avec ses récep-
teurs (figure 5). Un agoniste D1doit posséder cette stricte
conformation. Les exigences sont moins sévères pour les ago-
nistes D2. L'adjonction d'une chaîne latérale détermine, par sa
configuration spatiale, l'affinité et la sélectivité du composé,
puisque l'étroitesse du contact entre le pharmacophore et le
récepteur en dépend. Il est ainsi possible d'obtenir des ago-
nistes ou des antagonistes plus ou moins spécifiques.
PRINCIPAUX MÉDICAMENTS ANTIPARKINSONIENS
Historiquement, le premier traitement pharmacologique pro-
posé (l'extrait de belladone) visait à abaisser l'hyperactivité
cholinergique striatale. Depuis l'avènement de la L-DOPA,
l'objectif est devenu la restauration du tonus dopaminergique
inhibiteur. Dans les années soixante, la DOPA-thérapie inau-
gurait ainsi le concept du remplacement d'un neuromédiateur
déficient dans le traitement des maladies neurodégénératives.
Actuellement, on peut considérer que seuls les troubles
moteurs sont accessibles à la thérapeutique. La figure 6 rap-
pelle le mode d'action des principaux médicaments antipar-
kinsoniens.
Anticholinergiques
Les anticholinergiques réduisent l'hyperactivité cholinergique
striatale résultant de la réduction du tonus inhibiteur dopami-
nergique. L'utilisation de l'atropine a été proposée en France
vers 1870 par Charcot, qui en avait remarqué l'effet bénéfique
sur le tremblement. Les dérivés synthétiques de l'atropine,
mieux tolérés, sont apparus dans les années cinquante, et ont
constitué l'essentiel du traitement pharmacologique de la
maladie de Parkinson avant l'avènement de la L-DOPA.
Actuellement, ils ne sont plus guère utilisés (trihexyphénidyle,
tropatépine). Des effets indésirables périphériques atropi-
niques subsistent (sécheresse buccale, troubles de l'accommo-
dation, rétention urinaire, constipation), mais ils sont nette-
ment moins marqués qu'avec l'atropine. Les effets indési-
rables centraux (confusion, troubles mnésiques) sont directe-
ment liés à l'activité anticholinergique, et, comme avec les
agonistes dopaminergiques, sont favorisés par une détériora-
tion intellectuelle ou un âge avancé.
Tableau II. Caractéristiques des différents sous-types de récepteurs dopaminergiques.
Collectif D1Collectif D2
D1D5D2D3D4
Nombre d’acides aminés 446 477 414 (court) 400 387
443 (long)
Extrémité C-terminale longue longue courte courte courte
Localisation chromosomique 5 q31-q34 4p16.3 11 q22-q23 3q13.9 11p
% d’homologie avec récepteur D1/ 100/44 82/49 44/100 44/76 42/54
avec récepteur D2(court)
Principales N. caudé/putamen Hippocampe N. caudé/putamen N. accumbens Cortex frontal
localisations N. accumbens Hypothalamus N. accumbens Tubercule olfactif Amygdale
Tubercule olfactif Tubercule olfactif Système
Cortex frontal Hypophyse cardio-
vasculaire
Rétine
Présence d’introns non non oui oui oui
dans le gène
Affinité pour la dopamine µMsub-µMµMnMsub-µM
Adénylcyclase stimulation stimulation inhibition ? inhibition
Agoniste de référence SKF-38393 SKF-38393 bromocriptine 7-OH-DPAT
Antagoniste de référence SCH-23390 SCH-23390 halopéridol UH-232 clozapine
Tableau III. Spécificité de diverses molécules agonistes et anta-
gonistes dopaminergiques vis-à-vis des sous-types de récepteurs
(Source : IUPHAR compendium of receptor characterization and
classification, 1998).
Récepteurs Agonistes Antagonistes
(puissance relative) (affinité = Ki en nM)
D1pergolide (2,1) fluphénazine (2)
dopamine = apomorphine (1) halopéridol (15)
bromocriptine (0,04) clozapine (25)
chlorpromazine (23)
D2pergolide (122) dompéridone (0,05)
lisuride (11) fluphénazine (0,6)
bromocriptine (3,8-11) halopéridol (0,7)
apomorphine (3,6-11) sulpiride (1,8)
dopamine (1) chlorpromazine (28)
clozapine (78)
D3pramipexole (6)
apomorphine (1,3)
dopamine (1)
bromocriptine (0,1)
D4apomorphine (26) halopéridol (2)
lisuride (15) rispéridone (3)
pergolide (1,7) sertindole (17)
dopamine (1) chlorpromazine (10)
ropinirole (0,03) clozapine (22-83)
piribédil, bromocriptine raclopride (2 300)
(< 0,01)
D5dopamine (1) fluphénazine (2,1)
apomorphine (0,75) halopéridol (30)
clozapine (35)
chlorpromazine (46)
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L-DOPA
C'est le médicament le plus utilisé car le plus actif. Il s'agit
d'un précurseur de la dopamine capable de traverser la bar-
rière hémato-encéphalique. Seul le stéréo-isomère lévogyre
est actif, ce que les relations structure-activité explicitent plei-
nement. La L-DOPA est absorbée essentiellement au niveau
du jéjunum, où des phénomènes de compétition avec des
acides aminés aromatiques provenant de l'alimentation proti-
dique peuvent survenir, expliquant une part de la variation
intra-individuelle d'activité du médicament. La L-DOPA se
distribue largement à tous les tissus, y compris le cerveau.
Elle y est décarboxylée en dopamine et stockée à l'intérieur
des neurones. La décarboxylation périphérique interdisant le
Figure 4. Cartographie cérébrale des différents sous-types de récepteurs dopaminergiques. Les coupes représentent la densité de l'expression
de l'ARN messager correspondant à chaque sous-type. (D’après Meador-Woodruff Laboratory).
Figure 5. Représentation des rapports spatiaux entre un récepteur
dopaminergique et son ligand (ici la dopamine) montrant la struc-
ture du pharmacophore dopaminergique. Les deux groupements
hydroxyles (en rouge) se lient par des liaisons hydrogène aux radi-
caux hydroxyles portés par deux molécules de sérine appartenant
à un même domaine transmembranaire. La fonction amine pri-
maire (en bleu) se lie par une liaison électrovalente au radical
COO- d'une molécule d'aspartate d'un domaine voisin.
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