É D I T O R I A L Grossesse et sclérose en plaques ● T. Moreau* “Et pour faire un bébé, docteur ?” Très vite après l’annonce du diagnostic, cette question sur la grossesse est posée. Elle est logique quand on sait que plus de deux femmes pour un homme sont atteintes de sclérose en plaques (SEP) et que la maladie débute principalement entre 20 et 35 ans, c’est-à-dire en pleine période de projets d’existence. Jusqu’en 1950, la grossesse était considérée comme contre-indiquée dans la SEP. Les neurologues de l’époque préconisaient cette attitude car ils avaient constaté une augmentation de fréquence du début de la maladie après une grossesse, ainsi qu’une reprise des poussées en post-partum immédiat, et déploré les difficultés pour les jeunes mères handicapées de s’occuper de leur enfant. C’est à partir des années 1950 que la grossesse et le post-partum ne sont plus considérés comme forcément néfastes pour la maladie. Plus récemment, des études utilisant une méthodologie plus moderne ont permis de dégager des tendances optimistes sur la relation grossesse-SEP (1, 3, 4). Malheureusement, la plupart de ces études présentent des carences méthodologiques avec, souvent, un effectif très réduit, une absence de groupe contrôle, des données rétrospectives, et nombre d’entre elles sont issues d’un centre unique. Toute méta-analyse paraît donc illogique par l’inhomogénéité des séries dans la littérature. C’est pourquoi les neurologues européens se sont regroupés au sein du réseau EDMUS pour réaliser l’étude PRIMS (2) (figure). Cette étude avait pour objectif principal de déterminer les conséquences de la grossesse et du post-partum sur l’évolution de la maladie en termes de fréquence des poussées et d’évolution du handicap. Elle a inclus 254 patientes pour 269 grossesses suivies par 128 neurologues dans douze pays européens différents. Les malades étaient suivies prospectivement jusqu’à 24 mois après leur accouchement. Les patientes incluses avaient en général trente ans, une moyenne de six ans de maladie de type rémittente, sans gêne majeure dans la vie quotidienne. Il a été observé un score de poussées diminué au cours de la grossesse dès le premier trimestre mais très spectaculairement lors du troisième où la fréquence des poussées était réduite de 70 % par rapport à l’année précédant la grossesse. Cependant, lors du premier trimestre de post-partum, une augmentation de 70 % de la fréquence des poussées était constatée par rapport à l’année d’avant la grossesse. Puis le score des poussées reprenait son niveau normal. Lorsqu’on étudiait l’année grossesse (9 mois de grossesse plus 3 mois de post-partum), on retrouvait le même nombre de poussées que l’année précédant la gestation. Il n’existait donc qu’un décalage chronologique dans le déclenchement des poussées. Concernant l’évolution du handicap, il était observé une augmentation régulière et progressive, non rythmée par les soubresauts du score de poussées pendant et après la grossesse. Cette * Service de neurologie, CHU de Dijon. 36 ACCOUCHEMENT Score annuel de poussées (moyenne) 1,6 1,4 1,2 1,0 0,8 0,6 0,4 0,2 Trimestres 0 1 2 3 Avant grossesse 4 1 2 3 Grossesse 1 2 3 4 Après grossesse Figure. Score de poussées au cours de l’étude PRIMS avant, pendant et après la grossesse (2). pente de progression du handicap semblait comparable à ce que l’on constate dans les études portant sur l’histoire naturelle de la maladie. Les données obstétricales, aussi bien pour la mère que pour l’enfant, sont comparables à celles obtenues dans une population de femmes en bonne santé. La péridurale et l’allaitement n’apparaissaient pas néfastes pour l’évolution de la maladie. Ainsi, grâce à PRIMS, il est possible d’affirmer que la grossesse et le post-partum n’aggravent pas la SEP. Ces données semblent confirmer les tendances observées dans les autres études de méthodologie “acceptable”. La grossesse devra être entreprise préférentiellement à distance d’une période de grande activité de la maladie (poussées rapprochées) qui favorise le risque de poussées en post-partum. Outre les données scientifiques, la décision d’entreprendre une grossesse devra tenir compte de la capacité de la patiente à pouvoir s’occuper de son enfant. Le spectaculaire changement de l’activité de la maladie pendant la grossesse et en post-partum suscite de nombreuses voies de recherche. Pendant les neuf mois de grossesse, il existe une “lune de miel immunologique” qui permet de “tolérer l’allogreffe fœtale” et de bloquer le déclenchement des poussées. Il est ainsi tentant de vouloir maintenir cet état immunologique de la grossesse comme traitement de fond de la maladie, par exemple par l’apport d’hormones sexuelles. La prévention des poussées du post-partum pourrait être assurée par des immunoglobulines intraveineuses administrées sitôt après l’accouchement. ■ R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1.. Birk K, Ford C, Smeltzer S et al. The clinical course of multiple sclerosis during pregnancy and the puerperium. Arch Neurol 1990 ; 47 : 738-42. 2.. Confavreux C, Hutchinson M, Hours MM et al. and the Pregnancy in multiple sclerosis group. Rate of pregnancy-related relapse in multiple sclerosis. N Engl J Med 1998 ; 339 : 285-91. 3.. Hutchinson M. Pregnancy in multiple sclerosis. J Neurol Neurosurg Psychiat 1993 ; 56 :1043-5. 4.. Runmarker B, Andersen O. Pregnancy is associated with a lower risk of onset and a better prognosis in multiple sclerosis. Brain 1995 ; 118 : 253-61. La lettre du neurologue - n° 2 - vol. V - février 2001