développé une plateforme open source permettant de fabriquer les 50 machines industrielles dont on a besoin pour faire
fonctionner une civilisation en miniature : éolienne, four, bulldozer, moissonneuse, scierie…), etc.
La seconde tendance c'est la transposition de cette organisation horizontale du champ de la connaissance vers
l’ensemble du système économique. Ainsi, les capacités de production de biens physiques vont être de plus en plus
distribuées : par exemple, les imprimantes 3D deviennent de plus en plus accessibles au plus grand nombre ce qui
permet d’imaginer que chacun puisse imprimer chez lui l’objet dont il a besoin, à partir de plans qui ont été conçus à
l’autre bout du monde. Dans cette même logique, promeut les démarches d’open design et veutle réseau des Fablabs
rendre accessible la fabrication personnelle au plus grand nombre. La production énergétique aussi voit apparaître des
initiatives décentralisées (ex. : au Royaume-Uni, Micropower Council soutient la microgénération d’énergie
décentralisée). Et même les mécanismes de financement s’en trouvent affectés comme en témoignent le succès
grandissant des plateformes de crowdfunding (ex. KissKissBankBank) qui permettent de solliciter une foule d’individus
pour financer un projet, des prêts de particulier à particulier, ou même des monnaies p2p (ex. Bitcoin) qui pourraient
permettre de se passer du système bancaire classique pour faire tourner l’économie...
Ces tendances conduisent à l’émergence de deux types de modèles économiques. D’une part, des communautés de
créateurs collaborent autour de la production de biens communs, en général protégés par des licences libres et soutenus
par des associations (ex. Apache Foundation). On voit alors se structurer des écosystèmes d'entreprises qui créent de la
valeur marchande sur la base de ces biens communs. D’autre part, des entreprises privées existantes s'ouvrent à la
coopération horizontale et adoptent une nouvelle posture par rapport aux enjeux de propriété intellectuelle et de
protection de l’innovation. Par exemple, elles font appel à des chercheurs indépendants ou des amateurs éclairés pour
innover, voire contribuer à leur recherche et développement (en s’appuyant sur des plateformes d’innovation ouverte
comme Hypios, des démarches de crowdsourcing ad hoc comme le fait Lego pour ses Mindstorms, ou de co-design).
Aujourd'hui ces nouveaux modèles de production opèrent clairement dans le cadre d'une économie de marché, mais
avec une logique nettement différente du capitalisme que l'on connaît.
Mais alors, comment un tel modèle économique peut-il coexister avec le modèle capitaliste dominant
aujourd'hui ?
Pour moi, on assiste à l’émergence d'un nouveau mode de production et d'une nouvelle structure sociétale. Aujourd’hui,
il y a co-dépendance entre la production p2p, et le système capitaliste traditionnel. Les producteurs p2p ont encore
besoin du système capitaliste comme source de revenus, et, dans le même temps, le système capitaliste a de plus en
plus besoin des externalités positives créées par ces nouvelles formes de coopération sociale. Il me semble que les
entreprises qui s'adaptent le mieux à cette nouvelle organisation de l'intelligence collective renforcent leur compétitivité
par rapport à celles qui restent dans le modèle « propriétaire ». La compétition inter-entreprise prend une nouvelle
forme… La stratégie d’IBM au début des années 2000 est révélatrice de cette tendance. Géant de l’informatique,
disposant d’une quantité innombrable de brevets, ils ont choisi de clairement soutenir le mouvement open source et ainsi
de s’appuyer sur Linux pour réduire leur dépendance vis-à-vis de Microsoft et Intel. Je remarque aussi un nombre
grandissant de jeunes entrepreneurs qui sont très à l'aise avec ces nouvelles logiques p2p : elles font partie de leur vie
sociale et ils les appliquent donc naturellement pour créer des richesses économiques, en portant des valeurs
alternatives au système dominant de l'entreprise capitaliste classique (ex. : OuiShare.net).
Bien entendu, des conflits entre ces deux modèles sont inévitables. Les forces dominantes résistent au changement,
comme en témoignent la guerre que Microsoft mène contre le logiciel libre, ou celle de l'industrie des monopoles
intellectuels contre ceux qui pratique le partage de la culture. Dans le même temps, les forces émergentes cherchent leur
autonomie et l’on constate une intensification des mouvements sociaux (Occupy, Indignados) et politiques (Partis
Pirates) qui sont l’expression directe de la culture p2p. Même si l’avenir n’est pas écrit à l’avance, je pense que nous
allons passer de cette phase d’émergence à une phase de parité, puis amorcer une transition vers un nouveau modèle
dominant. Les rapports de forces sont en train de changer !
Quelle place les dynamiques de compétition trouvent-elles dans ce modèle p2p qui, en apparence, donne la part
belle à la coopération ? Y a-t-il d'autres moteurs efficaces pour l'innovation que le principe de concurrence ?
La meilleure façon de comprendre le modèle p2p est de l'interpréter, non comme une abolition de la compétition au profit
de la coopération, mais comme un nouvel agencement entre ces deux aspirations des êtres humains : s’affirmer en tant
qu’individu / créer des liens et vivre en société.
Le capitalisme contemporain est un modèle qui est principalement fondé sur la première de ces aspirations, en
canalisant cette velléité d’autonomie et d’affirmation vers la compétition économique, sociale ou sportive plutôt que vers
la guerre. Le principe philosophique assumé ici consiste à penser que la somme des égoïsmes individuels produira le
bien commun, grâce à la fameuse “main invisible du marché”.
Dans le modèle p2p, c'est le désir d’être en société et de coopérer qui sont valorisés d’abord... mais il y a encore de la
compétition ! Les connaissances et les ressources sont partagées pour créer des biens communs ensemble mais
chacun est libre de choisir à quoi il veut contribuer, et les contributions elles-mêmes sont en concurrence. Par exemple,
si vous avez besoin d'un développeur Linux, vous allez faire jouer la concurrence et choisir le meilleur.
Philosophiquement, le modèle p2p part du point de vue, non de l'altruisme, mais de l'alignement conscient et structurel
(inclus dans l’architecture même du projet) entre les intérêts individuels et collectifs. Ainsi, votre intérêt pour le
bouddhisme peut vous pousser à écrire un article sur le sujet et ainsi contribuer à créer une encyclopédie universelle