Je dirais que tout citoyen participe de la quête de la vie bonne et est autorisé à parler d’éthique. Il n’est jamais très bon
que l’éthique devienne l’affaire de spécialistes. Bien souvent, lorsque l’on a désigné le « monsieur éthique », dans une
structure hospitalière par exemple, cela ne marche pas. L’expertise en éthique désigne davantage une capacité à faire
émerger un certain nombre de questions qu’à proposer des décisions. Une collectivité locale qui pense se heurter à une
question d’ordre éthique pourra auditionner des personnes à qui elle reconnait une certaine compétence dans le
domaine éthique. L’éthique ne doit jamais devenir le monopole de quiconque, au risque de tomber dans le moralisme au
sens de « faire la morale ». De plus, considérer que le Grand Lyon incarnerait une éthique reviendrait à assumer le
caractère irréprochable des normes qu’il défend. L’instance éthique la plus célèbre en France, le Centre Consultatif
National d’Ethique, n’a qu’un rôle consultatif, on ne lui demande pas d’écrire des lois !
L’éthique est donc un moyen de décider ?
Oui, c’est une science pratique au sens où, au bout du processus, elle mène à l’action. Mais il y a deux niveaux de
réflexion éthique à distinguer.
En se posant la question sur ce que je dois faire, c’est la raison pratique qui est convoquée et qui peut être sollicitée par
exemple dans le cadre d’un conseil d’administration : quelle subvention va-t-on donner aux Restos du Cœur ? La
question est ici : que devons-nous faire dans cette situation ? Mais il est un autre registre qui est de l’ordre du débat
politique ou législatif, et qui relève de la raison spéculative en cherchant le vrai à travers l’énonciation d’une norme, d’une
loi ou d’une interpellation. La question est ici : « qu’est-ce qui a une chance d’être vrai, ou bon, en général, dans la
plupart des cas ? ». Il est toujours dangereux quand le débat éthique confond les deux et se développe à partir d’un cas
particulier car il ne peut se soustraire à l’émotion ni à une solution réduite à ce cas particulier. Souvent, les débats
d’ordre éthique se déroulent en réaction à une situation particulière (prenez l’exemple de Vincent Humbert ou de Chantal
Sébire !) et c’est une catastrophe pour le débat démocratique. Il ne faut pas que le débat éthique soit trop en prise avec
des situations singulières. Que le gouvernement profite de ces occasions pour créer une commission spécifique qui
prenne le temps de réfléchir est par contre une bonne chose. Il ne faut jamais reprocher aux institutions d’être lentes car
c’est ce qui les protège de l’émotionnel. Ceux qui font de l’éthique auront précisément pour rôle d’éviter la confusion
entre le cas singulier et le registre de la norme. J’ai assez souvent tendance à rappeler que la mort est un événement
social et non individuel et que dire que « ma mort ne regarde que moi » est une aberration ! Les considérations éthiques
conduiront à dire que le déclenchement de la mort est un événement qui touche la société et ne peut être envisagé
uniquement comme le droit d’un patient, qu’il y a plein de gens autour que cela va ébranler. Donc l’éthicien ne va pas
dire ce qu’il faut faire, mais rappeler simplement qu’un problème bioéthique n’est jamais un problème « presse-bouton »
(où il n’y a pas qu’un docteur qui va ou ne va pas presser sur le bouton donnant la mort !). Le rôle de l’éthicien est de
poser de bonnes questions pour élargir le débat, faire prendre conscience des conséquences des actes auxquelles on
n’a pas pensé. Cela ne veut pas dire qu’il va orienter la décision. S’il doit y avoir une expertise en éthique, c’est une
expertise méthodologique.
Est-ce qu’une collectivité n’a pas besoin de cette expertise pour ne pas céder aux intérêts particuliers au
détriment de l’intérêt général ?
Il est risqué de présenter l’intérêt général dans un rapport de force avec les intérêts particuliers. En morale, on parle
plutôt de bien commun qui n’est surtout pas le bien du collectif. La notion de « bien commun » renvoie à la relation
d’interdépendance qui existe entre le bien de la personne et le bien de la communauté. Il y a cette idée que la personne
n’existe pas par elle-même et que si le corps (c'est-à-dire la société) dont elle fait partie souffre, elle souffrira aussi. Le
bien de la personne est en interrelation très étroite avec le bien de la communauté. La norme éthique intervient, au nom
de l’autre, dans cette articulation entre le bien particulier et le bien commun. De ce point de vue, je porte un regard
extrêmement critique vis-à-vis de ce que l’on voit dans l’énonciation de la norme en termes de sécurité routière par
exemple. On ne dit plus « il est interdit de» mais « dans votre intérêt… » ou « pour votre sécurité… ». Qu’on me dise que
je dois limiter ma vitesse pour ma sécurité est absolument scandaleux !! Et le gamin qui traverse la route ? C’est parce
que l’individu qui roule trop vite est potentiellement dangereux que l’institution a le devoir de dire calmez-vous ! Le seul
argument que l’on trouve aujourd’hui pour que les gens respectent la norme c’est de dire que c’est pour eux qu’ils le
font. Voilà ce qui arrive lorsque le message éthique est exclusivement aux mains d’agences de communication !
Dans une collectivité, quelles formes de débat sur l’éthique peuvent exister ?
Ils peuvent être des deux types avec des moments de décision très pratique et d’autres avec une visée plus large ; par
exemple : en vue de quoi fait-on un nouveau quartier à la Confluence ?
Quelles questions éthiques soulève un objectif politique tel que réduire la place de la voiture en ville » ?
On pourrait y répondre en raisonnant par l’absurde. En mettant des péages à l’entrée, des parcmètres partout, on
rendrait la voiture insupportable, et l’on verrait apparaître très vite des questions éthiques ! La question plus