Traumatisme psychique et état de stress post-traumatique : de la prévention au traitement

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DOSSIER THÉMATIQUE
Autour du traumatisme
psychique
Traumatisme psychique
et état de stress
post-traumatique :
de la prévention au traitement
pharmacologique
Psychological trauma and post -traumatic stress disorder:
from prevention to treatment
F. Ducrocq*, **, G. Vaiva**
F. Ducrocq
G. Vaiva
* Pôle des urgences, centre hospitalier
universitaire de Lille.
** Pôle universitaire de psychiatrie,
centre hospitalier universitaire de
Lille.
D
u point de vue du clinicien ou de celui du
patient, les troubles psychotraumatiques
ont un coût considérable, et la question de
leur prise en charge est centrale. Dans une approche
médico-économique, l’enjeu est également majeur,
les conséquences du traumatisme psychique ont le
triste privilège de faire partie des 10 préoccupations
mondiales de santé publique selon l’Organisation
mondiale de la santé (OMS), des travaux nord-américains en ayant chiffré le coût à plus de 3 milliards de
dollars par an, rien que sur leur territoire (1).
Si l’approche thérapeutique du trouble constitué que
représente l’état de stress post-traumatique (ESPT)
– seul ou comorbide – s’inscrit dans un périmètre
dont les contours sont actuellement bien définis,
comme en témoigne l’abondante littérature sur le
sujet, la question de sa prévention demeure encore
en phase exploratoire, mais les travaux à son sujet
sont de plus en plus concordants.
Un intérêt clinique et scientifique croissant permet
en effet actuellement d’adosser à des fondements
neurobiologiques devenus consistants des approches
pharmacologiques dont l’efficacité n’est plus remise
en cause, tant sur le plan préventif que curatif. La
prévention se centrera principalement sur les stratégies dites de “prévention secondaire”. Dans les
suites immédiates de la confrontation à l’événe-
98 | La Lettre du Psychiatre • Vol. IX - no 3 - mai-juin 2013
ment traumatique, le praticien repérera certains
éléments considérés comme des facteurs de risque
de développer un trouble ultérieur (facteurs liés à
l’événement, au sujet ou à la réaction de celui-ci à
celui-là) pour proposer une approche médicamenteuse dans un délai de 24 à 48 heures et pour une
durée courte de 8 à 10 jours (2).
En amont, des arguments encore précliniques
ébauchent l’idée d’une véritable prévention primaire
alors qu’en aval la prévention tertiaire est dédiée
au trouble constitué et à ses conséquences, tant
en termes de souffrance psychique psychotraumatique que de comorbidité (troubles de l’humeur,
addictions, ou encore morbi-mortalité suicidaire).
Peut-il exister une prévention
primaire ?
S’il ne s’agit à ce jour que de travaux précliniques,
une attitude de prévention primaire est néanmoins
envisageable ; favoriser les stratégies d’adaptation
faciliterait, par exemple, les mécanismes d’extinction
du stress. En effet, si le cortex préfrontal prélimbique
facilite l’émergence d’une mémorisation excessive
de la peur en transformant au niveau de l’amygdale
basolatérale un input transitoire en un output puis-
Résumé
Cliniciens et chercheurs se penchent depuis peu sur la prise en charge curative du traumatisme psychique
et de ses conséquences, mais également sur leur prévention. Dans une perspective de prévention dite
secondaire, il s’agit de repérer, au plus près de l’événement, donc bien avant l’émergence clinique des
premiers symptômes constitués, des facteurs qui feraient craindre une évolution morbide. Ce repérage
permettrait de définir une population à risque dans laquelle une vigilance clinique particulière et des
propositions thérapeutiques dédiées contribueraient à diminuer le risque d’évolution psychopathologique.
Outre les approches psychothérapiques immédiates, il devient possible de proposer, dès les premiers temps
qui suivent l’événement, des stratégies médicamenteuses dont l’efficacité est attestée par un nombre
croissant de travaux et étayée par des arguments neurobiologiques consistants.
sant – véritable phénomène de conditionnement de
la peur –, le cortex préfrontal infralimbique intervient
pour faciliter les mécanismes d’extinction de la peur,
l’hippocampe participant de son côté au contrôle de
l’équilibre de ces 2 zones pour un stimulus donné par
le biais de la neurogenèse. Agir sur ces mécanismes
avant l’exposition pourrait se faire par des antagonistes des récepteurs des glucocorticoïdes (GR),
Corticotropin Releasing Factor 1 (CRF1) ou cholécystokinine 2 (CCK2), ou encore par des antagonistes
de la vasopressine. Mais, et c’est probablement ce
qui conditionne l’absence de résultats probants chez
l’homme, cette intéressante inhibition limbique sur
l’axe HPA présente également le risque de voir les
mécanismes physiologiques d’extinction inhibés à
leur tour, augmentant paradoxalement le risque
d’ESPT. Malgré toute la prudence nécessaire, il est
intéressant de constater que quelques travaux vont
dans ce sens, de hautes doses de corticostérone
administrées juste après le stresseur inhiberaient
les mécanismes de consolidation mnésique alors
que de petites doses auraient un effet délétère en
facilitant cette consolidation.
Des médicaments pour
une prévention secondaire ?
Un substratum neurobiologique
Les régions cérébrales corticales et sous-corticales
activées lors de la réaction de stress sont multiples,
mais les plus spécifiquement concernées sont le
cortex sensorimoteur et préfrontal, le thalamus, le
striatum, l’amygdale et l’hippocampe, comme en
témoigne un nombre croissant de travaux cliniques
appuyés par les données de l’imagerie (3). L’activation de ces régions et la communication qui s’établit
entre elles facilitent en effet tant l’appréciation de
la situation dangereuse que sa mémorisation et la
réponse motrice face à elle.
La médiation neurobiologique de ces zones dépend
essentiellement du système GABA-glutamate au
travers d’un phénomène de balance entre processus
inhibiteur et processus activateur. Schématiquement, cette balance a pour rôles, d’une part, d’harmoniser les échanges d’informations dans les réseaux
corticolimbiques et de permettre, d’autre part, le
déclenchement d’une cascade de réponses protectrices. La première cible est le niveau d’excitabilité
de l’amygdale. Le réseau amygdalien a en effet une
réactivité excessive lors de la confrontation traumatique et de la réaction de stress contemporaine ;
excès qui peut être la conséquence d’un excès d’activation et/ou d’un défaut d’inhibition.
Concernant le défaut d’inhibition, nous savons
qu’il existe un réseau d’interneurones GABAergiques responsable de l’inhibition de la mémorisation traumatique, dont le fonctionnement peut
être altéré par une dysfonction de régulation de
neurotransmission GABAergique. Ces altérations
semblent pouvoir être dues à des concentrations
de GABA génétiquement réduites (GABA bas) ou
au polymorphisme du gène codant pour certaines
sous-unités du récepteur GABA-A.
L’excès d’activation semble de son côté lié à une
convergence au niveau de l’amygdale de neuromédiateurs excitateurs (glutamate, catécholamines,
CRF), qui favorise l’émergence de la mémorisation traumatique initiale, et c’est ainsi que l’effet
protecteur des bêtabloquants a pu être mis en
évidence, seule alternative devant l’absence d’antiCRF. Toujours lors de cette phase d’exposition au
“stresseur”, l’étiopathogénie fait se succéder une
facilitation de conditionnement de peur et une
non-facilitation des phénomènes d’extinction du
conditionnement aversif, succession représentant
la piste étiopathogénique principale de l’ESPT.
À côté de la balance GABA-glutamate, la modulation
et l’équilibre – ou le déséquilibre – entre ces systèmes
concernent également d’autres peptides, monoamines ou hormones, qui impliquent principalement
les systèmes dopaminergiques, adrénergiques et
sérotoninergiques et conduisent à autant de pistes
pharmacologiques.
Mots-clés
État de stress posttraumatique
Traitement
pharmacologique
Prévention secondaire
Summary
Prevention and treatment is
a recent preoccupation for
clinicians and researchers. The
identification of risk factors of
PTSD should be adressed early,
close to the event rather than
only after the development
of the first psychotraumatic
symptoms. This determination
would make possible the definition of a vulnerable population.
In this population, a particular
clinical vigilance and dedicated therapeutic approaches
would contribute to decrease
the risk of psychopathological
evolution. In addition to the
necessary post-immediate
psychotherapeutic approaches,
it is now possible to propose,
soon after the event, psychopharmacological strategies
whose effectiveness is attested
by a growing number of studies
and supported by consistent
neurobiological data.
Keywords
Post-traumatic stress disorder
Pharmacological treatment
Secondary prevention
Action directe sur la transmission
noradrénergique : clonidine, guanfancine
et propranolol
Dans ce modèle de peur et d’hyperéveil, l’hyperadrénergie joue un rôle pathogénique essentiel au travers
des mécanismes d’encodage émotionnel et de consoLa Lettre du Psychiatre • Vol. IX - no 3 -mai-juin 2013 | 99
DOSSIER THÉMATIQUE
Autour du traumatisme
psychique
Traumatisme psychique et état de stress post-traumatique :
de la prévention au traitement pharmacologique
lidation mnésique, et plusieurs molécules ont été
proposées pour en modérer l’intensité ou la portée.
Des interventions directes sur la transmission
adrénergique sont possibles, avec la clonidine et
la guanfancine, agonistes α2-adrénergiques qui
diminuent le largage d’adrénaline en activant les
autorécepteurs présynaptiques. Ces molécules
se sont révélées efficaces chez des vétérans, des
réfugiés cambodgiens et des enfants présentant
un ESPT mais seul le propranolol a été évalué au
décours immédiat du trauma (1). Bloqueur β1et β2-adrénergique non sélectif, il a été utilisé
avec succès dans plusieurs travaux depuis que
R.K. Pitman a réalisé la première étude contrôlée
publiée, proposant du propranolol à la posologie de
40 mg × 3/j sur une durée de 10 jours, dès la salle
d’urgence, dans les 6 premières heures suivant la
survenue de l’événement (4).
La population était constituée de 41 patients
recrutés sur des critères concernant l’événement
et son vécu, l’absence de lésion physique grave
et une fréquence cardiaque supérieure à 80 bpm.
L’efficacité préventive de la molécule (ESPT à 1 mois
de 30 % dans le groupe placebo versus 10 % dans
le groupe propranolol), associée à un effet positif
de la molécule active sur des mesures physiologiques (électromyogramme [EMG], conductance
cutanée, réactivité physiologique), permettait de
conclure à l’intérêt d’une telle prescription. Nousmêmes avons confirmé cet intérêt préventif dans un
travail pilote prospectif qui relevait l’efficacité du
propranolol dans les 9 heures suivant l’exposition au
trauma (agression, accident de voie publique) chez
20 sujets (5). Ces travaux ont depuis été répliqués
et, si l’on respecte les précautions d’usage liées à
l’administration de ce cardiotrope, le propranolol
semble représenter une piste prioritaire ; si l’on y a
eu peu recours jusqu’à présent, c’est en raison des
contraintes liées à sa prise.
Interventions sur les modulations
de la transmission adrénergique
du neuropeptide Y, et des antagonistes
du CRF, opiacés et benzodiazépines
Le neuropeptide Y (NPY) est un acide aminé qui
inhibe la libération du neurotransmetteur auquel il
est associé. Des études précliniques soulignent son
rôle anxiolytique dans différents modèles animaux
quand un effet antistress a été documenté chez des
volontaires sains soumis à un stress intense. Selon
A.M. Rasmusson et al., une diminution des capacités
100 | La Lettre du Psychiatre • Vol. IX - no 3 - mai-juin 2013
du NPY à moduler la noradrénaline augmenterait le
risque de développement d’un ESPT après exposition à un événement traumatique, mais l’efficacité
d’une administration précoce de NPY dans les suites
immédiates de l’événement traumatique demeure
à évaluer (6).
Les opiacés endogènes, en inhibant les actions de la
noradrénaline et du CRF, jouent également un rôle de
contre-régulation dans le système nerveux central
(SNC), et l’administration d’opiacés dans les suites
immédiates de tâches d’apprentissage diminue les
processus d’encodage mnésique de la mémoire à
long terme. G. Saxe et al. ont vérifié son efficacité
chez des enfants victimes de brûlures graves pour
qui l’administration de morphine était corrélée à
une diminution de l’intensité de la symptomatologie
psychotraumatique à 6 mois, indépendamment du
degré d’antalgie (7). Plus récemment, 2 groupes
de militaires américains sérieusement blessés lors
du conflit en Irak ont été comparés, les uns ayant
reçu des dérivés morphiniques à visée antalgique
lors de leur évacuation médicale (2 à 5 mg i.v.) et
les autres non [8]. Une association négative entre
morphine et ESPT (OR = 0,47) étaient relevée, association indépendante de la sévérité du traumatisme
physique, de la présence d’un traumatisme crânien
ou encore de tout geste chirurgical délabrant. Le
caractère neuroprotecteur de la morphine semblait
par ailleurs totalement indépendant de sa posologie.
Neurotransmetteur cérébral inhibiteur ubiquitaire,
le GABA est potentialisé par les benzodiazépines, et
des taux plasmatiques bas de GABA au décours du
trauma ont été mis en relation avec le développement ultérieur d’un syndrome psychotraumatique,
comme nous l’avons vu plus haut (9). Mais si de
rares auteurs ont relevé l’intérêt des benzodiazépines pour améliorer ponctuellement certains
symptômes spécifiques dans le trouble constitué
(souvenirs intrusifs, hyperactivité neurovégétative ou troubles du sommeil), de nombreux autres
dénoncent l’utilisation systématique et prolongée
de ces molécules (10). Outre les risques addictifs et
un retentissement néfaste sur les fonctions supérieures, les benzodiazépines ont été associées à
un amoindrissement des nécessaires phénomènes
d’extinction et à des taux plus élevés d’ESPT (11).
Elles sont donc considérées par plusieurs auteurs
comme favorisant la survenue de troubles psychotraumatiques séquellaires, ou aggravant ceux-ci :
exacerbation des troubles du comportement et
absence d’amélioration des symptômes psychotraumatiques sous alprazolam ou encore absence
d’efficacité du clonazépam, de l’alprazolam ou du
DOSSIER THÉMATIQUE
témazépam dans plusieurs travaux contrôlés sur
6 semaines ou 6 mois (12).
La prescription de benzodiazépines au décours du
trauma semble donc devoir demeurer prudente,
ponctuellement destinée à lutter contre des
symptômes d’hyperréactivité neurovégétative très
intenses dans le contexte de l’urgence, et sans bénéfice préventif à attendre sur une éventuelle évolution
psychotraumatique.
Interventions sur la transmission
glutamatergique : antiglutamate
La dissociation péritraumatique est un phénomène
clinique dans lequel des sous-types de récepteurs
glutamatergiques NMDA (N-méthyl-D-aspartate)
jouent un rôle important. Agissant sur la diminution de la libération de glutamate, un agoniste
des récepteurs NMDA tel que la lamotrigine s’est
avéré efficace dans la diminution des symptômes
dissociatifs et des distorsions cognitives induits
par la kétamine chez des volontaires sains (13).
La molécule devrait logiquement faire l’objet
d’essais cliniques dans l’état de stress aigu ou la
dissociation péritraumatique. Des consignes de
prudence demeurent cependant de mise, car les
efforts précoces du clinicien pour lutter pharmacologiquement contre les manifestations cliniques
immédiates par cet effet antiglutamate pourraient
également entraver les phénomènes d’apprentissage et les processus d’extinction au point de handicaper les processus de récupération.
Interventions sur la transmission
sérotoninergique : néfazodone,
mirtazapine, buspirone et
antidépresseurs sérotoninergiques
Les systèmes sérotoninergiques sont une des principales cibles des réactions de stress, notamment
dans l’amygdale. Les actions sur les voies sérotoninergiques représentent donc des perspectives intéressantes. Si l’antagoniste sérotoninergique 5-HT2A
néfazodone présente cet intérêt théorique, il est
surtout reconnu comme ayant un impact déterminant sur les symptômes clés de l’ESPT constitué ainsi
que sur certains symptômes associés tels que l’irritabilité et les troubles du sommeil (14). En revanche,
cette efficacité a également été validée sur les symptômes dissociatifs, ce qui laisse présager d’un intérêt
en prévention secondaire. De la même manière,
la mirtazapine est considérée comme susceptible
de contrôler la charge anxieuse et l’hyperréactivité
neurovégétative dans l’ESPT ; nous attendons des
travaux plus ciblés la concernant dans les troubles
aigus. À l’heure où la France voit apparaître des indications officielles pour certains inhibiteurs sélectifs
de recapture de la sérotonine (ISRS) dans le traitement du trouble constitué, certains pourraient être
tentés d’utiliser cette classe thérapeutique précocement après la survenue de l’événement traumatique.
Une grande prudence s’impose, car ces molécules
sont susceptibles de majorer la composante anxieuse
et semblent, sur la base notamment de travaux
précliniques, participer de l’aggravation du risque
de développer un ESPT si elles interviennent trop
tôt. En pratique, cette prescription ne semble pas
indiquée dans le premier mois qui suit l’événement,
par exemple chez les sujets en état de stress aigu.
Interventions sur la transmission
histaminergique : hydroxyzine
Des arguments nombreux et convergents indiquent
que la voie histaminergique est très impliquée
dans les phénomènes de stress, notamment
dans le maintien de la vigilance, l’hyperéveil, les
réponses cognitives au stress ou les phénomènes
de conditionnement de la peur. Dans les troubles
psychotraumatiques, l’intérêt théorique du blocage
histaminergique par l’hydroxyzine est ainsi double :
éviter la mise en place des phénomènes de conditionnement au niveau hippocampique et contrôler
le retentissement de l’hyperadrénergie sur l’amygdale. Néanmoins, si dans notre expérience clinique,
l’hydroxyzine, prescrite dans les toutes premières
heures qui suivent l’exposition à l’événement à une
posologie de 50 à 100 mg/j, a pu faire preuve d’une
réelle efficacité, la seule étude contrôlée menée à
ce jour n’a pas permis de confirmer formellement
ces résultats.
Le traitement du trouble
constitué : l’état de stress
post-traumatique
Malgré la complexité étiopathogénique du trouble
constitué et la multiplicité des voies neurobiologiques concernées, la pharmacologie de l’ESPT
représente un champ relativement homogène, et
la majorité des auteurs s’accordent à relever la bonne
efficacité d’un nombre relativement restreint de
La Lettre du Psychiatre • Vol. IX - no 3 -mai-juin 2013 | 101
DOSSIER THÉMATIQUE
Autour du traumatisme
psychique
Traumatisme psychique et état de stress post-traumatique :
de la prévention au traitement pharmacologique
classes thérapeutiques et de molécules. De plus,
depuis quelques années, les biais des premiers
travaux des années 1980 sont évités, travaux qui
ont en effet trop longtemps porté sur des populations uniques de vétérans de guerre, un peu trop
exclusivement des hommes, ou encore qui ne disposaient pas du recul suffisant ou qui ne prenaient pas
en considération la comorbidité ou le retentissement global du trouble. C’est sur la foi de résultats
d’études contrôlées (randomisées en double aveugle
versus placebo), maintenant nombreuses, qu’ont pu
émerger des conférences de consensus, des recommandations et une revue Cochrane. Ces travaux ne
concernent pas moins de 25 molécules issues de
14 classes thérapeutiques différentes.
En toute cohérence avec plusieurs recommandations internationales et le National Institute of
Clinical Excellence (NICE), un consensus franc se
dégage actuellement sur l’intérêt des ISRS (15). En
2006, une toute première revue Cochrane confirmait déjà l’efficacité de cette classe en première
ligne. Beaucoup plus récemment, J.C. Ipser et D.J.
Stein revisitaient l’ensemble des travaux traitant de
la pharmacologie de l’ESPT en retenant 37 études
contrôlées d’une durée allant de 4 à 24 semaines,
portant sur pas moins de 1 940 admissibles, suivant
des critères méthodologiques très stricts et enrôlant plus de 5 000 patients (1). Si l’intérêt des sérotoninergiques était confirmé, l’enthousiasme initial
s’est vu un peu modéré, car l’efficacité clinique
semble encore inconstante, les durées de traitement demeurent mal définies et si l’association
avec d’autres molécules est manifestement efficace,
se pose encore la question de la monothérapie. En
outre, d’autres classes thérapeutiques semblent
présenter un profil très prometteur, notamment
après l’échec des ISRS ou en cas d’ESPT complexes
ou chronicisés.
Inhibiteurs spécifiques de la recapture
de la sérotonine et inhibiteurs
de recapture de la sérotonine
et de la noradrénaline
Antidépresseurs tricycliques et
inhibiteurs de monoamine oxydase
Nouveaux antidépresseurs
Sur des bases théoriques suggérant des liens
cliniques et neurobiologiques entre l’attaque de
panique et les symptômes de répétition de l’ESPT,
les antidépresseurs tricycliques et les inhibiteurs
de monoamine oxydase (IMAO) ont fait l’objet des
premiers travaux contrôlés dans les années 1980.
La désipramine, l’amitriptyline, l’imipramine, la
phénelzine ou encore le broforamine ont pu s’avérer
efficaces, ces molécules ne sont actuellement plus
à privilégier (16).
102 | La Lettre du Psychiatre • Vol. IX - no 3 - mai-juin 2013
Les antidépresseurs sérotoninergiques ciblent fortement la réponse émotionnelle par leur activité dans
la modulation de la réponse au stress, l’impulsivité,
les intrusions et, plus largement, la régulation de
l’anxiété. Ils ont donc fait l’objet de très nombreux
travaux concluant à leur efficacité, leur tolérance
et leur sécurité d’emploi. Ils représentent actuellement la classe de première intention dans la pharmacologie de l’ESPT constitué, bien que la poursuite
de travaux semble encore nécessaire à certains (17).
Si ces molécules se sont initialement avérées efficaces en favorisant la réduction symptomatique
du trouble ainsi que la prévention de la rechute,
la réponse au traitement serait finalement plutôt
modeste, les bons répondeurs ne représentant en
moyenne que 60 à 70 % des sujets traités quand
seuls 30 à 40 % bénéficieraient d’une guérison
totale du trouble (18).
La fluoxétine a été la première molécule étudiée,
mais actuellement nous ne disposons d’indications
officielles que pour la sertraline, aux États-Unis,
et la paroxétine, aux États-Unis et en Europe. Si
l’efficacité de ces 3 molécules semble très comparable à la fois dans le traitement curatif du trouble
constitué et dans la prévention de la rechute, la
sertraline semblerait un peu moins bien tolérée
que les 2 autres (16).
La venlafaxine et la mirtazapine ont représenté des
pistes thérapeutiques intéressantes, sans que la
littérature puisse cependant hiérarchiser l’intérêt
de l’une ou de l’autre de ces molécules. Cela a fait
évoquer la possibilité d’un véritable effet commun
lié à la classe elle-même (19, 20).
Après que plusieurs études ouvertes ont relevé une
efficacité intéressante de la néfazodone, tant sur
la globalité du trouble que, spécifiquement, sur les
cauchemars et la dimension anxieuse, des travaux
contrôlés ont permis de relever une efficacité significative de la molécule, assortie de consignes de
prudence quant à l’hépatotoxicité du produit. De
profil comparable, notamment sur l’activité 5-HT2
et α1-adrénergique, la trazodone est proposée
en coprescription pour améliorer les troubles du
sommeil induits ou non contrôlés par les ISRS (21).
DOSSIER THÉMATIQUE
Anticonvulsivants
Du fait de leur effet antikindling permettant de lutter
contre l’hypersensibilisation limbique, la classe des
anticonvulsivants semble représenter une alternative théoriquement privilégiée. Il s’agit en revanche
d’un groupe très hétérogène dont les mécanismes
d’action demeurent à l’heure actuelle complexes et
pas toujours précisément compris. Si l’utilisation de
la carbamazépine ou de la gabapentine, seules ou en
association avec des ISRS, a été considérée comme
efficace dans le cadre de travaux ouverts, les inhibiteurs glutamatergiques que sont la lamotrigine et le
topiramate ont fait l’objet de travaux non contrôlés
chez l’être humain (13). C’est également le cas de la
tiagabine : une étude multicentrique très robuste a
été menée sur 12 semaines et n’atteint pas le seuil
de significativité en termes d’efficacité.
Si les anticonvulsivants ont longtemps été considérés
comme très prometteurs, les travaux les plus récents
tendent ainsi à modérer cet impact (22).
certains symptômes associés à des ESPT chroniques,
complexes et résistants, ou encore dans des formes
cliniques très dissociatives. Actuellement, des antipsychotiques atypiques tels que l’olanzapine, la
rispéridone ou la quétiapine ont fait preuve d’un
intérêt clinique, notamment à faible posologie et
en traitement adjuvant aux ISRS (23).
Conclusion
Antipsychotiques
Finalement, l’intérêt des ISRS (paroxétine, sertraline et fluoxétine) est confirmé ; le citalopram, la
mirtazapine, tout comme les anticonvulsivants, ont
été jugés efficaces, mais les travaux les concernant
doivent se poursuivre. Du côté des antipsychotiques,
la rispéridone semble présenter un intérêt spécifique
en deuxième intention. Face à l’ESPT constitué, il
semble recommandé de poursuivre le traitement par
ISRS à pleine posologie pendant au moins 1 an, tout
en rappelant les consignes de grande vigilance clinique
durant les 2 premiers mois qui suivent un arrêt, lequel
doit demeurer prudent et progressif afin d’éviter les
rechutes.
■
Des rapports de cas ont suggéré une efficacité
très focalisée des neuroleptiques classiques sur
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.
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La Lettre du Psychiatre • Vol. IX - no 3 -mai-juin 2013 | 103
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