L’Encéphale, 2007 ;
33 :
352-5, cahier 1 Pseudo-démence conversive et état de stress post-traumatique
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Résumé.
Les états de stress post-traumatique (ESPT) sont
souvent associés à d’autres troubles psychiatriques, mais la
comorbidité avec les troubles somatoformes est peu étudiée.
Le cas décrit dans cet article concerne un patient souffrant
d’un ESPT déclenché par une agression sexuelle vécue à
l’âge de 8 ans. Le déroulement de son histoire est néanmoins
très particulier puisque l’agression a eu lieu plus de trente ans
avant l’apparition des troubles. Pendant la plus grande partie
de sa vie, entre 13 et 43 ans, le patient avait complètement
occulté l’événement traumatique. Puis, pour des raisons
inconnues, il développa un syndrome conversif pseudo-neu-
rologique mimant un état démentiel inquiétant, qui persista
plus d’un an. La disparition des symptômes neurologiques
et la remémoration du traumatisme furent brutales, après que
le patient ait vu, au cinéma, un film relatant l’histoire d’un
homme victime d’une agression sexuelle. Apparurent alors
les symptômes typiques d’un ESPT, puis d’un état dépressif
sévère compliqué d’une tentative de suicide par pendaison.
Les liens entre ESPT et conversion devraient faire l’objet
d’études plus approfondies, d’un point de vue épidémiologi-
que, clinique et de neuro-anatomie fonctionnelle.
Mots clés :
Abus sexuel ; Amnésie ; Conversion ; État de stress
post-traumatique.
INTRODUCTION
Les états de stress post-traumatique (ESPT) ont des
présentations multiples et sont souvent associés à
d’autres troubles psychiatriques, en particulier aux trou-
bles de l’humeur et aux addictions (6, 10). En ce qui con-
cerne les troubles de la personnalité, les données sont
moins nombreuses, même si quelques études font état
d’une plus grande fréquence des troubles du cluster B
chez les patients souffrant d’ESPT (8). C’est en particulier
la personnalité
borderline
qui est le plus souvent citée, et
des traits comme la labilité émotionnelle, la méfiance, les
perturbations de l’identité, le retrait et l’évitement social,
et le sentiment chronique de vide et d’ennui sont consi-
dérés comme caractéristiques (9). Les approches dimen-
sionnelles de personnalité, celle de Cloninger par exem-
ple, mettent surtout en évidence une élévation de la
dimension Recherche de la nouveauté chez les person-
nes présentant un ESPT (7). Avec une autre approche,
les mécanismes de défense retrouvés sont également
ceux de la lignée névrotique (1).
Même si cliniquement des caractéristiques d’histrio-
nisme, de dépendance et de dissociation sont souvent
associées à l’ESPT, les phénomènes conversifs n’ont que
très peu été étudiés dans cette pathologie. Pourtant, dès
le
XIXe
siècle, Charcot mit en évidence le rôle fondamental
joué par les traumatismes dans l’histoire des patientes
considérées comme « hystériques » (3). Les travaux de
Janet permirent également de mieux comprendre les liens
entre les phénomènes dissociatifs et les traumas (4).
Nous rapportons ici un cas qui permet de ré-interroger
spécialement les rapports entre conversion et psychotrau-
matisme. Un consentement écrit a été donné et signé par
le patient en cause pour la rédaction de cet article, après
information sur les conditions de parution.
UNE ÉNIGME NEUROLOGIQUE
Les troubles du patient débutent en 2002, à l’âge de
43 ans. Il est marié, père de deux filles étudiantes, et tra-
vaille comme agent commercial dans une grande société.
Il n’a aucun antécédent personnel psychiatrique ni soma-
tique, ni aucun antécédent familial. Un jour d’octobre
2002, il présente brutalement à son travail des troubles
du comportement : il sort de son bureau, va chercher un
café et se retrouve dans le couloir ne sachant pas ce qu’il
était en train de faire. Les jours suivants, les symptômes
s’aggravent et se compliquent de troubles du langage,
avec une aphasie fluctuante, par moment quasi totale. Les
épisodes de troubles comportementaux se répètent : il
jette des assiettes à la poubelle ou range des serviettes
dans le four à micro-ondes. Des symptômes moteurs sur-
viennent quelques semaines plus tard, marqués par une
boiterie et une faiblesse des membres de l’hémicorps gau-
che, un tremblement d’action des membres et de la tête
et surtout de la main gauche (le patient est gaucher), et
un déséquilibre à la marche avec des chutes fréquentes.
À cette période, le patient est hospitalisé en neurologie
pour l’exploration de ces troubles. Plusieurs examens
neurologiques complets sont pratiqués, et ne trouvent pas
tous les mêmes résultats. Sont toujours notées une ataxie
présente les yeux ouverts, une hypoesthésie hémicorpo-
relle à tous les modes, et une difficulté de maintien de la
posture aux manœuvres de Barré et Mingazzini.
Plusieurs passations de l’échelle MMSE fournissent
des scores variant entre 18 et 20 sur 30. Un bilan neuro-
psychologique confirme l’affaiblissement du niveau intel-
lectuel, un syndrome aphasique et un syndrome dysexé-
cutif franc. Le QI verbal (Binois-Pichot) ne s’élève qu’à 83,
et le PM 38 à 96. L’échelle d’efficience globale de Mattis
fournit un score de 105 sur 144. Un bilan approfondi met
en évidence un syndrome frontal significatif (score frontal
à 35/60) portant entre autres sur les capacités d’évocation,
l’élaboration de concepts, le maintien de règles, la flexi-
bilité mentale, les stratégies de rappel en mémoire épiso-
dique. L’ensemble des tests effectués fait évoquer une
baisse majeure de l’efficience intellectuelle avec une très
nette prédominance de l’atteinte des fonctions exécutives.
Ce syndrome d’allure démentielle, associé à des trou-
bles moteurs et sensitifs, fait évoquer différentes étiolo-
gies par atteinte cérébrale structurelle (démence dégéné-
rative frontale, maladie de Huntington, de Wilson,
épilepsie partielle complexe, etc.). Toutefois, le bilan com-
plémentaire effectué à la fin de l’année 2002 ne révèle
aucune anomalie : EEG standard et Holter, scanner céré-
bral sans et avec injection, SPECT cérébral, IRM céré-
brale, radiographie et scanner thoraciques, échographie
des troncs supra-aortiques, ponction lombaire, bilan bio-
logique très approfondi avec notamment diverses sérolo-
gies (VIH, Lyme, TPHA, VDRL, HTLV 1 et 2) et recherches
immunologiques (complément, anticorps anti-ENA, auto-