D TRIBUNE Grippe A/H1N1 mexicaine : peu de certitudes, beaucoup d’incertitudes

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78 | La Lettre du Pneumologue Vol. XII - n° 4-5 - juillet-août-septembre-octobre 2009
Grippe A/H1N1 mexicaine : peu de certitudes,
beaucoup d’incertitudes1
Mexican flu: more doubts than certainties
E. Caumes*
1 © La Lettre de l’Infectiologue 2009;4:
130-2.
*  Rédacteur  en  chef  de  La Lettre de l’In-
fectiologue;  président  de  la  Société  de 
médecine des voyages ;professeur des uni-
versités,  université  Pierre-et-Marie-Curie ; 
praticien  hospitalier,  service  des  maladies 
infectieuses  et  tropicales,  groupe  hospita-
lier Pitié-Salpêtrière, Paris.
D
ifficile d’échapper, cet été, à un édito-
rial sur la grippe A/H1N1, initialement
(mal) nommée “porcine”, et que l’on dira
“mexicaine”. Difficile aussi d’écrire des choses
dignes d’intérêt, car, en matière de grippe, ce qui
est écrit maintenant peut facilement être devenu
faux une fois l’article mis en page. Nous nous limi-
terons donc aux quelques certitudes disponibles.
Un emballement médiatique
disproportionné
Cette grippe est partout, quasi quotidiennement,
depuis avril 2009, dans la presse quotidienne (Le 
Monde, Libération, Le Figaro, Le Parisien, Ouest 
France), sans parler des autres médias. Et c’est
beaucoup trop. Comment justifier un tel embal-
lement pour une maladie ayant provoqué, à ce
jour, quelques décès en France depuis le début
de l’épidémie contre plus de 400 décès par
accident de la route en juillet et 217 décès par
noyade entre le 1er juin et le 9 août (données
InVS) ? Ces constatations ne relèvent pas de cet
éditorial mais plutôt de philosophes et de socio-
logues, observateurs de notre société et de ses
individus. D’ailleurs, les opinions contraires à
cet emballement trouvent difficilement leur
place dans les médias, à l’exception de notoires
professeurs retraités, B. Debré ou M. Gentilini,
par exemple. Ce phénomène nest pas propre
à la France. Ainsi, au moment l’épidémie
touche l’Inde (1 milliard 200 millions d’habi-
tants, plusieurs milliers de cas probables, 1 390 cas
déclarés et 21 décès possiblement attribuables à
la grippe A/ H1N1 à ce jour), le représentant local
de l’OMS, Jai Narain, au vu des répercussions sur
la population (rues vides, magasins serts, etc.),
s’exprime, le 20 août 2009 : “le délire ou l’hystérie
ont pris une ampleur sans aucune mesure avec la
réalité d’ensemble de la maladie.Pour mémoire,
en Inde, la tuberculose fait 1 000 morts par jour...
Une grippe plus mexicaine
que porcine
Même si le génome de cette grippe contient des
éléments de virus du porc, il n’a pas été trouvé
chez l’animal, mais chez l’homme. De plus, le
porc est un “lieu” de réassemblage classique
des virus de la grippe, lesquels sont, pour la
plupart, “porcins”. Surtout, la tradition est de
nommer les épidémies (et virus) de la grippe
en fonction de leur lieu de première descrip-
tion : grippe espagnole de 1918-1919, grippe
asiatique de 1957-1958, grippe de Hong Kong
de 1967-1968. Dès lors, il n’y a aucune raison,
autre que “politique”, de ne pas nommer cette
épidémie grippe mexicaine”, à moins qu’il
ne s’agisse d’une grippe californienne”, le
lieu exact de départ restant encore ouvert au
débat. Mais, apparemment, les Américains ne
souhaitent pas l’ouvrir pour le moment. Et les
Mexicains n’ont pas plus envie d’endosser la
paternité de ce variant. Connaissant la poro-
sité de cette frontière, elle est probablement
“mexicano-californienne”. Une autre raison de
se référer au terme de grippe mexicaine est le
fait qu’il existe déjà un virus A/H1N1 circulant,
qui entre même dans la composition actuelle du
vaccin. Mais le changement dans l’hémaggluti-
nine est si important qu’il n’y a pas de relation
antigénique significative entre les 2 souches de
A/ H1N1 maintenant en circulation, et donc pas
de protection croisée à attendre.
1918 : une autre époque
La comparaison récurrente avec la grippe de
1918 finit par agacer. Nous ne sortons pas
d’une guerre qui a fait des millions de morts et
tout désorganisé. La population française est
infiniment moins fragile et dénutrie qu’après
la Première Guerre mondiale. Nous avons des
antibiotiques et des antiviraux, des masques
et des gants, des unités de réanimation et
des respirateurs. Nous pouvons fabriquer des
vaccins très rapidement et cette prouesse tech-
nologique doit être soulignée. On ne comprend
donc pas très bien l’intérêt de se référer à cette
épidémie-là, à moins d’alimenter le sensation-
nalisme et le catastrophisme ambiants, devenus
l’une des principales sources d’intérêt de nos
médias. Le rôle des médias devrait plutôt être
de rappeler certaines réalités historiques.
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La grippe,
maladie du voyageur
Comme d’habitude, le voyageur a joué son rôle
de sentinelle épidémiologique et d’exportateur
d’agent infectieux. La grippe saisonnière est une
maladie connue chez les voyageurs. Les infec-
tions respiratoires et la fièvre sont parmi les
4 principaux motifs de consultation au retour
de voyage (avec les dermatoses et la diarrhée).
Et la grippe explique certaines de ces infec-
tions. Le diagnostic de grippe saisonnière a été
porté chez 20 % de voyageurs suisses fébriles
et l’incidence de cette grippe a été estimée, à
1/100 personnes et par mois de voyage (1). De
plus, de nombreuses épidémies de grippe ont
été observées dans des groupes particuliers de
voyageurs : voyages en groupe, pèlerinages,
transports aériens (les taux d’attaque peuvent
atteindre près de 80 %) et maritimes.
Grippe,grippette
ou grippounette”
Avec le peu de recul de l’été et de la mesure de
l’impact de l’épidémie dans les pays du Sud, les
formes graves apparaissent peu nombreuses et
la létalité est estimée inférieure ou égale à celle
de la grippe saisonnière (0,1 à 0,4 %), grippe dont
on ne parle quasiment jamais dans les médias
même si elle fait entre 4 000 et 6 000 morts
par an en France. Aux États-Unis (plus de
200 millions d’habitants), chaque année, on
estime le nombre de personnes infectées entre
5 et 20 % de la population, le nombre d’hospita-
lisations à plus de 200 000 et le nombre de morts
à 36 000 (2, 3). Cette impression de bénignité est
partagée par les cliniciens qui ont vu les malades.
Dans le service, nous avons hospitalisé plusieurs
dizaines de cas au retour de voyages. Le quali-
ficatif de “grippette” a été utilisé par B. Debré
(Le Journal du Dimanche, 26 juillet 2009), mais,
entre nous, on parle plus de “grippounette”. On
connaît notre esprit carabin. Plus sérieusement,
la grippe reste la grippe, une maladie potentielle-
ment grave, surtout sur certains terrains, inutile
d’en rappeler la liste ici. Et elle est d’autant plus
grave que les patients n’ont pas reçu en temps
utile le médicament efficace.
Le traitement médical précoce
est efficace
Pour être efficace, le traitement doit effecti-
vement être pris tôt, comme souvent dans les
maladies infectieuses. Au-delà de 48 heures
après le début des signes, l’efficacité du traite-
ment est moins évidente. Même si cela ne doit
pas empêcher de traiter les malades les plus
sévères ou les plus à risque au-delà de ce délai,
c’est à garder à l’esprit. Ainsi, parmi les malades
décédés de la grippe aux États-Unis et ailleurs,
peu d’entre eux ont reçu un médicament anti-
viral et encore moins nombreux sont ceux qui
l’ont reçu dans les 48 heures suivant le début
des symptômes. Par exemple, dans l’étude des
femmes enceintes grippées aux États-Unis,
aucune de celles qui sont décédées n’avait reçu
un antiviral dans les 48 heures suivant le début
des signes (4). Ce rappel quant à la nécessité de
traiter précocement pourrait néanmoins aboutir
à surtraiter les malades, attitude potentielle-
ment inquiétante dans un contexte de pénurie
future de médicament efficace. Mais ce sont
surtout les “malades” qui viennent consulter. Et
nous sommes avant tout des “docteurs”. Toute-
fois, il faudrait être sûr que ces “malades” ont la
grippe, et non pas une autre virose respiratoire
ne relevant pas d’un traitement antiviral.
Même si des souches résistantes aux inhibi-
teurs de la neuramidinase ont commencé à
être décrites, le traitement par oseltamivir (ou
zanamivir) reste efficace. Mais la surveillance très
attentive des mutations des virus grippaux est
constante et l’émergence de cette résistance est
guettée. De fait, l’acquisition de cette résistance
est possible au cours du temps et cela représente
un argument de plus pour développer rapide-
ment des vaccins.
Une prise en charge initiale
inadaptée et trop coûteuse
Prendre en charge des patients dans le cadre
d’épidémies de maladies infectieuses conta-
gieuses coûte très cher, beaucoup plus cher
que le coût estimé habituellement pour les
patients hospitalisés. Surtout quand on respecte
à la lettre les règles adaptées pendant les deux
premiers mois de la pandémie. Car, eu égard à la
bénignité des formes observées chez les patients
initialement hospitalisés et à la très courte
durée de leur hospitalisation, on peut dire,
pour adopter un langage mal aimé, que nous
n’avons pas été rentables du tout en isolant et
en hospitalisant des patients qui auraient pu
rester chez eux sans problèmes. Nous avons
obéi aux ordres”
Pourtant, très tôt, l’allègement du dispositif
d’accueil et de prise en charge de ces patients
a été demandé (par J.P. Stahl, président de la
Société de pathologie infectieuse de langue
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française [SPILF], dans une lettre ouverte aux
tutelles du 8 juin 2009). Nous avons mis beau-
coup de temps à être entendu. Le virus, comme
le nuage de Tchernobyl, aurait-il pu s’arrêter
aux frontières de la France ? Les politiques l’ont
peut-être espéré. En maladies infectieuses, nous
sommes cependant tous concernés, et souvent
au-delà des frontières tracées par la géographie
ou l’homme. Finalement, la constatation défi-
nitive de la pandémie et de la diffusion du virus
partout en France a eu raison de l’acharnement
des autorités à vouloir confiner la grippe dans
des hôpitaux de référence. Et c’est tant mieux.
Un milliard d’euros
pour le vaccin
Un milliard d’euros, c’est le montant de la
somme accordée par les autorités françaises aux
laboratoires pharmaceutiques pour développer
un vaccin (le montant de la somme, aux États-
Unis, était de 1 milliard de dollars à la mi-août
2009). C’est une nouvelle dont les laboratoires
pharmaceutiques, entreprises privées, doivent
se réjouir. Mais il est d’abord bien de noter l’in-
vestissement fait par les pouvoirs publics quand
la santé de la population est potentiellement
mise en danger. C’est une application du prin-
cipe de précaution, ici comme dans d’autres
domaines. Ce n’est pas le cas de bien des pays.
Nous sommes privilégiés. Cela coûte aussi
très cher. Et ce privilège rend certains d’entre
nous mal à l’aise. Pour M. Gentilini, c’est une
mesure qui est dans la démesure”, alors que la
pandémie actuelle est qualifiée de “pandémie
de l’indécence” (Le Monde, 6 août 2009). Un
seul chiffre : cette somme représenterait 3 fois
plus que l’aide de la France aux pays en voie de
développement (dans ces pays, le nombre de
décès annuels dus au paludisme est estimé à
1 million). Effectivement, la comparaison est
instructive. D’un autre côté, la baisse de la TVA
dans la restauration a coûté au contribuable pas
loin de 3 milliards d’euros, somme considérée
comme “une poignée de cacahuètes sur fond de
dèche budgétaire” (Le Canard Enchaîné, 19 août
2009). Le gouffre de la dette se creuse, mais
c’est un autre problème… En fait, comme le
conclut M. Gentilini, “un mort ici compte beau-
coup plus que des milliers ailleurs”. Les pays
du Sud n’affronteront pas cette maladie avec
les mêmes facilités que nous. C’est malheureu-
sement vrai pour beaucoup de maladies et de
nombreuses autres choses ; et la grippe vient
nous rappeler ce fossé, pas seulement sanitaire,
qui s’élargit.
Un vaccin espéré
sans effets indésirables
En matière d’efficacité vaccinale, force est d’at-
tendre les résultats des essais en cours, mais
rappelons quand même que l’efficacité du vaccin
antigrippal habituel n’est pas celle du vaccin contre
la fièvre jaune. Le vaccin permet de prévenir la
grippe chez 70 % à 90 % des personnes vaccinées.
Il réduit jusqu’à 60 % la gravité de la maladie chez
les personnes âgées, et jusquà 80 % le risque de
mortalité (5). Et il faudra peut-être 2 injections
plutôt que 1. Enfin, ce vaccin sera disponible
dans des temps records, à peine 6 mois après le
but de l’épidémie. Les effets insirables poten-
tiels font tout de même réfléchir nos collègues
américains (6). De fait, ils ont déjà eu, en 1976,
l’expérience d’une épidémie de virus “porcin”
A/H1N1 et, dans l’attente d’une épidémie (qui n’est
jamais venue), ils avaient vacciné des dizaines de
milliers de volontaires avec le candidat vaccin.
Un syndrome de Guillain-Barré fut obser chez
environ 500 personnes (8,8 cas pour 1 million de
vaccinés contre 1 cas pour 1 million de personnes
non vaccinées) avec 25 décès. Ces résultats ont
été ensuite rediscutés, l’incidence du syndrome de
Guillain-Bar a été poussée à la hausse et celle des
cas imputés à la vaccination abaissée, si bien que
le risque relatif s’en est réduit d’autant, la diffé-
rence devenant plus ou moins significative selon les
études. Quoi qu’il en soit, pendant ce temps, lépi-
mie de grippe A/H1N1, restée finalement limie
à Fort Dix, aux États-Unis, avait touc 230 soldats
et fait 1 mort. Une telle histoire ne devrait pas se
reproduire ici. Des spécialistes de la vaccination
telle Brigitte Autran ne sont pas inquiets. Pour
elle, “les adjuvants utilisés sont classiques,
largement utilisés pour d’autres vaccins… Les effets
secondaires sont faibles et connus… Des centaines
de milliers de personnes ont été vaccinées avec ce
type d’adjuvants, sans effets secondaires sérieux
(Libération, 16 septembre 2009). Néanmoins, il
nous faudra être pharmacovigilant.
En pratique
Dans l’attente de la vaccination antigrippale
A/ H1N1 mexicaine, la principale recommanda-
tion que l’on puisse faire est de ne pas oublier
de se vacciner contre la grippe saisonnière et de
recommander cette vaccination aux voyageurs,
aux enfants, aux femmes enceintes, et à toutes
les personnes à risque. Il nous faut être particu-
lièrement attentif au personnel soignant, car la
couverture vaccinale antigrippale est loin dêtre
parfaite parmi nous (5).
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2009;200(3):321-8.
1 / 3 100%

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