TRIBUNE
80 | La Lettre du Pneumologue • Vol. XII - n° 4-5 - juillet-août-septembre-octobre 2009
française [SPILF], dans une lettre ouverte aux
tutelles du 8 juin 2009). Nous avons mis beau-
coup de temps à être entendu. Le virus, comme
le nuage de Tchernobyl, aurait-il pu s’arrêter
aux frontières de la France ? Les politiques l’ont
peut-être espéré. En maladies infectieuses, nous
sommes cependant tous concernés, et souvent
au-delà des frontières tracées par la géographie
ou l’homme. Finalement, la constatation défi-
nitive de la pandémie et de la diffusion du virus
partout en France a eu raison de l’acharnement
des autorités à vouloir confiner la grippe dans
des hôpitaux de référence. Et c’est tant mieux.
Un milliard d’euros
pour le vaccin
Un milliard d’euros, c’est le montant de la
somme accordée par les autorités françaises aux
laboratoires pharmaceutiques pour développer
un vaccin (le montant de la somme, aux États-
Unis, était de 1 milliard de dollars à la mi-août
2009). C’est une nouvelle dont les laboratoires
pharmaceutiques, entreprises privées, doivent
se réjouir. Mais il est d’abord bien de noter l’in-
vestissement fait par les pouvoirs publics quand
la santé de la population est potentiellement
mise en danger. C’est une application du prin-
cipe de précaution, ici comme dans d’autres
domaines. Ce n’est pas le cas de bien des pays.
Nous sommes privilégiés. Cela coûte aussi
très cher. Et ce privilège rend certains d’entre
nous mal à l’aise. Pour M. Gentilini, “c’est une
mesure qui est dans la démesure”, alors que la
pandémie actuelle est qualifiée de “pandémie
de l’indécence” (Le Monde, 6 août 2009). Un
seul chiffre : cette somme représenterait 3 fois
plus que l’aide de la France aux pays en voie de
développement (dans ces pays, le nombre de
décès annuels dus au paludisme est estimé à
1 million). Effectivement, la comparaison est
instructive. D’un autre côté, la baisse de la TVA
dans la restauration a coûté au contribuable pas
loin de 3 milliards d’euros, somme considérée
comme “une poignée de cacahuètes sur fond de
dèche budgétaire” (Le Canard Enchaîné, 19 août
2009). Le gouffre de la dette se creuse, mais
c’est un autre problème… En fait, comme le
conclut M. Gentilini, “un mort ici compte beau-
coup plus que des milliers ailleurs”. Les pays
du Sud n’affronteront pas cette maladie avec
les mêmes facilités que nous. C’est malheureu-
sement vrai pour beaucoup de maladies et de
nombreuses autres choses ; et la grippe vient
nous rappeler ce fossé, pas seulement sanitaire,
qui s’élargit.
Un vaccin espéré
sans effets indésirables
En matière d’efficacité vaccinale, force est d’at-
tendre les résultats des essais en cours, mais
rappelons quand même que l’efficacité du vaccin
antigrippal habituel n’est pas celle du vaccin contre
la fièvre jaune. Le vaccin permet de prévenir la
grippe chez 70 % à 90 % des personnes vaccinées.
Il réduit jusqu’à 60 % la gravité de la maladie chez
les personnes âgées, et jusqu’à 80 % le risque de
mortalité (5). Et il faudra peut-être 2 injections
plutôt que 1. Enfin, ce vaccin sera disponible
dans des temps records, à peine 6 mois après le
début de l’épidémie. Les effets indésirables poten-
tiels font tout de même réfléchir nos collègues
américains (6). De fait, ils ont déjà eu, en 1976,
l’expérience d’une épidémie de virus “porcin”
A/H1N1 et, dans l’attente d’une épidémie (qui n’est
jamais venue), ils avaient vacciné des dizaines de
milliers de volontaires avec le candidat vaccin.
Un syndrome de Guillain-Barré fut observé chez
environ 500 personnes (8,8 cas pour 1 million de
vaccinés contre 1 cas pour 1 million de personnes
non vaccinées) avec 25 décès. Ces résultats ont
été ensuite rediscutés, l’incidence du syndrome de
Guillain-Barré a été poussée à la hausse et celle des
cas imputés à la vaccination abaissée, si bien que
le risque relatif s’en est réduit d’autant, la diffé-
rence devenant plus ou moins significative selon les
études. Quoi qu’il en soit, pendant ce temps, l’épi-
démie de grippe A/H1N1, restée finalement limitée
à Fort Dix, aux États-Unis, avait touché 230 soldats
et fait 1 mort. Une telle histoire ne devrait pas se
reproduire ici. Des spécialistes de la vaccination
telle Brigitte Autran ne sont pas inquiets. Pour
elle, “les adjuvants utilisés sont classiques, déjà
largement utilisés pour d’autres vaccins… Les effets
secondaires sont faibles et connus… Des centaines
de milliers de personnes ont été vaccinées avec ce
type d’adjuvants, sans effets secondaires sérieux”
(Libération, 16 septembre 2009). Néanmoins, il
nous faudra être pharmacovigilant.
En pratique
Dans l’attente de la vaccination antigrippale
A/ H1N1 mexicaine, la principale recommanda-
tion que l’on puisse faire est de ne pas oublier
de se vacciner contre la grippe saisonnière et de
recommander cette vaccination aux voyageurs,
aux enfants, aux femmes enceintes, et à toutes
les personnes à risque. Il nous faut être particu-
lièrement attentif au personnel soignant, car la
couverture vaccinale antigrippale est loin d’être
parfaite parmi nous (5). ■
Références
bibliographiques
1. Mutsch M, Tavernini M, Marx A
et al. Influenza virus infection in
travelers to tropical and subtro-
pical countries. Clin Infect Dis
2005;40(9):1282-7.
2. Thompson WW, Shay DK, Wein-
traub E et al. Mortality associated
with influenza and respiratory
syncytial virus in the United States.
JAMA 2003;289:179-86.
3. Thompson WW, Shay DK, Wein-
traub E et al. Influenza-associated
hospitalizations in the United
States. JAMA 2004;292:1333-40.
4. Jamieson DJ, Honein MA,
Rasmussen SA et al. Novel
Influenza A (H1N1) Pregnancy
Working Group. H1N1 2009
influenza virus infection during
pregnancy in the USA. Lancet 2009;
374(9688):451-8.
5. Pearson ML, Bridges CB, Harper SA;
Healthcare Infection Control
Practices Advisory Committee
(HICPAC); Advisory Committee
on Immunization Practices (ACIP).
Influenza vaccination of healthcare
personnel: recommendations of
the HICPAC and the ACIP. MMWR
Recomm Rep 2006;55(RR-2):1-16.
6. Evans D, Cauchemez S,
Hayden FG. “Prepandemic” immu-
nization for novel influenza viruses,
“swine flu” vaccine, Guillain-Barré
syndrome, and the detection of rare
severe adverse events. J Infect Dis
2009;200(3):321-8.