SY P

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Médecine
& enfance
Pour une neuropsychologie
génétique : à propos des dysphasies
du jeune enfant
POINT PSY
M. Boublil, centre référent du langage
hôpital Archet, CHU de Nice
L’âge d’acquisition de la parole n’est pas un élément pronostique, et le retard
simple de parole est de bon pronostic. Mais mon intention n’est pas ici de traiter d’un langage acquis avec du retard. Le problème est tout autre : il s’agit de
la non-acquisition d’un langage fonctionnel, c’est-à-dire capable de remplir sa
fonction principale, celle d’être un instrument de représentation : représenter
par les mots quelque chose qui ne peut se voir, qu’il s’agisse d’un objet évoqué, d’une personne, d’une caractéristique ou d’une durée, éléments que l’on
peut difficilement exprimer sans avoir recours au langage oral.
À PROPOS DU TITRE :
TROIS REMARQUES
➜ La première consiste à définir ce que
l’on appelle « jeune enfant » et « dysphasie ».
Le jeune enfant (toddler en anglais),
lorsqu’il s’agit d’un problème de langage, est un enfant âgé de dix-huit mois à
deux ans, un âge où :
첸 le diagnostic de dysphasie ne peut
être posé avec précision ou certitude :
de nombreuses études ont tenté de le
faire, sans succès [1] ;
첸 certains enfants ne parlent pas encore et où il est la plupart du temps demandé aux parents de patienter sans
s’inquiéter, en soulignant qu’« Einstein a
parlé à quatre ans » (ce qui reste à vérifier).
La dysphasie est une atteinte sévère du
langage oral, réceptif et/ou expressif
(F80.2) [2, 3], sans cause retrouvée : il
n’existe pas de trouble envahissant du
développement, ni de problème auditif
empêchant d’entendre, ni de trouble
neurologique, ni de retard mental, ni de
carence socioéducative importante ; en
revanche, point important pour poser le
diagnostic : il y a retentissement sur la
communication sociale [4].
Le langage étant défini grâce à différents critères, les différentes dénominations des dysphasies recouvrent schéseptembre 2009
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matiquement la nature de la difficulté
rencontrée [5] :
첸 prononciation : dysphasie phonologique ;
첸 organisation des phrases : dysphasie
syntaxique ;
첸 difficulté à trouver et à évoquer les
mots : dysphasie lexicale ;
첸 difficulté à transmettre sa pensée
dans la pratique : dysphasie pragmatique ;
첸 difficulté à organiser le sens du discours : dysphasie sémantique.
En fait, il n’existe pas de consensus dans
la manière de classer les dysphasies, et
l’on entend les expressions « dysphasie
phonologico-syntaxique » (la plus fréquente), « lexico-syntaxique », « sémantico-pragmatique » ; on ajoute souvent
« dysphasie réceptive » quand le langage
oral n’est pas compris, ou très mal, ce
qui parfois, à un degré extrême, peut
confiner à l’audimutité (terme qui n’est
plus usité depuis que celui de dysphasie
s’est imposé), une sorte de surdité sélective vis-à-vis du langage oral : l’enfant
entend la musique et les bruits, mais il
se comporte comme un sourd (sans
l’être vraiment) vis-à-vis des phrases et
des mots qu’on lui adresse.
➜ La seconde remarque est que le diagnostic et le traitement précoces contribuent au bon pronostic des dysphasies [6].
Il est évident que l’âge d’acquisition de
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la parole n’est pas un élément pronostique, et le retard simple de parole est
de bon pronostic. Mais mon intention
n’est pas ici de traiter d’un langage acquis avec du retard, mais d’un problème
autre qui est la non-acquisition d’un
langage fonctionnel, c’est-à-dire capable de remplir sa fonction principale,
celle d’être un instrument de représentation : représenter par les mots
quelque chose qui ne peut se voir, qu’il
s’agisse d’un objet évoqué, d’une personne, d’une caractéristique ou d’une
durée, éléments que l’on peut difficilement exprimer sans avoir recours au
langage oral [7].
➜ La troisième remarque est que le langage étant devenu le domaine privilégié
de la neuropsychologie, il est important
(de la même façon que Piaget parlait
d’« épistémologie génétique » [8] pour
expliquer qu’il y a chez l’enfant une genèse progressive de la construction de
l’intelligence) de toujours penser en
termes non pas de symptômes seuls,
même chiffrés et étalonnés, mais de manière dont le symptôme se construit et
de ce que fait l’enfant confronté à un
manque de langage.
TOUT EXPOSÉ PORTANT
SUR LE LANGAGE
NECESSITE QU’ON SUIVE
UNE DÉMARCHE
PRAGMATIQUE, LOGIQUE,
SELON TROIS AXES
1. L’interactivité circulaire : chaque élément développemental ou psychoaffectif agit sur les autres et sur la communication, lesquels interagissent en retour
sur cet élément et sur d’autres. C’est
ainsi par exemple que le langage permet de structurer la pensée, pensée qui
ne peut s’exprimer que par le langage,
support de la pensée… [9].
2. L’absence de présupposé déterministe. Je sais qu’on peut toujours aller plus
loin dans la recherche des causes d’un
problème. Ainsi, le retard est-il organique ou psychogène ? S’il est orga-
nique, comment l’éclampsie maternelle
a-t-elle joué, alors qu’il n’y a pas de
signe neurologique actuel ? Est-ce une
atteinte cérébrale a minima ? Est-ce la
crainte que le bébé ne meure qui a entraîné une surprotection pathogène ? Le
psychogène et l’organique se mêlent au
point qu’on ne peut faire la part des
choses lors de la consultation, et que ce
sont les médecins ou les parents, selon
leur formation ou leurs croyances, qui
privilégient un axe plutôt qu’un autre.
C’est précisément pourquoi des consultations conjointes neuropédiatre et pédopsychiatre seraient intéressantes à
organiser pour ce type de pathologie
[10].
3. L’idée que, chez le jeune enfant, on
ne se trompe pas de diagnostic, mais
que le diagnostic évolue : un enfant autiste à deux ans peut être dysphasique à
trois ans et avoir une dysharmonie évolutive à quatre ans [11]. La dysharmonie
évolutive chez l’enfant est l’intrication
de problèmes de développement (langage, psychomotricité, apprentissages
lexicographiques) avec des problèmes
de communication, sans que l’on puisse
dire ce qui est la poule et ce qui est
l’œuf. Ce qui est certain, c’est que l’on
aboutit à un tableau sévère, car invalidant sur les plans social et scolaire, et
dont le pronostic peut être parfois mauvais [12].
Ce que l’on observe dans la petite enfance, et surtout le sens de ce que l’on observe (des problèmes dans la capacité
de représentation), va pouvoir également être observé plus tard, car l’enfant
dysphasique, en grandissant, va parvenir à parler (il va acquérir une parole
dont on ne percevra pas au prime abord
les distorsions et les manques). Mais
son langage, acquis grâce à la mémorisation de phrases toutes faites, sera
« plaqué » et, du fait même de sa genèse,
va s’avérer déficient pour assumer certaines opérations de la pensée [13]. C’est
le cas par exemple de la catégorisation,
de la narration et du raisonnement, autant d’expressions dans le langage de la
fonction de représentation ; mais le domaine logico-mathématique sera également affecté. En revanche, tout ce qui
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est accessible par le biais du visuel sera
mieux acquis et mieux réussi [14].
LES MODÈLES
Il est important dans un premier temps
d’évoquer les modèles : on ne réfléchit,
on ne pense, on ne travaille qu’avec un
modèle, un présupposé théorique qui
joue pour notre travail le rôle que
jouent les théorèmes et les postulats
pour le mathématicien [15].
Dans un deuxième temps, il est nécessaire de définir clairement ce qu’est le
langage oral. En effet, de même que lire, c’est comprendre ce qu’on lit, parler,
c’est utiliser certaines fonctionnalités
qu’aucun autre outil, gestuel ou visuel,
ne peut assumer. C’est ce qui se réalise
grâce au langage oral [16].
Dans un troisième temps, il faut, en se
plaçant du point de vue du jeune enfant, tenter de savoir comment un enfant sans langage peut s’adapter à l’environnement qui lui est proposé, en sachant que les contraintes qui lui sont
imposées dès la naissance sont nombreuses et de plus en plus codifiées (à
tel âge, on « fait » telle chose) [17].
Reprenons.
LES MODÈLES GLOBAUX
Le modèle neurocognitif s’occupe, par
définition, du fonctionnement psychique (en relation avec sa localisation
neurologique) conçu comme une « machine à traiter l’information ». Ce modèle tient compte du fait qu’existent des
facteurs psychoaffectifs, comme il existe
des facteurs sociaux, environnementaux ou organiques [18].
Le modèle psychodynamique s’occupe,
là encore par définition, du fonctionnement psychique du point de vue de son
équilibre entre la psyché et l’affectivité ;
il postule que les facteurs psychoaffectifs influent de manière importante sur
le processus de la connaissance et des
apprentissages chez l’enfant [19].
Dans la pratique, selon l’endroit où ils
consultent, deux enfants présentant le
même problème vont être évalués et
traités selon des modèles différents. Ce
sont les parents qui choisissent le lieu
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de consultation, guidés pour cela par
leur propre théorisation du trouble ou
par divers professionnels.
Un enfant qui a des problèmes à l’école,
mauvais résultats scolaires ou troubles
du comportement, va aller presque indifféremment vers l’un ou l’autre des
deux modèles.
La réponse pourra alors être que le problème cognitif et que l’inadaptation scolaire sont à l’origine des problèmes psychoaffectifs de l’enfant, ou que le problème psychoaffectif est à l’origine des
troubles neurocognitifs. En réalité, les
problèmes sont intriqués, avec une part
plus ou moins importante de l’un et de
l’autre, mais il s’ensuivra :
첸 dans le premier cas, une remédiation
neuropsychologique, une rééducation
orthophonique, ergothérapique, orthoptique, proposées sous la férule d’un
neuropédiatre en CHU ;
첸 dans le deuxième cas, une rééducation (parfois à visée psychothérapique)
ou bien une psychothérapie ou un suivi
en CATTP (centre d’accueil et de traitement à temps partiel), proposés à l’enfant sous la responsabilité d’un pédopsychiatre, le plus souvent en centre
médico-psychologique infantile (CMPI).
Cette présentation n’est qu’en apparence caricaturale ; elle correspond à la réalité de la pratique.
Le modèle neurocognitif connaît ses limites quand le clinicien a le sentiment
que le rapport du patient au réel est altéré par son affectivité (mais n’y a-t-il
pas une part d’altération liée aux difficultés du traitement de l’information),
et le modèle psychodynamique connaît
les siennes quand le praticien constate
chez un patient qui semble psychiquement équilibré des difficultés d’adaptation qui semblent liées à des problèmes
de maîtrise du réel proposé (langage
oral, lecture, écriture, calcul).
Tout cela est d’autant plus compliqué
que l’enfant est plus petit et que le développement est intriqué avec la communication, notamment en ce qui concerne
le langage.
Dans ce domaine, le problème le plus
complexe est celui de la psychose, quelle qu’en soit la nature. Si on met à part
l’autisme et les schizophrénies infantiles, le terme psychotique, ou dysharmonique, s’adresse à de nombreuses
formes de psychoses infantiles assorties
de l’adjectif qualificatif psychotique,
terme générique derrière lequel personne, même parmi les pédopsychiatres, ne
met exactement le même contenu : à un
moment donné, un enfant, petit ou
grand, peut se sentir tellement à part,
tellement étranger dans un monde dont
il n’a pas le mode d’emploi qu’il va avoir
des comportements et des réactions qui
nous semblent bizarres [20].
LE LANGAGE ORAL
ET SES COMPLEXITÉS
Le code et le modèle inférentiel illustrent bien le fait que le langage n’est pas
seulement un code. Le modèle du code
(qui s’applique bien à la communication
animale) revient à dire que les phrases
sont des signaux complexes qu’il suffit
de décoder en faisant correspondre des
idées aux signaux. Le modèle inférentiel
insiste sur la pragmatique langagière et
sur le fait que la compréhension automatique et inconsciente est avant tout
un processus d’inférence partant d’indices qui aboutissent au sens voulu par
le locuteur.
Ainsi, lorsque Humpty Dumpty dit à Alice qu’au-delà de ce qui est dit (les
mots), le langage veut dire (leur sens)
exactement ce qu’entend signifier celui
qui commande, il ne fait rien d’autre
que pousser ce modèle à l’extrême, mais
il ne s’éloigne pas vraiment de ce qui se
passe dans la vie courante, dans les rapports de force hiérarchiques ou d’enseignant à élève.
La récursivité est le fait que, lorsque l’on
parle, chaque proposition est enchâssée
dans une autre, et ainsi de suite. Par
exemple : « Je pense que tu penses
qu’elle pense que je pense que tu
mens ». Aucun animal n’est capable
d’exprimer l’idée véhiculée par cette
phrase.
La temporalité : l’expression un tant soit
peu précise de la notion du temps ne
peut se faire que par le langage (essayez
de dire « Hier soir, je me suis couché de
bonne heure » en arrivant à Pékin).
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La pensée (narration et raisonnement).
Le passage du protolangage au langage
se situe dans la capacité à raconter et à
raisonner : lorsque l’on écoute une information (in vivo ou à la radio), suit en
général l’argumentation (dans le cas
contraire, elle manque).
Certains pensent que, dans l’histoire de
l’émergence du langage chez l’humain,
la narration (mythes, histoires…) a précédé le raisonnement (la science), la
métaphore étant l’un des modes d’expression du raisonnement les plus anciens et les plus répandus.
Le sens figuré et le grécoromain. « Il se
croyait sorti de la cuisse de Jupiter,
mais il est tombé de Charybde en Scylla,
narcissique comme il l’était ; car lorsqu’il a ouvert la boîte de Pandore, il a
été ipso facto voué aux gémonies par
son alter ego qui, habituellement, jouait
les Cassandre mais qui, ce jour-là, après
avoir perdu le fil (d’Ariane), tomba
dans les bras de Morphée. » Les adultes
ne s’en rendent pas compte mais ils parlent sans cesse de cette manière, et les
enfants éprouvent bien des difficultés à
les suivre.
Résumons : modèle inférentiel, récursivité, temporalité, narration et raisonnement, c’est la définition même de la nature du langage. On ne peut parler de
langage que si l’enfant est capable d’exprimer avec cet outil les choses complexes citées ci-dessus.
LES MOYENS
D’ADAPTATION DES
ENFANTS SANS LANGAGE
À DEUX ANS
Il faut rappeler ici qu’à deux ans un enfant parle ; autrement dit, il raconte et il
raisonne. Le fait de raconter et de raisonner lui permet de se faire comprendre, d’expliquer ce qu’il veut et ce
qu’il ne veut pas, d’exprimer aussi son
opinion en argumentant, ou encore de
comprendre l’argumentation de l’autre
(les parents, le plus souvent) qui lui impose une frustration, lui oppose un refus ou bien diffère la satisfaction de sa
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VIGNETTE CLINIQUE
Sylvia a trois ans lors du premier entretien. Elle est à l’école depuis six mois et sa maîtresse n’a
pas encore entendu le son de sa voix. D’autres enfants de sa classe ne parlent pas, mais, elle,
semble ne pas comprendre. Parfois, elle est « ailleurs », et parfois elle a des périodes d’isolement dont on ne sait pas s’ils relèvent des autres enfants ou d’un désir de solitude. Son médecin a pensé qu’elle avait des absences et a fait pratiquer un EEG de veille et de sommeil, dont
le résultat est normal. Sa maîtrise sphinctérienne est aléatoire ; ne sachant demander à aller
aux toilettes, elle urine parfois sur elle en classe ,ce qui crée des conflits entre l’école et ses parents. Elle vit avec ses deux parents, et un jeune frère vient de naître. La mère est inquiète et
se sent coupable d’avoir fait un deuxième enfant, car elle pense que cela a bloqué Sylvia. Le
père banalise totalement les troubles, ne voulait pas consulter et dit que « ça viendra ». Ils
viennent contre l’avis de leur pédiatre, à qui ils me demandent de ne pas écrire (cela est délicat, aussi leur remettrai-je une lettre à la fin de ma consultation).
C’est souvent dans ce type de contexte qu’a lieu la première consultation, avec des avis
contradictoires de la famille et même des professionnels concernant la réalité, l’importance et
l’évolutivité du retard ainsi que son étiopathogénie. Il n’est pas facile de voir clair dans ces
avis contradictoires, cela d’autant plus que le jeune enfant a souvent peur de nous, se colle à
ses parents et ne veut pas communiquer avec nous. Une longue consultation avec observation
et au mieux une observation à domicile ou à l’école seraient très importantes, mais sont difficiles à réaliser en pratique.
Les questions sont :
첸 quelle appétence a l’enfant pour la communication, a-t-il envie, souffre-t-il de ne pas pouvoir ou bien est-il indifférent, existe-t-on pour lui ? (a-t-il peur de nous, ce qui est bon signe,
ou bien est-on transparent pour lui, ce qui est plus préoccupant) ;
첸 s’il parle, comment est son langage ? Seul un bilan orthophonique standardisé et chiffré
pourra le dire, mais, déjà, cliniquement, on peut avoir une idée, et un langage agrammatique
et peu compréhensible à trois ans est préoccupant ;
첸 comment s’est organisée sa personnalité, comment établit-il ses liens avec les autres, ses
apprentissages sans langage ?
첸 la question permanente des parents : « est-il autiste ? » est mise de côté, car trop longue à
développer ici, l’absence de langage pouvant donner lieu à toutes les hypothèses.
Pour cette petite fille, ces questions mettront plusieurs mois à trouver une réponse :
첸 elle veut communiquer, regarde dans les yeux, montre du regard plus que du doigt ;
첸 son langage est agrammatique, avec des mots très approximatifs, sans syntaxe et incompréhensible sauf si on visualise ce qu’elle veut dire dans l’ici et maintenant.
첸 elle est assez « isolée », ne joue pas avec les autres, se sent en classe comme une étrangère
qui ne connaît pas la langue et les jeux des autres ;
첸 son absence de langage et ses troubles de communication ne semblent pas de nature autistique mais dysphasique, mais nous ne pouvons rien affirmer à ce stade, car, dans des moments de désarroi, elle peut avoir des petits mouvements des mains ou des petits cris qui ressemblent à des stéréotypies et qui inquiètent beaucoup ses parents.
Le suivi, très vite organisé, débute à l’âge de trois ans :
첸 rééducation orthophonique trois fois par semaine par une orthophoniste chevronnée et
passionnée par l’enfant ;
첸 consultation pédopsychiatrique une fois par mois ;
첸 réunions d’intégration scolaire.
L’évolution est extrêmement lente. Les parents sont très motivés, ne manquent aucune séance
et suivent nos conseils, qui prônent :
첸 de favoriser la communication avant tout ;
첸 de simplifier et de clarifier les messages qui lui sont adressés : un sujet,un verbe, un complément et des questions fermées auxquelles elle peut répondre par oui ou non.
Une évolution se produit, mais dans certaines limites. Nous observons que plus le langage
progresse, plus les manifestations pseudo-autistiques s’atténuent, jusqu’à disparaître.
L’enfant entre cette année au CE1 après un maintien en grande section de maternelle avec
une AVSi. Elle a appris à lire cette année, sans bien comprendre ce qu’elle lit ; en calcul, elle
ne comprend les consignes que quand elles sont visualisables ; dans les histoires, elle ne comprend pas le sens figuré et le déroulement temporel ; elle a peu d’humour car elle n’accède pas
aux doubles sens et aux métaphores. Elle parle comme une voix synthétique, a des amis, aime
l’école, et ses parents trouvent qu’elle devient normale. Elle a sept ans.
demande (plus tard, après, demain,
dans trois dodos…).
A deux ans, le langage permet à l’enfant
de différencier le réel de l’imaginaire ; il
comprend le jeu, la plaisanterie, dis-
tingue le présent du futur, différencie
l’intérieur de son corps de l’extérieur (il
comprend par exemple que ses selles ne
sont pas une partie de lui-même mais
sont un objet intérieur dont il peut se déseptembre 2009
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faire sans crainte), car l’une des premières fonctions du langage est la catégorisation : le « oui » et le « non » structurent le monde en deux parties ; papa, maman, la fratrie d’une part, et d’autre part
le reste du monde ; mais aussi manger,
boire, pipi, je veux, je ne veux pas, tout
cela va beaucoup plus loin, et bon ou méchant, c’est déjà le début de la réflexion
philosophique du petit enfant (les bons,
les méchants sont une manière pour certains adultes de guider leur vie).
L’enfant qui n’a pas de langage va utiliser :
첸 la motricité et les gestes, la psychomotricité : plus souvent bouger que
pointer ;
첸 le regard : comprendre et exprimer
par le regard les intentions et les situations ;
첸 les colères quand il n’est pas compris,
qu’il ne comprend pas, ou quand il veut
absolument se faire comprendre (le
plus souvent sans succès) ;
첸 la stabilité de l’environnement : l’enfant va chercher à préserver le mieux
possible un environnement qu’il veut le
plus stable ou le plus répétitif possible,
afin de ne pas avoir à chaque fois à comprendre le sens de ce qui est nouveau et
à s’adapter. Pour cela, il va organiser,
ranger, répéter des sortes de rituels ; il va
s’efforcer d’imposer à son entourage des
choses identiques (même restaurant,
même file sur la route, même place à
table…) : cela évoquera les stéréotypies
de l’autisme et un désir d’immuabilité ;
첸 il va tenter de se replier dans les positions les plus sécurisantes possibles
pour ne pas être confronté de manière
répétée à l’incompréhension. Cela va
ressembler aussi au désir d’isolement de
l’enfant autiste ou de l’enfant sourd.
La différence entre un enfant sourdmuet, un enfant dysphasique et un enfant autiste ne peut se voir que si l’on
comprend ce qui est en jeu dans ces pathologies.
Le langage extériorisé dans la parole et
le langage intérieur sont de même nature ; un enfant qui souffre d’un mutisme
extra-familial peut très bien lire, comprendre, raisonner, même si pendant
des années il ne dit pas un seul mot.
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Un enfant dysphasique ne dispose pas
de langage intérieur, et c’est cette absence qui est le problème central de la
dysphasie, car elle l’empêche de réaliser
certaines opérations mentales.
L’enfant autiste ne peut communiquer
pour des motifs qui pourraient être au
départ langagiers. Certains autistes ressemblent à des dysphasiques sévères
qui ont « mal tourné ». Tout se passe
comme si l’enfant autiste avait renoncé
à une communication pour laquelle il
est totalement incompétent selon les
modèles traditionnels [21].
Cet essai de neuropsychologie génétique nous conduit enfin aux symptômes extra-verbaux des dysphasies à
deux ans. Répétons-le, mon propos est
ici de me concentrer sur les signes extra-verbaux, qui reflètent le fait qu’il n’y
a pas de langage, cet outil de la représentation, c’est-à-dire de la catégorisation, de la narration, du raisonnement,
du raisonnement langagier. Cela signifie que ce qui n’est pas langagier va être
favorisé, valorisé, utilisé par l’enfant,
dans le but ultime de se faire comprendre et de se faire aimer.
QUELS SONT LES
SYMPTÔMES DE CETTE
ADAPTATION ET
COMMENT Y RÉPONDRE ?
첸 La valorisation du visuel : l’échange
par le regard, les sourires, la valorisation de tout ce qui est visuel, et même le
raisonnement logique visuel, l’attention
aux histoires visualisées (TV, DVD) plutôt que racontées, la demande de câlins,
le fait de prendre par la main pour montrer, les capacités à construire (tours,
etc.), le jargon dépourvu de sens mais
doté d’une intention et où l’on entend
des répétitions.
첸 Les colères de ne pas être compris ou
de ne pas pouvoir imposer sa volonté
(pas des colères n’importe quand).
첸 Les rites de rangement, de répétition,
le désir que rien ne change (désir de
maintenir par le geste et le regard un
environnement toujours semblable) [22].
첸 Les périodes de repli et de retrait
comme des absences, bien plus que
comme un retrait autistique [23].
첸 La peur des selles et parfois des
urines : l’enfant se retient ou se cache
pour faire.
첸 La non-compréhension verbale des
consignes (comme si l’enfant était
sourd), phénomène très difficile à évaluer.
첸 L’absence de dessins et de jeux symboliques, également très difficile à repérer, car le jeu thématique, imitatif ou
manipulatoire peut ressembler au jeu
symbolique, qui est le fait de se représenter une action à partir de rien (un
bâton, une corde, une pierre) [24].
Un certain nombre de ces signes se retrouvent dans l’autisme et dans la déficience intellectuelle, ainsi que dans les
dysharmonies évolutives. Nous sommes
à un stade où le diagnostic n’a pas une
importance capitale et où, en l’absence
de structures de soins existantes, la
conduite à tenir est la suivante.
➜ Repérer le trouble comme sérieux ou
grave (pas de « Ça viendra ! »).
➜ Mettre en place les bilans (orthophonique) et suivis (orthophonique + guidance) qui permettent de situer le
trouble et d’éviter à l’enfant les échecs,
le découragement, le retrait sur lui, les
troubles du comportement et/ou
l’inadaptation (cas par exemple d’un enfant avec ce tableau entrant en maternelle sans aide).
➜ Nous rendre compte que ces états initiaux débouchent sur des difficultés ultérieures plus sérieuses qu’on ne le pense, car :
첸 soit la parole s’acquiert par imitation,
mais le langage est alors moins fonctionnel, et le trouble se révèle plus tard
par des problèmes de compréhension
logico-mathématique ou des troubles
du comportement (agi > verbalisation) ;
첸 soit le langage oral ne vient que très
tard et ne permet pas les acquisitions
nécessaires, entraînant une évolution
vers un retard intellectuel ou une dysharmonie évolutive ;
첸 soit l’enfant se renferme, se réfugie
dans l’imaginaire et décolle du réel :
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certains tableaux qualifiés de TED débutent ainsi.
CONCLUSION
Dès qu’il s’agit d’humain, chaque symptôme a, si ce n’est une explication, au
moins une genèse.
La neuropsychologie corrèle des résultats constatés lors de bilans à un fonctionnement supposé du cerveau.
Le langage (et non la parole) est l’outil
principal de la pensée.
Le muet a un problème de parole, alors
que le dysphasique a un problème de
langage.
L’absence de langage pose un problème
à l’enfant, qui s’adapte à ce manque par
divers moyens, plus ou moins efficaces
selon la reconnaissance du trouble par
les parents et les professionnels, et selon la mise en route des soins.
Il est important que ces moyens d’adaptation qui font symptôme soient reconnus comme tels et abordés dans une
perspective pragmatique plutôt que
théorique.
L’enfant, même étrange, ne doit jamais
être considéré comme étranger, c’est-àdire comme incompréhensible ou comme appartenant à un autre monde que
celui du professionnel qui le soigne.
Les absences de langage du jeune enfant peuvent correspondre à un autisme, à une dysphasie, à un retard intellectuel ou aux trois entremêlés dans diverses proportions ; le problème diagnostique à ce moment précis doit parfois demeurer en attente et prendre place derrière une attitude pragmatique
dans le but exclusif d’aider l’enfant à ne
pas être coupé du monde.
첸
Références
[1] ADRIEN J.L., ROSSIGNOL-DELETANG N., MARTINEAU J.,
COUTURIER G., BARTHELEMY C. : « Regulation of cognitive activity and early communication development in young autistic,
mentally retarded, and young normal children », Dev. Pychobiol.,
2001 ; 39 : 124-36.
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mentaux et des troubles du comportement, Maloine, Paris,
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coridys.asso.fr.
Médecine
& enfance
[5] DUGAS M. : « Modèle en aphasiologie », ANAE, 1989, 1.
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[13] CHEVRIE-MULLER C. : « Diagnostic précoce des troubles du
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[14] CHOMSKY N. : La nature formelle du langage, Seuil, Paris,
1969.
[15] COX A., KLEIN K., CHARMAN T., BAIRD G., BARON-COHEN S., SWETTENHAM J., WHEELWRIGHT S., DREW A. : « Autism spectrum disorders at 20 and 42 months of age : stability of
clinical and ADI-R diagnosis », J. Child Psychol. Psychiatry, 1999 ;
40 : 719-32.
[16] DIATKINE R. : « Problèmes cliniques et thérapeutiques des
dysphasies graves de l’enfance », Neuropsychiatr. Enfance Adolesc., 1984 ; 32 : 553-6.
[17] DSM IV, Masson, Paris, 1990 ; p. 43-145.
[18] GERARD C.L. : L’enfant dysphasique, De Boeck, Bruxelles, 1993.
[19] LAUNAY C. : « Les troubles graves de l’élaboration du langage », Neuropsychiatr. Enfance Adolesc., 1966 ; 16 : 12-28.
[20] MELTZER D. : Corrélations entre psychopathologie clinique
et linguistique, Payot, Paris, 1980.
[21] SPITZ R. : De la naissance à la parole, PUF, Paris, 1973.
[22] STONE W.L., LEE E.B., ASHFORD L., BRISSIE J., HEPBURN
S.L., COONROD E.E., WEISS B. : « Can autism be diagnosed accurately in children under three years ? », J. Child Psychol. Psychiatry, 1999 ; 40 : 219-26.
[23] UZE J. : « La communication pictographique : un support de
la pensée chez l’enfant dysphasique », Psychiatr. Enfant, 1996 ;
39 : 501-36.
[24] VYGOTSKI L.S. : Pensée et langage, La Dispute, Paris, 1997.
Le service de psychiatrie infanto-juvénile de l’hôpital Necker-Enfants Malades
(Pr B. Golse, Dr P. Canoui)
la revue Médecine et enfance
et
l’Association échanges pédiatres de ville/pédiatres hospitaliers (AEPVPH)
le Réseau Paris Sud de psychiatrie infanto-juvénile
la Coordination des soins de support de l’hôpital Necker Enfants Malades
vous invitent aux
ATELIERS INTERACTIFS PSY-PÉDIATRES (AIPP)
Dialogue interdisciplinaire entre pédiatres, médecins généralistes et « psys »
Pour la seconde année, nous avons décidé de poursuivre et d’approfondir cette démarche originale qui consiste à porter un
double regard, pédiatrique et psychopathologique, à même d’éclairer la composante psychosomatique de l’enfant.
Lors de la présentation d’une observation clinique de ville, chaque participant intervient pour éclairer le problème selon son
point de vue, qu’il soit psy ou pédiatre, de ville ou hospitalier. En faisant un ou deux tours de table, l’histoire initiale s’enrichit
du vécu de chacun et de la double approche pédiatrique et psychanalytique, ce qui non seulement met en évidence une
forte intrication entre les manifestations organiques et psychiques, mais permet de révéler les enjeux réels, voire un
diagnostic, tout en éliminant autant que faire se peut la subjectivité à laquelle il est impossible d’échapper dans l’exercice
quotidien. Tout cela permet de faire le point sur différentes pathologies rencontrées en médecine de ville : composante
« somatoforme », psychopathologie, place des différents acteurs de santé (ville/hôpital) dans leur prise en charge. Chaque
atelier est animé par un binôme pédiatre-psy.
Le fil rouge de ces ateliers est l’absence de clivage entre manifestations organiques et psychiques. Au moment où le
cognitivisme comportemental réduit les phénomènes psychiques à des apprentissages, cet enseignement valorise une
médecine qui prend en compte l’enfant dans sa globalité, le pédiatre dans sa rigueur professionnelle et son empathie,
approche dans laquelle la médecine technoscientifique trouve sa place sans pour autant suffire.
Attention, les horaires ont été modifiés. La prochaine séance aura lieu le
jeudi 26 novembre 2009 à 18 h 30
Hôpital Necker-Enfants Malades, coordination des soins de support porte B2, cour Laënnec, 149 rue de Sèvres, 75015 Paris
Inscriptions
Médecine et enfance, 23 rue Saint-Ferdinand, 75017 Paris. Tél. 01 45 74 44 65. Email : [email protected] - Frais d’inscription : 40 euros
Renseignements sur le contenu de l’enseignement
Dr Pierre Canoui, service de pédopsychiatrie du Pr Golse, hôpital Necker-Enfants Malades. Email : [email protected]
Comité d’organisation
Bernard Golse, Pierre Canoui, Claude Geselson (Médecine et enfance), Jacky Israël (AEPVPH), C. Mandel (AEPVPH), J Cheymol (AEPVPH)
septembre 2009
page 353
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