ÉDITORIAL Cardiologues et neurologues ­vasculaires : dans le même bateau ! Cardiologists and vascular neurologists: in the same boat! “ L e dossier de ce numéro est intitulé “Quand le cerveau est un problème pour les cardiaques”. Il est consacré au thème des complications neurologiques des maladies ou des traitements cardiologiques. Il y a en effet de nombreux motifs d’interaction entre la cardiologie moderne et la neurologie vasculaire. Pr Philippe-­ Gabriel Steg Service de cardiologie, hôpital Bichat, Paris. © La Lettre du Cardiologue 2013;468:6-7. Les causes des accidents aigus sont souvent communes : la maladie athérothrombotique est une cause commune à l’infarctus du myocarde et à une partie importante (même si ce n’est pas la totalité) des infarctus cérébraux ; en outre, les embolies d’origine cardiaque, notamment sur fibrillation auriculaire, sont une autre cause fréquente d’infarctus cérébral. Plusieurs équipes françaises, notamment celle de Pierre Amarenco, se sont particulièrement intéressées au risque partagé d’accident coronarien et cérébral chez les patients athérothrombotiques. L’étude prospective AMISTAD (1) a notamment mis en lumière l’importance du chevauchement entre athérome cérébral et athérome coronaire, et le caractère hautement pronostique de la coexistence de lésions coronaires, même silencieuses, chez les patients survivant à un infarctus cérébral. De même, les données de l’étude PRECORIS (2), évaluant systématiquement la présence de lésions coronaires au scanner après accident vasculaire cérébral ischémique, ont confirmé qu’au moins un cinquième de ces patients sont porteurs de lésions coronaires évoluées. Des travaux complémentaires sont nécessaires pour savoir s’il faut rechercher activement ces localisations après tout accident vasculaire, cérébral ou pas, et si une revascularisation systématique modifierait le pronostic. Plus généralement, le risque coronarien des patients ayant fait un accident vasculaire cérébral ischémique est élevé, et assez proche de celui des coronariens avérés, de telle sorte que, par analogie avec le diabète, on peut soutenir que l’existence d’une maladie cérébrovasculaire est un équivalent, en termes de risque cardiovasculaire, de maladie coronaire (3). Les traitements cardiologiques sont potentiellement sources de complications cérébrales, qu’il s’agisse du risque d’hémorragie intracrânienne sous anticoagulants, sous antiplaquettaires, notamment chez les patients fragiles, du fait de leur âge ou de leurs antécédents, ou qu’il s’agisse du risque de complication neurovasculaire des thérapeutiques invasives (chirurgie cardiaque, voire remplacement valvulaire percutané de la valve aortique par technique TAVI [Transcatheter Aortic Valve Implantation]). Avec le développement considérable du TAVI, la sécurité – et notamment la prévention des complications cérébrovasculaires – est devenue un enjeu majeur. L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts. Dans l’infarctus du myocarde, comme dans l’infarctus cérébral, la thrombose joue un rôle clé, et les traitements antithrombotiques, qu’il s’agisse des antiplaquettaires, des anticoagulants, voire des thrombolytiques, ont une place dans la prise en charge en urgence, et en particulier pour les antiplaquettaires, dans la prévention secondaire (4). La Lettre du Neurologue • Vol. XVII - no 9 - novembre 2013 | 263 ÉDITORIAL 1. Amarenco P, Lavallée PC, Labreuche J et al. Coronary artery disease and risk of major vascular events after cerebral infarction. Stroke 2013;44(6):1505-11. 2. Calvet D, Touzé E, Varenne O et al. Prevalence of asymptomatic coronary artery disease in ischemic stroke patients: the PRECORIS study. Circulation 2010;121(14):1623-9. 3. Amarenco P, Steg PG. Stroke is a coronary heart disease risk equivalent: implications for future clinical trials in secondary stroke prevention. Eur Heart J 2008;29(13):1605-7. 4. Steg PG, Dorman SH, Amarenco P. Atherothrombosis and the role of antiplatelet therapy. J Thromb Haemost 2011;9(suppl 1):325-32. Il y a bien d’autres similitudes et zones de chevauchement entre cardiologie et neurologie vasculaire : la prise en charge de l’infarctus cérébral ressemble de plus en plus à celle de l’infarctus du myocarde, avec la nécessité d’un traitement ultrarapide pour recanaliser les artères cérébrales et sauver du cerveau, même si les risques hémorragiques, et notamment ceux liés à la fragilité ou à la destruction de la barrière hématoencéphalique, font que les traitements utilisés en neurologie sont souvent beaucoup moins agressifs que ceux qui sont quotidiens en cardiologie. Il manque également aux neurologues un équivalent pour le cerveau de ce qu’est l’électrocardiogramme en cardiologie, qui donne de façon non invasive et quasi-immédiate le diagnostic d’infarctus du myocarde en voie de constitution, avant même le transfert dans un centre spécialisé, alors que pour l’accident vasculaire cérébral, seule l’imagerie en urgence permet de porter un diagnostic de certitude. Nous n’en sommes pas encore à l’angioplastie primaire de l’accident vasculaire cérébral, même si cela est déjà tenté dans le cadre d’essais cliniques, pour l’instant encore décevants. ” En tous cas, la proximité thématique et les problèmes cliniques et scientifiques communs contribuent à rapprocher au quotidien neurologues et cardiologues : ils sont bien dans le même bateau ! Ce dossier, dédié aux problématiques neuro­ logiques rencontrées par nos confrères cardiologues, souligne bien l’importance majeure d’une collaboration étroite entre ces 2 spécialités. Les neurologues ont, au cours des dernières décennies, marché dans les pas des cardiologues, à la fois pour optimiser l’organisation de la filière de la prise en charge en urgence des patients victimes d’AVC, mais aussi pour proposer de nouvelles stratégies thérapeutiques de recanalisation à la phase aiguë des infarctus cérébraux. Malheureusement, seule la thrombolyse intraveineuse a, à ce jour, pu être validée dans le cadre de l’ischémie cérébrale alors que les stratégies d’utilisation des anti­ agrégants de type GP2b3a (1), d’association de la thrombolyse à l’aspirine (2), ou de recanalisation endovasculaire (3) n’ont pu démontrer de bénéfice clinique. Ces éléments soulignent donc la spécificité de la pathologie vasculaire cérébrale qui repose notamment sur la susceptibilité du parenchyme cérébral aux complications hémorragiques, poussant les neurologues vasculaires à rechercher incessamment des paramètres permettant de mieux évaluer le risque hémorragique. Le développement de l’utilisation par les cardiologues de nouveaux antiagrégants plaquettaires et anticoagulants oraux pose ainsi de nouveaux problèmes aux neuro­ logues vasculaires leur imposant de nouvelles réflexions sur la gestion des risques dont l’appré­ ciation clinique reste difficile. L’utilisation combinée de traitements antithrombotiques par les cardiologues, si elle constitue une avancée importante dans la prévention des événements ischémiques, y compris cérébraux, est par ailleurs associée à un risque accru d’hémorragies cérébrales. Il semble donc indéniable que, dans un futur proche, neurologues et cardiologues se verront dans l’obligation d’une collaboration encore plus étroite pour identifier les patients ayant le meilleur rapport bénéfice/ risque de ces nouvelles stratégies thérapeutiques. Enfin, des données de plus en plus nombreuses soulignent, d’une part, l’importance de la prise en charge des facteurs de risque vasculaire, et notam­ ment de l’hypertension artérielle, sur la prévention et l’évolutivité du déclin cognitif, qu’il soit d’origine vasculaire ou dégénératif (4) et, d’autre part, la fréquence importante des troubles cognitifs chez les patients ayant présenté un syndrome coronarien aigu (5). Neurologues et cardiologues semblent donc bien voués à voguer ensemble encore pour de nombreuses années ! Pr Igor Sibon, unité neurovasculaire, CHU de Bordeaux 1. Adams HP, Effron MB, Torner J et al.; AbESTT-II Investigators. Emergency administration of abciximab for treatment of patients with acute ischemic stroke: results of an international phase III trial: Abciximab in Emergency Treatment of Stroke Trial (AbESTT-II). Stroke 2008;39(1):87-99. 2. Zinkstok SM, Roos YB; ARTIS investigators. Early administration of aspirin in patients treated with alteplase for acute ischaemic stroke: a randomised controlled trial. Lancet 2012;380(9843):731-7. 3. Broderick JP, Palesch YY, Demchuk AM et al.; Interventional Management of Stroke (IMS) III Investigators. Endovascular therapy after intravenous t-PA versus t-PA alone for stroke. N Engl J Med 2013;368(10):893903. 4. Barnes DE, Yaffe K. The projected effect of risk factor reduction on Alzheimer’s disease prevalence. Lancet Neurol 2011;10(9):819-28. 5. Volonghi I, Pendlebury ST, Welch SJ et al. Cognitive outcomes after acute coronary syndrome: a population based comparison with transient ischaemic attack and minor stroke. Heart 2013;99(20):1509-14.