mise au point Anti-intégrases et inhibiteurs du CCR5 : quelles places dans l’arsenal thérapeutique ? CCR5 and integrase HIV inhibitors: which places in therapeutic options? Xavier de la Tribonnière*, **, Yazdan Yazdanpanah* P armi les 5 classes d’antirétroviraux (ARV) actuellement disponibles, deux sont nouvelles : inhibiteurs du CCR5 et inhibiteurs de l’intégrase (tableau). Elles agissent à des niveaux différents du cycle de réplication virale comparativement aux autres molécules ARV (figure). Leur arrivée dans Inhibiteurs d'entrée l’arsenal thérapeutique de la personne infectée par le VIH va assurément modifier les stratégies de prise en charge. Dans ces 2 classes, nous n’envisagerons que les molécules ayant obtenu une autorisation de mise sur le marché (AMM) en France, à savoir le maraviroc (Celsentri®) et le raltégravir (Isentress®). Inhibiteurs de fusion Inhibiteurs de RT Lymphocyte CD4+ Inhibiteurs d'intégration Traduction Inhibiteurs de maturation Inhibiteurs d'épissage Inhibiteurs de protéases Figure. Cible d’action des antirétroviraux dans la cellule infectée par le VIH ; schéma d’après Pierre Corbeau, laboratoire d’immunologie, CHU de Nîmes, Institut de génétique humaine, CNRS UPR1142, Montpellier. Tableau. Principaux inhibiteurs du CCR5 et de l’intégrase en développement en 2008. Inhibiteurs du CCR5 Inhibiteurs de l’intégrase Maraviroc (Celsentri®, Pfizer) Vicriviroc (ScheringPlough) Aplaviroc (GSK développement arrêté) Raltégravir (Isentress®, MSD) Elvitégravir (GS-9137, Gilead) * Service des maladies infectieuses et du voyageur, CH de Tourcoing. ** Service des maladies infectieuses et tropicales, CHRU de Montpellier. La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXIII - n° 5 - septembre-octobre 2008 | 161 Résumé Mots-clés VIH Antirétroviraux Maraviroc Raltégravir CCR5 Intégrase Highlights (Selzentry ®) Maraviroc and raltegravir (Isentress ®) are the first molecules of two new antiretroviral classes, CCR5 and integrase inhibitors. Maraviroc specifically inhibits R5 tropism HIV. A tropism phenotypic assay is required before its use. Tropism genotypic assays are under validation. An immunomodulator effect of CCR5 inhibitors demonstrated by CD4 count increase is highlighted in naive and pretreated patients. Raltegravir is striking for its powerful and rapid activity. Both molecules tolerance profiles are excellent for the moment. Both ARV obtained in 2007 a product licence in HIV-infected pretreated patients with virological failure. In virological success situation, switch for intolerance could be considered only for the moment for raltegravir. In naive patients, the first clinical trial results are encouraging for raltegravir, but insufficient for maraviroc in comparison with efavirenz; new ARV combinations with maraviroc have to be evaluated. Maraviroc and raltegravir are thus two new ARV, with different activity profiles but comparable indications for the moment ; however in the future indications could be diversified. Keywords HIV Antiretrovirals Maraviroc Raltegravir CCR5 Integrase Le maraviroc (Celsentri®) et le raltégravir (Isentress®) sont les premiers représentants de deux nouvelles classes d’antirétroviraux (ARV), les inhibiteurs du CCR5 et de l’intégrase. Le maraviroc n’a un impact antiviral que sur les souches VIH de tropisme R5. Un test phénotypique de tropisme est requis avant son utilisation. Des tests génotypiques de tropisme sont en cours de validation. Un effet immunomodulateur s’objectivant par une augmentation du taux de CD4 est mis en évidence chez le patient naïf et prétraité. Le raltégravir est remarquable par sa puissance et sa rapidité d’action. Les profils de tolérance des deux molécules sont pour l’instant excellents. En 2007, ces deux ARV ont obtenu une AMM pour le patient infecté par le VIH, prétraité en échec virologique. En succès virologique, l’indication en switch pour intolérance médicamenteuse n’est pour le moment envisageable que pour le raltégravir. Les premiers résultats d’études cliniques chez le patient naïf sont encourageants pour le raltégravir, mais insuffisants pour le maraviroc en comparaison avec l’éfavirenz ; toutefois de nouvelles associations ARV avec ce dernier doivent être évaluées. Le maraviroc et le raltégravir sont deux nouveaux ARV avec des profils d’action différents et des indications pour l’instant semblables, mais amenées à se diversifier. Caractéristiques du maraviroc et du raltégravir Maraviroc, inhibiteur du CCR5 ◆◆ Indications Le maraviroc est un antagoniste non compétitif du corécepteur CCR5 du VIH. D’après l’AMM européenne obtenue en 2007, il s’adresse aux patients prétraités infectés par une souche VIH de tropisme R5 présentant des résistances aux autres classes, en association avec d’autres ARV (1). Le maraviroc n’étant pas actif sur les souches de tropisme X4 ou double/mixte R5/X4, un test phénotypique déterminant le tropisme doit être réalisé avant tout traitement. Le résultat est obtenu en 3-4 semaines. Depuis peu, des tests génotypiques reposant sur de nouveaux algorithmes, de réalisation plus rapide et moins chers, sont en cours d’élaboration et les premiers résultats de corrélation avec les tests phénotypiques sont encourageants (2, 3). Au cours d’un traitement efficace, la détermination du tropisme sur une charge virale (CV) indétectable avec un test phénotypique est actuellement impossible en pratique clinique. Des solutions sont recherchées, comme l’utilisation a posteriori d’un test génotypique de tropisme sur la dernière CV détectable dans l’hypothèse où le tropisme n’aurait pas varié pendant la phase d’indétectabilité, ou la détermination du tropisme sur l’ADN proviral. Ces hypothèses demandent à être validées. ◆◆ Tolérance La tolérance clinique et biologique du maraviroc paraît très satisfaisante (3, 4). Mais comme pour toute nouvelle molécule, une vigilance vis-à-vis de cette classe d’ARV doit être maintenue, notamment quant à la tolérance hépatique, en raison des effets hépatotoxiques graves liés à l’aplaviroc (5). Il existe aussi un hypothétique effet procarcinogène, non confirmé actuellement, sur l’émergence plus fréquente de cancers sous vicriviroc (6). Sur ces deux sujets, les données actuelles vis-à-vis du maraviroc sont rassurantes (3, 4). 162 | La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXIII - n° 5 - septembre-octobre 2008 ◆◆ Efficacité La stimulation de la restauration immunitaire observée sous maraviroc est particulièrement intéressante. Une méta-analyse évaluant cet effet induit sous inhibiteurs du CCR5 confirme l’augmentation du taux des lymphocytes CD4 chez les patients naïfs et prétraités. Elle concerne la valeur absolue du taux de CD4 et non pas son pourcentage, et s’opère principalement dans les premiers mois de traitement (7). L’effet immunologique s’observe également chez le patient en échec virologique ou porteur de souches virales R5/X4 ou X4 exclusives et n’est pas observé chez la personne non infectée par le VIH (7, 8). Il s’avère indépendant du taux initial des CD4 et du degré de suppression virale (7). Cette stimulation de la restauration immunitaire doit être toutefois confirmée par des essais cliniques ayant pour critère de jugement principal les marqueurs immunologiques. D’autre part, le mécanisme de ce phénomène doit être mieux élucidé. Un échappement virologique sous ce produit peut passer par deux voies : soit par l’émergence de souches R5/X4 ou X4 préexistantes (et non pas par une commutation de tropisme), soit par l’apparition de mutations dans la région V3 de la gp120 (3, 4). Afin de mieux détecter les souches R5/X4 ou X4 préexistantes, des tests phénotypiques ayant une plus grande sensibilité dans la détermination du tropisme viral sont actuellement en cours de développement (9). L’inquiétude initiale sur une aggravation du pronostic clinique en cas d’émergence de souches virales de tropisme X4 sous inhibiteur de CCR5 ne semble finalement pas confirmée (3). L’intérêt du maraviroc pourrait être d’autant plus grand que le taux de CD4 est bas, compte tenu de l’impact potentiel de cette molécule sur la restauration immunitaire. Toutefois, deux limites apparaissent chez ces patients. D’une part, la probabilité que la souche virale soit de tropisme X4 est forte, car elle est inversement proportionnelle avec le taux de CD4 (3, 4, 10). D’autre part, une vigilance particulière doit être maintenue vis-à-vis du risque infectieux lié à certains pathogènes comme le toxoplasme, le bacille tuberculeux, le cryptocoque ou certains autres champignons, car le CCR5 aurait une fonction anti-infectieuse, entre autres vis-à-vis de ces germes, et son blocage pourrait théoriquement être préjudiciable (1, 3). mise au point Par ailleurs, le CCR5 et ses ligands ayant des fonctions immunitaires pro-inflammatoires, les inhibiteurs du CCR5 pourraient être intéressants, car l’inflammation chronique liée au VIH serait responsable d’un accroissement de la mortalité à long terme. Mais la pertinence clinique de cette hypothèse reste à démontrer (3, 11). ◆◆ Posologie La posologie est de 300 mg x 2/j. Cependant, le maraviroc étant substrat de la glycoprotéine P et du cytochrome P450 3A4, des adaptations des doses sont nécessaires en présence d’un inhibiteur de ce dernier enzyme. Une réduction de moitié des doses de maraviroc est nécessaire en association avec les inhibiteurs de protéase (IP) [sauf le tipranavir et le fosamprénavir], l’elvitégravir/r, le kétoconazole, l’itraconazole, la clarithromycine et la télithromycine. En l’absence d’inhibiteur de l’enzyme et en présence d’un inducteur comme l’éfavirenz, le ténofovir, la rifampicine, la carbamazépine, le phénobarbital ou la phénytoïne, il convient de doubler la posologie de maraviroc (1, 4). Raltégravir, inhibiteur d’intégrase ◆◆ Indications Le raltégravir est un inhibiteur de l’intégrase du VIH ayant pour effet de bloquer l’intégration de l’ADN proviral dans l’ADN chromosomique de la cellule infectée et ainsi d’empêcher la réplication virale. Son AMM, obtenue fin 2007, permet son utilisation chez le patient prétraité en échec virologique aux 3 classes existantes : inhibiteurs nucléosidiques (INTI) et non nucléosidiques (INNTI) de la transcriptase inverse, IP, en association avec d’autres ARV (12). ◆◆ Tolérance La tolérance clinique et biologique est apparemment très satisfaisante et comparable à celle du placebo. Le doute initial sur la survenue plus fréquente de cancers sous raltégravir dans les essais BENCHMARCK n’a finalement pas été confirmé après 7 mois supplémentaires de suivi (13). ◆◆ Efficacité La rapidité d’action de ce produit est remarquable (14). En cas d’échappement au raltégravir, on observe 2 profils de mutations de résistance : Q148K/H/R (la plus fréquente) et N155H. Ces mutations sont fréquemment associées à de nombreuses autres qui augmentent le niveau de résistance (14-18). Elles sont croisées avec celles de l’elvitégravir, deuxième inhibiteur d’intégrase en cours de développement (18). Il semble que ces mutations de résistance s’accompagnent d’une infectivité moindre du virus (4). Le produit possédant une barrière génétique faible nécessite une observance optimale. ◆◆ Posologie La posologie du raltégravir est de 400 mg (1 comprimé) x 2/j. Le raltégravir est métabolisé par glucuronidation médiée par l’UDP-glucuronosyltransférase (UGT) 1A1 et non par un cytochrome comme pour beaucoup d’autres ARV. Il inhibe l’UGT1A1 et 2B7 (14). Sur le plan pharmacologique, il présente donc peu d’interactions médicamenteuses. Des adaptations posologiques peuvent être nécessaires avec les puissants inducteurs de l’UGT1A1 telle la rifampicine (doublement des doses de raltégravir), même si pour le moment les données sont insuffisantes pour pouvoir l’affirmer. Le ténofovir ou de puissants inhibiteurs de l’UGT1A1 tel l’atazanavir (Reyataz ®) modifient la pharmacocinétique du raltégravir, mais les doses usuelles de l’inhibiteur d’intégrase peuvent être maintenues. La coadministration avec des médicaments qui augmentent le pH gastrique tels les inhibiteurs de la pompe à proton ou les antagonistes des récepteurs H2 peut augmenter les concentrations de raltégravir : l’association est donc déconseillée, bien qu’elle soit possible si elle ne peut être évitée (12, 14). Place dans l’arsenal thérapeutique Patients prétraités en échec virologique ◆◆ Maraviroc L’obtention de l’AMM chez le patient prétraité s’est faite sur les résultats des deux essais pivots MOTIVATE 1 et 2 (1, 19, 20). En pratique, le maraviroc ne peut être utilisé que si la souche virale est de tropisme R5. Or, chez le patient non naïf de traitement ARV, la prévalence de ce tropisme se situe autour de 50 % (3, 10), ce qui en limite l’usage. Compte tenu de sa bonne tolérance, le maraviroc pourrait s’envisager en phase plus précoce, comme en deuxième ligne après échec virologique mais des essais cliniques sont requis. En cas de succès virologique associé à un échec immunologique, les propriétés immunostimulantes du maraviroc pourraient être très intéressantes, mais l’impossibilité de déterminer le tropisme sur une CV indétectable avec les méthodes actuelles ne permet pas de le prescrire. La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXIII - n° 5 - septembre-octobre 2008 | 163 mise au point Anti-intégrases et inhibiteurs du CCR5 : quelles places dans l’arsenal thérapeutique ? ◆◆ Raltégravir Le raltégravir a démontré son efficacité chez le patient lourdement prétraité grâce aux résultats des deux essais pivots BENCHMARK 1 et 2 et de l’essai 005 (12, 15, 16, 21). Son intérêt est ici majeur, en raison de sa puissance d’action, de l’absence de résistances préexistantes et de son association facile avec les autres ARV. Il est évidemment très important dans ces situations d’associer le raltégravir avec au moins deux autres ARV pleinement actifs. Outre la place établie du raltégravir en traitement de sauvetage, cette molécule pourrait aussi s’envisager chez le patient moins lourdement prétraité mais en échec. Sa bonne tolérance clinique et biologique est un argument pour évaluer son efficacité sur cette population dans le cadre d’essais cliniques. prometteurs. Le raltégravir a été comparé à l’éfavirenz en association avec le ténofovir et la lamivudine. À 48 semaines de traitement, on retrouvait un taux comparable de patients ayant une CV indétectable inférieure à 50 copies/ml (autour de 85 %) aux différentes doses de raltégravir testées. La réduction de la CV était plus rapide sous raltégravir et le pourcentage de patients ayant une CV indétectable à 4 et 8 semaines était plus élevé dans le bras raltégravir que dans le bras l’éfavirenz (23). Ces résultats pourraient amener à envisager cet inhibiteur d’intégrase chez le patient naïf, d’autant que sa tolérance paraît excellente et sa prise quotidienne facile. Il pourrait s’intégrer dans une multithérapie durable ou dans le cadre d’une stratégie d’inductionmaintenance. Patients naïfs d’antirétroviraux Remplacement en cas d’effets indésirables ◆◆ Maraviroc Le maraviroc était théoriquement un bon candidat chez le patient naïf d’ARV, en raison de sa très bonne tolérance, de sa facilité de prise et de la prévalence élevée de souches virales de tropisme R5 à cette phase précoce (85 % environ). Cependant, les résultats décevants de l’essai MERIT n’autorisent pas cette indication chez ces patients, chez qui le maraviroc était comparé à l’éfavirenz en association avec la zidovudine et la lamivudine (22). Toutefois, d’autres associations thérapeutiques comportant le maraviroc pourraient être explorées chez le patient naïf, par exemple avec un IP boosté ou un inhibiteur de l’intégrase, avec ou sans nucléosidique. Des essais cliniques spécifiques sont requis. En cas de traitement d’une primo-infection par le VIH, le maraviroc aurait aussi potentiellement sa place, d’autant que le tropisme viral est dans ce cas principalement R5 (3). Il est également possible d’imaginer qu’il puisse y avoir un intérêt à utiliser le maraviroc dans une stratégie d’intensification. L’ajout du produit à une multithérapie ARV sur les premiers mois pourrait avoir pour effet de majorer l’augmentation des CD4. Cette hypothèse doit être validée. Toutefois, en raison de l’augmentation rapide des CD4, un syndrome de restauration immunitaire serait susceptible théoriquement de survenir plus fréquemment en début de traitement. ◆◆ Raltégravir À l’heure actuelle, le raltégravir ne possède pas d’AMM chez le patient naïf (12). Cependant, les résultats préliminaires d’un essai chez ce type de patients sont 164 | La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXIII - n° 5 - septembre-octobre 2008 À l’heure où les complications métaboliques et cardiovasculaires constituent un problème majeur dans le suivi à long terme des patients VIH traités, grevant potentiellement leur espérance de vie, une alternative partielle aux IP, entre autres, serait offerte par ces deux nouvelles molécules. Le problème des lipodystrophies et des mitochondropathies, dont la gestion est lourde et souvent limitée, trouverait ici également une issue. ◆◆ Maraviroc La tolérance du maraviroc paraît très bonne et cette molécule n’engendre en particulier aucun trouble métabolique ni lipodystrophique connu à ce jour (3, 4). Cependant, le remplacement d’une molécule mal tolérée par le maraviroc dans le cadre d’un traitement efficace sur le plan virologique est à l’heure actuelle impossible, car le tropisme du virus ne peut être vérifié sur une CV indétectable. Une autre situation serait le remplacement du T-20 dont l’utilisation ne s’envisage en général que sur de courtes périodes en raison de sa difficulté d’administration. Mais, là encore, on se heurte au même obstacle, celui de l’impossible détermination du tropisme en cas de CV indétectable. ◆◆ Raltégravir Cette molécule très bien tolérée n’entraîne à ce jour ni trouble métabolique ni lipodystrophie (14). En remplacement d’une molécule induisant des effets indésirables gênants, son utilisation chez le patient prétraité en succès virologique paraît envisageable. mise au point Le raltégravir peut aussi permettre d’alléger des stratégies ARV lourdes contenant de nombreuses molécules, dont certaines sont parfois difficiles d’administration (comme le T-20). Les premiers résultats évaluant le remplacement du T-20 par le raltégravir sont encourageants (24) et ceux d’autres essais, comme celui de l’ANRS (EASIER), sont attendus. Précautions d’emploi selon les pathologies associées et le terrain ◆◆ Insuffisance rénale Maraviroc L’utilisation du maraviroc est possible en cas d’insuffisance rénale et aucune adaptation de dose n’est requise. Cependant, s’il y a coadministration avec un inhibiteur du CYP450 3A4, des adaptations posologiques sont nécessaires en fonction de la clairance de la créatinine. La prise unique quotidienne de 300 mg au lieu de 600 mg/j est justifiée si la clairance est inférieure à 80 ml/mn sauf en cas de coprescription avec du saquinavir boosté, qui requiert l’adaptation suivante : entre 50 et 80 ml/­mn, administration de 300 mg toutes les 24 heures, entre 30 et 50 ml/­mn, toutes les 48 heures, et inférieure à 30 ml/mn, toutes les 72 heures. Par ailleurs, le maraviroc est dialysable (1). Raltégravir L’élimination rénale du raltégravir est marginale. Il n’y a donc pas d’adaptation posologique en cas d’insuffisance rénale. Toutefois, il convient d’éviter la prescription de raltégravir chez l’insuffisant rénal dialysé en attendant de savoir dans quelle mesure le produit est dialysable (14). ◆◆ Pathologie hépatique Maraviroc Comme vu ci-dessus, une vigilance particulière vis-à-vis de l’hépatotoxicité est de mise, en raison des cas de toxicité hépatique grave survenus sous aplaviroc (5). La prescription du maraviroc en cas d’insuffisance hépatique est possible, sauf si celle-ci est considérée comme sévère (1). En cas de co-infection VIH-VHB ou VHC, mais en l’absence d’insuffisance hépatique, le maraviroc peut être prescrit (1). Il pourrait d’ailleurs présenter une activité bénéfique en contrecarrant l’effet proinflammatoire induit par le CCR5, d’autant que cette inflammation chronique est délétère, tant sur le plan hépatique que sur celui du système immunitaire (3, 11). Des données récentes montrent que le maraviroc aurait une activité spécifique sur le VHB, mais cela doit être validé par d’autres études (25). Par ailleurs, il n’y a a priori pas d’interaction avec le peginterféron et la ribavirine. Raltégravir Le raltégravir étant métabolisé dans le foie, sa prescription chez le patient porteur d’une insuffisance hépatique sévère sera prudente en attendant des données complémentaires. Cependant, aucune adaptation posologique n’est nécessaire dans cette situation (12). En cas de co-infection VIH-VHB ou VHC, les données cliniques sont encore limitées et le raltégravir devra être prescrit avec prudence (12). Il n’y a a priori pas d’interaction avec le peginterféron et la ribavirine. ◆◆ Co-infection avec la tuberculose La coadministration de maraviroc ou de raltégravir est possible avec un traitement antituberculeux contenant de la rifampicine, s’il n’y a pas d’alternative et sous réserve d’adaptation des doses. En ce cas, il convient de doubler les doses de maraviroc ou de raltégravir en contrôlant par des dosages sanguins les ARV concernés (1, 12). Des études spécifiques sont en cours sur ce sujet. Il n’y a pas d’interaction notable avec les autres antituberculeux. ◆◆ Patient en attente de greffe hépatique ou rénale Le CCR5 joue un rôle actif dans le rejet de greffe. Il est possible d’imaginer qu’en inhibant la fonction CCR5, l’on puisse favoriser le maintien de la greffe (26). Le maraviroc pourrait avoir ici une place de par son rôle immunitaire spécifique, notamment avant la greffe. Cette hypothèse reste à valider. Une étude récente a montré que l’association du raltégravir avec l’immunosuppresseur sirolimus chez des patients insuffisants rénaux ayant bénéficié d’une greffe hépatique était possible (27). Femme enceinte Des études menées chez l’animal avec le maraviroc et le raltégravir ont mis en évidence une toxicité sur la reproduction, mais le risque potentiel dans l’espèce humaine n’est pas connu. En l’absence de données sur la toxicité embryonnaire ou fœtale éventuelle du maraviroc ou du raltégravir, ils devront ici être évités en cas de grossesse. Cependant, le La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXIII - n° 5 - septembre-octobre 2008 | 165 mise au point Anti-intégrases et inhibiteurs du CCR5 : quelles places dans l’arsenal thérapeutique ? maintien de l’une de ces molécules chez la femme enceinte déjà traitée peut se justifier si ce traitement est essentiel à sa santé et qu’aucune solution n’est possible (1, 4, 12, 14). Action sur les réservoirs Il a été montré qu’une réplication virale résiduelle persistait dans les réservoirs (28). Avec ces deux ARV, l’on dispose maintenant de produits qui, ajoutés aux autres dans le cadre d’une stratégie d’intensification, pourraient permettre de réduire cette réplication. Retrouvez les références bibliographiques sur le site : www.edimark.fr ◆◆ Maraviroc En vertu de sa liaison protéique faible, de l’ordre de 75 % alors qu’elle est de 95 % pour la plupart des autres ARV, le maraviroc diffuse bien dans les compartiments profonds, notamment dans les réservoirs du VIH (prostate, cerveau) [4, 29]. Une incidence sur la purge supplémentaire des réservoirs en cas d’utilisation de maraviroc est possible, mais elle reste à être vérifiée. Ce produit pourrait aussi avoir un intérêt en réduisant le risque de transmission du VIH, en vertu de sa concentration importante dans les tissus génitaux de la femme (30). Des données sur sa concentration dans le sperme manquent actuellement. L’intérêt du maraviroc dans les encéphalites à VIH mérite d’être évalué, d’autant qu’en cas de tropisme X4 de la souche virale en périphérie, il pourrait y avoir une dissociation avec le liquide céphalo-rachidien où le tropisme de la souche resterait préférentiellement R5 (10). Toutefois, la diffusion du maraviroc dans le LCR est mal connue. 166 | La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXIII - n° 5 - septembre-octobre 2008 ◆◆ Raltégravir Peu de données sont disponibles sur la diffusion du raltégravir dans le LCR et dans les autres réservoirs. Types et sous-types du VIH La sensibilité des souches virales de tropisme R5 au maraviroc serait équivalente sur les souches B et non B. Cependant la fréquence du tropisme R5 varie en fonction du sous-type : C plutôt R5, A et D plutôt X4, CRF peu de données, E et VIH2 équivalentes au sous-type B (10). Des essais cliniques dans des zones géographiques où des souches non B prédominent seraient intéressants. Le raltégravir aurait une activité équivalente sur les souches B et non B (4). Une bonne activité du raltégravir a été démontrée sur des souches VIH2 (31). Conclusion L’apparition de ces deux nouvelles classes thérapeutiques, représentées par le maraviroc et le raltégravir, dans l’arsenal thérapeutique en 2008 est très bénéfique pour nos patients, d’autant que ces molécules sont a priori très bien tolérées et de prise facile. Leur profil d’action et leurs intérêts spécifiques sont différents. Leurs AMM se limitent pour l’instant aux patients prétraités en échec virologique, mais les résultats de prochains essais pourraient étendre leurs indications, notamment chez le patient naïf et dans le cadre de la réduction des effets indésirables à long terme induits par les autres classes thérapeutiques. Parallèlement, de nouvelles associations ARV pourraient être envisagées. Comme tout nouveau ARV, la vigilance est de mise afin de confirmer leur bonne tolérance à long terme. ■ Kale phar fecté satio proté ment être naire Anti-intégrases et inhibiteurs du CCR5 : quelles places dans l’arsenal thérapeutique ? mise au point Références bibliographiques 1. RCP européen maraviroc 2007. 2. Soulié C, Derache A, Aimé C et al. Comparison of two genotypic algorithms to determine HIV-1 tropism. HIV Med 2008;9:1-5. 3. De la Tribonnière X, Yazdanpanah Y, Reynes J. Les inhibiteurs de CCR5 : une nouvelle classe thérapeutique. Med Mal Infect 2008;38:S1-6. 4. Fadel H, Temesgen Z. Maraviroc. Drugs Today (Barc) 2007;43:749-58. 5. Crabb C. GlaxoSmithKline ends aplaviroc trials. AIDS 2006;20:641. 6. Gulick RM, Su Z, Flexner C et al. Phase 2 study of the safety and efficacy of vicriviroc, a CCR5 inhibitor, in HIV-1-Infected, treatment-experienced patients: AIDS clinical trials group 5211. J Infect Dis 2007;196:304-12. 7. Wilkin T, Ribaudo H, Gulick R. 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