L’engagement des jeunes mères avec le système de soins en oncologie FEA

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Canadian OnCOlOgy nursing JOurnal • VOlume 25, issue 3, summer 2015
reVue Canadienne de sOins infirmiers en OnCOlOgie
FEATURES/RUbRiqUES
PriX de conFérence À lA mémoire de Helene Hudson
Lengagement des jeunes mères avec le système de
soins en oncologie
par Judith T. Strickland
ABréGé
Pour les jeunes mères, lexpérience du cancer est une grande source
de détresse, non seulement en raison de leur âge ou de leurs préoccu-
pations pour elles-mêmes, mais également parce quelles s’inquiètent
de leur capacité à prendre soin de leurs enfants et de la perte poten-
tielle dannées auprès deux. Tandis que les inrmières s’occupent
des jeunes mères atteintes de cancer, ces femmes s’occupent de leurs
enfants. Elles doivent jongler leur rôle de mère avec les exigences de
leur diagnostic/traitement.
Lobjectif de cet article est, d’une part, de faire état de certains
résultats d’une étude basée sur la théorie ancrée mettant en jeu 18
jeunes mères et, dautre part, de promouvoir le dialogue avec les
inrmiers et inrmières au sujet de stratégies liées aux soins suscep-
tibles de rendre l’expérience du cancer de ces jeunes patientes un peu
moins ardue pour elles et leur famille.
Les jeunes mères sont souvent les principaux soignants de
leurs enfants (Fitch, Bunston & Elliot, 1999; Rayson, 2001).
Pour les jeunes mères diagnostiquées d’un cancer, l’expérience
est une grande source de détresse, puisquelles sont inquiètes
par rapport à leurs enfants et à leur capacité à s’occuper deux,
et elles redoutent la perte potentielle d’années auprès deux
(Billhult & Segesten, 2003; Coyne & Borbasi, 2006; Dunn &
Steginga, 2000; Elmberger, Bolund, Magnusson, Lützén &
Andershed, 2008; Helseth & Ulfsaet, 2005).
Lorsque les mères deviennent des patientes atteintes de can-
cer, elles sont placées malgré elles dans une situation dicile,
puisquelles doivent tenter dêtre à la fois de bonnes patientes et
de bonnes mères (Thorne, 1990). Il est important de savoir com-
ment ces jeunes femmes vivent leur expérience de cancer et com-
ment nous pouvons les soutenir pendant cette période erayante
et dicile. À l’heure actuelle, les jeunes mères ne sont habituelle-
ment pas admissibles à la participation aux études en oncologie.
De plus, selon la recherche, le système de soins aux personnes
atteintes de cancer ne répond pas adéquatement aux besoins
des jeunes femmes et des jeunes mères qui en deviennent les
clientes (Barnes et al. 2000; Elmberger, Bolund & Lützén, 2000;
Elmberger, Bolund & Lützén, 2005; Elmberger et al., 2008;
Gould, Grassau, Manthorne, Gray & Fitch, 2006). Les services de
soins oncologiques habituels ne correspondent pas aux besoins
des jeunes mères et des jeunes femmes (Gould et al., 2006).
Le fait de recevoir un diagnostic de cancer peut être une
expérience dévastatrice. Les jeunes mères sont dans une situa-
tion particulière, puisquelles ont des responsabilités paren-
tales ainsi qu’une relation avec leurs enfants. Cet article est
basé sur une étude de recherche menée auprès de jeunes
mères qui ont reçu un diagnostic de cancer et subi un trai-
tement dans les provinces de l’Atlantique. Je viens de Terre-
Neuve-et-Labrador, et j’ai habité dans une autre province
maritime pendant une partie de la période de l’étude.
Cette étude visait à élargir notre compréhension des expé-
riences des mères en tant que patientes en oncologie, en par-
ticulier au cours des deux années suivant leur diagnostic.
Lélan derrière l’étude était double : un volet personnel, et un
volet professionnel lié à la pratique clinique. J’avais un désir
de longue date de mieux comprendre comment soutenir les
mères diagnostiquées d’un cancer.
Question de recherche
La question de recherche pour cette étude était : Quelles
sont les expériences des jeunes mères qui ont récemment reçu
un diagnostic de cancer?
Méthodologie
Nous avons employé une approche qualitative basée sur
la méthode par théorisation ancrée de Glaser (Glaser, 1998).
Cette dernière nous a permis détudier la façon dont les
jeunes mères gèrent leurs rôles et responsabilités envers leurs
enfants tout en composant avec leur diagnostic et leur traite-
ment. Nous avons obtenu les approbations déontologiques
nécessaires ainsi qu’une assistance pour recruter des femmes
au sein du système de soins en cancérologie dans la région
concernée par l’étude.
Les jeunes mères
Les mères avaient de 27 à 45 ans au moment de leur dia-
gnostic. Seize des femmes ont reçu un diagnostic de cancer du
sein, et deux, un diagnostic de cancer gynécologique non ova-
rien. Dans tous les cas, la modalité de traitement primaire était
la chirurgie. La plupart dentre elles ont subi une mastectomie,
et non une chirurgie mammaire conservatrice; certaines ont
subi une mastectomie bilatérale. Quelques-unes dentre elles
avaient déjà traversé une reconstruction mammaire, et la qua-
si-totalité envisageaient de subir une telle intervention. Parmi
les dix-huit mères, quinze ont subi une chimiothérapie, onze
ont reçu une radiothérapie, neuf ont subi les deux, deux avaient
en n de compte un cancer du sein triple négatif et une était en
essai clinique.
Seize des mères étaient mariées. Une était divorcée, et une
autre en instance de divorce. Le mari d’une des mères tra-
vaillait dans une autre province, et quelques autres maris se
Au sujet de l'Auteure
Judith T. Strickland, inf., B.Soins inf., M.Sc.inf., CSIO(C)
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déplaçaient dans le cadre de leur travail, mais revenaient à la
maison le soir. Trois des mères avaient connu des problèmes
de fertilité avant d’avoir leurs enfants.
Chacune des 18 mères avait entre un et quatre enfants, dont
les âges variaient de la petite-enfance au début de l’âge adulte.
La plupart dentre eux étaient d’âge préscolaire ou scolaire.
Trois des jeunes mères avaient des mères qui avaient elles-
mêmes été diagnostiquées d’un cancer dans le passé et qui
se portaient bien depuis le diagnostic. Cependant, ces mères
avaient reçu leur diagnostic alors quelles étaient plus vieilles
que leurs lles. Une des jeunes mères était persuadée qu’un
diagnostic reçu lorsque les enfants sont déjà adultes est très
diérent d’un diagnostic reçu lorsque les enfants sont encore
à la maison. Cette jeune mère était déjà adulte lorsque sa mère
avait reçu son diagnostic. Elle a expliqué la diérence ainsi :
Ma mère me disait, je sais comment tu te sens, et je lui répon-
dais, non maman, tu ne le sais pas, parce que lorsque tu as
eu ton cancer, tes lles avaient déjà 31 et 34 ans. Nous étions
adultes. Ce nest pas du tout la même chose pour moi, parce
que mes enfants sont des bébés. À certains niveaux, c’est la
même chose, mais à dautres, ce nest pas la même expérience.
résultAts cHoisis
La discussion suivante sur les résultats porte davantage sur
l’aspect descriptif que sur l’aspect conceptuel de l’interpré-
tation qui a fait l’objet d’une présentation en octobre dernier
dans le cadre de la conférence annuelle 2014 de l’Association
canadienne des inrmières en oncologie. Une représentation
conceptuelle des résultats, ainsi que des détails sur la méthode
par théorisation ancrée, paraîtront dans une autre publication.
La principale préoccupation des jeunes mères, qui étaient
maintenant également des « patientes en oncologie », était
de savoir en quoi leur situation allait aecter leurs enfants
sur les plans émotionnel et psychologique. Ces femmes vou-
laient pouvoir élever leurs enfants. La réexion suivante, qui
était l’une des premières pensées d’une des femmes, reète
bien les inquiétudes et l’amour de toutes les participantes
envers leurs enfants : « Lorsque j’ai appris que j’avais le cancer,
ma première pensée était “Non, ce nest pas possible, j’ai trois
petits enfants.” Vous savez, je dois être là pour eux. »
Les titres suivants représentent des catégories qui aident
à mieux comprendre la façon dont les jeunes mères abordent
leurs inquiétudes envers leurs enfants et composent avec leurs
propres sentiments face à leur diagnostic de cancer. Les inr-
mières occupent une position idéale pour appuyer les jeunes
mères au moment où elles entrent en contact avec le système
de soins en oncologie pour le diagnostic et le traitement, et cette
compréhension peut les aider à fournir un soutien approprié.
Protection émotionnelle
La protection émotionnelle était la façon générale dont les
mères abordaient leurs préoccupations par rapport aux éven-
tuels eets émotionnels de leur cancer sur leurs enfants. Dans
cette situation, la protection émotionnelle implique, d’une
part, la création d’une espèce de tampon contre les eets du
cancer sur les enfants et la famille et, d’autre part, le fait de res-
ter émotionnellement fortes elles-mêmes. Dès le moment du
diagnostic, les mères commençaient à protéger leurs enfants.
Par exemple,
Ce jour-là, la priorité, c’était les enfants. En fait, ma première
pensée était pour eux. J’ai reçu mon diagnostic le 8 juin, et
mon ls aîné était en 7e année. Il est en 8e maintenant. Il
avait des examens la semaine suivante, les premiers de sa
vie, et il les a terminés le 18 juin. Quand j’ai appris la nou-
velle, j’ai regardé mon mari et je lui ai dit : « On ne dit rien à
personne avant le 18 juin ». Parce que cela navait pas de sens
dannoncer cette nouvelle avant la n de ses examens.
Pour mettre en place ces mesures de protection émotion-
nelle, les jeunes mères doivent en venir à faire la paix avec leur
diagnostic. Elles doivent faire face à un diagnostic qui repré-
sente une menace de mort.
Faire face à un diagnostic constituant une menace de mort
Pour faire face à un diagnostic qui pose une menace de
mort, les jeunes mères doivent faire la paix avec leur propre
mortalité. Cela signie en outre que les mères doivent faire un
énorme travail mental pour rester émotionnellement solides
malgré leurs peurs, an quelles puissent orir une protection
émotionnelle à leurs enfants.
Tableau 1 : Caractéristiques des mères
Âge des jeunes mères au moment :
du diagnostic 27–45 ans
de l’entrevue 30–49 ans
Type de cancer
Sein 16
Organes de reproduction 2
Type de traitement (après la chirurgie)
Chimiothérapie 15
Radiothérapie 11
Chimiothérapie et radiothérapie 9
Situation matrimoniale
Mariée 16
Séparée 1
Divorcée 1
Catégories d’âge des enfants (n = 37)
0–5 ans 10
6–11 ans 11
12–17 ans 11
> 17 ans 5
Nombre total de lles et de ls 17 lles
20 ls
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Au début, cest plutôt dicile à croire. Bon. J’ai parfois l’im-
pression de faire les gestes, mais je ne sais pas à quel point
cela sest ancré. Parfois j’ai l’impression de ne pas très bien
composer avec tout ça, mais c’est que ça me semble tellement
invraisemblable... Je n’arrive pas à croire que cest en train de
marriver à moi. On entend des histoires, mais c’est diérent
quand ça nous frappe directement... C’est comme si... ce nest
pas possible... Je dirais que parfois je prends un petit recul et
je réalise que cest en train de marriver à moi, et que ce n’est
pas bien du tout.
Les mères craignent de ne pas voir leurs enfants grandir.
Elles ont peur de laisser leurs enfants sans mère : « La peur,
vous savez, elle ne part jamais. Je n’arrête pas de dire que si on
pouvait me garantir dix années de plus, pour qu’ils nissent
tous leur secondaire, je serais un peu plus tranquille. »
Faire face au cancer signie entre autres parvenir à contrô-
ler ses émotions. Les mères ont immédiatement commencé à
travailler sur la maîtrise de leurs émotions, parce quelles ne
voulaient pas que leurs enfants les voient bouleversées et en
train de pleurer.
Le soir avant daller voir mon médecin de famille (pour obte-
nir les résultats de la biopsie), je me suis arrêtée devant les
chambres de mes enfants avant d’aller au lit, comme n’im-
porte quelle mère, j’imagine. Je les ai regardés dormir, et jai eu
ma crise de pleurs. Je me suis à moitié assise au bord de leur
lit sans mon mari, et j’ai probablement pleuré pendant deux
heures, et je me sentais comme, je suis sûre que je lai et je ne
peux même pas essayer de m’imaginer ce qui m’attend. Et je
pense que cest la seule fois où je me suis vraiment laissé aller.
Après ça, je ne me suis plus laissé emporter par l’émotion.
Les mères ont décidé de la façon et du moment d’annon-
cer la nouvelle à leurs enfants. Elles ont utilisé un langage
approprié pour l’âge de chacun, par exemple « être malade à
l’intérieur ».
l’eXPérience du trAitement
Lorsque les mères subissent leur traitement, elles entrent
en contact avec le système de soins oncologiques de façon
intensive. Cela est particulièrement vrai lorsquelles subissent
une chimiothérapie et/ou une radiothérapie. Lorsquelles
reçoivent leur premier traitement habituellement une
chirurgie –, elles peuvent ou non être admises à l’hôpital.
Toutes les participantes à cette étude sauf une ont été
admises à l’hôpital durant au moins une nuit. La mère qui
n’a pas été admise avait un professionnel de la santé dans sa
famille immédiate, ce qui a joué dans la décision de lui per-
mettre de rentrer chez elle après sa chirurgie de jour.
La chimiothérapie est associée à des eets secondaires
comme la nausée et la fatigue. De tels eets peuvent être
perturbants pour n’importe quel patient. Cependant, dans le
contexte des mères, les enfants peuvent voir que leur mère
est malade, ce qui peut les pousser à s’inquiéter. Les mères
peuvent avoir des dicultés à s’occuper de leurs enfants de
la façon habituelle, ce qui peut entraîner de la détresse pour
elles et faire comprendre aux enfants que maman est très
malade.
La chimiothérapie nécessite en outre la prise de précau-
tions. Par exemple, dans le cas de la neutropénie, une mère
s’est exprimée ainsi :
Quand j’étais dans la période de 7 à 14 jours, je devais garder
mes distances de lui à cause des bactéries et autres bestioles.
Il avait quatre ans, donc je devais constamment lui rappeler
de se laver les mains, et j’avais toujours le désinfectant pour
les mains avec moi. Mais les enfants sont des enfants. Ils se
mettent les doigts dans le nez et tout, vous savez.
Avec les enfants, il est important de renforcer l’importance
d’une bonne hygiène des mains et de leur fournir l’aide néces-
saire à cet eet.
Un des plus grands enjeux que ces mères décrivaient en
lien avec la chimiothérapie était la perte des cheveux. Les 15
mères qui ont subi cette thérapie ont toutes perdu leurs che-
veux. L’une dentre elles s’est exprimée ainsi :
Lorsque jai perdu mes seins, je n’ai pas versé de pleurs.
Mais lorsque je me suis rasé la tête, là j’ai pleuré. Il me sem-
blait que mes seins mavaient trahie et qu’il leur fallait par-
tir, mais mes cheveux n’étaient que de simples victimes des
circonstances.
La perte des cheveux est souvent un signe hautement
visible du cancer. « Lorsque vous avez l’air malade, les gens
vous traitent diéremment aussi », a expliqué une des mères.
Et une autre d’ajouter :
Je ne voulais pas que les camarades de mes enfants leur
disent oh, votre mère va perdre ses cheveux. C’était très
important pour moi qu’ils naient jamais à vivre cela. Et ils
ne lont pas vécu... Je ne voulais pas quon les identie comme
les enfants d’une mère malade.
Selon les résultats de cette étude, il semble que les enfants
peuvent être une importante source de soutien pour leur mère
durant l’expérience du cancer, même lorsqu’elle perd ses che-
veux ou décide de les raser.
Ils savaient que j’allais me faire raser la tête, et ma lle ma
accompagnée à (ville) et ça été fait dans un des salons de
coiure. Elle a tout regardé, et bien sûr quelle était positive.
Mon ls était très gentil, il trouve ça presque cool, vous savez
ce que je veux dire, cest un ado. Donc ils sont à laise avec
ça... mais il veut quand même que je mette ma perruque
lorsque ses amis viennent à la maison.
Onze des mères ont subi une radiothérapie. De plusieurs
façons, les mères ont trouvé la radiothérapie moins pénible
que la chimiothérapie. Par exemple, les eets secondaires de
la radiothérapie étaient moindres que ceux de la chimiothéra-
pie. La partie la plus dicile de la radiothérapie était le besoin
de se déplacer pour recevoir le traitement. Il était dicile pour
les mères dêtre loin de leurs enfants, surtout lorsqu’ils allaient
à l’école. Les mères continuaient de s’occuper de leurs enfants
à distance et retournaient à la maison les ns de semaine ou le
plus souvent possible.
Huit des mères vivaient trop loin du centre doncologie pour
rentrer chez elles tous les soirs. Elles devaient temporairement
déménager dans la capitale provinciale pour recevoir leurs trai-
tements de radiation. Incroyablement, cinq des huit femmes
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retournaient chez elles chaque n de semaine pour être avec
leurs enfants et leur mari. Certaines dentre elles prenaient
l’avion, tandis que d’autres conduisaient elles-mêmes sur des
trajets d’au moins trois heures rien quà l’aller. Trois des parti-
cipantes ont pu se faire accompagner par leurs enfants et leur
mari pour la durée du traitement.
Je me levais le lundi matin, je venais chaque n de semaine
et je me levais et sautais dans la voiture lundi matin pour
aller recevoir mes traitements en soirée toute seule. Puis je
recevais mon traitement le vendredi matin et je revenais pour
la n de semaine toute seule. Donc, je me déplaçais seule et
je restais seule.
Le maintien des routines familiales
Il est très important pour ces mères de maintenir le plus
possible les routines familiales, car cela procure un senti-
ment de normalité et de sécurité émotionnelle pour leurs
enfants et leur famille. Le maintien d’une vie de famille aussi
routinière que possible exigeait cependant des eorts consi-
dérables. Les traitements peuvent perturber les tentatives
de maintien d’une routine familiale. Les mères ayant reçu
un diagnostic de cancer planiaient leur vie de façon à ce
que leurs enfants puissent continuer de mener leurs activi-
tés habituelles. Elles luttaient contre la fatigue, se levaient et
aidaient leurs enfants à se préparer pour l’école, les accompa-
gnaient à des activités sportives, etc. « Je ne sais pas si Dieu
nous donne uniquement ce que nous pouvons endurer...
parce qu’il y avait des jours où je ne pensais pas que j’arri-
verais à me lever, et je me levais quand même, et je prenais
soin des enfants. »
Ces mères faisaient tous les eorts possibles pour s’assu-
rer que leurs enfants avaient ce dont ils avaient besoin. Pour
maintenir les routines familiales, les mères devaient conti-
nuer de jouer activement leur rôle maternel malgré le can-
cer. L’une des mères nous a expliqué que son mari et ses
parents à elle étaient très disposés à l’aider à prendre soin
des enfants et à garder la maison propre et ordonnée, mais
quelle voulait continuer de jouer son rôle de mère pendant
son traitement.
Lorsque jétais capable dêtre une mère, je voulais le faire par
moi-même. C’était important pour moi. Mon mari semblait
comprendre, mais mes parents trouvaient ça très dicile...
et ils disaient des choses comme « Écoute, tu peux t’asseoir,
nous allons remplir le lave-vaisselle ». Je leur disais qu’ils
pouvaient revenir dans trois semaines... Quelque part, je me
disais que je nallais peut-être plus être là, donc je veux rem-
plir mon rôle de mère maintenant, je ne veux pas manquer
une minute avec mes enfants.
Bien quelles se sentaient malades, les mères disaient que
le fait de préparer le souper pour leur famille était une routine
importante pour elles, parce qu’elle faisait partie des soins aux
enfants et favorisait le temps passé en famille. Elles voyaient la
préparation du souper comme une façon d’aider leur mari, qui
était également le père des enfants. Les mères voulaient s’im-
pliquer dans les routines familiales parce que cela leur occu-
pait l’esprit et qu’il y avait moins de temps pour les pensées
intrusives.
Malgré la grande fatigue engendrée par les responsabili-
tés maternelles et le traitement, les mères étaient réticentes à
demander de l’aide.
Je suppose qu’un de mes dés était qu’il est parfois di-
cile de demander de laide... Je veux dire, elle [enfant] veut
mon attention tout le temps. Donc c’est dicile d’appe-
ler quelqu’un et de lui dire « Je ne vais pas bien, peux-tu
maider? ».
Les anniversaires, les jours fériés et les autres moments
spéciaux sont des aspects importants de la vie de famille.
Une des mères a expliqué qu’il était très important pour elle
de respecter son calendrier de traitements parce qu’elle plani-
ait la fête d’anniversaire de sa lle et ne voulait pas avoir une
séance de chimiothérapie ce jour-là. Une autre mère a expli-
qué les mesures quelle a prises pour s’assurer que ses enfants
avaient tout ce dont ils avaient besoin pour une activité de Noël
à l’école.
C’est comme, même pendant la période de Noël, la semaine
où j’étais à lhôpital, ils ont organisé 12 jours de Noël
à lécole pour les deux plus jeunes, au primaire. Un jour
ils devaient porter du rouge et du blanc, puis ils devaient
porter un chapeau de Noël, et vous savez, tous les jours
il y avait une activité. Donc avant de rentrer à l’hôpital,
je massurais qu’ils avaient tout, surtout s’il y avait une
activité diérente ou quelque chose du genre. Et les gens
disaient, ton mari, il peut faire toutes ces choses-là, et je
répondais oui, cest vrai, mais il travaille à temps plein, et
je suis à lhôpital et nous avons trois enfants, et je veux faire
tout ce que je peux pour l’aider, surtout quand il y a des
activités comme ça tous les jours.
Trouver de nouvelles façons dêtre proches
Le cancer suscite tout plein démotions. Il y a souvent un
certain sentimentalisme face au fait d’avoir une maladie pos-
siblement mortelle comme le cancer. L’intimité devient très
importante dans un moment aussi chargé émotionnellement.
Le fait de trouver de nouvelles façons de créer de l’intimité est
particulièrement important dans le contexte des traitements
en oncologie. Par exemple, la chirurgie pour le cancer du sein
implique normalement le port de drains chirurgicaux, par-
fois pendant des semaines après l’opération. La chirurgie elle-
même et/ou les drains peuvent empêcher la mère dêtre aussi
proche, physiquement, de ses enfants qu’auparavant. Des
gestes comme caresser ou soulever ses enfants, ou encore leur
faire prendre un bain, peuvent devenir diciles. Les mères
décrivaient comment elles et leurs enfants devaient trouver
de nouvelles façons de créer de l’intimité et de manifester leur
aection. Les mères peuvent devoir enseigner à leurs enfants
à les embrasser diéremment (p.ex. sur le front) ou à les ser-
rer dans leurs bras plus doucement pendant que « le sein de
maman est brisé », comme le disaient certains enfants.
La chimiothérapie est souvent associée à des épisodes de
neutropénie. Lorsque les patients reçoivent ce genre de traite-
ment, leurs prestataires de soins oncologiques les avisent habi-
tuellement de prendre des précautions. Il se peut quon doive
rappeler aux jeunes enfants de se laver les mains et quon doive
les aider à le faire. Dans cette étude, bon nombre des mères
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ont dit quelles plaçaient des acons de désinfectant pour les
mains dans la cuisine et le porche dentrée an de rappeler à
tout le monde de se laver régulièrement les mains.
Il y avait des moments, cependant, lorsque le besoin de
prendre des précautions nuisait à l’intimité. Par exemple, une
des mères s’est dite déchirée entre son besoin de proximité
physique avec sa lle et son besoin de se protéger pendant
la chimiothérapie. Sa lle avait 11 ans et avait développé une
angine streptococcique. Lenjeu nétait pas seulement le fait de
devoir s’éloigner de sa lle, mais aussi l’impossibilité de s’oc-
cuper de sa lle malade. En ses mots :
Je me sentais mal lorsque ma lle avait une infection strep-
tococcique, parce que je devais lui dire des choses comme
« maman va aller s’allonger sur le lit et regarder la télé »,
plutôt que de m’asseoir à côté d’elle, vous savez, ce genre de
chose. C’est très dicile, parce que je veux être là en tant que
mère pour moccuper delle lorsqu’elle est malade, et là je me
sentais déchirée parce que je ne pouvais pas être trop proche
delle, à cause du risque de tomber gravement malade moi-
même. C’était très déchirant.
Les mères denfants dâge préscolaire ont expliqué que leurs
enfants restaient physiquement proches delles pendant leur
maladie. De plus, les enfants leur montraient de l’aection.
Par exemple, « Je veux dire, ____ [nom du ls] s’approchait du
lit et me disait des choses comme “maman, je veux me coller
contre toi, ou “maman, laisse-moi te frotter comme il faut le
dos, ou les jambes, ou les bras”. Un gamin de cinq ans! » Elle a
rajouté avec erté que ses enfants étaient « collés à elle ». Cela
ne la dérangeait pas. Ils étaient déjà comme ça avant son can-
cer, mais elle a remarqué qu’ils l’étaient encore plus depuis le
diagnostic : « C’est toujours maman ceci, maman cela. Quant
au plus jeune, il ne me lâchait pas une seconde. »
Les déplacements pour se rendre au centre de traitement
étaient fréquemment une raison pour laquelle les mères
devaient trouver de nouvelles façons dêtre proches de leurs
enfants. Pour certaines mères, un retour à la maison le soir
après les traitements de radiation coûtait trop cher. Elles
devaient donc trouver de nouvelles façons de rester proches de
leurs enfants; par exemple, elles retournaient chez elles aussi
souvent que possible et utilisaient le téléphone cellulaire pen-
dant leur absence. Elles restaient en contact téléphonique avec
leurs enfants tous les jours pendant leur traitement. L’une
dentre elles utilisait Skype® pour voir ses enfants tous les
jours.
Création d’une nouvelle normalité
La création d’une nouvelle normalité se produit à la phase
de suivi (posttraitement). Les patients ont habituellement
moins de rendez-vous avec leur équipe de soins oncologiques
parce que leur traitement est terminé. Elles font la transition
vers les soins de suivi, an dévaluer la présence deets secon-
daires prolongés et de surveiller tout signe de récidive du can-
cer. Pour les participantes à l’étude, cette phase commençait
lorsquelles terminaient leur traitement ou le traitement le
plus intensif (p.ex. la chimiothérapie et/ou la radiothérapie),
et recevaient une thérapie à plus long terme (p.ex. le tamoxi-
fène) comme dans le cas du cancer du sein.
Les mères continuaient de protéger leurs enfants pendant
cette période de transition. Par exemple, l’une des mères quali-
ait ses comprimés de tamoxifène de vitamines an de ne pas
inquiéter sa lle. Une autre mère expliquait que lorsquelle a
reçu un message du bureau de son médecin de famille, elle
a dû rassurer ses ls que le message était au sujet du vaccin
contre la grippe.
Les mères exprimaient le désir de retrouver une vie nor-
male. Cependant, elles étaient conscientes du fait que l’an-
cienne normalité était nie. Le cancer avait changé leur
monde. Elles savaient quelles ne pouvaient pas retourner
à l’ancienne normalité. Pourtant, la plupart des mères fai-
saient preuve doptimisme face à la vie, malgré le cancer. Par
exemple, l’une dentre elles s’est exprimée ainsi : « J’ai une
nouvelle attitude. J’étais une personne toujours préoccupée
et tendue. Tout devait toujours être parfait... mais mainte-
nant je men moque un peu... » Par contraste, une autre mère
a armé quelle était devenue presque pessimiste depuis la
n de son traitement contre le cancer parce quelle craignait
une récidive : « Je ne sais pas si je veux dire pessimiste, mais
disons presque plus pessimiste qu’avant. Je m’inquiète un
peu de tout. »
Toutes les mères ont indiqué ou laissé entendre quelles
redoutaient une récidive du cancer. Cependant, elles étaient
heureuses de s’occuper de leurs enfants et de laisser le cancer
derrière elles.
imPlicAtions Pour les soins
inFirmiers en oncoloGie
Lorsque les jeunes mères entrent en interaction avec le sys-
tème de soins en oncologie, un de leurs premiers contacts est
habituellement une inrmière autorisée. Les inrmières qui
travaillent dans les centres de soins en cancérologie ou en
dehors de ces centres ont toutes d’importantes contribu-
tions à faire aux soins aux jeunes mères et à tous les patients
diagnostiqués d’un cancer. Dans le cas des jeunes mères, il
est important que les inrmières soient conscientes de leurs
besoins particuliers. Par exemple, ces femmes veulent orir
une protection émotionnelle à leurs enfants tandis quelles
composent avec leur diagnostic et avec les eets secondaires
de leur traitement. Elles veulent être de bonnes patientes et
de bonnes mères. Cependant, il se peut quelles mettent les
besoins de leurs enfants avant les leurs. Cette approche peut
accroître les risques d’infection ou d’aggravation de la nau-
sée, des vomissements ou de la fatigue, entre autres. Les inr-
mières doivent être sensibles aux eorts des jeunes mères qui
veulent s’occuper de leurs enfants et explorer avec elles des
façons de répondre aux besoins des enfants sans mettre en
danger leurs propres santé et sécurité.
Lorsque les inrmières soutiennent les jeunes mères, elles
aident ces dernières à s’occuper de leurs enfants et de leur
famille. Il se peut que les jeunes mères ne veuillent pas beau-
coup d’aide ou nen aient pas besoin. Certaines n’ont besoin
que d’un logement pendant leurs rendez-vous. Les inrmières
peuvent rester à l’aût des problèmes, orir un soutien et
des services de counseling, recommander des ressources et
d’autres professionnels (p. ex. une travailleuse sociale), selon
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