L’engagement des jeunes mères avec le système de soins en oncologie par Judith T. Strickland ABRÉGÉ Pour les jeunes mères, l’expérience du cancer est une grande source de détresse, non seulement en raison de leur âge ou de leurs préoccupations pour elles-mêmes, mais également parce qu’elles s’inquiètent de leur capacité à prendre soin de leurs enfants et de la perte potentielle d’années auprès d’eux. Tandis que les infirmières s’occupent des jeunes mères atteintes de cancer, ces femmes s’occupent de leurs enfants. Elles doivent jongler leur rôle de mère avec les exigences de leur diagnostic/traitement. L’objectif de cet article est, d’une part, de faire état de certains résultats d’une étude basée sur la théorie ancrée mettant en jeu 18 jeunes mères et, d’autre part, de promouvoir le dialogue avec les infirmiers et infirmières au sujet de stratégies liées aux soins susceptibles de rendre l’expérience du cancer de ces jeunes patientes un peu moins ardue pour elles et leur famille. L es jeunes mères sont souvent les principaux soignants de leurs enfants (Fitch, Bunston & Elliot, 1999; Rayson, 2001). Pour les jeunes mères diagnostiquées d’un cancer, l’expérience est une grande source de détresse, puisqu’elles sont inquiètes par rapport à leurs enfants et à leur capacité à s’occuper d’eux, et elles redoutent la perte potentielle d’années auprès d’eux (Billhult & Segesten, 2003; Coyne & Borbasi, 2006; Dunn & Steginga, 2000; Elmberger, Bolund, Magnusson, Lützén & Andershed, 2008; Helseth & Ulfsaet, 2005). Lorsque les mères deviennent des patientes atteintes de cancer, elles sont placées malgré elles dans une situation difficile, puisqu’elles doivent tenter d’être à la fois de bonnes patientes et de bonnes mères (Thorne, 1990). Il est important de savoir comment ces jeunes femmes vivent leur expérience de cancer et comment nous pouvons les soutenir pendant cette période effrayante et difficile. À l’heure actuelle, les jeunes mères ne sont habituellement pas admissibles à la participation aux études en oncologie. De plus, selon la recherche, le système de soins aux personnes atteintes de cancer ne répond pas adéquatement aux besoins des jeunes femmes et des jeunes mères qui en deviennent les clientes (Barnes et al. 2000; Elmberger, Bolund & Lützén, 2000; Elmberger, Bolund & Lützén, 2005; Elmberger et al., 2008; Gould, Grassau, Manthorne, Gray & Fitch, 2006). Les services de soins oncologiques habituels ne correspondent pas aux besoins des jeunes mères et des jeunes femmes (Gould et al., 2006). Au sujet de l'auteure Judith T. Strickland, inf., B.Soins inf., M.Sc.inf., CSIO(C) Courriel : [email protected] Le fait de recevoir un diagnostic de cancer peut être une expérience dévastatrice. Les jeunes mères sont dans une situation particulière, puisqu’elles ont des responsabilités parentales ainsi qu’une relation avec leurs enfants. Cet article est basé sur une étude de recherche menée auprès de jeunes mères qui ont reçu un diagnostic de cancer et subi un traitement dans les provinces de l’Atlantique. Je viens de TerreNeuve-et-Labrador, et j’ai habité dans une autre province maritime pendant une partie de la période de l’étude. Cette étude visait à élargir notre compréhension des expériences des mères en tant que patientes en oncologie, en particulier au cours des deux années suivant leur diagnostic. L’élan derrière l’étude était double : un volet personnel, et un volet professionnel lié à la pratique clinique. J’avais un désir de longue date de mieux comprendre comment soutenir les mères diagnostiquées d’un cancer. Question de recherche La question de recherche pour cette étude était : Quelles sont les expériences des jeunes mères qui ont récemment reçu un diagnostic de cancer? Méthodologie Nous avons employé une approche qualitative basée sur la méthode par théorisation ancrée de Glaser (Glaser, 1998). Cette dernière nous a permis d’étudier la façon dont les jeunes mères gèrent leurs rôles et responsabilités envers leurs enfants tout en composant avec leur diagnostic et leur traitement. Nous avons obtenu les approbations déontologiques nécessaires ainsi qu’une assistance pour recruter des femmes au sein du système de soins en cancérologie dans la région concernée par l’étude. Les jeunes mères Les mères avaient de 27 à 45 ans au moment de leur diagnostic. Seize des femmes ont reçu un diagnostic de cancer du sein, et deux, un diagnostic de cancer gynécologique non ovarien. Dans tous les cas, la modalité de traitement primaire était la chirurgie. La plupart d’entre elles ont subi une mastectomie, et non une chirurgie mammaire conservatrice; certaines ont subi une mastectomie bilatérale. Quelques-unes d’entre elles avaient déjà traversé une reconstruction mammaire, et la quasi-totalité envisageaient de subir une telle intervention. Parmi les dix-huit mères, quinze ont subi une chimiothérapie, onze ont reçu une radiothérapie, neuf ont subi les deux, deux avaient en fin de compte un cancer du sein triple négatif et une était en essai clinique. Seize des mères étaient mariées. Une était divorcée, et une autre en instance de divorce. Le mari d’une des mères travaillait dans une autre province, et quelques autres maris se Canadian Oncology Nursing Journal • Volume 25, Issue 3, Summer 2015 Revue canadienne de soins infirmiers en oncologie 275 FEATURES/Rubriques PRIX DE CONFÉRENCE À LA MÉMOIRE DE HELENE HUDSON FEATURES/Rubriques RÉSULTATS CHOISIS Tableau 1 : Caractéristiques des mères La discussion suivante sur les résultats porte davantage sur l’aspect descriptif que sur l’aspect conceptuel de l’interprétation qui a fait l’objet d’une présentation en octobre dernier dans le cadre de la conférence annuelle 2014 de l’Association canadienne des infirmières en oncologie. Une représentation conceptuelle des résultats, ainsi que des détails sur la méthode par théorisation ancrée, paraîtront dans une autre publication. La principale préoccupation des jeunes mères, qui étaient maintenant également des « patientes en oncologie », était de savoir en quoi leur situation allait affecter leurs enfants sur les plans émotionnel et psychologique. Ces femmes voulaient pouvoir élever leurs enfants. La réflexion suivante, qui était l’une des premières pensées d’une des femmes, reflète bien les inquiétudes et l’amour de toutes les participantes envers leurs enfants : « Lorsque j’ai appris que j’avais le cancer, ma première pensée était “Non, ce n’est pas possible, j’ai trois petits enfants.” Vous savez, je dois être là pour eux. » Les titres suivants représentent des catégories qui aident à mieux comprendre la façon dont les jeunes mères abordent leurs inquiétudes envers leurs enfants et composent avec leurs propres sentiments face à leur diagnostic de cancer. Les infirmières occupent une position idéale pour appuyer les jeunes mères au moment où elles entrent en contact avec le système de soins en oncologie pour le diagnostic et le traitement, et cette compréhension peut les aider à fournir un soutien approprié. Âge des jeunes mères au moment : du diagnostic 27–45 ans de l’entrevue 30–49 ans Type de cancer Sein 16 Organes de reproduction 2 Type de traitement (après la chirurgie) Chimiothérapie 15 Radiothérapie 11 Chimiothérapie et radiothérapie 9 Situation matrimoniale Mariée 16 Séparée 1 Divorcée 1 Catégories d’âge des enfants (n = 37) 0–5 ans 10 6–11 ans 11 12–17 ans 11 > 17 ans 5 Nombre total de filles et de fils 17 filles 20 fils déplaçaient dans le cadre de leur travail, mais revenaient à la maison le soir. Trois des mères avaient connu des problèmes de fertilité avant d’avoir leurs enfants. Chacune des 18 mères avait entre un et quatre enfants, dont les âges variaient de la petite-enfance au début de l’âge adulte. La plupart d’entre eux étaient d’âge préscolaire ou scolaire. Trois des jeunes mères avaient des mères qui avaient ellesmêmes été diagnostiquées d’un cancer dans le passé et qui se portaient bien depuis le diagnostic. Cependant, ces mères avaient reçu leur diagnostic alors qu’elles étaient plus vieilles que leurs filles. Une des jeunes mères était persuadée qu’un diagnostic reçu lorsque les enfants sont déjà adultes est très différent d’un diagnostic reçu lorsque les enfants sont encore à la maison. Cette jeune mère était déjà adulte lorsque sa mère avait reçu son diagnostic. Elle a expliqué la différence ainsi : Ma mère me disait, je sais comment tu te sens, et je lui répondais, non maman, tu ne le sais pas, parce que lorsque tu as eu ton cancer, tes filles avaient déjà 31 et 34 ans. Nous étions adultes. Ce n’est pas du tout la même chose pour moi, parce que mes enfants sont des bébés. À certains niveaux, c’est la même chose, mais à d’autres, ce n’est pas la même expérience. 276 Protection émotionnelle La protection émotionnelle était la façon générale dont les mères abordaient leurs préoccupations par rapport aux éventuels effets émotionnels de leur cancer sur leurs enfants. Dans cette situation, la protection émotionnelle implique, d’une part, la création d’une espèce de tampon contre les effets du cancer sur les enfants et la famille et, d’autre part, le fait de rester émotionnellement fortes elles-mêmes. Dès le moment du diagnostic, les mères commençaient à protéger leurs enfants. Par exemple, Ce jour-là, la priorité, c’était les enfants. En fait, ma première pensée était pour eux. J’ai reçu mon diagnostic le 8 juin, et mon fils aîné était en 7e année. Il est en 8e maintenant. Il avait des examens la semaine suivante, les premiers de sa vie, et il les a terminés le 18 juin. Quand j’ai appris la nouvelle, j’ai regardé mon mari et je lui ai dit : « On ne dit rien à personne avant le 18 juin ». Parce que cela n’avait pas de sens d’annoncer cette nouvelle avant la fin de ses examens. Pour mettre en place ces mesures de protection émotionnelle, les jeunes mères doivent en venir à faire la paix avec leur diagnostic. Elles doivent faire face à un diagnostic qui représente une menace de mort. Faire face à un diagnostic constituant une menace de mort Pour faire face à un diagnostic qui pose une menace de mort, les jeunes mères doivent faire la paix avec leur propre mortalité. Cela signifie en outre que les mères doivent faire un énorme travail mental pour rester émotionnellement solides malgré leurs peurs, afin qu’elles puissent offrir une protection émotionnelle à leurs enfants. Volume 25, Issue 3, Summer 2015 • Canadian Oncology Nursing Journal Revue canadienne de soins infirmiers en oncologie Les mères craignent de ne pas voir leurs enfants grandir. Elles ont peur de laisser leurs enfants sans mère : « La peur, vous savez, elle ne part jamais. Je n’arrête pas de dire que si on pouvait me garantir dix années de plus, pour qu’ils finissent tous leur secondaire, je serais un peu plus tranquille. » Faire face au cancer signifie entre autres parvenir à contrôler ses émotions. Les mères ont immédiatement commencé à travailler sur la maîtrise de leurs émotions, parce qu’elles ne voulaient pas que leurs enfants les voient bouleversées et en train de pleurer. Le soir avant d’aller voir mon médecin de famille (pour obtenir les résultats de la biopsie), je me suis arrêtée devant les chambres de mes enfants avant d’aller au lit, comme n’importe quelle mère, j’imagine. Je les ai regardés dormir, et j’ai eu ma crise de pleurs. Je me suis à moitié assise au bord de leur lit sans mon mari, et j’ai probablement pleuré pendant deux heures, et je me sentais comme, je suis sûre que je l’ai et je ne peux même pas essayer de m’imaginer ce qui m’attend. Et je pense que c’est la seule fois où je me suis vraiment laissé aller. Après ça, je ne me suis plus laissé emporter par l’émotion. Les mères ont décidé de la façon et du moment d’annoncer la nouvelle à leurs enfants. Elles ont utilisé un langage approprié pour l’âge de chacun, par exemple « être malade à l’intérieur ». L’expérience du traitement Lorsque les mères subissent leur traitement, elles entrent en contact avec le système de soins oncologiques de façon intensive. Cela est particulièrement vrai lorsqu’elles subissent une chimiothérapie et/ou une radiothérapie. Lorsqu’elles reçoivent leur premier traitement — habituellement une chirurgie –, elles peuvent ou non être admises à l’hôpital. Toutes les participantes à cette étude sauf une ont été admises à l’hôpital durant au moins une nuit. La mère qui n’a pas été admise avait un professionnel de la santé dans sa famille immédiate, ce qui a joué dans la décision de lui permettre de rentrer chez elle après sa chirurgie de jour. La chimiothérapie est associée à des effets secondaires comme la nausée et la fatigue. De tels effets peuvent être perturbants pour n’importe quel patient. Cependant, dans le contexte des mères, les enfants peuvent voir que leur mère est malade, ce qui peut les pousser à s’inquiéter. Les mères peuvent avoir des difficultés à s’occuper de leurs enfants de la façon habituelle, ce qui peut entraîner de la détresse pour elles et faire comprendre aux enfants que maman est très malade. La chimiothérapie nécessite en outre la prise de précautions. Par exemple, dans le cas de la neutropénie, une mère s’est exprimée ainsi : Quand j’étais dans la période de 7 à 14 jours, je devais garder mes distances de lui à cause des bactéries et autres bestioles. Il avait quatre ans, donc je devais constamment lui rappeler de se laver les mains, et j’avais toujours le désinfectant pour les mains avec moi. Mais les enfants sont des enfants. Ils se mettent les doigts dans le nez et tout, vous savez. Avec les enfants, il est important de renforcer l’importance d’une bonne hygiène des mains et de leur fournir l’aide nécessaire à cet effet. Un des plus grands enjeux que ces mères décrivaient en lien avec la chimiothérapie était la perte des cheveux. Les 15 mères qui ont subi cette thérapie ont toutes perdu leurs cheveux. L’une d’entre elles s’est exprimée ainsi : Lorsque j’ai perdu mes seins, je n’ai pas versé de pleurs. Mais lorsque je me suis rasé la tête, là j’ai pleuré. Il me semblait que mes seins m’avaient trahie et qu’il leur fallait partir, mais mes cheveux n’étaient que de simples victimes des circonstances. La perte des cheveux est souvent un signe hautement visible du cancer. « Lorsque vous avez l’air malade, les gens vous traitent différemment aussi », a expliqué une des mères. Et une autre d’ajouter : Je ne voulais pas que les camarades de mes enfants leur disent oh, votre mère va perdre ses cheveux. C’était très important pour moi qu’ils n’aient jamais à vivre cela. Et ils ne l’ont pas vécu... Je ne voulais pas qu’on les identifie comme les enfants d’une mère malade. Selon les résultats de cette étude, il semble que les enfants peuvent être une importante source de soutien pour leur mère durant l’expérience du cancer, même lorsqu’elle perd ses cheveux ou décide de les raser. Ils savaient que j’allais me faire raser la tête, et ma fille m’a accompagnée à (ville) et ça été fait dans un des salons de coiffure. Elle a tout regardé, et bien sûr qu’elle était positive. Mon fils était très gentil, il trouve ça presque cool, vous savez ce que je veux dire, c’est un ado. Donc ils sont à l’aise avec ça... mais il veut quand même que je mette ma perruque lorsque ses amis viennent à la maison. Onze des mères ont subi une radiothérapie. De plusieurs façons, les mères ont trouvé la radiothérapie moins pénible que la chimiothérapie. Par exemple, les effets secondaires de la radiothérapie étaient moindres que ceux de la chimiothérapie. La partie la plus difficile de la radiothérapie était le besoin de se déplacer pour recevoir le traitement. Il était difficile pour les mères d’être loin de leurs enfants, surtout lorsqu’ils allaient à l’école. Les mères continuaient de s’occuper de leurs enfants à distance et retournaient à la maison les fins de semaine ou le plus souvent possible. Huit des mères vivaient trop loin du centre d’oncologie pour rentrer chez elles tous les soirs. Elles devaient temporairement déménager dans la capitale provinciale pour recevoir leurs traitements de radiation. Incroyablement, cinq des huit femmes Canadian Oncology Nursing Journal • Volume 25, Issue 3, Summer 2015 Revue canadienne de soins infirmiers en oncologie 277 FEATURES/Rubriques Au début, c’est plutôt difficile à croire. Bon. J’ai parfois l’impression de faire les gestes, mais je ne sais pas à quel point cela s’est ancré. Parfois j’ai l’impression de ne pas très bien composer avec tout ça, mais c’est que ça me semble tellement invraisemblable... Je n’arrive pas à croire que c’est en train de m’arriver à moi. On entend des histoires, mais c’est différent quand ça nous frappe directement... C’est comme si... ce n’est pas possible... Je dirais que parfois je prends un petit recul et je réalise que c’est en train de m’arriver à moi, et que ce n’est pas bien du tout. FEATURES/Rubriques retournaient chez elles chaque fin de semaine pour être avec leurs enfants et leur mari. Certaines d’entre elles prenaient l’avion, tandis que d’autres conduisaient elles-mêmes sur des trajets d’au moins trois heures rien qu’à l’aller. Trois des participantes ont pu se faire accompagner par leurs enfants et leur mari pour la durée du traitement. Je me levais le lundi matin, je venais chaque fin de semaine et je me levais et sautais dans la voiture lundi matin pour aller recevoir mes traitements en soirée toute seule. Puis je recevais mon traitement le vendredi matin et je revenais pour la fin de semaine toute seule. Donc, je me déplaçais seule et je restais seule. Le maintien des routines familiales Il est très important pour ces mères de maintenir le plus possible les routines familiales, car cela procure un sentiment de normalité et de sécurité émotionnelle pour leurs enfants et leur famille. Le maintien d’une vie de famille aussi routinière que possible exigeait cependant des efforts considérables. Les traitements peuvent perturber les tentatives de maintien d’une routine familiale. Les mères ayant reçu un diagnostic de cancer planifiaient leur vie de façon à ce que leurs enfants puissent continuer de mener leurs activités habituelles. Elles luttaient contre la fatigue, se levaient et aidaient leurs enfants à se préparer pour l’école, les accompagnaient à des activités sportives, etc. « Je ne sais pas si Dieu nous donne uniquement ce que nous pouvons endurer... parce qu’il y avait des jours où je ne pensais pas que j’arriverais à me lever, et je me levais quand même, et je prenais soin des enfants. » Ces mères faisaient tous les efforts possibles pour s’assurer que leurs enfants avaient ce dont ils avaient besoin. Pour maintenir les routines familiales, les mères devaient continuer de jouer activement leur rôle maternel malgré le cancer. L’une des mères nous a expliqué que son mari et ses parents à elle étaient très disposés à l’aider à prendre soin des enfants et à garder la maison propre et ordonnée, mais qu’elle voulait continuer de jouer son rôle de mère pendant son traitement. Lorsque j’étais capable d’être une mère, je voulais le faire par moi-même. C’était important pour moi. Mon mari semblait comprendre, mais mes parents trouvaient ça très difficile... et ils disaient des choses comme « Écoute, tu peux t’asseoir, nous allons remplir le lave-vaisselle ». Je leur disais qu’ils pouvaient revenir dans trois semaines... Quelque part, je me disais que je n’allais peut-être plus être là, donc je veux remplir mon rôle de mère maintenant, je ne veux pas manquer une minute avec mes enfants. Bien qu’elles se sentaient malades, les mères disaient que le fait de préparer le souper pour leur famille était une routine importante pour elles, parce qu’elle faisait partie des soins aux enfants et favorisait le temps passé en famille. Elles voyaient la préparation du souper comme une façon d’aider leur mari, qui était également le père des enfants. Les mères voulaient s’impliquer dans les routines familiales parce que cela leur occupait l’esprit et qu’il y avait moins de temps pour les pensées intrusives. 278 Malgré la grande fatigue engendrée par les responsabilités maternelles et le traitement, les mères étaient réticentes à demander de l’aide. Je suppose qu’un de mes défis était qu’il est parfois difficile de demander de l’aide... Je veux dire, elle [enfant] veut mon attention tout le temps. Donc c’est difficile d’appeler quelqu’un et de lui dire « Je ne vais pas bien, peux-tu m’aider? ». Les anniversaires, les jours fériés et les autres moments spéciaux sont des aspects importants de la vie de famille. Une des mères a expliqué qu’il était très important pour elle de respecter son calendrier de traitements parce qu’elle planifiait la fête d’anniversaire de sa fille et ne voulait pas avoir une séance de chimiothérapie ce jour-là. Une autre mère a expliqué les mesures qu’elle a prises pour s’assurer que ses enfants avaient tout ce dont ils avaient besoin pour une activité de Noël à l’école. C’est comme, même pendant la période de Noël, la semaine où j’étais à l’hôpital, ils ont organisé 12 jours de Noël à l’école pour les deux plus jeunes, au primaire. Un jour ils devaient porter du rouge et du blanc, puis ils devaient porter un chapeau de Noël, et vous savez, tous les jours il y avait une activité. Donc avant de rentrer à l’hôpital, je m’assurais qu’ils avaient tout, surtout s’il y avait une activité différente ou quelque chose du genre. Et les gens disaient, ton mari, il peut faire toutes ces choses-là, et je répondais oui, c’est vrai, mais il travaille à temps plein, et je suis à l’hôpital et nous avons trois enfants, et je veux faire tout ce que je peux pour l’aider, surtout quand il y a des activités comme ça tous les jours. Trouver de nouvelles façons d’être proches Le cancer suscite tout plein d’émotions. Il y a souvent un certain sentimentalisme face au fait d’avoir une maladie possiblement mortelle comme le cancer. L’intimité devient très importante dans un moment aussi chargé émotionnellement. Le fait de trouver de nouvelles façons de créer de l’intimité est particulièrement important dans le contexte des traitements en oncologie. Par exemple, la chirurgie pour le cancer du sein implique normalement le port de drains chirurgicaux, parfois pendant des semaines après l’opération. La chirurgie ellemême et/ou les drains peuvent empêcher la mère d’être aussi proche, physiquement, de ses enfants qu’auparavant. Des gestes comme caresser ou soulever ses enfants, ou encore leur faire prendre un bain, peuvent devenir difficiles. Les mères décrivaient comment elles et leurs enfants devaient trouver de nouvelles façons de créer de l’intimité et de manifester leur affection. Les mères peuvent devoir enseigner à leurs enfants à les embrasser différemment (p. ex. sur le front) ou à les serrer dans leurs bras plus doucement pendant que « le sein de maman est brisé », comme le disaient certains enfants. La chimiothérapie est souvent associée à des épisodes de neutropénie. Lorsque les patients reçoivent ce genre de traitement, leurs prestataires de soins oncologiques les avisent habituellement de prendre des précautions. Il se peut qu’on doive rappeler aux jeunes enfants de se laver les mains et qu’on doive les aider à le faire. Dans cette étude, bon nombre des mères Volume 25, Issue 3, Summer 2015 • Canadian Oncology Nursing Journal Revue canadienne de soins infirmiers en oncologie Les mères d’enfants d’âge préscolaire ont expliqué que leurs enfants restaient physiquement proches d’elles pendant leur maladie. De plus, les enfants leur montraient de l’affection. Par exemple, « Je veux dire, ____ [nom du fils] s’approchait du lit et me disait des choses comme “maman, je veux me coller contre toi”, ou “maman, laisse-moi te frotter comme il faut le dos, ou les jambes, ou les bras”. Un gamin de cinq ans! » Elle a rajouté avec fierté que ses enfants étaient « collés à elle ». Cela ne la dérangeait pas. Ils étaient déjà comme ça avant son cancer, mais elle a remarqué qu’ils l’étaient encore plus depuis le diagnostic : « C’est toujours maman ceci, maman cela. Quant au plus jeune, il ne me lâchait pas une seconde. » Les déplacements pour se rendre au centre de traitement étaient fréquemment une raison pour laquelle les mères devaient trouver de nouvelles façons d’être proches de leurs enfants. Pour certaines mères, un retour à la maison le soir après les traitements de radiation coûtait trop cher. Elles devaient donc trouver de nouvelles façons de rester proches de leurs enfants; par exemple, elles retournaient chez elles aussi souvent que possible et utilisaient le téléphone cellulaire pendant leur absence. Elles restaient en contact téléphonique avec leurs enfants tous les jours pendant leur traitement. L’une d’entre elles utilisait Skype® pour voir ses enfants tous les jours. Création d’une nouvelle normalité La création d’une nouvelle normalité se produit à la phase de suivi (posttraitement). Les patients ont habituellement moins de rendez-vous avec leur équipe de soins oncologiques parce que leur traitement est terminé. Elles font la transition vers les soins de suivi, afin d’évaluer la présence d’effets secondaires prolongés et de surveiller tout signe de récidive du cancer. Pour les participantes à l’étude, cette phase commençait lorsqu’elles terminaient leur traitement ou le traitement le plus intensif (p. ex. la chimiothérapie et/ou la radiothérapie), et recevaient une thérapie à plus long terme (p. ex. le tamoxifène) comme dans le cas du cancer du sein. Les mères continuaient de protéger leurs enfants pendant cette période de transition. Par exemple, l’une des mères qualifiait ses comprimés de tamoxifène de vitamines afin de ne pas inquiéter sa fille. Une autre mère expliquait que lorsqu’elle a reçu un message du bureau de son médecin de famille, elle a dû rassurer ses fils que le message était au sujet du vaccin contre la grippe. Les mères exprimaient le désir de retrouver une vie normale. Cependant, elles étaient conscientes du fait que l’ancienne normalité était finie. Le cancer avait changé leur monde. Elles savaient qu’elles ne pouvaient pas retourner à l’ancienne normalité. Pourtant, la plupart des mères faisaient preuve d’optimisme face à la vie, malgré le cancer. Par exemple, l’une d’entre elles s’est exprimée ainsi : « J’ai une nouvelle attitude. J’étais une personne toujours préoccupée et tendue. Tout devait toujours être parfait... mais maintenant je m’en moque un peu... » Par contraste, une autre mère a affirmé qu’elle était devenue presque pessimiste depuis la fin de son traitement contre le cancer parce qu’elle craignait une récidive : « Je ne sais pas si je veux dire pessimiste, mais disons presque plus pessimiste qu’avant. Je m’inquiète un peu de tout. » Toutes les mères ont indiqué ou laissé entendre qu’elles redoutaient une récidive du cancer. Cependant, elles étaient heureuses de s’occuper de leurs enfants et de laisser le cancer derrière elles. IMPLICATIONS POUR LES SOINS INFIRMIERS EN ONCOLOGIE Lorsque les jeunes mères entrent en interaction avec le système de soins en oncologie, un de leurs premiers contacts est habituellement une infirmière autorisée. Les infirmières qui travaillent dans les centres de soins en cancérologie — ou en dehors de ces centres — ont toutes d’importantes contributions à faire aux soins aux jeunes mères et à tous les patients diagnostiqués d’un cancer. Dans le cas des jeunes mères, il est important que les infirmières soient conscientes de leurs besoins particuliers. Par exemple, ces femmes veulent offrir une protection émotionnelle à leurs enfants tandis qu’elles composent avec leur diagnostic et avec les effets secondaires de leur traitement. Elles veulent être de bonnes patientes et de bonnes mères. Cependant, il se peut qu’elles mettent les besoins de leurs enfants avant les leurs. Cette approche peut accroître les risques d’infection ou d’aggravation de la nausée, des vomissements ou de la fatigue, entre autres. Les infirmières doivent être sensibles aux efforts des jeunes mères qui veulent s’occuper de leurs enfants et explorer avec elles des façons de répondre aux besoins des enfants sans mettre en danger leurs propres santé et sécurité. Lorsque les infirmières soutiennent les jeunes mères, elles aident ces dernières à s’occuper de leurs enfants et de leur famille. Il se peut que les jeunes mères ne veuillent pas beaucoup d’aide ou n’en aient pas besoin. Certaines n’ont besoin que d’un logement pendant leurs rendez-vous. Les infirmières peuvent rester à l’affût des problèmes, offrir un soutien et des services de counseling, recommander des ressources et d’autres professionnels (p. ex. une travailleuse sociale), selon Canadian Oncology Nursing Journal • Volume 25, Issue 3, Summer 2015 Revue canadienne de soins infirmiers en oncologie 279 FEATURES/Rubriques ont dit qu’elles plaçaient des flacons de désinfectant pour les mains dans la cuisine et le porche d’entrée afin de rappeler à tout le monde de se laver régulièrement les mains. Il y avait des moments, cependant, lorsque le besoin de prendre des précautions nuisait à l’intimité. Par exemple, une des mères s’est dite déchirée entre son besoin de proximité physique avec sa fille et son besoin de se protéger pendant la chimiothérapie. Sa fille avait 11 ans et avait développé une angine streptococcique. L’enjeu n’était pas seulement le fait de devoir s’éloigner de sa fille, mais aussi l’impossibilité de s’occuper de sa fille malade. En ses mots : Je me sentais mal lorsque ma fille avait une infection streptococcique, parce que je devais lui dire des choses comme « maman va aller s’allonger sur le lit et regarder la télé », plutôt que de m’asseoir à côté d’elle, vous savez, ce genre de chose. C’est très difficile, parce que je veux être là en tant que mère pour m’occuper d’elle lorsqu’elle est malade, et là je me sentais déchirée parce que je ne pouvais pas être trop proche d’elle, à cause du risque de tomber gravement malade moimême. C’était très déchirant. FEATURES/Rubriques les besoins. Il est important de rendre l’expérience du cancer aussi positive que possible pour les mères et leur famille, et surtout pour les enfants. REMERCIEMENTS Je suis vraiment honorée d’être la lauréate du prix de conférence Helene Hudson et de partager ainsi l’expérience du cancer vécue par les jeunes mères. Mille mercis aux jeunes mères qui ont si RÉFÉRENCES Barnes, J., Kroll, L., Burke, O., Lee, J., Jones, A., & Stein, A. (2000). Qualitative interview study of communication between parents and children about maternal breast cancer. British Medical Journal, 321, 479–482. Billhult, A., & Segesten, K. (2003). Strength of motherhood: Nonrecurrent breast cancer as experienced by mothers with dependent children. Scandinavian Journal of Caring Science, 17, 122–128. Coyne, E., & Borbasi, S. (2006). Holding it all together: Breast cancer and its impact on life for younger women. Contemporary Nurse, 23, 157–169. Dunn, J., & Steginga, S.K. (2000). Young women’s experience of breast cancer: Defining young and identifying concerns. PsychoOncology, 9, 137–146. Elmberger, E., Bolund, C., & Lützén, K. (2000). Transforming the exhausting to energizing process of being a good parent in the face of cancer. Health Care for Women International, 21, 485–499. Elmberger, E., Bolund, C., & Lützén, K. (2005). Experience of dealing with moral responsibility as a mother with cancer. Nursing Ethics, 12, 253–262. 280 gracieusement participé à mon étude. Je remercie l’ACIO/CANO, son comité de reconnaissance de l’excellence, AMGEN ainsi que la rédactrice en chef de la Revue canadienne de soins infirmiers en oncologie de faciliter la diffusion de ces résultats de recherche. J’adresse aussi mes remerciements au programme de cancérologie où l’étude s’est déroulée, la Western Regional School of Nursing (École régionale de sciences infirmières Western), Western Health (Régie de santé de l’Ouest [mon employeur]), mes mentors et mes anciens professeurs. Elmberger, E., Bolund, C., Magnusson, A., Lützén, & Andershed, B. (2008). Being a mother with cancer. Achieving a sense of balance in the transition process. Cancer Nursing, 31(1), 58–66. Fitch, M.I., Bunston, T., & Elliot, M. (1999). All in the family. When mom’s sick: Changes in a mother’s role and in the family after her diagnosis of cancer. Cancer Nursing, 22(1), 58–63. Glaser, B.G. (1998). Doing grounded theory: Issues and discussions. Mill Valley, CA: Sociology Press. Gould, J., Grassau, P., Manthorne, J., Gray, R.E., & Fitch, M.I. (2006). Nothing fit me: Nationwide consultations with young women with breast cancer. Health Expectations, 9, 158–173. Helseth, S., & Ulfsaet, N. (2005). Parenting experiences during cancer. Journal of Advanced Nursing, 52(1), 38–46. Rayson, D. (2001). Adjuvant chemotherapy for women with young children: Our patients as parents. Journal of Clinical Oncology, 19, 279–281. Thorne, S. (1990). Mothers with chronic illness: A predicament of social construction. Health Care for Women International, 11, 209–221. Volume 25, Issue 3, Summer 2015 • Canadian Oncology Nursing Journal Revue canadienne de soins infirmiers en oncologie