Perspectives d`évolution pour le raisonnement de la fertilisation

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Perspectives d’évolution pour le raisonnement de la
fertilisation phosphatée
Matthieu Valé
Responsable Recherche et Développement Agronomiques du groupe SAS Laboratoire –
AGRO-Systèmes, [email protected]
I - Le phosphore dans la plante
Les concentrations de phosphore dans les tissus végétaux varient entre 0.1 et 0,5 %, soit
près du dixième des teneurs en azote et en potassium (1 à 6 %). Dans les cellules de la plante,
le phosphore se répartit entre un pool métabolique, situé dans le cytoplasme et les
chloroplastes et un pool non métabolique dit de réserve, sous forme inorganique au sein des
vacuoles.
Une fois absorbé, les ions phosphates peuvent rester sous cette forme mais sont le plus
souvent combinés à des molécules organiques qui ont des fonctions essentielles dans la
synthèse et le développement des cellules végétales.
Fonctions métaboliques (fonctionnement de la matière vivante)
Constituant de l'ATP : l’ATP fournit toute l'énergie nécessaire pour toutes les
réactions de synthèse; formation de protéines, hydrates de carbone, d’acides
nucléiques et autres réactions exigeant de l'énergie tel que l’absorption des
éléments nutritifs à travers les membranes des cellules racinaires en cas
d’absorption active. Ceci explique la forme chétive des plantes carencées en
phosphore par une réduction de la croissance générale (élongation des racines)
qui exige l’ATP.
Composant structurel des acides nucléiques (supports du patrimoine génétique) :
le phosphore est nécessaire pour la réplication et la transcription de l’ADN.
Fonctions plastiques (constitution de la matière vivante)
Constituant essentiel des membranes cellulaires sous la forme de phospholipides
Implication dans la structure des protéines (phosphoprotéines) et des sucres
(comme le glucose-6-P impliqué dans la photosynthèse)
Ces fonctions essentielles au niveau moléculaire se traduisent par divers effets du
phosphore à l’échelle de la plante :
Il favorise la croissance précoce, essentiellement par une stimulation de la
croissance des racines (un apport localisé de phosphore entraîne une prolifération
des racines dans cette zone. La réponse des racines est moindre pour des apports
localisés de potassium ou d’ammonium.)
Il accélère le développement avec pour conséquence une maturation plus précoce
des grains.
Il contribue à la rigidité des tissus et favorise donc la résistance à la verse.
Il permet une augmentation de la résistance au froid et aux maladies.
Il est essentiel à la formation des grains (des quantités importantes de phosphore
sont stockées dans les semences sous forme de phytine)
Il a également été montré que le phosphore améliore la réponse de plusieurs
cultures à la fertilisation azotée, surtout les céréales. En effet, pour que les plantes
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utilisent le supplément d’azote (par exemple pour la synthèse des protéines ou de
la chlorophylle), elles ont besoin de plus de phosphore pour fournir l'ATP
nécessaire.
Le phosphore dans la plante est surtout abondant dans les organes jeunes en croissance
dont les cellules en phase de multiplication contiennent une grande proportion d’acides
nucléiques et sont le siège de synthèses particulièrement actives réclamant de l’énergie (ATP),
du potentiel réducteur (NADP) et des sucres phosphorylés. A la récolte, le phosphore est
localisé majoritairement dans les grains. La teneur dans les pailles est généralement faible.
La carence en phosphore
Les besoins de phosphore des parties jeunes de la plante sont couverts par des
mécanismes d’appel qui mobilisent le phosphore à partir des parties plus âgées de la plante.
Les symptômes de carence en phosphore se manifestent donc en premier dans les organes les
plus âgés.
Les symptômes d’une carence en phosphore sont les suivants :
La croissance est ralentie.
Les plantes sont chétives avec un aspect rigide
Les feuilles âgées sont d'abord vert foncé, puis rouge violet.
La tige peut également prendre une couleur rougeâtre.
A un stade ultérieur les feuilles âgées meurent.
II - Absorption du phosphore par les plantes
Le phosphore est majoritairement absorbé sous forme d’ions phosphoriques, H2PO4 ou
HPO42-, selon le pH (pour faciliter la lecture, ces formes seront désignées par la suite comme
« ion phosphate »). La forme PO43 n’est présente qu’en infime quantité aux pH habituels des
sols, y compris les sols carbonatés. Le phosphore sous forme organique n’est pas absorbé
directement par la plante. Il doit d’abord être hydrolysé par des exo-enzymes provenant des
micro-organismes du sol (bactéries, champignons) ou des racines des plantes.
Comme pour les autres éléments de la nutrition minérale, l’absorption des ions
phosphates se fait par l’intermédiaire d’une « pompe à ions » située sur la membrane des
cellules végétales. L’intérieur des cellules étant chargé négativement, l’absorption de l’ion
phosphate (chargé négativement lui aussi) nécessite l’expulsion d’un anion (OH dans le cas
présent) pour maintenir l’équilibre des charges. Ainsi l’absorption du phosphore présente un
léger effet alcalinisant qui est compensé par l’absorption d’autres éléments comme le
potassium ou le calcium qui nécessitent l’expulsion d’un cation (H+).
La quantité de phosphore absorbé varie en fonction de la culture. Ainsi un blé à 90 q/ha
prélève environ 75 kg P2O5 / ha, tandis qu’une betterave à 85 t/ha prélève au total 60 kg P2O5
/ ha (plante entière). Pour une même culture, l’intensité de prélèvement varie au cours du
cycle de végétation : le colza absorbe jusqu’à 2 kg P2O5 / ha / jour au mois d’avril, le blé a
une absorption plus régulière d’environ 0.8 kg P2O5 / ha / jour de mars à juillet.
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III – Biodisponibilité du phosphore
Dans les sols agricoles, le phosphore est majoritairement sous forme de phosphate, dont
environ 1/3 est associé à la matière organique et 2/3 associés à la fraction minérale. Le stock
de phosphore total est d’environ 7 à 14 t de P2O5 / ha sur 30 cm. Le phosphore est présent en
très faible quantité dans la solution du sol : moins de 0.1 % du P2O5 total, soit une
concentration moyenne de 0.45 mg P2O5 /L. Un blé consommant pendant son cycle de
croissance environ 400 mm d’eau (soit 4000 m3 /ha), le flux d’évapotranspiration ne pourrait
fournir qu’à peine 2 kg P2O5 / ha, soit 2 à 3 % du prélèvement total de la culture, si seule la
solution du sol y contribuait. Donc 97 à 98 % du phosphore extrait du sol par les racines est
désorbé de la phase solide pour approvisionner la solution du sol : il s’agit de la réserve de
phosphore « biodisponible ».
Pour évaluer la disponibilité du phosphore pour les plantes, il faut donc connaître la
quantité de phosphore présent dans la solution du sol mais aussi la capacité du sol à recharger
cette solution. Cette capacité correspond au pouvoir tampon, aptitude du sol à s’opposer aux
variations de concentration de P dans la solution du sol, dont l’importance dépend de certaines
de ses caractéristiques: pH, teneur et nature du fer, de l’aluminium et des composés riches en
calcium. En effet, les ions phosphates forment avec le calcium ou les oxydes et hydroxydes de
fer et d’aluminium des complexes dont le phosphore est en équilibre avec celui de la solution
du sol.
IV – Estimation de la biodisponibilité du phosphore
a) Méthodes actuelles
Le raisonnement de la fertilisation phosphatée a pendant longtemps été basé sur les
notions de fumure d’entretien et de correction. L’objectif était d’amener puis de maintenir le
sol à la teneur en phosphore jugée souhaitable pour être non limitante du rendement de
l’espèce cultivée la plus exigeante. Cette teneur, différente selon les sols, a été déterminée sur
la base de relations empiriques entre la teneur du sol en phosphore dit « assimilable » et
l’indice de rendement. Ce phosphore « assimilable » est estimé par extraction chimique
(Olsen et al. 1954 ; Joret-Hébert, 1995 ; Dyer, 1984).
Cette méthode, permettant le raisonnement de la fertilisation en fonction du sol et du
système de culture, possède cependant des limites, principalement liées à la méthode
d’estimation du phosphore « assimilable ». En effet, l’extraction chimique n’a aucune
signification biologique : l’offre du sol est représentée de manière simplifiée en considérant
un pool assimilable par la plante et un pool non assimilable. Le pouvoir tampon, facteur
essentiel pour estimer le réapprovisionnement de la solution par la phase solide du sol, n’est
pas pris en compte. Par ailleurs, les relations établies entre rendement et teneur du sol en
phosphore dit « assimilable » sont spécifiques à chaque type de sol et par conséquent les
seuils diagnostiques (seuil « d’impasse » par exemple) varient fortement d’un type de sol à
l’autre. Enfin, ces méthodes ne permettent pas de disposer d’un modèle universel d‘évolution
de l'offre de phosphore sur le moyen terme en fonction du bilan de P (pour estimer une durée
maximale sans apport par exemple).
b) perspectives d’évolution
Pour mieux estimer la biodisponibilité du phosphore, il est indispensable de prendre en
compte le pouvoir tampon du sol. Une des méthodes pour le mesurer est la dilution
isotopique. Du phosphore marqué (isotope radioactif 32P ou 33P) est ajouté dans une solution
sol / eau. Le phosphore marqué qui est apporté dans la solution est plus ou moins rapidement
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sorbé sur la phase solide en fonction du pouvoir tampon et sa concentration dans la solution
diminue (dilution isotopique). Cette méthode a l’avantage de pouvoir déduire l’effet du temps
sur la dynamique du P dans le sol.
La dilution isotopique permet donc d’évaluer de façon pertinente la disponibilité du P
dans le sol en intégrant son effet tampon. Des travaux préliminaires sur 3 types de sol
différents (limon argileux, argilo calcaire et sable) ont montré le caractère universel de cet
indicateur dont le seuil de non réponse pour le maïs s’est avéré indépendant du type de sol,
contrairement aux autres indicateurs de nature chimique. Des recherches sont en cours dans le
cadre d’un projet CASDAR (CAS DAR : Compte d’Affectation Spéciale « Développement
Agricole et Rural ») pour valider la démarche sur d’autres cultures et d’autres types de sol.
Toutefois il n’est pas certains que cette méthode isotopique puisse être mise en œuvre
dans les laboratoires de routine. Un des axes du travail du projet a donc pour objectif de
prédire la diffusibilité des ions phosphate à l’aide d’une fonction de pédotransfert (équation
prenant en compte des caractéristiques des sols simples d’accès, comme le pH ou la teneur en
argile, le calcaire, le fer ou l’aluminium). Ce projet de recherche doit s’achever fin 2010, mais
il faudra sans doute encore plusieurs années avant que ces avancées soient utilisables sur le
terrain.
V – Modalités d’apport du phosphore pour une meilleure valorisation par les cultures
En attendant les nouvelles méthodes de calcul de la fertilisation phosphatée, les
connaissances actuelles permettent d’adapter les pratiques de fertilisation afin de valoriser au
mieux les apports de phosphore.
a) date d’apport
Les travaux de Fardeau (2005) ont montré que le coefficient réel d’utilisation (CRU)
d’un engrais phosphaté, type superphosphate, diminue significativement lorsque le temps de
contact avec le sol augmente. Il est au maximum de 15 à 20 % pour une durée de contact de 1
à 2 mois, et descend à moins de 2 % après un an de contact dans un sol limoneux. D’après ces
données, on peut estimer que le CRU du P d’un superphosphate apporté au mois d’août pour
une culture de printemps (semis en avril) est inférieur à 5 % sur limon, et encore plus faible si
le sol est calcaire. Lorsque leur apport est nécessaire afin de ne pas pénaliser la production des
cultures, les engrais phosphatés doivent donc être apportés au plus près de la période de plus
grande sensibilité des plantes qui correspond aux stades juvéniles de leur développement, et
non pas à la période d’absorption intense. Ce fait est illustré par les résultats d’un essai
d’Arvalis dans le Sud Ouest, sur un sol très pauvre en phosphore (P2O5 Olsen = 10.6 mg /kg),
dans lequel un apport de 30 kg de P2O5 /ha avant le semis a permis un gain de 10 % de
rendement par rapport au même apport réalisé au stade épis 1 cm. Cet effet disparaît avec une
dose de 60 kg de P2O5 / ha, mais ce doublement de la dose n’entraine pas d’augmentation du
rendement.
b) localisation de l’apport
La croissance des racines est l’élément déterminant de la satisfaction des besoins des
plantes tout au long de leur développement. Toutefois c’est pour les jeunes plantes que le
rapport demande / offre dans le volume de sol rhizosphérique est le plus élevé. C’est par
conséquent au cours des phases précoces de leur développement que les plantes sont les plus
sensibles à la carence en P et que se déterminent ses effets sur la production finale. Il est donc
pertinent de localiser les apports d’engrais phosphatés dans la zone de sol où se développent
les racines des jeunes plantes. Ceci a été bien montré depuis très longtemps pour le maïs
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(essais de 1966 dans l’Illinois, USA) et a été vérifié par de très nombreux essais en France.
Outre son effet sur la production de grain, la localisation permet de réduire l’humidité de
celui-ci à la récolte, engendrant ainsi des économies de séchage, y compris dans des sols dont
la disponibilité du P est élevée comme le montrent les données d’un essai réalisé en 2004 par
Arvalis sur un sol du sud ouest bien « pourvu » en phosphore (P2O5 Olsen = 82 mg/kg).
c) Et les apports foliaires ?
Les études sur l’intérêt de la fertilisation phosphatée foliaire sur céréales sont peu
nombreuses : la majorité des données disponibles portent sur des cultures de maïs, de pomme
de terre et surtout les cultures maraichères (tomate). Il ressort de ces études que l’intérêt de la
fertilisation foliaire phosphatée se limite à la correction ponctuelle d’une situation de carence.
Elle ne peut en aucun cas se substituer à la fertilisation au sol. Des essais sur pomme de
terre en sol limoneux ont montré que les rendements ont diminué de 2,5 tonnes par hectare
quand la dose de phosphore recommandée a été apportée pour moitié sous forme foliaire
(l’autre moitié étant apportée au sol). Par contre un apport foliaire de phosphore en plus d’un
apport standard au sol a permis une augmentation de rendement de 0,5 t/ha (Johnson, 1993).
La fertilisation foliaire en plus d’une fertilisation au sol suffisante peut donc améliorer le
rendement pour des cultures à système racinaire peu développé.
Les quantités de phosphore apportées par les apports foliaires sont très faibles, de l’ordre
de 1 à 2 kg de P2O5 / ha. De plus, son absorption est assez faible : en grandes cultures, il est
raisonnable de penser à un coefficient d’utilisation inférieur à 10 %, ce qui est comparable à
un engrais phosphaté apporté au sol avant le semis. Cette efficacité est très variable et dépend
de l’espèce cultivée, des conditions environnementales et de la formulation de l’engrais. La
forme acide phosphorique ressort comme la plus assimilable.
Des essais de plein champ sur différentes cultures seront indispensables pour acquérir
des références.
Références bibliographiques
Castillon P et Massé J (2005). Richesse du sol : une notion relative. Dans « Fertilisation P-K :
raisonner pour agir », ARVALIS Institut du Végétal, p. 10-11
Fardeau JC (2005). Dynamique du phosphore et du potassium dans le système sol-plante.
Dans « Fertilisation P-K : raisonner pour agir », ARVALIS Institut du Végétal, p. 12-
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Johnson P. (1993). foliar phosphate applications to potatoes. Symposium on plant health and
the European Single Market, Reading, ROYAUME-UNI
Morel JL et Fardeau JC (1990). Pouvoir fixateur des sols vis-à-vis du phosphore :
conséquence sur la fertilisation phosphatée. Perspectives Agricoles, 147, p. 65-72.
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