200 | La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXVI - n° 6 - novembre-décembre 2011
ÉDITORIAL
Entérobactéries productrices de carbapénèmases :
état d’urgence !
Carbapenemase-producing Enterobacteriaceae: state of emergency!
D
epuis les années 2000, nous assistons à une diffusion
très rapide des souches d’entérobactéries exprimant
des β-lactamases à spectre élargi de type CTX-M
dont l’origine communautaire n’est plus discutée. Cette
épidémie est de diffusion mondiale. Bien que de nombreux
facteurs, notamment de pression de sélection antibiotique,
puissent en être à l’origine, rien ne semble pouvoir arrêter
cette dissémination, tout particulièrement celle des souches
de Escherichia coli CTX-M de circulation communautaire.
Dans ce contexte déjà extrêmement tendu de multirésis-
tance aux antibiotiques, la diffusion de souches d’entéro-
bactéries exprimant une carbapénèmase est un phénomène
particulièrement inquiétant. En effet, bien qu’il existe une
certaine diversité de souches productrices et de gènes de
carbapénèmases avec des enzymes de spectre de substrats
variés (KPC, OXA-48, IMP, VIM, NDM), ces souches sont
très souvent multirésistantes à la plupart des antibiotiques
les plus importants en médecine humaine : β-lactamines,
aminosides et fluoroquinolones. Cette multirésistance est le
plus souvent d’origine plasmidique et transférable (comme
les gènes de carbapénèmases), à laquelle s’ajoutent des
résistances d’origine chromosomique.
Les recommandations du ministère de la Santé proposent
d’identifier tout particulièrement les porteurs de ces souches
exprimant des carbapénèmases, parce qu’elles sont, en
quelque sorte, l’un des marqueurs de cette multirésistance.
Ces souches appartiennent essentiellement à 2 grandes
espèces d’entérobactéries : Klebsiella pneumoniae et E. coli.
Les carbapénèmases de types KPC, IMP, VIM sont essentiel-
lement observées chez K. pneumoniae, ce qui indique une
origine nosocomiale, alors que les carbapénèmases de type
NDM et OXA-48 sont observées chez K. pneumoniae mais
aussi chez E. coli, indiquant leur diffusion nosocomiale mais
également communautaire.
Dans ce contexte, la circulaire du ministère a pour but
essentiel de prévenir autant que possible la dissémination
de ces souches d’entérobactéries productrices sur le terri-
toire national. Cette démarche est totalement justifiée :
➤
les entérobactéries sont en clinique humaine la famille à
l’origine des infections les plus fréquentes et dont la mortalité
est la plus élevée ;
➤
le nombre de souches exprimant de telles carbapénèmases
est encore très limité en France (probablement quelques
centaines), rendant encore possible la prévention de leur
dissémination ;
➤
les possibilités thérapeutiques en cas d’infection sont
limitées ;
➤
ces souches ont un pouvoir épidémiogène important, par
parallélisme à l’explosion des épidémies à K. pneumoniae
BLSE en milieu hospitalier au cours des 20 dernières années.
Dans la mesure où le réservoir de telles souches est surtout
constitué de patients hospitalisés, en général les plus vulné-
rables (immunodépression, etc.), tout particulièrement dans
des unités à risque (unités de greffe, chirurgie, réanimation,
etc.), il est légitime que le dépistage s’intéresse tout d’abord
aux patients hospitalisés à l’étranger et transférés dans nos
structures hospitalières (ainsi qu’à certains patients à risque
hospitalisés dans l’année précédente dans un système hospi-
talier étranger).
La nature des carbapénèmases varie en fonction des pays
d’origine : OXA-48 a été identifiée essentiellement dans les
pays du pourtour méditerranéen sud et est (Maroc, Algérie,
Tunisie, Égypte, Turquie) ; on trouve KPC, surtout en Grèce,
Italie, Chypre, Crète, États-Unis, Israël et Amérique du Sud ;
et en ce qui concerne les carbapénèmases de type NDM, les
pays les plus touchés sont l’Inde, le Pakistan, les pays des
Balkans, l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient. Cette liste
n’est pas limitative, et de nombreux exemples récents nous
indiquent l’identification d’épidémies hospitalières dans
d’autres pays (avec des souches KPC et NDM en Grande-
Bretagne ou avec OXA-48 par exemple aux Pays-Bas). Il
est légitime de dépister désormais tous les patients trans-
férés de n’importe quel hôpital étranger, le jour même de
leur arrivée dans le système hospitalier, et de les garder en
isolement tant que le résultat négatif de ce dépistage n’a
pas été obtenu.