Entretien avec M. J-L Poirier, doyen de l’Inspection Générale de Philosophie Simon Perrier L’entretien s’est déroulé le 28 septembre 2007, à la demande de M. Poirier, E. Aujaleu et S. Perrier représentant l’APPEP. Il a duré environ 2h.30. • Rénovation des filières Le premier thème en fut la rénovation prévisible des filières, plus que prévisible aux yeux de notre interlocuteur. En ce sens la question ne saurait, pour lui, se réduire à celle de l’avenir de la terminale L. Il faut attendre et s’attendre à une réorganisation des filières qui aura pour intention, entre autres, la réduction du nombre d’heures de cours. Autrement dit, l’existence d’un horaire de huit heures en T. L relève déjà de la nostalgie. Notre interlocuteur s’accorde avec l’idée que, la terminale L n’étant plus, depuis longtemps, que l’illusion d’une terminale philosophie, notre enseignement a autant sa place dans chacune des filières générales. Comme (et si) le modèle d’une filière unique avec options pourrait prévaloir, il faudrait évidemment prévoir qu’à un horaire incompressible et substantiel de philosophie s’ajoute la possibilité d’une option. • L’introduction d’un horaire en première L’Appep ne voit aucun progrès pour notre enseignement dans l’échange d’heures de terminales pour des heures en premières. M. Poirier nous rappelle que l’introduction d’un horaire de philosophie en première est déjà prévue en annexe de la loi Fillon, loi dont l’application va se poursuivre. Selon lui aucun horaire n’y est clairement défini. Nous signalons que, si un tel enseignement devait être introduit, nous souhaitons qu'il ne soit pas réservé à la seule filière L (ce qui continuerait à faire percevoir la philosophie comme discipline "littéraire") et que ce ne soit pas au détriment de l'enseignement des classes terminales. Un horaire minimal de 3 ou 4 heures s’imposerait. Pour lui, cette introduction relève d’une doxa dont il ne partage pas nécessairement tous les motifs. Elle s’appuie sur la demande massive des élèves ou des parents, relativement à une matière qu’ils ne refusent pas, mais qui a la réputation bien établie, et pas complètement contestable, d’être cause d’échecs au baccalauréat. Il serait donc maladroit de ne pas répondre à cette demande et particulièrement dans le contexte d’une volonté gouvernementale de réduction des horaires. Par ailleurs, M. Poirier a très clairement la conviction que cette présence en première pourrait être l’occasion de réfléchir à la progressivité de notre enseignement. M. Poirier évoque la question d’un contenu, en posant certaines limites ou principes relativement à toute réforme. D’abord il affirme qu’il n’existe aucune querelle des programmes, et qu’en ce sens, il ne saurait être question de revenir sur le programme des classes terminales. Pour la classe de première, il évoque diverses pistes. Compte-tenu, au moins, des motifs pour lesquels cette introduction (d’heures) s’impose à beaucoup comme une évidence (voir ci-dessus), il serait très maladroit d’envisager un programme identique à la terminale (ou par exemple de partager l’actuel programme entre 1ère et terminale). Une telle démarche rencontrerait sans doute une ferme opposition. Dans tous les cas, il se refuse fermement à concevoir ce cours de première comme une introduction. De même l’idée, qui lui a été soumise, que ce cours pourrait être constitué d’un apprentissage de l’argumentation lui apparaît, pour le moins, très contestable. Pour lui les élèves doivent être dirigés vers des problèmes et non pas vers des techniques. Ce qui est certain, et que M. Poirier croit pouvoir garantir, sans difficulté, c’est que le programme de la classe de première, quel qu’il serait, ne devrait obéir à aucun autre principe qu’à celui de l’actuel programme, c’est-à-dire, citant ce programme, l'exercice réfléchi du jugement par l’acquisition d’une culture philosophique. Il n’y a selon lui pas à craindre une perte d’identité ou d’une dilution de notre enseignement. Il appartiendrait de toute façon (il appartiendra, dit notre interlocuteur) à un « GEPS » de proposer un programme. • Redéfinir la présentation des épreuves du baccalauréat Sous cette appellation, qui est sienne, M. Poirier nous présente comme une de ses priorités le travail qu’il compte entreprendre dans cette direction. Il ne s’agit pour lui en aucun cas de modifier la nature des épreuves (dissertation, explication de texte) mais de rendre plus accessible aux élèves la compréhension de ce qui leur est demandé. À propos de l’explication de texte, la volonté d’en préciser l’ambition n’a pas complètement abouti. Ainsi recommencent souvent certaines discussions quant à la manière de prendre en considération l’extrait d’une œuvre. M. Poirier estime qu’il faudrait dans les sujets de dissertation qu’un problème soit clairement apparent. Une telle intention se veut d’abord fondée sur le constat de l’impuissance de beaucoup des élèves actuels à élaborer d’eux-mêmes un problème. M. Poirier souligne que même si cela n’a rien de régulier, il arrive souvent qu’un élève moyen, travailleur, passe des notes moyennes qui sont les siennes dans l’année à des notes très médiocres (6 ou 7 par exemple), ce qui, par ailleurs, nuit considérablement à notre discipline. • La fusion IUFM-Universités Nous faisons un compte-rendu détaillé des craintes et des attentes formulées lors de notre dernier BN1. Pour M. Poirier il faut surtout se concentrer sur le rôle que les professeurs de philosophie peuvent jouer auprès des P.E . Il juge que dans l’ensemble les rectorats ont choisi des universités suffisamment fortes pour que l’intégration des IUFM se solde par une élévation de la qualité des formations. Par ailleurs, l’inégalité des académies en nombre de journées accordées à la formation continue, lui apparaît en bonne partie expliquée par l’état désastreux des finances de certains IUFM. Quant à la formation elle-même, M. Poirier pense que les professeurs voudraient des réunions proprement dédiées à des échanges sur les cours. Nous faisons remarquer que les journées de conférences sur des notions ou champs de problèmes peuvent être l’occasion de tels échanges tandis que les stages proposant une réflexion séparée d’un travail philosophique rencontrent souvent peu de succès. M. Poirier pense que dans une journée, si une demi-journée est consacrée à des conférences l’autre devrait l’être à la réflexion entre les collègues relativement au travail des cours. • Horaire des terminales S. Nous tombons d’accord sur la nécessité de combattre particulièrement la réduction de l’horaire à 3 heures classe entière. Selon M. Poirier, certains proviseurs ne respecteraient même plus le seuil devenu traditionnel de 24 élèves. Il est selon lui impossible d’obtenir le renouvellement de la circulaire de rentrée 2002 formulant l’alternative 2+1(dédoublée) ou 4 heures élèves. M. Poirier marque d’ailleurs très nettement sa préférence pour l’existence d’une heure dédoublée et juge même que, en fonction du type d’établissement, c’est à tort que certains collègues ont privilégié 4 heures classe entière. Le dédoublement est pour lui l’occasion d’une pédagogie particulière. • L’enseignement dans les terminales STG et STI 1 Le 22/9/07. Voir le compte-rendu rédigé par Alain Champseix et Henri Dilberman L’Appep souhaite que toutes les heures d’enseignement y soient dédoublées. Elle tient à faire remarquer les difficultés propres à cet enseignement, tant par la faiblesse des élèves qu’en conséquence aussi, de leur fréquente difficulté à travailler selon la forme ordinaire d’un cours . M. Poirier reconnaît l’état globalement catastrophique de l’enseignement de la philosophie dans ces classes. Pour lui, dès l’introduction de cet enseignement (en 1983), on a mis les professeurs dans la situation de ne pas pouvoir exercer normalement leur métier. Il aurait fallu introduire cet enseignement en garantissant des conditions de travail satisfaisantes. La situation est particulièrement difficile là où les professeurs ont un nombre insupportable de classes. Les professeurs qui réussissent dans ces classes s’y épuisent néanmoins très vite. • Organisation d’un colloque M. Poirier veut travailler à l’organisation d’un colloque national sur la philosophie et son enseignement. Il s’agirait de contribuer à une image publique valorisante de notre enseignement, ce qui suppose bien sûr de la part de tous, des associations y compris, la capacité a une unité réelle. Il se dit prêt à y associer l’Appep autant que toute autre association. Son contenu reste encore à définir. Remarques : Tout au long de cet entretien, M. Poirier a montré sa volonté d’entendre le point de vue de l’Appep autant que d’informer avec clarté de ses intentions. Il a par ailleurs constamment montré un très grand souci des conditions de travail des professeurs des lycées et une lucidité certaine quant aux difficultés qu’ils rencontrent. Il reste sans aucun doute bien des interrogations. Le statut de l’explication de texte, la formulation des sujets de dissertation, sont des points fondamentaux quant à la nature d’un enseignement de philosophie dans le secondaire. L’introduction d’heures en première continue de nous apparaître pédagogiquement inutile si elle se fait au détriment de la terminale. De cette introduction, si elle devait se concrétiser, résulterait un accroissement des difficultés, déjà bien présentes, de notre métier : augmentation du nombre de classes, émiettement des services, emplois du temps en conséquence, classes sur deux niveaux donc préparation des cours, corrections, surveillances, sur deux niveaux dans l’année, plus grand nombre de réunions en tout genre – de parents par exemple–, ECJS des Premières et ...retour des TPE, cela sans, a priori, garantie d’une progression davantage possible du niveau des élèves, d’un enseignement philosophique renforcé, ce qui seul pourrait justifier certains sacrifices. Pour M. Poirier, cette période est favorable aussi bien pour œuvrer à une meilleure réussite de notre enseignement que pour redonner aux professeurs de philosophie une place, une reconnaissance, dont il pense qu’elle pourrait redevenir égale à ce qu’elle était dans les années 50. M. Poirier insiste sur la nécessité, en la circonstance, d’une démarche qui doit être celle de la profession tout entière. La réduction prévue des horaires crée de fait une concurrence entre les disciplines qui sera préjudiciable à celles qui présenteraient un projet avec lequel les professeurs ne seraient pas en accord. Nous avons insisté, comme nous le ferons auprès du ministère, pour dire que faute d’être régulièrement informés et consultés, associations et professeurs seraient condamnés à des réactions de simple refus. Reste, ce n’est pas sans conséquence, qu’au total, actuellement, nous ne savons assurément rien des projets gouvernementaux.