Lire l'article complet

publicité
Médecine
& enfance
Prise en charge de la douleur
post-amygdalectomie
S. Pondaven-Letourmy, service de chirurgie pédiatrique de la tête et du cou, hôpital Clocheville, CHU de Tours
La douleur est intense dans les suites d’une amygdalectomie.
Elle doit être prise en charge dès le début, sans attendre
que l’enfant ne la manifeste. Le paracétamol est souvent
insuffisant. La codéine a été interdite dans cette indication
du fait du risque de dépression respiratoire. Le tramadol
expose probablement aux mêmes risques. Les anti-inflammatoires
non stéroïdiens sont efficaces et sûrs, même s’ils augmentent
un peu le risque de saignement. Les corticoïdes demandent
à être évalués.
epuis avril 2013, la codéine
n’est plus autorisée comme antalgique après une amygdalectomie. Cette restriction est intervenue
après l’observation, aux Etats-Unis,
d’une majoration du risque respiratoire
chez des enfants en ayant reçu après
adéno-amygdalectomie.
La publication de ces cas a permis de
mettre en évidence des profils différents
de métabolisme de la codéine. Cette dernière est une prodrogue, transformée en
morphine dans l’organisme par le cytochrome P450 2D6. Or, l’activité de cette
enzyme varie d’un sujet à l’autre. Il existe
ainsi des «métaboliseurs rapides» ou «ultra rapides», qui transforment plus rapidement la codéine en morphine. Les
taux sanguins de morphine sont donc
plus élevés chez ces patients, ce qui majore le risque toxique, notamment l’effet
dépresseur respiratoire.
Cette alerte a été relayée par le Comité
pour l’évaluation des risques en matière
de pharmacovigilance puis par l’Agence
nationale de sécurité du médicament et
des produits de santé (ANSM), aboutissant aux restrictions d’autorisation de
mise sur le marché (AMM) suivantes :
첸 possibilité d’utilisation de la codéine
D
chez l’enfant de plus de douze ans uniquement après échec du paracétamol
et/ou des anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) ;
첸 contre-indication chez l’enfant de
moins de douze ans ;
첸 contre-indication après adénoïdectomie ou amygdalectomie quel que soit
l’âge ;
첸 contre-indication chez la femme enceinte.
Dans la perspective de recherche d’alternatives thérapeutiques, la Société
française d’ORL (SFORL) a publié en
2014 une recommandation intitulée
«Prise en charge de la douleur dans le
cadre de l’amygdalectomie chez l’enfant
et l’adulte», dont le texte intégral est téléchargeable sur le site ORL-France
(www.orlfrance.org) [1].
CONSULTATION
PRÉOPÉRATOIRE
Les auteurs de cette recommandation
rappellent que la prise en charge de la
douleur débute dès la consultation préopératoire. En effet, la sous-consommation d’antalgiques [2] peut s’expliquer
décembre 2016
page 320
par un défaut d’information des parents, qui peuvent ne pas savoir évaluer
le niveau de douleur, et ainsi ne pas
adapter efficacement le traitement. Il
est donc nécessaire d’informer sur l’intensité de la douleur attendue, sa durée
et ses répercussions sur l’activité de
l’enfant. Cette information doit être délivrée à l’enfant et à sa famille en utilisant des supports adaptés à l’âge du patient. Il est recommandé, au cours de
cette consultation préopératoire, de remettre la prescription des antalgiques
qui seront utilisés à la maison, afin que
les médicaments soient disponibles au
domicile au retour de l’enfant. Cette ordonnance devra également faire l’objet
d’explications claires (prises simultanées des antalgiques, en systématique,
sans attendre les manifestations douloureuses), même si ces informations
seront réitérées avant la sortie.
TECHNIQUES
COMPLÉMENTAIRES
De plus en plus de familles nous interrogent sur la place des techniques complémentaires. Nous devons pouvoir apporter
Médecine
& enfance
une information claire tout en gardant à
l’esprit que peu d’entres elles ont fait l’objet d’une évaluation et que le bénéfice ressenti dépend de l’attente du sujet.
Concernant les techniques comportementales, la distraction (écouter de la
musique, jouer à un jeu vidéo) permet
de diminuer, dans une certaine mesure,
l’intensité de la douleur perçue. Le
froid, les bains de bouche au peroxyde
d’hydrogène, le chewing-gum, la tétine
diminuent de façon transitoire la douleur postopératoire immédiate. Enfin,
l’analyse de la littérature n’a pas permis
de conclure à la nécessité de prescrire
un régime alimentaire à visée antalgique. En revanche, les auteurs s’accordent sur la nécessité d’une reprise alimentaire orale rapide.
MÉDICAMENTS
Concernant les procédés pharmacologiques, quatre schémas thérapeutiques
sont proposés pour essayer de résoudre
la difficile équation antalgie/nauséesvomissements/risque hémorragique.
La prescription repose donc sur un compromis optimisé en fonction de la cible
principale et selon le niveau de risque encouru par le patient. Il faut considérer le
risque de dépression respiratoire lorsque
l’on utilise des produits antalgiques
opioïdes ou dérivés, notamment chez
des enfants présentant un syndrome
d’apnées obstructives du sommeil
(SAOS), car leur sensibilité à ces effets
dépresseurs est augmentée. Quel que soit
le protocole choisi, il est nécessaire de le
débuter avant la sortie afin de vérifier
son efficacité et ses effets indésirables.
Les quatre schémas thérapeutiques proposés par la SFORL sont décrits ci-dessous et résumés dans le tableau.
OPTION AINS
Ibuprofène (20 à 30 mg/kg/j en
3 prises) + paracétamol (60 mg/kg/j en
4 prises ou 30 mg/kg/j en 4 prises si
poids < 10 kg) en association et en systématique (horaires programmés).
Dans cette option, on ne peut exclure
formellement une majoration du risque
hémorragique. La surveillance sera
Les quatre schémas de traitement de la douleur post-amygdalectomie proposés par la Société
française d’ORL [1]
Le traitement oral est à débuter en hospitalisation, avant la sortie
Option AINS
Option AINS
modifiée
Option
tramadol
Option
corticoïdes
A l’hôpital
첸 peropératoire . . . . . Dexaméthasone. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Dexaméthasone
첸 salle de réveil . . . . . Morphine . . . . . . . . . . Morphine . . . . . . . Morphine . . . . . . . . . . Morphine
첸 avant la sortie . . . . . Paracétamol . . . . . . . . Paracétamol . . . . Paracétamol . . . . . . . . Paracétamol
Ibuprofène . . . . . . . . . Ibuprofène . . . . . . Tramadol
A la maison . . . . . . . . . Paracétamol . . . . . . . . Paracétamol . . . . Paracétamol . . . . . . . . Paracétamol
Ibuprofène . . . . . . . . . Ibuprofène . . . . . Tramadol. . . . . . . . . . . Prednisolone
donc adaptée, ainsi que l’information
délivrée aux parents. Ce schéma ne sera
pas proposé si l’enfant présente des
risques accrus de saignement.
OPTION AINS MODIFIÉE
Schéma identique au précédent, mais
on n’utilise pas de déxaméthasone en
peropératoire afin d’éviter la majoration du risque hémorragique par l’association au corticoïde d’un AINS en postopératoire.
OPTION TRAMADOL
Tramadol (1 à 2 mg/kg toutes les
6 heures, maximum 400 mg/j) + paracétamol (60 mg/kg/j en 4 prises ou
30 mg/kg/j en 4 prises si poids < 10 kg),
prises programmées en systématique.
Dans cette option, la survenue de signes
de surdosage de type morphinique est
possible (vomissements, sédation et surtout dépression respiratoire) ; la surveillance sera donc adaptée ainsi que
l’information délivrée aux parents. La
notion d’un SAOS préopératoire fera
préférer l’option AINS. En cas d’insuffisance de l’analgésie, on peut proposer,
après consultation médicale, l’administration d’ibuprofène.
OPTION CORTICOÏDES
Corticoïdes par voie orale (par exemple,
prednisolone 1 mg/kg/j) + paracétamol aux doses précédemment citées, selon un schéma programmé. Cette option, qui n’est pas validée dans la littérature, correspond à la pratique de cerdécembre 2016
page 321
tains praticiens, mais doit cependant
faire l’objet d’évaluations.
HAUTE AUTORITÉ
DE SANTÉ : PRÉCISIONS
SUR L’UTILISATION
DES MORPHINIQUES
Plus récemment, en janvier 2016, la
Haute Autorité de santé (HAS), sur saisine de la Direction générale de la santé, a publié une recommandation intitulée «Prise en charge médicamenteuse
de la douleur de l’enfant : alternatives à
la codéine» [3]. Ce rapport, très détaillé
et documenté, traite de toutes les situations cliniques pédiatriques pour lesquelles la codéine était utilisée et propose des traitements alternatifs.
Les conclusions de la HAS indiquent :
« pour une douleur post-amygdalectomie
modérée, les publications récentes vont
dans le sens de l’attitude proposée par la
SFORL en faveur des AINS (ibuprofène)
associés au paracétamol en première intention (sauf cas particulier indiquant
des risques hémorragiques spécifiques) ;
l’utilisation de corticoïdes associés au paracétamol reste à évaluer ». En cas de
douleur intense, les auteurs de ce rapport
proposent le recours au tramadol ou à la
morphine orale en association avec le paracétamol. En cas de SAOS, du fait de
l’hypersensibilité aux effets dépresseurs
respiratoires des morphiniques, l’indication de ces derniers doit être limitée aux
Médecine
& enfance
douleurs intenses, avec une prescription
à des doses réduites et une surveillance
en unité de surveillance continue.
Actuellement, les formes galéniques de
morphine orale disponibles ne sont pas
adaptées pour les jeunes enfants et les
traitements de courte durée. Les flacons
actuels avec compte-gouttes contiennent
de grandes quantités de morphine, ce
qui expose à des risques de surdosage.
Le traitement par morphine orale doit
donc être débuté durant l’hospitalisation, sous surveillance et à faible dose
(0,1 mg/kg/prise). Si la morphine est
probablement la plus efficace pour
contrôler les douleurs sévères, elle est
cependant fréquemment responsable de
nausées et de vomissements, qui sont à
éviter après une amygdalectomie.
Enfin, les auteurs du rapport de la HAS
signalent la publication récente d’un cas
clinique français de dépression respiratoire sévère chez un enfant après une
prise orale de tramadol aux posologies
recommandées (1 mg/kg/prise) [4]. Les
dosages ont mis en évidence un ultramétabolisme, de mécanisme identique à
celui de la codéine…
CONCLUSION
La douleur post-amygdalectomie est
souvent intense. Elle doit être traitée
efficacement. Le retrait de la codéine a
modifié les pratiques. Actuellement, il
est recommandé de prescrire du paracétamol + ibuprofène ou du paracétamol + tramadol en systématique, à ho-
décembre 2016
page 322
raires programmés. Le choix de l’option
thérapeutique dépendra du terrain
(risque hémorragique accru) et de l’indication (SAOS).
첸
S. Pondaven-Letourmy déclare avoir des liens d’intérêts
avec Pfizer (participation au board pédiatrique).
Références
[1] SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’ORL : « Recommandation pour la
pratique clinique. Prise en charge de la douleur dans le cadre
de l’amygdalectomie chez l’enfant et chez l’adulte », 2014,
www.orlfrance.org.
[2] RONY R.Y., FORTIER M.A., CHORNEY J.M. et al. : « Parental
postoperative pain management : attitudes, assessment, and
management », Pediatrics, 2010 ; 125 : e1372-8.
[3] HAUTE AUTORITÉ DE SANTÉ : « Prise en charge médicamenteuse de la douleur chez l’enfant : alternatives à la codéine », recommandation de bonne pratique, janvier 2016, www.has-sante.
fr/portail/jcms/c_2010340/fr/prise-en-charge-medicamenteusedela-douleur-chez-l-enfant-alternatives-a-la-codeine.
[4] ORLIAGUET G., HAMZA J., COULOIGNER V. et al. : « A case
of respiratory depression in a child with ultrarapid CYP2D6 metabolism after tramadol », Pediatrics, 2015 ; 135 : e753-5.
Téléchargement