42 | La Lettre du Psychiatre • Vol. VI - n° 2 - mars-avril 2010
Résumé
Les consultations avec des patients souffrant de schizophrénie et avec leur famille, effectuées depuis plus
de trente ans, ont permis de développer des modalités d’interventions thérapeutiques spécifiques. Elles
reposent sur la ritualisation des rencontres, l’instauration de conversations ordinaires, le rassemblement
et la mise au repos de l’esprit en souffrance, la réorganisation des contextes de soins. Elles impliquent le
respect des personnes, de leurs valeurs et de leurs croyances collectives, dans une démarche prospective
d’apprentissages réalisés par les patients, les familles et les thérapeutes, par la création d’une histoire
partagée.
Mots-clés
Schizophrénies
Familles
Psychothérapies
Highlights
Since more than thirty years,
consultations with patients
who present schizophrenic
disorders and with their fami-
lies have allowed to develop
specific methods of therapeutic
interventions. They are based
on meeting’s ritualization, ordi-
nary conversations, suffering
mind’s gathering and ordering
rest, reorganization of care’s
contexts. They have to deal
with the respect of human
dignity, of common believes
and values of the persons, in a
forecast approach of learnings
performed between patients,
families and therapists, through
the creation of a shared history.
Keywords
Schizophrenias
Families
Psychotherapies
de lui proposer un programme de psycho-éducation.
Des échelles d’évaluation permettent d’apprécier le
niveau d’expression émotionnelle de la famille. À
la suite de recherches psycho-sociologiques, il est
apparu que lorsque ce niveau est élevé (tendance à
la critique, à l’hostilité, à la surimplication, à l’en-
vahissement et à l’intrusion), les décompensations
et les hospitalisations étaient plus fréquentes que
dans les familles où ce niveau d’expression émotion-
nelle était bas. Ce paramètre n’est pas spécifique
des troubles schizophréniques ; il se retrouve dans
des familles confrontées à d’autres pathologies, et
même dans des familles dans lesquelles personne
n’est atteint d’une maladie grave. Des méta-analyses
portant sur des cohortes très conséquentes sous
toutes les latitudes montrent que, dans les familles
entraînées à faire face aux troubles du patient et
à réduire l’intensité des manifestations émotion-
nelles, le taux de rechutes et de réhospitalisations
est significativement diminué par comparaison avec
ce qu’il est dans des familles ne participant pas à un
programme de psycho-éducation.
D’autres orientations éco-systémiques ont vu le
jour, abandonnant l’hypothèse d’une pathologie ou
d’une pathogenèse familiale : les thérapies centrées
sur la solution, les thérapies narratives et conversa-
tionnelles, les thérapies prospectives, centrées sur
l’interface personnelle, familiale et sociale. La prise
en compte des circuits complets de l’esprit (qui ne
sont pas limités par l’enveloppe corporelle, et se
prolongent par tout ce qui donne sens et valeur à la
vie dans l’environnement [1]) conduit à soulager la
souffrance corporelle et mentale par l’instauration
de contextes apaisants.
Demande
La consultation familiale opère souvent dans un
premier temps comme une aide aux décisions
psychiatriques : lorsqu’il existe des troubles psycho-
tiques majeurs, des perturbations comportemen-
tales, voire des atteintes somatiques pouvant
rapidement mettre en jeu le pronostic vital,
solliciter l’avis de la famille devient une néces-
sité urgente. Cette démarche, déjà décrite par P.
Pinel dans son Traité médico-philosophique sur
l’aliénation mentale (2), permet le plus souvent
de recueillir des informations précieuses pour la
conduite à tenir sur le plan psychiatrique. Elle
permet de créer une alliance avec la famille et
s’accompagne fréquemment d’une diminution
des angoisses tant chez les soignants que chez les
membres de la famille, ainsi que d’une atténuation
des troubles chez le patient.
La demande des membres de la famille est rare-
ment une demande de thérapie familiale ; elle est
habituellement distincte, voire opposée aux objec-
tifs thérapeutiques des psychiatres et des équipes.
Observons que les dynamiques respectives de la
famille et des équipes thérapeutiques apparaissent
alors en opposition de phase : là où les thérapeutes
perçoivent un progrès, les membres de la famille
décrivent une régression. Loin d’être fiables, les réso-
nances émotionnelles peuvent conduire à des erreurs
d’appréciation graves. Les troubles de l’attribution
d’intentions à autrui et les défaillances de l’empathie
rendent conjecturale la capacité à se mettre à la
place d’autrui et à développer un insight. L’expression
dramatique d’une situation perçue comme catas-
trophique est susceptible de symboliser le danger. À
l’inverse, le sentiment partagé d’une amélioration,
voire d’une guérison spectaculaire, peut précéder la
survenue d’un accident grave ou d’une issue fatale.
L’apport majeur de l’œuvre de G. Bateson (1) et de
celles de ses successeurs a consisté à repérer ces
mouvements respectifs de compétition et d’hostilité
comme relevant d’une schismogenèse symétrique
dont l’issue habituelle est la rupture des liens entre
la famille et l’équipe de soins. L’intérêt d’une telle
conception est d’envisager des formes complémen-
taires de relation, permettant de rééquilibrer les
escalades symétriques, en rétablissant des liens
marqués par la réciprocité, la solidarité et le parte-
nariat.
Les membres de l’équipe de soins et des thérapeutes
adressent une demande d’aide à la famille, à partir
des difficultés qu’ils rencontrent dans la prise de
décisions (permissions, sorties lors d’une hospita-
lisation) et dans les prescriptions (de psychotropes,
d’orientation vers telle ou telle structure de soins,
d’accompagnement et d’apprentissage). Dans un
grand nombre de cas, les familles répondent favo-
rablement à cette demande d’aide. Les processus