Vol. 9, No3, 2009 •Revue militaire canadienne 79
HISTOIRE MILITAIRE
doivent être appliqués et dont l’importance varie en fonction
des responsabilités hiérarchiques décrites ci-dessus11
. Ces
critères, au nombre de cinq, forment un cadre d’efficacité
nécessaire à l’exécution de la mission tout en respectant
les aspects professionnels et éthiques requis des Forces
canadiennes : succès de la mission, intégration interne,
bien-être et engagement des membres, adaptation au monde
extérieur et ethos militaire12
. Les quatre premiers critères
constituent des résultats essentiels, et tout particulièrement
le succès de la mission, qui devient le but ultime du
leader, alors que les trois autres sont plutôt des éléments
facilitant cette réussite. Face à ce résultat principal (succès
de la mission) et ces résultats habilitants (intégration interne,
bien-être des subalternes, adaptation extérieure), l’ethos
militaire concerne la conduite de la mission par laquelle
des normes générales fixent les limites à respecter en tentant
d’atteindre les résultats souhaités13
.
Cette structure théorique fournit un cadre des plus
utiles afin de clarifier le modèle de leadership des Forces
canadiennes. Par contre, tel que noté en introduction, sa
formulation destinée à tous les niveaux de commandement
à travers l’ensemble du continuum des opérations peut
rendre difficile son application pratique dans un contexte
spécifique. Dans le tableau illustrant le modèle canadien,
différents énoncés de responsabilités apparaissent sous les
deux fonctions du leadership, et ce, pour chaque critère
d’efficacité. Bien que spécifiques, ces énoncés varient
grandement à l’intérieur d’un même critère. Sous la fonction
diriger les gens par exemple, le critère d’efficacité associé
au succès de la mission peut être rempli par un éventail
de responsabilités, allant de l’acquisition d’une compétence
personnelle et son perfectionnement à l’obtention et la
gestion des ressources nécessaires à l’exécution des tâches.
Par ailleurs, la fonction diriger l’institution peut être mesurée
sous le critère d’efficacité « adaptation au monde extérieur »
par la responsabilité d’amorcer le changement ainsi que
celle de produire régulièrement des rapports d’information
destinés au monde extérieur14.
Cet éventail de responsabilités disparates, bien qu’elles
soient toutes applicables à différents degrés selon les
circonstances, empêche le lecteur de comprendre quelles
sont les pratiques vraiment essentielles à l’exécution d’un
leadership effectif pour différents niveaux de comman-
dement. Il devient donc nécessaire de tenter de raffiner
ce modèle pour mettre clairement en évidence les quelques
éléments qui sont véritablement fondamentaux, plus
particulièrement au niveau opérationnel. Ce cheminement
doit toutefois inclure une plus ample discussion sur la nature
du commandement au niveau opérationnel afin de préciser
le cadre envisagé dans le présent article.
Le leadership au niveau opérationnel
La doctrine militaire canadienne reconnaît trois degrés
d’opérations : stratégique, opérationnel et tactique. Le
niveau opérationnel est décrit comme suit : « Niveau de
commandement auquel on emploie des forces pour atteindre
des objectifs stratégiques dans un théâtre ou une zone
d’opérations par la conception, l’organisation et la planification
de campagnes et de grandes opérations15
. » Ce concept est
un héritage direct de la vision élaborée tout d’abord en
Prusse au cours du XIXesiècle et raffinée par l’Armée
rouge entre les deux guerres mondiales sous le terme art
opérationnel. Les conflits de l’ère industrielle illustrèrent
clairement le besoin d’établir une nouvelle discipline
militaire afin de combler le fossé entre l’établissement de
grands objectifs politico-militaires précédant les combats
(stratégie) et l’application de la force armée sur le champ
de bataille (tactique).
Vainqueur des guerres d’unification allemandes des
années 1860 et de la Guerre franco-prusse de 1870-1871,
Helmuth von Moltke est souvent reconnu comme le premier
vrai « pratiquant » de l’art opérationnel16
. Il instaura les
procédures et les moyens requis pour coordonner le
mouvement et le ravitaillement des grandes armées de
masse qui dominèrent les champs de bataille européens,
bénéficiant d’une mobilité et d’une létalité croissantes
jusqu’à leur neutralisation mutuelle dans les tranchées de
la Première Guerre mondiale. La nouvelle Armée rouge
adopta et raffina les préceptes allemands en appliquant
les leçons de ce conflit et en capitalisant sur l’expérience
acquise dans les combats qui suivirent la révolution
Le maréchal de camp Helmuth Karl Bernhard Graf von Moltke
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