Paganin F, Schouler L, Cuissard L et al. Airway and esophageal stenting in patients with advanced esophageal cancer and pulmonary involvement. PLoS ONE 2008;3(8): e3101. Référence en une référence Cancer œsophagien avancé : quand protéger les voies aériennes centrales ? H. Dutau (unité d’endoscopie thoracique, pôle cardiovasculaire et thoracique, hôpital Sainte-Marguerite, CHU de Marseille) L a prise en charge de l’atteinte des voies aériennes centrales (VAC) par les cancers œsophagiens avancés est assurément une problématique relativement fréquente pour les pneumologues (interventionnels). Plusieurs aspects sous-tendent cette problématique et varient d’un centre hospitalier à l’autre. ➤➤ En premier lieu, ce sont les gastro-entérologues qui effectuent le bilan et la prise en charge thérapeutique initiale, de même que le suivi des patients atteints de cette pathologie grave. Le plus souvent, les pneumologues ne sont consultés qu’en cas de symptômes respiratoires, mais rarement avant que ceux-ci n’apparaissent. ➤➤ Habituellement, les premiers symptômes sont digestifs, avec une dysphagie aux solides puis aux liquides, pouvant évoluer vers l’aphagie. C’est à ce stade que la mise en place d’une prothèse œsophagienne est indiquée. ➤➤ La prise en charge multidisciplinaire, qui devrait être de mise dans cette pathologie, n’est pas toujours effective, et rares sont les patients qui bénéficient d’une double endoscopie (œsophagienne et trachéobronchique), à la recherche d’une atteinte des VAC, préalable à la mise en place d’une prothèse œsophagienne. ➤➤ Le plus souvent, cette atteinte se situe dans la région carénaire (soit dans le tiers inférieur de la trachée, soit dans la moitié proximale de la bronche principale gauche). ➤➤ Cette atteinte peut être de plusieurs types : une compression extrinsèque de gravité variable pouvant entraîner une dyspnée, une atteinte intrinsèque par envahissement de contiguïté avec d’éventuelles lésions exophytiques dans la lumière des voies aériennes, ou une atteinte mixte (intrinsèque et extrinsèque). ➤➤ Ces lésions peuvent se compliquer de fistules œso-trachéobronchiques, dont le pronostic est très sombre, avec une espérance de vie de l’ordre de quelques semaines. En l’absence de traitement endoscopique, les patients meurent de complications infectieuses sévères à type de pneumopathies extensives ou de choc septique. En cas d’atteinte des VAC (et surtout en cas de fistule), la mise en place de deux prothèses, une œsophagienne et une trachéobronchique, est recommandée (1). À l’ère de la médecine fondée sur les preuves, ces recommandations n’ont pas beaucoup de poids, car elles relèvent de l’avis d’experts ou de quelques études rétrospectives. Aucune étude prospective n’a 42 | La Lettre du Pneumologue • Vol. XII - n° 3 - mai-juin 2009 été réalisée à ce jour. De ce fait, beaucoup de questions demeurent, concernant en particulier le moment idéal pour la mise en place de ces prothèses et, à un degré moindre, le type de prothèses à utiliser. Quelques considérations peuvent nous éclairer : – la mise en place d’une prothèse œsophagienne seule en cas d’atteinte des VAC méconnue expose le patient à une détresse respiratoire aiguë. En effet, les prothèses utilisées dans l’œsophage sont des prothèses métalliques auto-expansibles (PMAE), qui peuvent ajouter une pression supplémentaire à une compression extrinsèque préexistante des VAC ; – une PMAE œsophagienne seule expose le patient au risque d’apparition d’une fistule, en raison du traumatisme qu’elle engendre au niveau de ses deux extrémités non couvertes. Ce risque est majoré en cas de radiothérapie associée ; – en cas d’atteinte des VAC nécessitant la mise en place d’une prothèse, celle-ci doit donc être mise en place avant la prothèse œsophagienne ; – en cas d’atteinte de l’œsophage haut, la mise en place d’une prothèse œsophagienne peut se révéler impossible en raison de la proximité de la bouche de Killian. Toute prothèse à ce niveau est très mal tolérée cliniquement. Dans ces cas rares, une prothèse trachéale seule peut constituer l’unique possibilité lorsque le patient présente une fistule. Analyse critique L’article proposé par F. Paganin et al. tente d’apporter un autre regard sur la prise en charge de cette pathologie. Faut-il mettre en place une prothèse trachéobronchique en prévention des possibles complications des prothèses œsophagiennes, ou faut-il attendre ces complications ? Matériel et méthode Quarante-quatre patients (37 hommes et 7 femmes) ont été inclus dans une étude d’observation entre 2001 et 2007. Tous ces patients présentaient des cancers de l’œsophage avancés nécessitant la pose d’une prothèse œsophagienne. Une fibroscopie bronchique définissait le type d’atteinte possible. Une fistule était retrouvée chez 41 % des patients, une compression extrinsèque chez 29,5 % et une infiltration tumorale chez 29,5 %. La mise en place de deux prothèses était la règle pour tous les patients présentant une fistule ou une compression en une référence extrinsèque supérieure à 40 % de la lumière. Pour ceux qui présentaient une infiltration tumorale sans réduction significative du calibre des VAC, une prothèse trachéale ou bronchique était placée en prévention des possibles complications des prothèses œsophagiennes. Deux sousgroupes étaient ensuite formés. Le groupe 1 (7 patients) regroupait des patients chez qui la mise en place de la prothèse des VAC était effectuée dans l’urgence en raison de symptômes respiratoires aigus, alors que le groupe 2 (37 patients) était composé des autres patients. Résultats Dans le groupe 1, la mise en place d’une prothèse dans les VAC s’est révélée impossible chez 5 patients sur 7, alors que, dans le groupe 2, tous les patients ont pu recevoir une prothèse avec succès. Les raisons des échecs sont mal explicitées et leur nombre élevé est difficile à comprendre, même dans le cadre de l’urgence. Il a résulté de l’intervention un taux de mortalité très élevé dans le groupe 1 (86 % des patients ont succombé à des complications immédiates) alors qu’il est nul (0 %) dans le groupe 2 juste après l’opération. La différence est bien évidemment significative (p < 0,0001). La survie des patients du groupe 2, qui ont pu bénéficier pour la plupart d’un traitement complémentaire anticancéreux (radiochimiothérapie), est de 26 ± 11 semaines, alors que celle des 2 patients du groupe 1 est de 6 ± 7,6 semaines (p < 0,001). Discussion et conclusion La conclusion des auteurs, pour qui la mise en place d’une prothèse trachéobronchique en prévention des complications des prothèses œsophagiennes est nécessaire – même s’il y a une certaine logique à cela –, est difficile à accepter au vu des données. En effet, les deux sous-groupes ne sont pas comparables. Le groupe 1 (beaucoup plus petit que le groupe 2) regroupe des patients qui semblent présenter les complications majeures des prothèses œsophagiennes dans les voies aériennes centrales, probablement associées à de graves répercussions respiratoires. Ce sont ces dernières qui sont à l’origine du décès des patients et non pas leur cancer. Or, dans la méthode, il était pourtant écrit que tous les patients étaient candidats à la mise en place d’une prothèse œsophagienne et trachéobronchique, et que cette dernière devait être placée en premier. Il est difficile de comprendre le schéma exact de l’étude, et trop de variables ne peuvent pas être prises réellement en compte. Par ailleurs, il est clair que la mise en place d’une prothèse dans les voies aériennes peut s’avérer très compliquée en cas de protrusion d’une prothèse œsophagienne dans les VAC, mais, selon notre expérience, les échecs sont rares. Cela étant, même en cas de succès, les décès, de cause infectieuse pour la plupart, sont fréquents malgré une amélioration symptomatique initiale. Les données de cette étude ne suffisent pas pour justifier une attitude pourtant logique : prévenir plutôt que guérir. Une véritable étude prospective comparant deux groupes de même taille serait nécessaire ; les patients, qui auraient tous besoin d’une prothèse trachéobronchique, en bénéficieraient ou non de manière randomisée. Les patients nécessitant la pose d’office d’une prothèse trachéobronchique en raison d’une réduction cliniquement significative du calibre des VAC en seraient exclus. Cela permettrait également de connaître les complications de la mise en place préventive d’une prothèse en l’absence de symptôme respiratoire. Le problème des fistules est encore différent et plus compliqué, et là aussi une étude prospective randomisée est indispensable : prothèse œsophagienne avec ou sans prothèse trachéobronchique. On le voit, beaucoup de travail reste à faire dans une discipline (la pneumologie interventionnelle) qui présente encore à ce jour un manque cruel d’études de niveau de preuve élevé. La complexité et la relative rareté des cas rendent les choses compliquées ; seules des études prospectives multicentriques et comparatives pourront répondre aux nombreuses questions. Le Groupe d’endoscopie de langue française (GELF, groupe de travail de la Société de pneumologie de langue française) doit œuvrer dans ce sens. ■ Bibliographie 1. Kvale PA et al. American college of chest physicians. Lung cancer. Palliative care. Chest 2003;123(Suppl. 1):284S-311S. Réponse des auteurs aux commentaires de H. Dutau F. Paganin, A. Bourdin (service de pneumologie, groupe hospitalier Sud-Réunion, Saint-Pierre) N ous sommes tout à fait d’accord avec l’analyse d’Hervé Dutau sur les conclusions de notre étude, qui n’a jamais eu pour but de prouver ni de démontrer une attitude conforme aux règles de la médecine fondée sur les preuves. Il s’agit d’un travail relatant une expérience accumulée au cours des années. En parlant avec nos collègues, nous avons constaté que beaucoup d’entre nous ont été confrontés à des situations difficiles de patients qui avaient des complications de l’arbre bronchique après la mise en place d’une prothèse œsophagienne. L’incidence élevée de cancers œsophagiens à La Réunion nous a permis de recueillir une plus grande quantité de données. Le contexte a été parfaitement explicité par Hervé Dutau dans son commentaire introductif. La fréquence des complications trachéobronchiques induites par les prothèses œsophagiennes La Lettre du Pneumologue • Vol. XII - n° 3 - mai-juin 2009 | 43 en une référence est inconnue. Pour preuve, la grande variation des complications rapportées dans la littérature gastroentérologique (2 à 30 %). À notre avis, ces complications sont sous-estimées, car elles ne sont pas systématiquement recherchées. Comme le souligne Hervé Dutau, de nombreux patients ne bénéficient pas d’une évaluation bronchoscopique initiale avant la pose de la prothèse œsophagienne. Nous pensons que, en cas de complications respiratoires non asphyxiques, beaucoup de patients sont considérés comme ayant une évolution péjorative de la maladie, le traitement endoscopique étant considéré comme palliatif. Les deux groupes de malades de notre étude sont parfaitement comparables à la phase initiale, c’est-à-dire avant l’intervention œsophagienne (cf. PLoS ONE 2008;3[8]:2, tableau II), l’impact de la prothèse œsophagienne ayant un retentissement majeur sur la survie. Nous comprenons l’interrogation d’Hervé Dutau sur les méthodes. Tous ces patients ont eu une évaluation préalable (ce qui, déjà, est un progrès). Cependant, ce n’est pas parce que le pneumologue émet des recommandations, des réserves ou des conseils que ceux-ci sont suivis ! La réalité quotidienne est différente. Comme le souligne Hervé Dutau, la pneumologie interventionnelle est une discipline confidentielle et balbutiante. Beaucoup de nos collègues pneumologues n’ont pas d’expérience en la matière. Devant une fistule trachéale ou bronchique avérée, on peut facilement estimer que la mise en place d’une prothèse œsophagienne permettra d’occlure la fistule, sans penser que le retentissement sur l’arbre bronchique peut être majeur. Cette attitude est d’ailleurs revendiquée par beaucoup de gastro-entérologues. L’idée d’un appareillage préalable de l’arbre bronchique est assez audacieuse, car la logique veut que l’on commence par l’organe initialement atteint. Nous avons eu beaucoup d’échecs dans le groupe des patients admis en urgence, ce qui a étonné Hervé Dutau. Tous les échecs ne sont pas dus uniquement à un problème technique. L’état général de ces patients est précaire, et l’anesthésie est parfois difficile (ou infaisable). En cas de protrusion de la prothèse œsophagienne dans la trachée ou la bronche souche gauche, il est relativement facile de mettre en place une prothèse endobronchique après une dilatation au ballon qui repousse la prothèse vers l’œsophage. En revanche, la mise en place d’une prothèse de Dumon en Y est beaucoup plus complexe (indication dans le cas de la figure 1 de l’article initial, PLoS ONE 2008;3[8]:2). Une petite prothèse ne répond pas forcément à la situation et risque d’être écrasée par la force d’expansion de la prothèse œsophagienne. Une grosse prothèse en Y est difficile à positionner quand la lumière trachéobronchique est encombrée par la prothèse œsophagienne et par du tissu tumoral. Ces situations complexes sont exacerbées pour des praticiens polyvalents qui n’ont pas le niveau d’expertise des 44 | La Lettre du Pneumologue • Vol. XII - n° 3 - mai-juin 2009 centres de référence. Les nouvelles prothèses métalliques en Y montées sur fil guide permettront certainement de simplifier ces procédures techniques. Au bout du compte, les résultats sont malheureusement identiques, ce qui justifie l’adage employé par Hervé Dutau : “Mieux vaut prévenir que guérir”. Nous adhérons totalement à cette idée (même si, dans le contexte, le mot “guérir” n’est guère adéquat), et c’est bien l’esprit de l’article publié dans PLoS ONE. La concertation est également devenue la règle en cancérologie au travers des unités de concertation pluridisciplinaire (UCP). Le caractère insulaire de l’Île de la Réunion et le petit nombre d’endoscopistes interventionnels (gastro-entérologues et pneumologues) a permis de mettre en place une procédure d’évaluation. Nous pensons que cette attitude a amélioré la prise en charge de ces patients et limité les hospitalisations non programmées, sources d’une mauvaise qualité de vie pour les malades et d’une inflation des coûts de santé pour la société. Le concept de prothèse préventive que nous avons employé dans l’article peut surprendre ou irriter le lecteur. Dans notre expérience, la mise en évidence d’une compression extrinsèque, même mineure, associée à une rigidité de l’arbre bronchique sur la zone concernée lors d’une manœuvre de toux suggère un risque d’atteinte de la paroi bronchique en cas d’insertion d’une prothèse œsophagienne. C’est dans ces conditions que nous avons préconisé de mettre en place une prothèse endobronchique de contre-pression. Ces compressions extrinsèques sans infiltrations de la muqueuse bronchique et, a fortiori, sans signes de fistule ne sont pas forcément reconnues comme une lésion significative. L’un des quatre relecteurs de notre article considérait aussi que la compression extrinsèque endobronchique était un élément pathologique majeur, mais il ne précisait pas le pourcentage d’obstruction de la lumière bronchique. Comme le souligne Hervé Dutau, bien des interrogations demeurent, et encore une fois notre article n’a jamais eu la prétention d’y répondre. Le choix de présenter notre travail dans une revue en accès libre (téléchargement gratuit) et généraliste était délibéré, afin de permettre une diffusion pluridisciplinaire. Les pistes de travail proposées par Hervé Dutau sont incontournables, et nous en mesurons la difficulté. Une étude française ou européenne serait intéressante pour répondre à ces questions. Nous serions bien sûr heureux de pouvoir y participer et d’apporter notre modeste expérience. En attendant des recommandations fondées sur des niveaux de preuve élevés, nous espérons que notre travail pourra contribuer à une meilleure coopération entre gastroentérologues et pneumologues, afin de parvenir à prendre en compte ensemble les différents organes concernés. ■ L’article est téléchargeable sur le site de PLoS ONE et de PubMed.