Le Courrier de la Transplantation - Volume VIII - n
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singularité
Particularités pharmacologiques des traitements
médicamenteux chez le transplanté
porteur d’une mucoviscidose
E.M. Billaud*
* Laboratoire de pharmacologie-toxicologie,
hôpital européen Georges-Pompidou, Paris.
L
e transplanté porteur d’une mucovis-
cidose relève d’une prise en charge
multifactorielle qui combine les
aspects habituels de la transplantation et
de l’immunosuppression, dans un cadre
(organe pulmonaire et/ou hépatique) à
haut risque chirurgical, immunologique
et infectieux, et ceux de la pathologie de
fond, la mucoviscidose, généralement
associée à des difcultés d’absorption, de
biodisponibilité et de variabilité pharma-
cologique, et encore souvent compliquée
par les aspects pédiatriques.
L’enjeu thérapeutique est important, et une
attention toute particulière doit être portée
à la stratégie médicamenteuse, en termes
de choix et de surveillance.
MUCOVISCIDOSE
Les conséquences cliniques de la muco-
viscidose (1-3) sont multiples. L’appareil
respiratoire est colonisé en particulier
par le bacille pyocyanique (Pseudo-
monas aeruginosa), le staphylocoque
doré (Staphylococcus aureus) et l’asper-
gillose (Aspergillus fumigatus). On observe
l’installation d’une maladie pulmonaire
évoluant vers l’insufsance respiratoire,
parallèlement au développement d’at-
teintes hépatiques pouvant conduire à
une cirrhose, à des problèmes de motilité
intestinale et à une hypotrophie de malab-
sorption.
La prise en charge est celle d’une affection
chronique. Elle a pour objectif de contrôler
l’infection pulmonaire, l’hydra tation et la
prise de poids. Elle repose sur la supplé-
mentation des enzymes pancréatiques
décients (Créon®), sur la uidication
des sécrétions bronchiques (par un recours
à la kinésithérapie et aux aérosols d’ami-
loride) et sur la prévention des infections
bronchiques.
Le pronostic s’est continûment amélioré
au cours des dernières années, et la
médiane de survie atteint aujourd’hui plus
de 35 ans, d’autant plus que la prise en
charge est précoce, régulière et autorise
la préservation maximale de la fonction
respiratoire. Cependant, les formes les plus
sévères nécessitent le recours à la trans-
plantation pulmonaire et/ou hépatique ;
celle-ci permettra de restaurer les fonctions
correspondantes, sans toutefois entraîner
de guérison, notamment digestive.
Les patients porteurs de mucoviscidose qui
accèdent à la transplantation sont souvent
jeunes (enfants ou jeunes adultes, de 25 ans
en moyenne) et de poids plus faible, bien
qu’ils soient de moins en moins dénutris
(45 kg en moyenne) ; cette population est
équilibrée en termes de répartition par
sexe. La perception de la maladie évolue
dans le temps : elle est passée, au l des
années et grâce aux progrès de la prise en
charge, du ressort de la pédiatrie pure au
champ de l’adulte.
De manière spécique, la mucoviscidose
entraîne, au niveau de la pharmacociné-
tique des médicaments, des modications
qui peuvent affecter leur biodisponibilité.
Un délai à l’absorption peut survenir, ainsi
qu’une diminution de l’absorption des
substances très dépendantes de la bile,
pouvant bénécier des apports enzyma-
tiques, parallèlement à une augmentation
de la clairance, hépatique notamment, per
se et/ou en liaison avec l’âge plus jeune. Il
en résulte une augmentation importante de
la variabilité, et, par voie de conséquence,
une augmentation des doses. Ces modi-
cations relèvent nalement surtout de
la répartition ente masse maigre et masse
grasse. Aussi, la différence, rapportée à la
dose totale quotidienne, reste modeste car
contrebalancée par un poids généralement
plus faible (4-6).
TRANSPLANTATION PULMONAIRE
La transplantation pulmonaire est acces-
sible depuis le début des années 1990, et
ses chances de succès sont acceptables (7,
8) depuis les progrès de la chirurgie et des
traitements, notamment immunosuppres-
seurs. Elle est généralement bipulmonaire
et peut quelquefois provenir de donneurs
vivants apparentés.
À court terme, le suivi est déterminé par la
lourdeur de la chirurgie, la nature pulmo-
naire et/ou hépatique de la transplantation,
le risque important de rejet associé, les
complications de suture et de cicatrisa-
tion et celles qui peuvent toucher le tube
digestif (gastroparésie). Le recours à la
voie parentérale pour l’administration des
médicaments est, à ce stade postopératoire
immédiat, souvent nécessaire.
La transplantation pulmonaire s’assortit
d’un risque de rejet élevé, qui persiste à
long terme, parallèlement à la survenue
de la forme de dysfonctionnement tardif
de ce type de greffon (rejet chronique), ou
bronchiolite oblitérante (BO), à caractère
de brose pulmonaire.
L’aspect vital du maintien du greffon
dictera le niveau d’exigence quant à l’ef-
cacité du traitement immunosuppresseur.
Par ailleurs, cette greffe pulmonaire est
à haut risque infectieux, ce risque étant
aggravé par le contexte de la mucovisci-
dose et les colonisations préexistantes,
notamment fongiques.
L’évolution est conditionnée par la ventila-
tion mécanique, la maîtrise des infections
virales (virus d’Epstein-Barr [EBV], cyto-
mégalovirus [CMV]), parasitaires (toxo-
plasmose), bactériennes et fongiques, en
particulier aspergillaires. Une vaccination
appropriée et des prophylaxies agressives,
systématiques et individualisées sont
nécessaires.
En termes de survie, les transplantés
pulmonaires atteints de mucoviscidose
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peuvent bénéficier des mêmes taux de
survie que les autres transplantés pulmo-
naires, à savoir 70 % à 1 an et 50 % à
5 ans. D’importantes complications sont
à prendre en compte, outre le rejet ou
l’infection, parmi lesquelles on recense
un dysfonctionnement de la motilité
du tractus gastro-intestinal (9) avec un
reflux gastro-œsophagien (gastroeso-
phageal reflux disease [GERD]), ou
encore l’ostéoporose, l’hypertension, le
dysfonctionnement rénal (en particulier
par néphrotoxicité des anticalcineurines)
et le diabète. Ces problèmes, qui peuvent
préexister à la greffe, risquent de s’accen-
tuer après celle-ci.
Enfin, le traitement médicamenteux,
à la fois complexe, puisqu’il concerne
l’immunosuppression, les infections, les
complications et le terrain, et nécessaire au
long cours, comporte des coprescriptions
nombreuses qui sont à l’origine d’interac-
tions médicamenteuses (IAM) importantes
et d’un risque de iatrogénie élevé.
La iatrogénie est importante en raison non
seulement des interactions, mais aussi de
l’exposition prolongée à de nombreux
médicaments depuis l’enfance. Elle se
manifeste par une toxicité pour les organes
et la fonction ainsi que par l’aggravation
d’un syndrome métabolique ou d’un
diabète après la transplantation du fait du
traitement par tacrolimus et corticoïdes,
par exemple.
Les complications neurologiques (10)
seront favorisées par les déficits nutri-
tionnels, l’hospitalisation en réanimation
et l’utilisation de la voie parentérale, le
jeune âge et les médicaments (tacrolimus,
voriconazole, aciclovir).
Enn, l’immunosuppression importante
exposera particulièrement le patient au
risque néoplasique de lymphome et de
cancer.
Chez certains patients, une transplan-
tation multi-organe poumon-foie sera
nécessaire. Lors du suivi, l’attention se
portera en premier lieu sur l’organe le plus
contraignant, soit le poumon. Cependant,
la fonction hépatique assure l’élimination
de nombreux médicaments, dont les prin-
cipaux immunosuppresseurs.
Les résultats de la retransplantation sont
pour l’instant limités. L’indication en
reste acceptable en cas de dysfonction-
nement chronique mais demeure très
discutable en cas de défaillance primaire
du greffon (11).
ASPECTS PÉDIATRIQUES
Initialement exclusivement pédiatrique,
cette pathologie, du fait de l’amélioration
de son pronostic, concerne désormais
également l’adulte.
Il y a relativement peu de données spéci-
ques à la pédiatrie dans l’évaluation des
médicaments. Il est cependant connu que
la maturation des fonctions évolue avec
l’âge et est notablement différente dans les
tous premiers âges (12, 13). Le contexte
de transplantation limite ici notre propos à
l’enfant et à l’adolescent. La conjonction
de la mucoviscidose et du jeune âge rend
l’analyse difcile. Une étude réalisée avec
l’itraconazole dans la mucoviscidose sur
deux groupes d’âge différents conrme,
pour une gravité de la pathologie équiva-
lente, la contribution de l’âge à l’augmen-
tation de la clairance, indépendamment de
la mucoviscidose (14).
IMMUNOSUPPRESSION
La transplantation pulmonaire a également
pu se développer grâce à la disponibilité
de nouveaux médicaments immunosup-
presseurs puissants. Seuls les inhibiteurs
de la calcineurine (ICN) pourraient reven-
diquer une AMM en greffe pulmonaire, la
ciclosporine (CsA) ayant bénécié, selon
le libellé initial, d’une indication dans le
traitement et la prévention du rejet aigu,
sans spécication de l’organe, et le tacro-
limus (FK) d’une indication dans le traite-
ment du rejet rebelle corticorésistant. Aux
classes thérapeutiques usuelles, à savoir
les ICN, les corticoïdes et les inhibiteurs
de la synthèse des bases – tels que l’aza-
thioprine (AZA) et, depuis 1995, l’acide
mycophénolique (MPA) libéré à partir du
mycophénolate mofétil (MMF) –, s’ajou-
tent, depuis le début des années 2000, les
inhibiteurs du signal de prolifération (ISP),
encore appelés rapamycine ou inhibiteurs
de la mTOR, c’est-à-dire le sirolimus
(SRL) et l’évérolimus (RAD). Le recours
à une induction est fréquent en Europe ;
celle-ci repose sur l’utilisation d’un anti-
corps polyclonal de type thymoglobuline
ou sur celle, plus récente, des anticorps
monoclonaux inhibiteurs des récepteurs de
l’IL-2, dacliximab ou basiliximab. L’alem-
tuzumab n’est utilisé pour l’instant que de
manière exceptionnelle (15). Anticorps
monoclonal qui déplète les CD4, il serait
utile dans le rejet aigu réfractaire mais aussi
dans la prise en charge du syndrome de
bronchiolite oblitérante (SBO).
L’association ICN-corticoïdes-MPA reste
le traitement de choix dans cette indica-
tion.
Il n’est pas nécessaire de revenir sur les
limites des corticoïdes, ni sur celles des
ICN, dont la néphrotoxicité, inéluctable à
long terme, est le principal écueil. Le prol
de sécurité de ces médicaments à marge
thérapeutique étroite, notamment les ICN
et les ISP, est aujourd’hui bien décrit.
L’immunosuppression reposant sur une
polythérapie, l’enjeu est de limiter la iatro-
génie en diminuant les doses de chaque
molécule tout en panachant les mécanismes
d’action pour assurer une efcacité anti-
rejet maximale. Les ISP pourraient de plus
contribuer à la maîtrise du rejet chronique
ou du SBO grâce à leur propriété spéci-
que antiproliférative vasculaire, ainsi qu’à
celle du développement de lymphomes et
cancers. Cette propriété antiproliférative
est d’ailleurs exploitée dans le cadre de
développements spéciques en cancéro-
logie. Le choix d’une association combine
donc les cibles d’efcacité et les prols
de sécurité.
Comme dans le cas des autres organes
transplantés, le FK est préféré par certaines
équipes en raison de sa puissance immu-
nosuppressive. Cependant, le recours à la
voie intraveineuse, immédiatement après
transplantation ou encore en cas d’événe-
ment rendant momentanément impossible
l’administration orale ou naso-gastrique,
est difficile à mettre en œuvre dans la
pratique avec le FK et peut nécessiter un
recours transitoire à la CsA i.v. (en perfu-
sion continue) dans l’attente d’un relais
oral par le FK.
La principale complication induite par
le FK est le diabète, notamment en cas
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d’asso ciation avec les corticoïdes. La
réduction de dose des corticoïdes qu’il
autorise en améliore cependant le contrôle.
Au long cours, il est associé à une néphro-
toxicité pouvant conduire à distance à une
insufsance rénale terminale et à une trans-
plantation rénale. Comme pour l’ ensemble
de la transplantation, les stratégies
(trithérapie après induction) des années
1990 à 2000 ont permis de contenir le rejet
aigu, mais restent de peu d’impact sur le
dysfonctionnement tardif du greffon.
L’association FK-MMF est à comprendre
sur le plan pharmacocinétique comme une
absence d’interaction sur le MMF par
rapport à la CsA (qui exerce une diminu-
tion de 20 à 25 % sur la biodisponibilité
du MPA) ; par ailleurs, sur le plan phar-
macodynamique, cette association est plus
puissante que FK-AZA ou CsA-MPA. Les
posologies doivent donc être ajustées à
la baisse sur ces deux considérations, en
tenant compte toutefois de l’impact usuel
de la mucoviscidose sur le besoin de doses
pondérales plus élevées.
La puissance de l’association immuno-
suppressive s’assortit d’un risque accru
de lymphome et de cancer. Dans ce
contexte, le recours aux ISP permet, en
relais à distance de la greffe, de diminuer
les besoins en ICN et donc de limiter l’im-
pact sur le rein, mais aussi peut-être de tirer
bénéce des propriétés antiprolifératives
de cette nouvelle classe, propres à limiter
le risque de rejet chronique et le risque
néoplasique. Aujourd’hui, pour les patients
les plus récents, leur introduction doit être
envisagée assez précocement, en excluant
cependant la période de post-transplanta-
tion immédiate en raison des risques de
lymphocèle ou de déhiscence et de retard
à la cicatrisation.
Le risque neurologique est majoré par
le contexte pédiatrique, la lourdeur de
la réanimation mais aussi le nombre
de prescriptions à risque (ICN, azolés,
aciclovir).
En termes de biodisponibilité, les patients
porteurs de mucoviscidose sont connus
pour présenter de plus faibles niveaux de
concentrations des médicaments. Cette
plus faible biodisponibilité est due d’une
part à un défaut d’absorption, notamment
pour les substances bile-dépendantes, et
d’autre part à l’augmentation des volumes
de distribution et des clairances d’élimi-
nation, cela de manière inhérente à la
pathologie de fond mais aussi en raison
du plus jeune âge de cette population.
De ce fait, si de la formulation initiale
de la CsA (SIM) résultent des besoins
de doses élevées (x 3 à x 5 par rapport à
l’adulte non porteur de mucoviscidose,
jusqu’à 1,5 g/j), la forme micro-émulsion
(ME-CsA, ou NEO) est relativement peu
affectée (16-18). De même, le FK, dont
l’absorption dépend plus de la nourriture
que de la bile (19), permet une adminis-
tration relativement standard aux patients
porteurs de mucoviscidose, une fois pris
en compte le poids (20).
Le MMF nécessite des doses pondérales
plus élevées d’environ 35 % (21). Cepen-
dant, en raison du plus faible poids de ces
patients, la dose totale quotidienne reste
de l’ordre de 2 à 3 g/j en cas d’association
au FK.
Les ISP (SRL, RAD) sont affectés, les
concentrations de RAD, notamment, étant
limitées à 2-4 ng/ml pour la posologie stan-
dard de 1,5 mg/j, en partie en cas d’absence
de coprescription de CsA qui exerce une
inhibition métabolique sur cette classe,
que les recommandations poso logiques
prennent en compte. Une posologie de
l’ordre de 3 mg/ j, voire plus, peut se
révéler nécessaire pour atteindre le niveau
des concentrations détectables (3-8 ng/ ml)
thérapeutiques dans ce cadre.
L’impact pharmacocinétique le plus impor-
tant est l’augmentation de la variabilité et
la prise en compte du poids corporel.
Les problèmes digestifs, liés à la patho-
logie sous-jacente et parfois aggravés par
la chirurgie de la transplantation, entraînent
des gastroparésies, ainsi qu’une réduction
de la motilité digestive à l’origine d’oc-
clusions intestinales et de GERD néces-
sitant parfois une rupture de la continuité
digestive (gastrectomie). L’utilisation de
sondes naso-gastriques permet de suppléer
dans certains cas la voie orale en évitant le
recours à la voie i.v. L’administration du
FK par voie sublinguale, en vue de pallier
les difcultés rencontrées avec la voie i.v.,
a fait la preuve de sa faisabilité et a été
utilisée sur des périodes assez longues dans
certaines équipes.
Enn, une immunosuppression plus puis-
sante s’accompagne de besoins accrus de
prophylaxie des infections opportunistes,
notamment de celles à risque de réacti-
vation, comme les infections fongiques
aspergillaires. La combinaison FK-MMF
est réputée particulièrement à risque vis-à-
vis du CMV, et la durée de la prophylaxie
est constamment allongée, favorisée en
cela par l’apparition d’une forme orale
performante du ganciclovir, le valganci-
clovir.
Le risque infectieux, notamment pulmo-
naire, domine et se trouve majoré par
le double contexte de la transplantation
pulmonaire et de la mucoviscidose. Les
enjeux infectieux concernent également
les infections émergentes et la gestion des
résistances.
Sur ce terrain, aucun signe n’est anodin,
l’amélioration n’est jamais spontanée.
Il ne faut négliger aucun signe clinique,
notamment infectieux, et la prise en charge
médicamenteuse doit être à la fois précoce
et sufsamment intensive en termes de
nature, de dose et de durée. Cela vaut
également pour la surveillance du malade
et de ses traitements.
En tant que médicaments à marge théra-
peutique étroite, les ICN, les ISP et, à un
moindre degré, le MMF doivent béné-
cier d’un suivi thérapeutique pharmaco-
logique (STP) consacré à l’adaptation de
leur posologie.
SUIVI THÉRAPEUTIQUE
PHARMACOLOGIQUE
Le STP est destiné à l’adaptation individua-
lisée, par dosage sanguin, de la posologie
des médicaments à marge thérapeutique
étroite (22).
Le recours au STP est une recomman-
dation gurant dans le RCP (résumé des
caractéristiques du produit) des ICN et des
ISP. Il a un double objectif : le maintien du
rapport bénéce/risque en termes d’ef-
cacité et toxicité, mais surtout la gestion
des nombreuses IAM, notamment phar-
macocinétiques, dont ces médicaments
font l’objet (17).
Par ailleurs, les retombées des effets phar-
macocinétiques et pharmacodynamiques
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sont à prendre en compte. En effet, s’agis-
sant d’immunosuppresseurs, l’augmenta-
tion des concentrations lors d’un surdosage
entraîne, outre un risque d’exacerbation
des toxicités, une exagération de l’effet
thérapeutique et de ses conséquences, en
l’occurrence des risques néoplasiques mais
surtout infectieux. De tels surdosages sont
très fréquemment consécutifs à une inte-
raction d’inhibition métabolique, singuliè-
rement en présence d’anti-infectieux.
Le risque de sous-dosage est générale-
ment plus délicat à détecter et à évaluer,
en l’absence d’un marqueur d’efcacité
spécique facile à mettre en œuvre. En
outre, il est moins aisé de détecter un signal
plus faible. Ce risque, en partie maîtrisé
par la polythérapie dans l’indi cation immu-
nosuppressive, reste un enjeu important
dans la mucoviscidose.
Dans la pratique courante, c’est la concen-
tration résiduelle minimale avant la prise
suivante (C0) qui reste le paramètre de
choix du STP. D’autres mesures des
concentrations (autour du pic le plus
souvent), voire une aire sous la courbe
(ASC) simpliée, peuvent être utilisées
dans les phases difficiles d’adaptation
pour évaluer la réalité de l’exposition
au médicament au cours d’une prise. On
dispose à présent de valeurs de référence
pour certains médicaments clés, y compris
dans la transplantation pulmonaire pour
mucoviscidose.
Il est aujourd’hui assez facile de réaliser
des dosages sanguins ou plasmatiques de la
plupart des médicaments soit par immuno-
analyse, soit par chromatographie ; il
sera possible à l’avenir de les effectuer
de manière généralisée, en couplant ces
techniques à la détection par spectrométrie
de masse en tandem, qui confère spécicité
et précision pourvu que les calibrations
soient standardisées. La plage analytique
de ces techniques est souple et étendue, et
permet une bonne adaptation aux concen-
trations cibles variables de ces nouvelles
associations.
En présence d’une mucoviscidose, les
concentrations cibles des médicaments
d’enjeu vital peuvent être plus élevées
que dans les autres terrains et indications,
comme le cœur et le rein dans le cas des
immunosuppresseurs.
On observe naturellement une diminution
des concentrations cibles au cours du temps
en post-transplantation, mais aussi dans les
années qui suivent, en partie du fait de
l’augmentation du nombre des associations
prescrites et de leur nature.
Les cibles de FK et de CsA sont fonction
de l’association immunosuppressive et
suivent les contraintes de l’organe trans-
planté le plus exigeant (poumon).
La mise en œuvre d’un relais entre le CsA
i.v. et le FK oral doit ménager une fenêtre
thérapeutique de 12 à 24 h pour éviter le
recouvrement entre CsA et FK, à l’origine
d’un risque de surdosage pharmacociné-
tique et pharmacodynamique.
Lors d’un changement de voie, il est
particulièrement important de prendre en
compte la différence de biodisponibilité de
la voie orale, biodisponibilité qui peut être
particulièrement faible dans le cas de la
mucoviscidose, et aussi, lorsque c’est perti-
nent, la mise en œuvre de la composante
intestinale d’une interaction métabolique
médiée par le CYP3A4 ou la Pgp, qui ne
s’exprime que peu ou pas par voie i.v.
Le MMF ne dispose pas d’une recomman-
dation de STP de même niveau de justi-
cation. Y recourir peut être nécessaire
ponctuellement, notamment pour écarter
l’implication d’un surdosage en cas de
neutropénie ou d’une autre modication
hématologique. Cette surveillance devient
importante quand l’accès aux autres traite-
ments immunosuppresseurs est restreint.
Les cibles de MMF sont nalement peu
différentes, l’augmentation de sa posologie
étant compensée par le plus faible poids
(50 mg/kg/j versus 35 mg/ kg/j). Comme
dans le cadre des autres transplantations,
la coprescription avec le FK doit prendre
en compte les aspects pharmacocinéti-
ques (pas d’interaction avec la CsA) et
pharmaco dynamiques (puissance immu-
nosuppressive de l’association).
On dispose de peu de données dans le cadre
des ISP, lesquels n’ont pas d’indication en
transplantation pulmonaire.
Cependant, leur utilité potentielle est la
même que dans les autres transplanta-
tions d’organe solide et ils se trouvent
donc évalués et/ou prescrits en recours.
Le SRL est peu utilisé, à court terme en
raison du risque chirurgical (lymphocèle,
suture, déhiscence), secondairement parce
qu’il est difcile à manier (longue demi-
vie, IAM, effets indésirables nombreux,
notamment cutanéo-muqueux).
Le RAD est a priori plus accessible. Sa
biodisponibilité orale est plus faible que
dans les autres utilisations, ce phéno-
mène étant en outre majoré par l’absence
d’inhi bition métabolique exercée par la
CsA. Dans notre expérience, les posologies
doivent donc être majorées de l’ordre de
2,5 mg/ j, soit 0,05 à 0,06 mg/ kg/ j, pour
atteindre la partie basse de la zone thérapeu-
tique (3-8 ng/ ml). Le RAD s’avère facile à
manipuler et à adapter, notamment en cas
d’interaction pharmacocinétique. Les IAM
avec le RAD ont un prol superposable à
celui qui est expérimenté et décrit avec le
SRL, mais leur intensité est moins sévère
et elles sont plus faciles à corriger. Cela
autorise le maintien, dans l’arsenal théra-
peutique, de coprescriptions qui pourraient
relever de la contre-indication, comme celle
de voriconazole et de SRL.
Le léunomide a reçu une AMM dans le
cadre de la polyarthrite rhumatoïde, maladie
auto-immune, mais il peut être prescrit
et l’est de plus en plus souvent –, comme
alternative aux ICN, qui peuvent induire
une néphrotoxicité importante, ou être
discuté devant une infection à virus BK.
Le STP doit intervenir devant tout problème
clinique ou biologique touchant le foie,
organe d’élimination, et le rein, cible de
toxicité, en particulier dans le cadre d’une
hospitalisation en soins intensifs ou en
réanimation, ou encore en cas de geste
chirurgical, digestif notamment. Il doit
porter de préférence conjointement sur
l’inhibiteur et l’inducteur du CYP3A4 qui
sont coprescrits. Il doit enn être réinitié
lors de tout changement : changement de
voie, de cotraitement, y compris immuno-
suppresseur, ou modication de dose.
Le coût du STP (prix de revient de
5 à 15 euros et facturation moyenne entre
B70 et B120, soit 25 à 35 euros par prélè-
vement) est très faible comparativement à
celui d’une journée d’hospitalisation pour
aggravation de l’état du patient ou à celui
des doses journalières de la plupart de ces
traitements.
Le risque le plus important à éviter est de
laisser s’installer un surdosage prolongé,
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de FK notamment. L’indicateur le plus
able et le plus précoce d’un surdosage
de FK est sa concentration sanguine. À
la différence de ce qui est observé avec la
CsA, il n’existe pas de composante aiguë
de néphrotoxicité d’apparition immédiate
en cas de surdosage du FK, et les autres
signes, neurologiques (céphalées, pares-
thésies, convulsions) doivent être prévenus
dans la mesure du possible.
INTERACTIONS MÉDICAMENTEUSES
Nous avons déjà décrit le principe de classi-
cation et de stratégie d’utilisation qui régit
les IAM. Il importe d’identier le niveau
de preuve et de documentation scientique
de l’interaction, son mécanisme d’action
(pharmacocinétique, médié par une modi-
cation de la concentration et donc acces-
sible à la modication de posologie, ou
bien pharmacodynamique, lié aux cibles
d’effet) ainsi que son caractère de gravité
et, par conséquent sa pertinence clinique.
Les interactions reconnues comme ayant
des conséquences cliniques potentiellement
graves doivent faire l’objet de mesures
correctives précoces, voire préventives.
Dans le cas d’une interaction pharmaco-
cinétique, il convient de modier la dose,
et, dans celui d’une interaction pharma-
codynamique, de réévaluer le choix de la
coprescription. Dans tous les autres cas,
lorsque le niveau de preuve est insufsant
ou que la conséquence clinique est faible,
la surveillance doit être renforcée (17).
Cet aspect est particulièrement impor-
tant dans le contexte de la transplanta-
tion pulmonaire, et plus encore dans le
cadre d’une mucoviscidose. Le volume
des prescriptions et l’enjeu thérapeutique
favorisent le développement d’interactions
nombreuses et cliniquement signicatives,
dominées par l’inhibition ou l’induction
métabolique du CYP3A4.
Le rôle des corticoïdes dans ces interac-
tions, que nous n’avons pas encore évoqué
et qui est ambivalent, est aussi à prendre
en compte (effet inhibiteur en aigu à forte
dose et inducteur en chronique à dose plus
faible).
Le tableau donne un éventail des inter-
actions pouvant survenir avec les immuno-
suppresseurs de type ICN et ISP. Certaines
d’entre elles peuvent être réciproques, et
certaines des molécules citées dans le
tableau peuvent elles-mêmes faire l’objet
d’interactions de ce type (comme le vori-
conazole).
À la connaissance qualitative de ces inter-
actions, bien décrites aujourd’hui, doit
s’ajouter une perception quantitative. Outre
la nature de l’inhibiteur ou de l’inducteur,
la dose et la voie ont un rôle à jouer.
Aux conséquences d’une modification
pharmacocinétique doit s’ajouter la prise
en compte pharmacodynamique de sa
répercussion. Par exemple, l’intensité
des interactions affectant le métabo-
lisme des ISP apparaît plus élevée que
celle des interactions affectant les ICN.
Cependant, avec le FK en particulier, la
conséquence clinique la plus dramatique
est celle de la puissance immunosuppres-
sive (encadré).
Le STP conjoint de la cible et de l’inhi-
biteur permet une meilleure maîtrise de
la gestion d’une interaction pharmacoci-
nétique. L’équilibration de l’adaptation
dépend de l’achèvement de celle de chacun
des éléments du couple concerné. Le STP
permet également de piloter un relais entre
des inhibiteurs de puissances différentes
et d’anticiper toutes les modications de
Tableau. Interactions médicamenteuses établies des médicaments immunosuppresseurs
de la classe des inhibiteurs de la calcineurine (ICN) et de celle des inhibiteurs du signal de
prolifération (ISP), de mécanisme pharmacocinétique (PK), par inhibition ou induction
métabolique au niveau du CYP3A4, et de mécanisme pharmacodynamique (PD), par
majoration des risques toxiques.
Interactions établies
PK PD
[MEDT]
Métabolisé fortement par CYP3A4
[MEDT]
Métabolisé fortement par CYP3A4
y compris contraceptifs oraux
Macrolides
Érythromycine
Clarithromycine
Josamycine, etc.
Antifongiques azolés
Kétoconazole (KTZ)
Itraconazole
Vorinazole (VRZ)
Posaconazole
Fluconazole
Antiprotéases
Antirétroviraux
Ritonavir, etc.
Inhibiteurs calciques
Pamplemousse
Rifampicine
Phénobarbital
Phénytoïne
Millepertuis
(St John’s Wort)
Néphrotoxicité
Amphotéricine B
Aminosides
Melphalan
Cotrimoxazole v.o.
Hépatotoxicité
Azolés (KTZ, VRZ)
Risque infectieux
Vaccins vivants atténués
Hématotoxicité
Ganciclovir
Neurotoxicité
Didanosine
Aciclovir
PK : pharmacocinétique ; PD : pharmacodynamique ; [MEDT] concentration du médicament cible de l’interaction.
Encadré. Conséquences d’une interaction
médicamenteuse impliquant un médica-
ment immunosuppresseur.
Médicaments à marge thérapeutique étroite
fortement métabolisés
Modications de la concentration circulante
Inhibition : augmentation de la forme inchangée
surdosage, exacerbation des toxicités propres
et des eets thérapeutiques (IS)
Induction : diminution de la forme inchangée
sous-dosage, risque d’inecacité
Vaut pour l’introduction de la coprescription
mais aussi pour son arrêt
Prend son plein eet à l’équilibre
(inuence des demi-vies)
Dépend des doses utilisées
Est inuencé par les variations des concentrations
de l’inhibiteur
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