L Modalités de la prise en charge chirurgicale des patientes mutées

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DOSSIER
Prise en charge des seins
d’une “femme mutée”
Modalités de la prise
en charge chirurgicale
des patientes mutées
Surgical handling of patients with BRCA1/2 mutations
T. Ihrai*, K. Clough**
L
* Centre Antoine-Lacassagne, Nice.
** Institut du sein, Paris.
es patientes porteuses d’une mutation prédisposante présentent un risque majoré de
survenue d’un cancer du sein (risque cumulé à
70 ans de 60 à 70 % en cas de mutation de BRCA1
et de 50 à 60 % en cas de mutation de BRCA2) et
de l’ovaire (risque de 20 à 60 % et de 4 à 47 %,
respectivement) [1]. La prise en charge chirurgicale
des patientes mutées ne se conçoit que dans un
cadre pluridisciplinaire. Une information claire et
exhaustive doit être délivrée aux patientes afin de
les guider dans leurs décisions quant à la prévention
du risque de cancer.
Les principes de la prise en charge chirurgicale des
patientes mutées reposent sur une abondante littérature scientifique. Cependant, aucun essai contrôlé,
randomisé ou non, portant sur les patientes mutées
n’a été publié, ce qui doit inciter à considérer avec
précaution les conclusions des diverses publications
disponibles (2).
Les différentes situations cliniques relatives aux
patientes mutées sont développées ci-dessous.
Patientes mutées, indemnes
de tout cancer
La prise en charge de ces patientes repose soit sur
une surveillance rapprochée, soit sur la mise en place
de mesures prophylactiques.
Surveillance rapprochée
La surveillance mammaire comporte, en plus de
l’autopalpation et d’un suivi clinique régulier, la
réalisation d’un bilan d’imagerie annuel. Le recours
à l’IRM est recommandé, en raison de sa plus importante sensibilité chez les patientes à haut risque de
cancer du sein (3). La surveillance des ovaires est
plus problématique, du fait de l’absence d’une technique efficace de dépistage précoce. La surveillance
présente peu de désagréments pour les patientes,
en dehors de l’anxiété inhérente à leur statut de
patientes “à risque”. Cette attitude ne réduit pas
le risque de cancer mais vise à détecter et à traiter
précocement un éventuel cancer.
Mesures prophylactiques
Figure 1. Mastectomie bilatérale prophylactique conservant l’étui cutané avec exérèse
de la plaque aréolomamelonnaire et reconstruction immédiate par prothèse.
14 | La Lettre du Sénologue • No 60 - avril-mai-juin 2013
Les mesures prophylactiques disponibles sont de
2 types : l’hormonothérapie préventive, qui ne sera pas
traitée dans ce travail, et la chirurgie prophylactique.
Points forts
» La méthode de prévention primaire la plus efficace est la chirurgie prophylactique.
» La réduction maximale du risque est obtenue par la combinaison d’une mastectomie bilatérale prophylactique et d’une annexectomie bilatérale prophylactique. L’annexectomie est la seule chirurgie prophylactique qui ait un bénéfice en survie démontré.
» En cas de diagnostic de cancer du sein chez une femme mutée, le traitement conservateur est une option
valide. Après le traitement d’un cancer du sein, une mastectomie prophylactique controlatérale réduit le
risque de cancer controlatéral mais n’améliore pas la survie.
» En cas d’antécédent de cancer du sein traité, seule l’annexectomie bilatérale prophylactique semble
apporter un bénéfice en survie.
La chirurgie prophylactique repose sur la réalisation d’une annexectomie bilatérale prophylactique (ABP), associée ou non à une mastectomie
bilatérale prophylactique (MBP). En théorie, cette
chirurgie devrait, pour permettre un gain en survie,
être réalisée précocement dans la vie d’une femme
mutée, le risque de décès par cancer du sein étant
plus élevé chez les femmes jeunes. Le bénéfice de la
chirurgie prophylactique, en termes d’espérance de
vie, dépend du type de mutation, des antécédents
cancérologiques personnels et de l’âge auquel est
réalisée cette chirurgie.
◆ Mastectomie bilatérale prophylactique
La MBP permettrait de réduire de 85 à 100 % le
risque de survenue d’un cancer du sein (4, 5). Bien
que cela s’associe probablement à une réduction
de la mortalité globale (1), nous ne disposons à ce
jour d’aucune étude qui ait démontré un bénéfice
en survie de la MBP par rapport à la surveillance et
au dépistage du cancer à un stade précoce.
Différentes techniques de MBP ont été décrites :
mastectomie totale, mastectomie conservant l’étui
cutané (skin-sparing mastectomy) et mastectomie
conservant l’étui cutané (figure 1) et la plaque aréolomamelonnaire (PAM) [nipple-sparing mastectomy]
(figures 2, 3, p. 16), qui est aujourd’hui la technique
la plus souvent proposée. Ces techniques semblent
équivalentes sur le plan de la réduction du risque
de survenue d’un cancer. Les techniques conservatrices de l’étui cutané et éventuellement de la PAM
facilitent la reconstruction mammaire et donnent
généralement de meilleurs résultats cosmétiques.
Le choix d’une technique de MBP repose essentiellement sur le souhait de la patiente à qui ont été
expliquées, de manière exhaustive, les différentes
options chirurgicales (6). Avant une MBP, un bilan
d’imagerie avec IRM est recommandé afin de limiter
le risque de découverte, lors de l’examen histologique
définitif, d’un cancer occulte. Après la MBP, la surveillance repose sur un examen clinique annuel (7).
La MBP est le plus souvent associée à une reconstruction mammaire immédiate. Cette dernière repose sur
la mise en place de prothèses rétromusculaires dans
70 à 95 % des cas (8). L’utilisation de matrices dermiques acellulaires est de plus en plus répandue, car
celles-ci facilitent la création de la loge prothétique et
limitent le risque de déplacement de l’implant (9). Par
ailleurs, si la patiente le souhaite et que sa morphologie s'y prête et si ses comorbidités ne constituent
pas un obstacle, une reconstruction par 2 lambeaux
de type DIEP (Deep Inferior Epigastric Perforator), voire
2 lambeaux de grand dorsal, peut être envisagée (10).
Le recours au lipofilling (autogreffe de tissu graisseux)
en complément de la reconstruction est très largement pratiqué, comme chez les patientes non mutées.
Le taux de complications (précoces et tardives) après
une mastectomie et une reconstruction immédiate
varie entre 30 et 50 %. Le taux de reprise chirurgicale, après une complication, varie entre 35 et 70 %.
Ce taux est plus important en cas de reconstruction
par implant (11). Ces chiffres doivent néanmoins
être relativisés, car plus de 1/3 de ces complications correspondent à des coques périprothétiques
qui peuvent être traitées par capsulotomie simple
(figure 4, p. 16).
◆ Annexectomie bilatérale prophylactique
Le National Comprehensive Cancer Network américain, de même que l’Institut national du cancer
(INCa), recommandent la réalisation, chez les
patientes porteuses d’une mutation prédisposante,
d’une ABP vers l’âge de 40 ans, sous réserve qu’il n’y
ait pas de projet de grossesse (7). En effet, l’ABP est
la seule intervention dont le bénéfice sur la survie a
été démontré. Par ailleurs, l’ABP réduit de 80 à 90 %
le risque de cancer de l’ovaire et de 50 % le risque
de cancer du sein (12).
Le geste chirurgical correspond à la réalisation d’une
annexectomie bilatérale (ovaires et trompes) avec
cytologie et biopsies péritonéales. Cette intervention
est réalisée par laparoscopie ; les suites opératoires sont
simples (13). La prescription d’une hormonothérapie
de substitution est le plus souvent associée à l’ABP.
Mots-clés
BRCA1/2
Cancer du sein
Cancer de l’ovaire
Prévention
Traitement chirurgical
Highlights
» Patients with BRCA1/2 mutation are at high risk of developing breast and ovarian
cancer.
» The best cancer prevention, in
BRCA patients with no personal
history of cancer, relies on
bilateral mastectomy and/or
bilateral salpingo-oophorectomy. Several techniques of
prophylactic mastectomy are
available: total mastectomy,
skin-sparing mastectomy and
nipple-sparing mastectomy.
» After bilateral mastectomy,
immediate breast reconstruction with implants is often
performed.
» In BRCA patients diagnosed
with breast cancer, breast
conservation is a valid option,
as it is equivalent to mastectomy in terms of overall
survival. Contralateral prophylactic mastectomy reduces
contralateral breast cancer risk
but does not improve survival.
In patients with a personal
history of breast cancer, only
bilateral salpingo-oophorectomy seems to enhance overall
survival.
Keywords
BRCA1/2
Breast cancer
Ovarian cancer
Prevention
Surgical treatment
Patientes mutées présentant
un cancer du sein
Traitement conservateur
La prise en charge chirurgicale doit être discutée
avec la patiente. Il est possible de réaliser un traitement conservateur si le rapport du volume tumoral
La Lettre du Sénologue • No 60 - avril-mai-juin 2013 |
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DOSSIER
Prise en charge des seins
d’une “femme mutée”
Modalités de la prise en charge chirurgicale des patientes mutées
de récidive locale chez ces patientes serait réduit en
cas de chimiothérapie, de traitement par tamoxifène
ou d’ABP (12).
Mastectomie bilatérale
Figure 2. Mastectomie bilatérale prophylactique avec préservation de l’étui cutané et
de la plaque aréolomamelonnaire. Reconstruction par matrice dermique acellullaire et
prothèse. Aspect avant (à gauche) et après l’opération (à droite).
Figure 3. Patiente BRCA1 : mastectomie totale thérapeutique à gauche et mastectomie
prophylactique conservant la plaque aréolomamelonnaire à droite avec reconstruction
bilatérale par prothèse.
Cette approche peut être justifiée par le risque de
survenue d’un cancer du sein controlatéral, estimé
à 30 % à 10 ans (14). Ce risque doit être pondéré à
l’aide des paramètres suivants : âge de la patiente,
type du gène muté, statut hormonal et pronostic
à long terme du premier cancer du sein (7). Néanmoins, les bénéfices en termes de survie de la
réalisation d’une mastectomie controlatérale prophylactique (MCP), en cas de cancer du sein chez
une patiente mutée, n’ont pas été démontrés (2).
Les modalités de la reconstruction mammaire
dépendent des souhaits de la patiente, mais surtout
de la nécessité de réaliser une radiothérapie postopératoire. Si la radiothérapie n’est pas nécessaire,
la reconstruction par prothèses est une option
simple avec une rançon cicatricielle minime. Si
une radiothérapie postopératoire est nécessaire,
la reconstruction doit être réalisée de préférence
par une technique autologue, la reconstruction
par prothèses étant grevée d’un important taux
de complications et de résultats cosmétiques peu
satisfaisants (15).
Annexectomie bilatérale
prophylactique
Figure 4. Mastectomie bilatérale prophylactique avec conservation de la plaque aréolomamelonnaire. Coque périprothétique de grade 3 au niveau du sein droit.
sur le volume du sein l’autorise. Chez les patientes
mutées, les techniques de remodelage glandulaire
sont identiques à celles pratiquées chez les patientes
non mutées. Les différentes études menées ne
montrent pas de différence de survie globale entre
traitement conservateur et mastectomie totale chez
les patientes mutées. Bien que les données de la
littérature soient divergentes, le risque de récidive
locale ne semble pas plus élevé après un traitement
conservateur chez les patientes mutées. Le risque
16 | La Lettre du Sénologue • No 60 - avril-mai-juin 2013
L’ABP doit être discutée avec les patientes mutées
présentant un cancer du sein. Ce geste ne semble
pas réduire le risque de second cancer chez les
patientes mutées présentant un cancer du sein.
Cependant, l’ABP permettrait de réduire, dans ce
groupe de patientes, la mortalité globale, en réduisant la mortalité spécifique par cancer du sein et
cancer de l’ovaire. L’ABP semble donc présenter un
intérêt majeur chez les patientes mutées ayant un
cancer du sein (16).
Patientes mutées déjà traitées
pour un cancer du sein
Du fait du bénéfice en termes de mortalité globale,
l’ABP doit être discutée et proposée. La prise en
charge de ces patientes dépend des modalités du
traitement initial du cancer.
DOSSIER
Patientes mutées traitées
initialement par mastectomie :
le sein controlatéral
La simple surveillance ou la mastectomie controlatérale prophylactique avec ou sans reconstruction
mammaire immédiate doivent être discutées avec ces
patientes. Les critères permettant d’évaluer le bénéfice
de la MCP ont été énumérés plus haut. Le choix de la
technique chirurgicale utilisée lors de la MCP dépend
du type de la mastectomie et de la reconstruction
réalisées lors de la prise en charge du cancer, l’objectif
étant d’obtenir la meilleure symétrie possible.
Patiente mutée traitée initialement
par traitement conservateur
Cette situation est fréquente, du fait des délais
nécessaires à l’obtention des résultats des tests
génétiques. Cependant, l’amélioration de ces tests
devrait permettre, dans un avenir proche, un diagnostic rapide. Ainsi, le paramètre génétique pourra
être pris en compte lors de la prise en charge initiale de patientes présentant un cancer et suspectes
d’être porteuses d’une mutation (12).
La simple surveillance ou la MBP avec ou sans
reconstruction mammaire immédiate doivent être
discutées avec les patientes mutées initialement
traitées par traitement conservateur.
Néanmoins, la prise en charge de ces patientes
est compliquée, du fait de l’antécédent de radiothérapie au niveau du sein traité. En effet, l’irradiation contre-indique la conservation cutanée dans
le cas où la patiente souhaite une mastectomie
bilatérale. Le choix des techniques chirurgicales
est donc limité à la mastectomie associée à une
reconstruction par lambeau. La reconstruction par
implant reste possible mais expose à un risque
élevé de complications.
■
T. Ihrai déclare ne pas avoir
de liens d’intérêts.
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